Déclaration de M. Jacques Brunhes, secrétaire d'Etat au tourisme, sur le rôle du tourisme comme domaine partagé, transversal, partenarial où l'Etat à un rôle légitime à jouer, Paris le 28 janvier 2002.

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Circonstance : Rencontres parlementaires sur le tourisme au Sénat le 28 janvier 2002

Texte intégral


Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi d'abord de vous féliciter, Monsieur Dubrule, d'avoir pris l'initiative de ces rencontres et je vous en remercie. Elles sont utiles, et je souhaite qu'elles soient efficaces, c'est-à-dire que les réflexions de cette journée puissent dans l'avenir se décliner en suites concrètes dans le cadre des politiques des différents acteurs du tourisme.
La grande qualité des personnalités que vous avez invitées, qui se sont exprimées ce matin, et le feront cet après-midi, sur les mutations économiques et sociales de notre monde et de notre pays et sur les évolutions de l'offre et de la demande constituent le principal gage de réussite de ces rencontres. Je tiens ici à tous les saluer et les remercier d'apporter leur contribution.
Ces rencontres me paraissent d'autant plus importantes et pertinentes qu'elles se situent à un moment charnière. Le tourisme évolue, se transforme. Cela nous impose d'éviter tout fixisme de pensée qui altère l'action et la réflexion.
Sur le plan économique et social, nous sommes encore, pour certains secteurs et professions touristiques, dans une phase de ralentissement, liée notamment aux conséquences des événements du 11 septembre, et cela aussi bien sur le plan mondial que national. Dès lors, nous sommes amenés à nous poser ensemble la question de notre contribution à la relance de notre secteur. Et pour quel type de développement touristique. Ce sera la deuxième partie de mon intervention.
Et sur le plan de l'intérêt général, politique donc, au sens noble du terme, vie de la cité, nous devons réfléchir sur la place du tourisme dans notre appareil institutionnel, sur le rôle de l'Etat.
Je commencerai par là en soulignant tout l'intérêt de ces débats dans une enceinte parlementaire. Je ne jurerai pas qu'il s'agit d'une première - il y a eu en 1998 une journée d'études organisée par Michel Bouvard à l'Assemblée sur le thème de l'aménagement du territoire -, mais il ne doit pas y en avoir eu beaucoup sur le tourisme en général. Cela participe opportunément à la sensibilisation des élus et des citoyens et à la discussion entre les représentants de la Nation. Cette discussion, me semble-t-il, ne devrait en effet pas se limiter au traditionnel débat annuel budgétaire, souvent un peu formel, avec le Ministre en charge.
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Je commencerai donc par des considérations d'intérêt général. Ce n'est évidemment pas au Ministre du tourisme d'évaluer sa propre politique touristique - d'autres, le moment venu, s'en chargeront -, encore moins de juger de l'action des collectivités territoriales en la matière et, a fortiori, des stratégies et du travail des opérateurs professionnels d'un secteur qui est aujourd'hui - et c'est très bien ainsi- essentiellement privé.
Par contre, je peux tirer des enseignements des années passées. J'en soulignerai deux : c'est, d'une part, que le tourisme est de plus en plus un domaine partagé, transversal, partenarial, et que, d'autre part, l'Etat y a un rôle légitime à jouer.
* C'est un domaine partagé entre les niveaux institutionnels que la loi de 1992 a conforté. Nous nous sommes beaucoup interrogés, vous le savez, sur d'éventuelles réformes de cette loi, notamment en rapport avec la juste montée en puissance de la décentralisation. Des propositions de loi et des rapports intéressants ont été faits : je pense en particulier à celle de mon ancien collègue Léonce Déprez et à celui d'un de mes prédécesseurs Jean-Jacques Descamps.
