Interview de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, à France Inter le 12 février 2002, sur la déclaration de candidature de J. Chirac à l'élection présidentielle et l'attente de celle de L. Jospin, et sur le bilan du gouvernement de L. Jospin

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli - Face à une passion déclarée au point d'être l'objet essentiel d'une candidature, L. Jospin continuera-t-il de se faire désirer ? C'est décidément dans l'espace de l'affect plus que dans celui du programme que messieurs Chirac et Jospin s'inscrivent jusqu'à présent pour parler aux citoyens. Avant la "passion" chiraquienne sur TF1 hier soir, sur France 2, L. Jospin n'avait-il pas souhaité être "désiré" des Français ? Vous êtes le futur directeur de campagne du futur candidat Jospin ; le futur, c'est quand ?
- "On verra. Je ne pense pas que ce soit la question fondamentale de l'élection présidentielle qui arrive. L. Jospin a dit qu'il avait des engagements en tant que chef du Gouvernement, c'est notamment un engagement constitutionnel, c'est-à-dire la responsabilité devant le Parlement et qu'en tout état de cause, il ne pouvait pas être autre chose que Premier ministre, tant que le Parlement était en session. Le Parlement siège jusqu'au 22 février. Je pense donc qu'il n'est pas nécessaire d'aller contredire cet engagement qu'il a pris."
P. Poivre d'Arvor a posé la question de l'hypocrisie hier soir. Je poserais plus celle de la stratégie : qu'est-ce qui procède de la stratégie politique et qu'est-ce qui procède du fond ? Parce que les Français n'arrêtent pas de dire qu'ils veulent qu'on leur parle du contenu, ils veulent savoir où on les emmène. Quand aura-t-on des réponses à ces questions ?
- "Les Français ont raison, parce qu'une élection présidentielle est un moment où on doit essentiellement parler de projets, où des candidats présentent leur projet aux Français, prennent des engagements sur ces projets, qu'ensuite ils tiennent ces engagements et viennent en rendre compte devant les Français. C'est la mécanique de la démocratie représentative. Et donc, les Français attendent un projet et j'espère bien que cette campagne sera une confrontation de projets. Le moment de ce grand débat est d'ailleurs venu et on peut parler de ces bilans comme de ces projets maintenant, sans attendre tel ou tel candidat. Le Parti socialiste, qui est le principal parti de la majorité, a un projet. Tous les jours, ses responsables animent des discussions, des débats politiques ou des réunions publiques sur ce projet. Il n'y a pas besoin d'attendre tel ou tel candidat, on peut débattre à l'occasion de cette campagne présidentielle et on le fait déjà depuis plusieurs mois."
Comment le futur directeur de campagne que vous êtes perçoit le fait que le président de la République et le Premier ministre, s'adressant aux Français, s'inscrivent vraiment dans ce terrain de l'affect, la passion, le désir... Ce sont des mots forts, au demeurant...
- "Je ne ferais pas de comparaison entre les deux. On peut peut-être parler de ce que l'on a entendu et vu hier soir. Après, le moment venu, on verra comment L. Jospin annoncera une candidature qu'il a quand même déjà largement dévoilée. A deux reprises, il a dit "candidat probable", ensuite "disponible". Il n'a pas de surprise à attendre de ce côté-là, pas d'hypocrisie. L. Jospin dit qu'il sera probablement candidat mais qu'il a un devoir vis-à-vis du pays, qui est de faire son boulot jusqu'au bout. Il a un devoir vis-à-vis du Parlement, qui est d'être présent jusqu'à la fin de la session. On verra après. Il n'y a pas d'hypocrisie ni de débat bridé. Le débat, je le répète, a lieu tous les jours dans les médias, dans les réunions publiques. Aujourd'hui, la France est en débat et on n'a pas attendu la déclaration d'hier ni celle de demain - je veux dire dans quelques jours - pour que le pays débatte. On peut déjà débattre largement."
Laissons la passion et le désir...
- "Non, pourquoi les laisser ?"
Parce que vous ne m'avez pas répondu là-dessus ! Que pensez-vous de cet espèce de registre ?
- "L'élection présidentielle est un rapport entre un homme ou des hommes et des femmes et le peuple. Cette espèce d'alchimie mystérieuse entre un homme ou une femme et le peuple est faite de beaucoup de choses, y compris de choses profondément humaines. Cela ne me choque pas que l'affect y trouve une place, au contraire."
"La France au ralenti", "le carcan idéologique"... La campagne est lancée, ça y est ! La France au ralenti, c'est à cause de vous, quant au carcan idéologique, il n'y a pas besoin de faire un dessin !
- "Ce qui me frappe beaucoup dans l'intervention d'hier, c'est que tout le monde attendait J. Chirac sur un bilan et sur un projet. Sur le bilan, je l'ai trouvé très empêtré dans l'avant 1997, comme si la France s'était arrêtée en 1997. Le J. Chirac d'hier, c'était un J. Chirac de 1997 assumant de manière presque obligée le bilan Juppé. Il dit que son bilan, c'est celui d'A. Juppé et que ce qu'ils ont fait entre 1995 et 1997 était formidable, que cela n'a pas été très bien compris des Français, mais que c'était formidable, que c'était ce qu'il fallait faire, travestissant d'une manière extraordinaire la dissolution de 1997, y compris en racontant hier soir aux Français une histoire qui n'est pas du tout celle qu'il a racontée en 1997, mais presque le contraire de ce qu'il a dit à ce moment-là - que c'était parce qu'il y avait beaucoup de Français dans la rue qu'ils avaient dû, exigence démocratique, dissoudre l'Assemblée nationale. On n'a pas du tout entendu cette explication en 1997. Donc, je dis un bilan d'un septennat réduit à deux ans, comme si tout c'était arrêté en 1997."
