Texte intégral
C'est un grand honneur pour moi de me trouver ici parmi vous pour participer à l'ouverture de la première Conférence des Etats parties à la Convention de Paris sur l'interdiction des armes chimiques.
Je me tourne d'abord vers vous, Monsieur le Président, pour vous féliciter de votre élection à la tête de notre conférence. Votre expérience et votre autorité sont un gage de succès pour nos travaux. Permettez-moi de vous assurer que ma délégation ne vous ménagera pas son appui pour vous permettre de mener à bien votre tâche. Je tiens aussi à vous exprimer la reconnaissance de cette délégation pour l'accueil dont votre pays nous fait bénéficier.
Je souscris enfin pleinement, Monsieur le Président, à l'intervention qu'a prononcée le représentant des Pays-Bas au nom de l'Union européenne. Il a rappelé le rôle que l'Union, dont tous les membres sont ici dans cette salle en tant qu'Etats parties, a joué et continuera à n'en point douter de jouer dans le processus de mise en place de la Convention d'interdiction des armes chimiques. Il me reste, Monsieur le Président, à ajouter quelques mots au nom de mon pays.
Monsieur le Président,
Nous en avons tous conscience : avec l'entrée en vigueur de la Convention
d'interdiction des armes chimiques le 29 avril dernier, c'est une étape
véritablement historique que la communauté internationale vient de franchir.
Mon engagement personnel et professionnel a fait de moi un familier de la mort
et de la souffrance. J'étais il y a quelques semaines encore au Zaïre, à la
rencontre de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants, condamnés à errer dans
la forêt, sans protection, sans ressource, dans un état de dénuement et
d'affaiblissement extrêmes.
Souvent dans ma vie, j'ai ainsi dû affronter des visions d'apocalypse ; je
pense aux camps de Goma, ou à l'Arménie d'après le tremblement de terre, ou
encore aux plateaux du Kurdistan. Parfois, l'horreur a des causes naturelles ;
souvent elle découle de la folie meurtrière des hommes.
La raison et le coeur nous font donc obligation de faire reculer, autant que
cela est possible, c'est-à-dire dans des conditions compatibles avec les
intérêts de sécurité légitimes, la menace résultant des armes de destruction
massive.
Dès le début de ce siècle et jusqu'à il y a encore peu d'années, des armes
chimiques ont été utilisées pour tuer des hommes, mutiler des combattants,
anéantir des populations. Grâce à la Convention d'interdiction des armes
chimiques, ce cauchemar devrait s'éloigner. Il ne devrait plus se reproduire
parce que la Convention de Paris pose une interdiction claire et précise, parce
qu'elle comporte un dispositif efficace de vérification et d'inspection, parce
qu'elle prévoit qu'une organisation internationale fortement charpentée
veillera à l'exécution rigoureuse de leurs obligations par tous les Etats
parties.
La tâche était extrêmement difficile. Il fallait concilier de nombreuses
préoccupations, tenir compte d'intérêts multiples, de sécurité mais aussi bien
entendu économique, puisque la Convention d'interdiction des armes chimiques a
des implications non négligeables pour un secteur industriel important dans
l'ensemble de nos pays.
Que l'on permette ici au praticien de l'humanitaire que je suis de rendre aux
diplomates l'hommage qui leur est dû ! C'est l'honneur des diplomates, en
effet, que d'élaborer ces instruments multilatéraux complexes sur lesquels la
communauté internationale peut s'appuyer pour faire reculer les ténèbres et le
mal. La Convention d'interdiction des armes chimiques en offre un exemple.
Monsieur le Président,
La mise en oeuvre de cette Convention revêt par ailleurs une signification
majeure, dans le contexte actuel du désarmement et de la lutte contre la
prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs.
Souvenons-nous, en effet, des circonstances qui ont permis un consensus de la
communauté internationale sur le texte de cette convention. En 1989, lorsque la
France prenait l'initiative de convoquer à Paris une conférence pour relancer
les négociations, la guerre froide connaissait ses dernières heures. En 1993,
lorsque la Convention était signée, l'affrontement Est-Ouest avait cessé
d'être.
Cette époque du basculement de la guerre froide a été marquée par des avancées
considérables en matière de désarmement. C'est dès 1987 qu'a été conclu
l'accord russo-américain sur les forces nucléaires intermédiaires. C'est en
1990 qu'est intervenu l'accord sur les forces conventionnelles en Europe, en
1991 et 1993 qu'ont été signés les accords russo-américains de réductions des
armes nucléaires stratégiques (Start I et II).
Cet élan est-il aujourd'hui retombé ? La France ne le croit pas. L'année 1995 a
été marquée par la décision de prorogation indéfinie du Traité sur la non
prolifération des armes nucléaires, et 1996 par la conclusion du Traité
d'interdiction complète des essais nucléaires ainsi que par des progrès
significatifs en matière de zones exemptes d'armes nucléaires.
L'entrée en vigueur de la Convention d'interdiction des armes chimiques
constitue à nouveau un signal positif. Mon pays y voit un encouragement
supplémentaire à persévérer sur la voie du désarmement et de la lutte contre la
prolifération. Il continuera à se battre en particulier sur trois fronts :
l'ouverture immédiate et la conclusion de la négociation d'un traité
d'interdiction de la production de matière fissiles pour les armes nucléaires,
la mise en place dès que possible d'un régime de vérification de la Convention
d'interdiction des armes biologiques, enfin l'interdiction totale et globale de
l'emploi, la fabrication, les transferts, le stockage des mines anti personnel.
