Texte intégral
Prendre congé du XXe siècle, le thème de l'Université d'été de la CFDT signifie-t-il qu'il faille prendre congé d'une certaine conception du syndicalisme ?
Le syndicalisme n'a jamais cessé d'évoluer. Mais les vingt-cinq dernières années ont montré combien les conditions dans lesquelles il devait se situer avaient changé la donne quant à ses objectifs et à son action. À nous d'affiner notre projet pour le XXie siècle car le besoin de syndicalisme et la nécessité de corps intermédiaires dans les sociétés démocratiques sont toujours aussi prégnants.
La généralisation de la RTT s'inscrit précisément à la charnière des deux siècles. La seconde loi fait déjà l'objet de nombreuses critiques. Le Medef, par exemple, affirme que la grande majorité des accords sont inapplicables
Les critiques ont des raisons contradictoires. Certaines relèvent d'une opposition de principe à la réduction du temps de travail. Il n'est donc pas surprenant qu'elles réapparaissent à l'occasion du débat sur la deuxième loi. Mais il est tout à fait excessif de prétendre que la plupart des accords ne sont pas opérationnels alors qu'une grande majorité d'entre eux sont à présent étendus.
D'autres reprochent au projet de Martine Aubry une trop grande complaisance à l'égard du patronat, en particulier sur la période de transition et les heures supplémentaires.
La négociation est pour la CFDT le seul moyen de faire réellement diminuer la durée du travail. Sans période de transition, c'est la mort annoncée des 35 heures. Elles seront peut-être inscrites dans la loi. Mais elles ne seront pas traduites dans les faits. Transformer les heures comprises entre la 35e et la 39e heure en heures supplémentaires, c'est à l'évidence ce que souhaitent les employeurs pour se mettre en conformité avec la nouvelle loi. Une application abrupte de la loi au 2 janvier ne peut conduire qu'à cela. Transformer l'objectif emploi en gain de pouvoir d'achat pour les salariés par un nombre d'heures supplémentaires plus important serait un détournement complet de notre conception de la réduction du temps de travail. Nous, nous voulons utiliser la RTT au service d'une nouvelle organisation du travail et de l'emploi. Nous avons pesé pour que les nouvelles heures supplémentaires, pendant la période de transition, ne soient pas considérées comme des heures supplémentaires classiques.
Un désaccord est apparu sur l'organisation de référendum dans les entreprises. La CFDT ne souhaiterait-elle pas que les salariés s'expriment ?
La CFDT a depuis trop longtemps engagé des pratiques participatives avec les salariés pour ne pas savoir qu'un bon négociateur est d'abord celui qui porte des revendications partagées et comprises par tous. La relation permanente avec les salariés est, pour nous, une condition indispensable à la négociation. Cette responsabilité incombe aux représentants syndicaux, c'est pourquoi, le choix de la consultation et de ses modalités leur revient. En proposant l'institutionnalisation du référendum dans l'entreprise, le gouvernement fausse l'équilibre des pouvoirs entre le négociateur et l'employeur au bénéfice de ce dernier. Il ne s'agit en aucun cas de plaider pour un statu quo. Depuis des années, la CFDT porte un projet de modernisation des relations professionnelles qui repose sur la nécessité de renforcer la politique contractuelle par la négociation. Cela suppose des acteurs reconnus et qui ont la légitimité à passer des compromis. Ceci étant entendu, on peut s'interroger sur les conditions de leur légitimité.
Quels éléments pourraient définir une légitimité à conclure des accords ?
