Interview de Mme Corinne Lepage, présidente de Cap 21 et candidate à l'élection présidentielle, à France-Inter le 15 mars 2002, sur l'absence de débat de fond sur les questions de l'environnement et de l'écologie, le temps de parole des "petits candidats" et sur les relations entre mouvements écologistes dans la perspective des élections législatives.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli.- L'écologie est telle une supplétive dans la campagne présidentielle ? Les Verts, engagés dans un "je t'aime moi non plus" avec le PS, les bleus de B. Lalonde ambitionnant d'ancrer un jour l'écologie à droite, le mouvement écologiste indépendant d'A. Waechter ou Cap 21 de C. Lepage, ne sont-ils pas génétiquement modifiés par la présidentielle ? Existe-t-il réellement une écologie indépendante aujourd'hui ?
- "L'environnement et l'écologie, à mon sens, n'appartiennent ni à la droite ni à la gauche. Il y a eu un hold-up sur ces questions par les Verts. C'est tout à fait clair. Je crois que l'objectif est de remettre cette question qui est centrale - notre vie à nous, la vie de nos enfants, la capacité de la planète à permettre de nourrir, aujourd'hui, 6 milliards - bientôt neuf milliards - d'individus - remettre ces questions de fond qui intéressent tout le monde. Ces sujets, en réalité, ne sont pas traités. Soit ils font l'objet d'une instrumentalisation politicienne par les Verts, soit ils deviennent la cerise sur le gâteau d'un certain nombre de politiques traditionnels. Ce que je veux dans cette campagne, c'est dire aux Français que nous avons une urgence à régler, que nous devons nous y attaquer, et que nous avons des solutions qui permettent de mettre ensemble l'économie et l'environnement, pour, à la fois, créer des richesses, créer des emplois - c'est à dire ne pas avoir une attitude malthusienne - mais en même temps, résoudre des problèmes qui sont nos grands problèmes, nos grands enjeux."
On va revenir sur les enjeux, mais revenons aussi sur la stratégie politique. Vous savez bien que les grands candidats par rapport aux petits...
- "Il n'y a pas de petits candidats, il n'y a que des candidats avec des petits temps de parole !"
Vous aurez remarqué que je le disais tout à l'heure et qu'ici, à France Inter, on faisait en sorte de donner la parole à ceux qui ne l'ont pas beaucoup ! Vous savez bien qu'il y aura des récupérations. D'ailleurs vous-même, il faudra bien que vous appeliez à voter pour quelqu'un au deuxième tour.
- "Ce n'est pas une nécessité absolue. On peut aussi dire aux citoyens qui vous ont fait confiance qu'on ne dispose pas de leur vote et que par conséquent, au deuxième tour, ils votent en fonction de leur conviction. Que je n'appelle pas naturellement à voter pour L. Jospin, chacun peut le comprendre, mais cela ne veut absolument pas dire que je vais appeler à voter pour J. Chirac. Moi, je m'occupe de ces questions d'environnement, de santé, de sécurité depuis 25 ans. Par conséquent, j'ai eu une vie avant 1995 et j'ose dire que j'en ai eu une après 1997. Par conséquent, je me bats pour des idées qui me paraissent essentielles. Je me bats parce que je suis une femme préoccupée de l'avenir de ses enfants. Et je pense qu'il y a beaucoup de femmes qui sentent la même chose dans ce pays. Par conséquent, si j'ai le sentiment que ce qui me paraît fondamental n'est pas pris en compte par J. Chirac, je n'appellerai pas à voter pour lui."
L'avocate que vous êtes, que dit-elle ? Comment va-t-elle plaider l'écologie face à ce qui est de plus en plus et partout la real politik ? Je ne parle pas que des Américains en l'occurrence. Que pèse l'écologie face aux enjeux économiques ?
- "L'écologie pèse lourd. D'abord, l'écologie, c'est la santé. On ne peut plus, aujourd'hui, parler de médecine et de santé publique sans parler d'environnement. Parce que la cause des grands maux de l'explosion des cancers et des problèmes de fécondité et de stérilité trouve sa source dans les ressources naturelles que nous avons aujourd'hui. Que ce soit la pollution es sols, de l'air ou de l'eau. Tout cela coûte cher. On est donc aussi dans la real politik. Lutter contre tous ces fléaux qui nous menacent - et je pense notamment aux changements climatiques -, cela implique de nouvelles technologies, de nouvelles entreprises. Je voudrais attirer l'attention de nos auditeurs sur un point. Lorsque G. Bush a annoncé son programme, il y a quelques semaines - et qui est minable puisqu'il n'y aucune obligation -, il y a un point très fort : ce sont les milliards de dollars qui sont investis dans le développement des industries, qui vont permettre de résoudre les problèmes - ou tout au moins de réduire - d'émission de gaz à effet de serre dans les transports, dans les industries. Le jour où l'économie américaine aura suffisamment développé ce secteur, je suis certaine que Kyoto sera ratifié par les Etats-Unis."
Le jour où l'écologie coïncidera avec les intérêts américains en matière d'économie ?
- "Absolument. Autrement dit, il y a un enjeu économique majeur. Ce que je veux dire aux Français, c'est que l'environnement n'est pas la cerise sur le gâteau. L'environnement est un secteur économique extrêmement puissant, dans lequel l'Europe doit devenir le leader. Que ce soit la sécurité alimentaire, que ce soit la sécurité sanitaire, que ce soit la lutte contre l'effet de serre, dans tous ces secteurs-là, nous devrions être une économie absolument leader, créatrice de richesses et créatrice d'emplois, permettant en même temps de résoudre nos problèmes et de nous développer."