Monsieur le Président,
Chacun connaît l'engagement de mon pays en faveur de la cause du désarmement
chimique. J'ai déjà mentionné notamment la part déterminante qu'il a prise à la
phase finale des négociations de la Convention qui allait devenir la Convention
de Paris.
Je souhaiterais citer dans ce contexte deux décisions prises par la France plus
récemment.
Le 25 novembre dernier, à Genève lors de la 4ème Conférence d'examen de la
Convention de 1972 sur l'interdiction des armes biologiques, j'avais l'honneur
d'annoncer que la France levait ses réserves apposées lors de la ratification
du Protocole de Genève concernant la prohibition à l'emploi à la guerre de gaz
asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, protocole
dont la France est dépositaire. Par cette décision, mon pays donnait une fois
de plus la preuve de son engagement à bannir définitivement l'emploi des armes
chimiques et biologiques. La France, à ce jour, a été le seul membre permanent
du Conseil de sécurité à procéder à une telle levée de ses réserves. Elle
invite tous les Etats qui maintiennent encore des réserves à la rejoindre dans
son action.
Mon pays n'est pas en reste dans ce domaine de la formation. Nous avons ainsi
créé en 1993 un centre de formation international, le Centre français de
formation pour l'interdiction des armes chimiques, ou CEFFIAC, spécialement
conçu pour soutenir l'application de la Convention, qui a accueilli à cette
date près d'une centaine de stagiaires étrangers, dont certains se trouvent
probablement parmi nous dans cette salle. Ce centre a, par exemple, organisé
récemment une session de formation en direction des autorités nationales
francophones. Permettez-moi, Monsieur le Président, d'annoncer aujourd'hui que
les autorités de mon pays ont décidé de mettre sur pied à brève échéance un
nouveau séminaire de formation. La France considère, en effet, cette politique
de formation comme un élément essentiel de la coopération en matière de
désarmement.
Monsieur le Président,
Notre tâche est loin d'être achevée. Parmi les défis que nous devons encore relever, j'en citerai deux.
Le plus important est celui de l'universalité. Il est d'une grande signification qu'au moment de son entrée en vigueur, la Convention de Paris d'interdiction des armes chimiques ait été signée par 165 pays et ratifiée par plus de 88. Le mouvement d'adhésion n'a fait que s'amplifier au cours des dernières semaines et témoigne de l'intérêt et de l'espoir que suscite cette Convention sur les cinq continents.
La France a salué comme il convenait la décision de ratification prise il y a quinze jours par les Etats-Unis d'Amérique. Elle lance, par ma voix, un appel pressant et solennel à tous les Etats qui ne l'ont pas encore fait à ratifier la Convention. Cet appel s'adresse en particulier à la Fédération de Russie, car la communauté internationale attend que les deux Etats détenteurs déclarés d'armes chimiques aient pu ainsi mettre leurs actes en conformité avec leurs engagements.
Je noterai qu'avant la disparition totale des armes chimiques, à tout jamais, souhaitons-le, des mesures nationales et internationales doivent permettre de poursuivre la lutte contre leur prolifération. Ces mesures ne sauraient, bien entendu, freiner les très larges et légitimes transferts de connaissances et biens à usage pacifique qui ont lieu aujourd'hui à l'échelle de la planète et qui sont appelés à se développer.
Le second défi que je souhaite mentionner est celui, qui nous concerne le plus directement aujourd'hui, des aspects institutionnels de Convention.
Nous pourrons nous appuyer, Monsieur le Président, sur l'acquis important des travaux menés par les pays ayant participé au Comité préparatoire de l'OIAC depuis 1993, avec l'assistance du Secrétariat technique provisoire. Le travail assidu mené dans ce cadre, dans des conditions parfois difficiles, au cours de ces dernières années, est pour nous, je tiens à le dire, extrêmement précieux. Il nous aidera à arrêter les choix importants sur lesquels nous devons nous mettre d'accord dans les jours qui viennent, s'agissant en priorité de la mise à sa place du Conseil exécutif, la désignation du directeur général, la définition d'un budget permettant l'efficacité et la crédibilité de l'OIAC tout en veillant à maintenir les contributions à un niveau raisonnable de règle dans toutes les organisations internationales. Enfin, nous devrons préciser dans quelles conditions la Convention sera mise en pratique en matière d'inspections en fixant les procédures de ces inspections et en approuvant la liste du matériel utilisé lors de ces inspections.
L'entrée en vigueur de la Convention de Paris constitue une avancée essentielle. Pour que cette avancée soit réelle, il faut que la Convention soit mise en oeuvre effectivement, c'est-à-dire que soit instituée l'Organisation d'interdiction des armes chimiques, l'OIAC et ses différents organes. C'est l'objet spécifique des délibérations de la Conférence qui s'ouvre aujourd'hui.
Je ne doute pas, Monsieur le Président, que la première conférence des parties de la Convention de 1993 sur l'interdiction des armes chimiques et sur les destructions remportera un plein succès. La France, soyez-en sûr, y contribuera
dans toute la mesure de ses moyens.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2001)