La capacité à représenter des salariés, qui se traduit en grande partie par l'audience électorale. Cette dernière est le critère retenu pour le choix du délégué du personnel ou de l'élu CE. Mais on ne s'en préoccupe pas pour le négociateur d'entreprise qui détient un rôle pivot. Le débat doit se prolonger dans les branches. Le fait que, dans un secteur, des organisations minoritaires puissent engager la totalité des salariés a de quoi questionner. Certes, face au blocage systématique de certaines organisations, il a bien fallu que des minoritaires s'engagent, mais ce n'est pas une situation durablement tenable. Dans la logique du renforcement des acteurs et de la légitimité des négociateurs syndicaux, procéder à l'élection des représentants syndicaux, le même jour, dans toutes les entreprises d'un même secteur professionnel permettrait de mesurer de façon incontestable l'audience des organisations. Nous sommes arrivés au bout d'une logique de la représentativité qui donne aux cinq organisations syndicales reconnues les mêmes prérogatives, à tous les niveaux, quelles que soient la réalité de leur audience et de leur implantation.
Dans ton interview de rentrée à Ouest France, tu parles de décisions "de droit divin". Les relations entre l'État et les partenaires sociaux sont-elles à ce point grippées ?
Quand l'État décide de puiser dans les caisses de l'Unedic, contre l'avis des partenaires sociaux alors qu'ils ont dans ce domaine des responsabilités très précisément définies, il modifie en profondeur, et de façon unilatérale, les règles du jeu. C'est un encouragement à la déresponsabilisation. Au-delà, il est décisif pour l'efficacité des décisions de l'État que les partenaires sociaux soient partie prenante de la définition et de la réalisation des transformations. Sur le temps de travail, l'exclusion, l'assurance maladie universelle, l'État ne peut pas se permettre le grand écart entre les espoirs suscités par les changements annoncés et la réalité des changements. Il prendrait le risque d'alimenter de sérieuses désillusions à l'encontre de sa propre action.
Les rapports intersyndicaux avec la CGT ont connu des évolutions remarquées. Pourtant, les divergences perdurent sur plusieurs dossiers. Les rapprochements ne contiennent-ils pas une part de virtuel ?
Ces vingt dernières années nous ont placés dans une situation d'affrontement sur des visions très différentes, pour ne pas dire antagonistes, du syndicalisme. Ces différences ne vont pas se résorber du jour au lendemain. Le reconnaître, c'est prendre acte de cette réalité et donc nous employer à la dépasser, autant que faire se peut. Chaque désaccord ne doit pas servir à tirer un trait sur l'idée d'une évolution de nos relations. Il faut maintenir le cap sur cette volonté de nous respecter mutuellement et de mener, sans concessions, les débats dans le souci de surmonter nos différences et non de les exacerber. Nous savons que cela ne se passe pas de la même façon partout. Si dans telle fédération ou telle entreprise, des changements sont perceptibles, dans d'autres, les militants CFDT continuent à guetter le moindre signe d'une évolution qu'ils ne voient pas venir. Il faut compter sur le temps, mais il faut aussi saisir les opportunités de faire évoluer des situations qui ne sont pas satisfaisantes. Sur les sujets de la rentrée, nous avons la volonté d'engager avec la CGT, mais aussi avec les autres organisations, des rencontres pour dégager si possible, des positions communes. Nous avons trop entendu les gouvernements et les partis politiques se saisir de nos divisions et considérer que la cacophonie syndicale était un handicap dans l'instauration de nouveaux rapports entre l'État et les partenaires sociaux.
Secteur bancaire, Elf-Totalfina, Péchiney, Promodès-Carrefour Face aux grands mouvements de fusions- restructurations où se situe notre capacité d'intervention syndicale ?
Dans tous ces bouleversements de l'économie de marché, les salariés sont laissés sur la touche alors que les choix qui sont faits engagent leur avenir. Cela nous invite à redéfinir notre intervention. De plus en plus, les salariés sont appelés à devenir des actionnaires. Ils n'en restent pas moins des salariés avec une logique différente de ceux qui ne jouent que leur capital. Réfléchir au rôle de l'actionnaire-salarié devient urgent. Autre interrogation, le monopole des fonds de pension anglo-saxons dans les recompositions de capital doit-il être considéré comme une fatalité? Les salariés français et européens ne pourraient-ils pas disposer eux aussi d'une force de frappe financière dans la constitution du capital des entreprises françaises et européennes? C'est finalement engager la réflexion tel que le congrès de Lille l'a décidé.