Cette réforme, ou des adaptations, interviendra certainement à moyen terme, dans le cadre de l'évolution de l'intercommunalité et de la décentralisation. Pour anticiper ce débat, Michelle Demessine avait demandé au Conseil National du Tourisme, qui a missionné Jean Launay, député du Lot, pour établir un rapport sur ce sujet. Celui-ci devrait me le remettre dans les semaines qui viennent. Il sera bien sûr diffusé et alimentera la réflexion, au même titre que celui sur l'Etat et les acteurs du tourisme, réalisé par le Sénateur Bernard Joly pour le Conseil National du Tourisme
* Le tourisme est en même temps un domaine transversal, et de plus en plus interministériel : la préparation des contrats de plan l'a montré. Des réformes juridiques sur tel ou tel point réglementaire ont été entreprises, sans doute insuffisamment, et d'autres s'imposeront. La principale initiative en la matière a été de fédérer toutes les lois et réglementations existantes dans un nouveau Code, le Code du Tourisme, pour l'instant élaboré à droit constant. Je ferai prochainement un point public sur l'état d'avancement de ce Code.
Ce Code, je le crois, constitue une véritable avancée pour tous les chantiers à venir. En tout cas, son existence même, maintenant consacrée, est une véritable reconnaissance de notre secteur. N'est-ce pas là déjà une petite révolution, en même temps qu'une base essentielle de travail pour les années à venir ?
Cette transversalité apparaît également dans les engagements des autres départements ministériels en faveur du tourisme. En première estimation, ils se montent à quatre cent cinquante millions d'euros, auxquels il faut ajouter les engagements des Régions et des Départements pour environ trois cent millions d'euros. Un document d'esquisse de notre futur "jaune budgétaire" sera prochainement diffusé.
* Enfin, le tourisme est un secteur partenarial et un champ exemplaire de collaboration entre le secteur public et le secteur privé. Que ce soit sur les classements et les démarches de qualification, sur la formation et l'emploi, sur le soutien à la modernisation de certaines entreprises, sur les chantiers territoriaux, ou d'autres encore, il n'y a pas un domaine de ce département ministériel qui échappe à ce partenariat et il faut s'en féliciter.
Mais il est vrai que la complexité qu'induisent ce partage des compétences, cette transversalité et ce partenariat est sans doute source d'un certain déficit de lisibilité politique, voire de confusion technique sur certains dossiers. Sans doute est-ce sur la clarification et la lisibilité qu'il nous faut porter l'effort, sans doute aussi, mais c'est un autre débat, sur la question des moyens techniques et financiers des uns et des autres.
En tout cas, je ne crois pas que c'est en remettant en cause la place de l'Etat dans ce dispositif qu'on résoudra les problèmes. Je voudrais simplement vous indiquer les raisons pour lesquelles l'intervention de l'Etat dans le domaine du tourisme me paraît légitime et demande même à être renforcée.
J'en citerai trois : la réduction des inégalités, l'accompagnement de la croissance et la création d'emplois, le rôle européen et international de la France, et je voudrais les illustrer par des exemples.
Dans le tourisme comme ailleurs, l'Etat doit d'abord favoriser la cohésion sociale et réduire les inégalités, qui sont à la fois sociales et territoriales.
Sur le plan social, la politique du droit aux vacances pour tous en est une illustration, notamment à travers l'action de l'Agence Nationale du Chèques Vacances, la création de la Bourse Solidarité Vacances, l'appui aux associations de tourisme social et associatif, l'accès aux vacances des personnes handicapées.
Sur le plan territorial, les contrats de plan et les conventions de massif, la nouvelle Conférence Permanente du Tourisme Rural, les initiatives sur la moyenne montagne, les mesures fiscales pour soutenir l'immobilier de loisirs dans les zones rurales, contribuent à la réduction des inégalités entre les collectivités.
Enfin, la solidarité nationale s'exerce aussi pour réduire les inégalités conjoncturelles, occasionnées par les catastrophes naturelles ou technologiques, comme ce fut le cas en 2000 avec les intempéries et le naufrage de l'ERIKA et maintenant avec les conséquences des dramatiques attentats du 11 septembre 2001 et de l'accident de Toulouse.
Deuxième raison de l'importance du rôle de l'Etat dans le tourisme : sa fonction d'homogénéisation et d'impulsion économiques et d'appui à la création d'emplois.
Il est nécessaire, dans ce domaine comme dans d'autres, qu'il y ait un garant de son homogénéité économique : au niveau des normes et des classements, de la professionnalisation et de la qualification des acteurs, de la promotion coordonnée de l'offre touristique et de sa commercialisation, de la mise en réseau des capacités d'ingénierie, de la qualité de l'emploi, de la cohésion entre les professionnels, des conditions de travail des salariés - je pense aux saisonniers -, de l'aide à l'intégration des jeunes, du soutien aux très petites entreprises.