Comment percevez-vous que la campagne s'instruira sur le fond ? Y aura-t-il à nouveau le grand clivage droite-gauche ? Parce que quand il dit "carcan idéologique", il n'y a pas de doute qu'à ses yeux, vous êtes vraiment la gauche, avec tout ce qu'elle véhicule dans la vision de la droite !
- "Après le bilan, il y a effectivement le projet. Je dis les choses telles que je les aies ressenties hier soir : je suis encore incapable de vous dire pourquoi J. Chirac est candidat. J'aurais, comme beaucoup de Français, aimé l'apprendre. Pas plus qu'il n'avait su expliqué la dissolution, il n'a pu expliquer sa candidature hier. C'est la question centrale : pourquoi J. Chirac veut-il cinq ans de plus ? Pour quoi faire ? Avec la question qui vient derrière : s'il prend des engagements, pourquoi les tiendrait-il cette fois-ci, alors qu'il ne les a pas tenus hier ? Ce n'est pas une question anodine, dans une démocratie comme la nôtre. Et comme il n'est pas trop capable d'expliquer pourquoi, évidemment, il dénigre L. Jospin, son gouvernement, son action, avec des propos qui sont des contrevérités, tels que "la France au ralenti". Mais la France n'est sûrement pas plus au ralenti que ses principaux partenaires. Depuis cinq ans, la France - je le dis parce que c'est une formule employée par un de mes collègues ministres qui me plaît bien - c'est la règle des "trois fois + 1" : par rapport à tous les pays d'Europe, on a + 1 point de croissance en moyenne, par rapport à la moyenne des autres pays d'Europe depuis cinq ans ; on a + 1 d'inflation en moins - si j'ose dire - et plus d'un million de chômeurs en moins. On dit que l'on a mangé notre blé en herbe pendant ces cinq ans, comme si on avait rien fait pendant ces cinq ans ! Ce million de chômeurs en moins, pour Chirac, ce n'est rien, c'est par pertes et profits ? C'est un progrès considérable, même s'il faut reprendre cette marche en avant ! La France aujourd'hui a une croissance moins forte que ces dernières années, mais c'est le cas de tous les autres pays d'Europe. C'est, par exemple, moins le cas en France qu'en Allemagne. Je ne me réjouis pas des difficultés de nos amis Allemands, mais dire que la France est au ralenti et serait en perte de vitesse par rapport à ses grands partenaires est une contrevérité par rapport à une réalité objective. J. Chirac ferait mieux de préciser son projet au lieu de dénigrer la situation de la France."
Avez-vous remarqué la volonté de ne pas s'en prendre aux personnes et singulièrement à la personne de L. Jospin ? Il n'y aura pas de débat frontal sur le thème des affaires ?
- "Non, il n'y a pas de raison. Les affaires, si j'ose dire, ce n'est pas notre affaire, ce sont plutôt les leurs. Je n'ai pas de commentaire à faire sur ces affaires - et je crois qu'il ne faudrait pas - et il ne faudrait pas que la campagne électorale se déroule sur fond d'affaires, ce n'est pas intéressant. Le seul commentaire que je ferais sur cette émission d'hier, c'est quand j'entends le président de la République parler de "dégradation de l'autorité de l'Etat" : il me semble que dans les vingt premières minutes, il a donné une belle illustration de cette dégradation de l'autorité de l'Etat."
On vient d'entendre le directeur de campagne ?
- "Non, je ne suis pas directeur de campagne, je suis ministre mais je suis un militant politique, un responsable politique et je m'exprime publiquement. J'ai le droit de penser ce que je pense et de participer moi-même au débat."
Vous n'avez de frustrations ? Vous ne sentez pas à quel point il y a maintenant ce besoin de savoir où vous nous emmenez, les uns et les autres, qu'il y a une demande ?
- "C'est l'occasion de l'élection présidentielle que de savoir où on nous emmène. Je vous ai dit tout à l'heure que la noblesse de l'engagement politique et des responsables politiques est de tisser un lien particulier avec les électeurs, ce que nous faisons quand nous sommes maires, conseillers généraux ou députés et a fortiori président de la République. Ce lien repose sur trois choses simples : on prend des engagements, à l'occasion des campagnes électorales notamment ; on les tient - ou ne les tient pas - ; ensuite, on rend compte au peuple de ce que l'on a fait. C'est cela la noblesse du métier politique. A l'occasion de cette échéance présidentielle, il va falloir que les candidats prennent des engagements sur la base de leur projet, ensuite qu'ils les tiennent et qu'ils reviennent vers les Français pour en rendre compte dans cinq ans. C'est aussi simple que cela ! Et si J. Chirac avait la passion des Français, je pense qu'il aurait eu la passion de la vérité et de la transparence à l'égard des Français. Je pense qu'il aurait eu l'obsession de respecter passionnément ses engagements. Je suis au regret de penser, comme beaucoup de Français, que les engagements de 1995 sont passés par perte et profit. C'est quand même formidable d'entendre J. Chirac dire que cette fois-ci, il faudra qu'il tienne ses promesses - cette phrase extraordinaire qu'il a sortie devant plusieurs de ses condisciples, il y a peu de jours. Il faut, quand on prend des engagements, les tenir et ensuite en rendre compte. S'il avait eu la passion des Français, il aurait tenu passionnément ses engagements. Je crois plutôt qu'il a la passion du pouvoir."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 février 2002)