(source http://www.cfdt.fr, le 2 septembre 1999)
Le syndicalisme n'a jamais cessé d'évoluer. Mais les vingt-cinq dernières années ont montré combien les conditions dans lesquelles il devait se situer avaient changé la donne quant à ses objectifs et à son action. À nous d'affiner notre projet pour le XXie siècle car le besoin de syndicalisme et la nécessité de corps intermédiaires dans les sociétés démocratiques sont toujours aussi prégnants.
La généralisation de la RTT s'inscrit précisément à la charnière des deux siècles. La seconde loi fait déjà l'objet de nombreuses critiques. Le Medef, par exemple, affirme que la grande majorité des accords sont inapplicables
Les critiques ont des raisons contradictoires. Certaines relèvent d'une opposition de principe à la réduction du temps de travail. Il n'est donc pas surprenant qu'elles réapparaissent à l'occasion du débat sur la deuxième loi. Mais il est tout à fait excessif de prétendre que la plupart des accords ne sont pas opérationnels alors qu'une grande majorité d'entre eux sont à présent étendus.
D'autres reprochent au projet de Martine Aubry une trop grande complaisance à l'égard du patronat, en particulier sur la période de transition et les heures supplémentaires.
La négociation est pour la CFDT le seul moyen de faire réellement diminuer la durée du travail. Sans période de transition, c'est la mort annoncée des 35 heures. Elles seront peut-être inscrites dans la loi. Mais elles ne seront pas traduites dans les faits. Transformer les heures comprises entre la 35e et la 39e heure en heures supplémentaires, c'est à l'évidence ce que souhaitent les employeurs pour se mettre en conformité avec la nouvelle loi. Une application abrupte de la loi au 2 janvier ne peut conduire qu'à cela. Transformer l'objectif emploi en gain de pouvoir d'achat pour les salariés par un nombre d'heures supplémentaires plus important serait un détournement complet de notre conception de la réduction du temps de travail. Nous, nous voulons utiliser la RTT au service d'une nouvelle organisation du travail et de l'emploi. Nous avons pesé pour que les nouvelles heures supplémentaires, pendant la période de transition, ne soient pas considérées comme des heures supplémentaires classiques.
Un désaccord est apparu sur l'organisation de référendum dans les entreprises. La CFDT ne souhaiterait-elle pas que les salariés s'expriment ?
La CFDT a depuis trop longtemps engagé des pratiques participatives avec les salariés pour ne pas savoir qu'un bon négociateur est d'abord celui qui porte des revendications partagées et comprises par tous. La relation permanente avec les salariés est, pour nous, une condition indispensable à la négociation. Cette responsabilité incombe aux représentants syndicaux, c'est pourquoi, le choix de la consultation et de ses modalités leur revient. En proposant l'institutionnalisation du référendum dans l'entreprise, le gouvernement fausse l'équilibre des pouvoirs entre le négociateur et l'employeur au bénéfice de ce dernier. Il ne s'agit en aucun cas de plaider pour un statu quo. Depuis des années, la CFDT porte un projet de modernisation des relations professionnelles qui repose sur la nécessité de renforcer la politique contractuelle par la négociation. Cela suppose des acteurs reconnus et qui ont la légitimité à passer des compromis. Ceci étant entendu, on peut s'interroger sur les conditions de leur légitimité.
Quels éléments pourraient définir une légitimité à conclure des accords ?
La capacité à représenter des salariés, qui se traduit en grande partie par l'audience électorale. Cette dernière est le critère retenu pour le choix du délégué du personnel ou de l'élu CE. Mais on ne s'en préoccupe pas pour le négociateur d'entreprise qui détient un rôle pivot. Le débat doit se prolonger dans les branches. Le fait que, dans un secteur, des organisations minoritaires puissent engager la totalité des salariés a de quoi questionner. Certes, face au blocage systématique de certaines organisations, il a bien fallu que des minoritaires s'engagent, mais ce n'est pas une situation durablement tenable. Dans la logique du renforcement des acteurs et de la légitimité des négociateurs syndicaux, procéder à l'élection des représentants syndicaux, le même jour, dans toutes les entreprises d'un même secteur professionnel permettrait de mesurer de façon incontestable l'audience des organisations. Nous sommes arrivés au bout d'une logique de la représentativité qui donne aux cinq organisations syndicales reconnues les mêmes prérogatives, à tous les niveaux, quelles que soient la réalité de leur audience et de leur implantation.