L'observation économique et la promotion, bien coordonnés au niveau central, jouent aussi un rôle essentiel pour augmenter la fréquentation, qui contribue fortement à la croissance et à l'emploi.
Enfin, la troisième raison de l'engagement de l'Etat dans le tourisme, c'est bien sûr l'Europe et les relations internationales.
Même si le tourisme ne figure pas en tant que compétence communautaire dans les traités européens, un certain "modèle européen de tourisme" existe, qui participe à une meilleure perception de la citoyenneté européenne et à la promotion d'une destination spécifique, différenciée par rapport aux autres continents. C'est pourquoi les Ministres européens du tourisme se rencontrent maintenant régulièrement et coordonnent mieux leurs interventions dans certains domaines.
Au plan international, le code mondial d'éthique, adopté par l'Organisation Mondiale du Tourisme en 1999, marque la volonté de promouvoir, partout dans le monde, un tourisme responsable et durable, au bénéfice de tous : Etats, opérateurs touristiques, touristes, mais aussi et surtout les populations locales.
Ces trois raisons principales de l'intervention de l'Etat en matière touristique - cohésion sociale et territoriale, animation de la croissance et création d'emplois, dimension européenne et internationale - n'excluent évidemment pas la légitimité de l'intervention des autres niveaux, bien au contraire. L'important, c'est la cohérence et la synergie pour être plus efficace et plus économe.
Vous avez ce matin débattu des mutations du tourisme français et, cet après-midi, vous évoquerez les enjeux du tourisme mondial. J'ai souligné en commençant à quel point la conjoncture actuelle rendent ces questions pertinentes et ces rencontres opportunes.
Elles prolongent les débats qui se tiennent régulièrement au sein du Conseil National du Tourisme et ceux qui furent l'objet des Assises nationales du Tourisme, clôturées par le Premier Ministre, à La Villette le 17 octobre dernier.
Quel soutien et quelle relance pour notre tourisme ?
L'année 2001 restera marquée par les terribles événements du 11 septembre et leurs impacts sur le transport aérien et le tourisme. Deux ans seulement après l'Erika et les tempêtes, le 11 septembre nous a rappellé une nouvelle fois à quel point notre secteur est sensible à la conjoncture et tout simplement à la confiance. Le tourisme est ainsi un véritable baromètre de notre économie et de notre cohésion collective.
* Pour faire face à ces risques conjoncturels et aux mutations que vous avez évoquées - les nouveaux rythmes de vie et de travail, la concurrence de plus en plus vive de la part des pays émergents, la demande plus différenciée et plus personnalisée des Français, comme des Européens -, notre tourisme, s'il veut conserver son niveau, tant en fréquentation qu'en recettes, doit poursuivre et accroître ses efforts d'adaptation structurelle de son appareil, en particulier en travaillant sur le financement de l'économie touristique et sur sa fiscalité, et de diversification de son offre touristique.
Nous devons aussi pérenniser et renforcer nos dispositifs de veille et d'observation et nos instruments d'analyse, d'anticipation et de prospective.
* En ce qui concerne les suites directes des événements, après les mesures d'urgence annoncées par le Premier Ministre aux Assises du Tourisme le 17 octobre, et à la suite du rapport de l'Inspection Générale du Tourisme sur leurs impacts, j'ai annoncé la semaine dernière des mesures complémentaires, et en particulier la poursuite des possibilités de reports d'échéances fiscales et sociales pour les entreprises les plus touchées. Si nécessaire, d'autres mesures ponctuelles pourront être prises au vu de l'évolution de la situation, mesurée par notre observatoire commun.
J'ai aussi ouvert de nouveaux chantiers, d'une part, pour favoriser l'accès aux prêts bancaires avec la garantie SOFARIS pour la trésorerie et l'adaptation structurelle de ces entreprises aux évolutions du marché et, d'autre part, pour mettre à l'étude un dispositif de garantie professionnelle mutuelle.
* En affaiblissant certains professionnels français, ces événements amènent aussi des restructurations comportant des risques de concentration industrielle autour de grands groupes intégrés de dimension européenne ou mondiale.