Est-ce que la politique condamne à ce qu'il n'y ait que les petits qui disent - vous et les autres - la vérité ? Quand on écoute D. Bromberger qui nous dit que le débat sur la privatisation d'EDF est bien gentil, mais qu'il faut aussi parler de l'eau. Il n'y a pas un politique qui nous parle de l'eau.
- "Dans cette campagne, que je trouve lamentable au niveau du débat - je suis un petit candidat, donc je peux le dire -, on n'aborde pas les sujets de fond qui fâchent. Il y a une espèce de consensus mou sur tous les grands sujets. L'Europe : que fait-on avec l'élargissement par exemple ? Que fait-on avec les institutions ? La santé publique : personne n'en parle. Les questions d'environnement au sens large du terme, personne n'en parle, parce que ce sont des sujets conflictuels, des sujets qui fâchent. Et comme on est en train de nous priver complètement du premier tour, les deux candidats du deuxième tour n'ont aucun intérêt à aborder ces thèmes-là. Dans la mesure où précisément - et je vous remercie de m'inviter - les médias ne me donnent que très peu la parole, je ne suis pas en mesure de contraindre à avoir un débat sur ces grands thèmes qui m'apparaissent majeurs. De même pour la violence. Je serai pour une mobilisation de tous les parents. On en a marre d'avoir nos gosses qui sont agressés dans les écoles et qui sont rackettés. Je crois que nous avons une vraie responsabilité pour nous mettre en ordre de marche et pour dire que maintenant cela suffit et qu'il y en a marre."
Vous le concevez comme ça votre rôle politique ? Etre un aiguillon, forcer justement le débat politique à aller où justement il ne va pas ? Là où il y a des risques à prendre ? Les politiques ne vont jamais là où il y a des risques à prendre.
- "Ma candidature, elle-même, est un risque. Ma vie quelque part et les engagements qui ont été les miens ont été, depuis 30 ans, des risques. Si on ne prend pas de risques dans la vie, on ne fait absolument rien. Par conséquent, oui, je conçois cette candidature comme étant, à la fois, une éveilleuse de conscience mais, en même temps, une force très grande de propositions nouvelles. Des idées nouvelles, des gens nouveaux ne sont jamais majoritaires au départ. La grande difficulté, ici, est que dans cette campagne, des gens comme moi n'ont pas la parole. 9 secondes en deux mois sur France 2, par exemple, au journal. Comment en 9 secondes, je peux convaincre les Français du projet qui est le mien ? C'est impossible."
Ce qui est intéressant de remarquer dans le programme des petits candidats - quelque soit leur appartenance, à droite ou à gauche - c'est la place à chaque fois que les citoyens y occupent, à la différence du programme des grands justement.
- "Bien entendu. Tout à l'heure, M. Bromberger parlait, avec beaucoup de talent, du service public. Si on mettait un peu de contrôle citoyen dans le service public, si on imaginait que la démocratie ait le droit de dire quelque chose sur les grands choix technologiques que fait EDF, vous croyez que cela irait beaucoup plus mal ? Moi, je ne crois pas. Je pense qu'il y a un véritable problème, dans ce pays, de la démocratie au niveau de base. Dans toutes les régions de France où je vais actuellement, j'entends la même chose : les Français ont le sentiment de se heurter à des murs. On ne les écoute pas ; on se moque de leurs problèmes au quotidien. "Ce n'est pas le sujet". Je crois que des candidats comme moi sont là pour faire des propositions nouvelles, d'expression des citoyens. Qu'un référendum d'initiative citoyenne, par exemple, permette à 5 % du corps électoral, au niveau local ou national, de dire : "Attendez, là, il y a un vrai sujet et je veux donner mon point de vue là-dessus". Cela serait de nature à permettre les vraies réformes que personne ne veut faire dans ce pays."
Derrière la présidentielle, il y aura les législatives. Votre parti, Cap 21, présentera entre 150 et 200 candidats. C'est beaucoup. Est-ce que l'on peut imaginer un jour - je reprends votre expression - "des solutions conjointes" au sein des différents mouvements écologistes que j'ai cités tout à l'heure - les Bleus, les Verts, le mouvement écologiste indépendant et vous ?
- "On est en train de donner beaucoup d'importance à des mouvements qui représentent, aujourd'hui, assez peu de choses en dehors de leurs leaders qui cherchent à exister. Moi, je suis pour une politique de la main tendue. Je crois que tous ceux qui se battent vraiment pour l'environnement, qui n'en font pas un fonds de commerce pour obtenir des postes et pour faire autre chose, que toutes les associations de citoyens et de consommateurs qui sont nombreuses dans ce pays et qui se battent avec grandes difficultés, je suis que pour tous ces gens là se rejoignent, parce que nous avons des intérêts communs dans l'évolution de la société que nous voulons. Et puis, pour que nous donnions une place à nos jeunes aussi, dont on ne demandent jamais l'avis dans ce pays sauf pour la drogue et la délinquance. Quand nous décidons de faire des OGM, quand nous nous interrogeons sur le clonage, est-ce que qu'on ne croit pas que ce sont les jeunes qui vont être les principales victimes des âneries que nous allons faire ? Moi, je propose qu'il y ait une sorte de parlement de jeunes, qui ne décide pas mais qui soit consulté sur tous les grands choix qui engagent l'avenir, parce que ce seront, eux, précisément, qui en subiront les conséquences. Ce sont des candidats comme moi, effectivement, qui présentent ce type de propositions qui ont un caractère un peu "révolutionnaire". Mais nous sommes un pays vieillissant. Si on ne donne pas la parole à des gens un peu plus jeunes, à des gens différents et à des gens nouveaux, nous continuerons à ronronner sur nous-mêmes, à voir passer les trains et à devenir le mouton noir de l'Europe."
(Source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 mars 2002)