Dans ton interview de rentrée à Ouest France, tu parles de décisions "de droit divin". Les relations entre l'État et les partenaires sociaux sont-elles à ce point grippées ?
Quand l'État décide de puiser dans les caisses de l'Unedic, contre l'avis des partenaires sociaux alors qu'ils ont dans ce domaine des responsabilités très précisément définies, il modifie en profondeur, et de façon unilatérale, les règles du jeu. C'est un encouragement à la déresponsabilisation. Au-delà, il est décisif pour l'efficacité des décisions de l'État que les partenaires sociaux soient partie prenante de la définition et de la réalisation des transformations. Sur le temps de travail, l'exclusion, l'assurance maladie universelle, l'État ne peut pas se permettre le grand écart entre les espoirs suscités par les changements annoncés et la réalité des changements. Il prendrait le risque d'alimenter de sérieuses désillusions à l'encontre de sa propre action.
Les rapports intersyndicaux avec la CGT ont connu des évolutions remarquées. Pourtant, les divergences perdurent sur plusieurs dossiers. Les rapprochements ne contiennent-ils pas une part de virtuel ?
Ces vingt dernières années nous ont placés dans une situation d'affrontement sur des visions très différentes, pour ne pas dire antagonistes, du syndicalisme. Ces différences ne vont pas se résorber du jour au lendemain. Le reconnaître, c'est prendre acte de cette réalité et donc nous employer à la dépasser, autant que faire se peut. Chaque désaccord ne doit pas servir à tirer un trait sur l'idée d'une évolution de nos relations. Il faut maintenir le cap sur cette volonté de nous respecter mutuellement et de mener, sans concessions, les débats dans le souci de surmonter nos différences et non de les exacerber. Nous savons que cela ne se passe pas de la même façon partout. Si dans telle fédération ou telle entreprise, des changements sont perceptibles, dans d'autres, les militants CFDT continuent à guetter le moindre signe d'une évolution qu'ils ne voient pas venir. Il faut compter sur le temps, mais il faut aussi saisir les opportunités de faire évoluer des situations qui ne sont pas satisfaisantes. Sur les sujets de la rentrée, nous avons la volonté d'engager avec la CGT, mais aussi avec les autres organisations, des rencontres pour dégager si possible, des positions communes. Nous avons trop entendu les gouvernements et les partis politiques se saisir de nos divisions et considérer que la cacophonie syndicale était un handicap dans l'instauration de nouveaux rapports entre l'État et les partenaires sociaux.
Secteur bancaire, Elf-Totalfina, Péchiney, Promodès-Carrefour Face aux grands mouvements de fusions- restructurations où se situe notre capacité d'intervention syndicale ?
Dans tous ces bouleversements de l'économie de marché, les salariés sont laissés sur la touche alors que les choix qui sont faits engagent leur avenir. Cela nous invite à redéfinir notre intervention. De plus en plus, les salariés sont appelés à devenir des actionnaires. Ils n'en restent pas moins des salariés avec une logique différente de ceux qui ne jouent que leur capital. Réfléchir au rôle de l'actionnaire-salarié devient urgent. Autre interrogation, le monopole des fonds de pension anglo-saxons dans les recompositions de capital doit-il être considéré comme une fatalité? Les salariés français et européens ne pourraient-ils pas disposer eux aussi d'une force de frappe financière dans la constitution du capital des entreprises françaises et européennes? C'est finalement engager la réflexion tel que le congrès de Lille l'a décidé.
(source http://www.cfdt.fr, le 2 septembre 1999)