Ce phénomène, s'il s'accélère, risque d'aller à l'encontre des intérêts économiques de notre pays, des aspirations des consommateurs, recherchant des produits individualisés et à forte identité. Il peut aussi engendrer à terme des impacts sur notre environnement et aggraver nos déséquilibres territoriaux.
C'est pourquoi j'ai demandé à Monsieur Antoine Veil un état des lieux de la situation des entreprises françaises et quelques préconisations. Je sais qu'il a déjà dans ce cadre rencontré certains d'entre vous. Sachez qu'avec mon collègue Laurent Fabius, je suis très attentif à cette mission dont les conclusions me seront rendues début mars.
* Le tourisme, c'est aussi - c'en est même une des conditions- le transport aérien, dont on sait à quel point il a souffert et souffre encore. A côté du problème général du ralentissement économique et d'une certaine appréhension d'avoir à prendre l'avion - qui, je pense, s'estompera peu à peu -, je voudrais ici, avec mon collègue et ami Jean-Claude Gayssot, me féliciter qu'une solution, que je souhaite durable, ait pu en l'instant être trouvée par le Gouvernement pour l'avenir d'Air Lib.
* Enfin, vous le savez, il y a la campagne mondiale de promotion de la destination France. Maison de la France, dont je salue le Président Brémond, y travaille. Je puis vous annoncer qu'elle sera lancée à la mi-février et présentée le 11 mars dans le cadre de sa manifestation annuelle des Rendez Vous France 2002.
Cette période particulière et nos débats doivent être l'occasion, au-delà de la relance du tourisme, de nous interroger sur les formes de développement touristique que nous voulons lui donner, aussi bien dans notre pays qu'au niveau international. Et je terminerai par là.
La France est la première destination touristique mondiale depuis plus de dix ans. L'an passé, 76,5 millions de touristes ont visité notre pays, soit 1,5 million de plus qu'en 2000. Elle est également un modèle reconnu sur le plan de la qualité de son tourisme et de son organisation institutionnelle, même si beaucoup reste à faire comme je l'ai indiqué à l'instant.
Cette place et cette notoriété, assises également sur son histoire et son image internationale, lui confèrent une responsabilité particulière et une légitimité certaine dans le concert des Etats de la planète.
Le tourisme doit ainsi pouvoir jouer un rôle accru dans la reconquête collective de la confiance et du développement économique et humain qui l'accompagne, et dans le renouveau des politiques de solidarité internationale, dans l'optique d'une "autre mondialisation", rendue désormais incontournable par ces événements.
Nous nous devons donc de prendre les initiatives nécessaires pour contribuer à redonner aux Français, mais aussi aux peuples du monde entier l'envie de voyager et de partager. C'est tout le sens de la rencontre internationale des professionnels et des Ministres du tourisme que j'organise le 14 mars prochain à Paris, dans le cadre du Salon Mondial du Tourisme. Sous le titre "tourisme, éthique et mondialisation". Son objet sera aussi de contribuer à la promotion et à la relance d'un tourisme mondial, durable et solidaire.
Organisée en liaison avec l'Organisation Mondiale du Tourisme et le Programme des Nations Unies pour l'Environnement, cette rencontre s'inscrira dans le cadre de l'année internationale de l'écotourisme. L'année 2002 a en effet été déclarée par l'ONU année internationale de l'écotourisme, en même temps qu'année internationale des montagnes.
De par leurs thématiques, ces deux initiatives s'inscrivent dans le cadre de la préparation du Sommet mondial de Johannesburg de septembre prochain sur le développement durable.
Cette manifestation constituera le point d'orgue d'une semaine toute entière consacrée au tourisme à la mi-mars : le vingtième anniversaire de l'Agence Nationale du Chèques Vacances, la campagne de promotion de la destination France, le Salon Mondial du Tourisme et notre rencontre internationale.
Cette mobilisation des pouvoirs publics et des professionnels du tourisme montrent à quel point les acteurs du tourisme, comme je l'ai dit en formulant mes voeux, sont dynamiques et créatifs. Au-delà des échéances à venir, n'est-ce pas là le meilleur gage pour l'avenir de notre tourisme ?
(Source http://www.tourisme.equipement.gouv.fr, le 4 avril 2002)