Texte intégral
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement reconnaissante à Monsieur Michel Mousel, président du Comité français pour le Sommet mondial du développement durable, d'avoir accepté, en votre nom, quelques jours après la constitution du nouveau gouvernement et presque à la veille de votre réunion, de modifier l'organisation de vos travaux pour me permettre de vous saluer, de vous exprimer notre soutien et nos encouragements et de vous faire partager nos réflexions. J'y suis particulièrement sensible et je vous en remercie vivement. Cet accueil bienveillant est pour moi le signe tangible que beaucoup d'entre vous mesurent combien la recherche scientifique est un atout pour faire face aux difficiles questions posées par le développement durable. J'apprécie cette marque de confiance, confiance lucide et vigilante, ou, plus modestement pour certains peut-être, cette marque d'intérêt portée par votre assemblée à la recherche et aux nouvelles technologies dont j'assume la responsabilité au sein du nouveau gouvernement. Je crois en effet que nos sociétés doivent avoir confiance dans la science et la technologie, de manière raisonnée et équilibrée, afin de leur demander qu'elles donnent le meilleur d'elles-mêmes sur ce sujet du développement durable, comme elles sont appelées à le faire vis-à-vis de nombreux autres enjeux. Ainsi, j'apprécie grandement cette opportunité de parler au nom des acteurs de la recherche devant les représentants de la société civile qui composent le Comité français pour le sommet mondial du développement durable, et je souhaite à l'avenir que cet échange se prolonge et se structure. De la même façon, les chercheurs doivent être confiants dans la qualité et la sincérité du débat qu'ils peuvent avoir avec les multiples composantes de la société civile et être ainsi attentifs et réceptifs à leurs interrogations légitimes.
Dix ans après Rio de Janeiro, chacun s'accorde à reconnaître que la Conférence des Nations Unies de 1992 sur l'Environnement et le Développement a été l'amorce d'une prise de conscience quasi-universelle des risques multiples encourus par la planète Terre et par ses habitants, du fait même de l'activité humaine. Je crois qu'une part significative de ce résultat est à porter au crédit des premiers travaux scientifiques qui commençaient à dégager des tendances claires sur la situation de notre environnement physique, biologique, économique et social, et leur évolution dans le temps. Un des résultats les plus remarquables de cette Conférence a été l'élaboration d'un programme global d'action pour un développement durable au XXIème siècle, le fameux " Agenda 21 ". Si ce dernier ne néglige pas les dimensions économiques et sociales du développement durable, avec la nécessité d'une lutte résolue et vigoureuse contre la pauvreté, il insiste plus encore, au vu de ces analyses scientifiques, sur les impératifs d'une gestion nouvelle des ressources naturelles aux fins du développement.
La communauté scientifique internationale, en particulier française, a joué de manière très nette, et peut-être pour la première fois à cette échelle, son rôle d'information et d'alerte lors de ce sommet. Elle a joué aussi un rôle spécifique dans l'établissement des différentes conventions spécialisées qui ont découlé de cette conférence et qui privilégient largement les questions environnementales : conventions sur la biodiversité et sur les forêts en 1992, conventions sur le changement climatique et sur la lutte contre la désertification en 1994, protocole de Kyoto en 1997 Les équipes françaises de recherche ont été particulièrement mobilisées dans l'accompagnement scientifique de ces grandes conventions, notamment au travers de leur participation au Groupe Intergouvernemental d'experts sur l'Évolution du Climat. En France, elles ont prolongé le débat de Rio et engagé l'action avec l'organisation des rencontres nationales sur le changement climatique, la mise en place du Comité scientifique français sur la lutte contre la désertification et la constitution du groupement d'intérêt scientifique intitulé "Institut français de la biodiversité".
Dix ans après Rio de Janeiro, le Sommet Mondial sur le Développement Durable qui se tiendra à Johannesbourg se situera nécessairement en référence directe avec "Agenda 21", puisque ce dernier est considéré comme très inégalement réalisé en dépit des avancées enregistrées. Les dimensions économiques et sociales devraient cependant être mises en avant plus encore, traduisant véritablement le passage d'une conférence sur l'environnement et le développement à une conférence sur le développement durable.
Mais quelles sont donc les principales évolutions de la recherche scientifique qui sont intervenues en allant de Rio à Johannesburg ?
Après Rio, les chercheurs ont clairement compris la nécessité de "renforcer les bases scientifiques du développement durable". Ce concept, tel qu'il est apparu en 1987 dans le "Rapport Brundtland" et a été consacré à Rio en 1992, suscite de nouvelles questions. A une approche restée trop longtemps sectorielle du développement se substitue désormais l'impératif d'une gestion intégrée des ressources et des milieux, incitant la recherche à des efforts conséquents d'approche plus systémique. La problématique scientifique du développement durable apparaît ainsi comme étant désormais celle de la dynamique des interactions multiformes impliquant les différents milieux et sociétés qui coexistent sur notre planète.
Depuis 10 ans, les inflexions les plus évidentes apportées au dispositif de recherche français en réponse à cette analyse concernent la création de trois instituts ou agences spécialisées, appelées à travailler en coopération avec les organismes de recherche. Elles sont dédiées aux questions posées par la maîtrise de l'énergie (l'ADEME), la prévention des risques industriels (l'INERIS), l'information sur l'état de l'environnement (l'IFEN), en lien avec l'Agence Européenne de l'Environnement. L'Etat a également renforcé les dispositifs de sécurité sanitaire avec la création de l'Institut de Veille Sanitaire, de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des aliments (AFSSA), et de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire de l'Environnement (AFSSE). La mise en place, ou la réorganisation, de plusieurs groupements de recherche liés aux thématiques de développement durable doit également être mentionnée (effet de serre, écologie forestière, sites et sols pollués, agriculture pour la chimie et l'énergie). Le programme spécifique de l'Espace européen de la recherche duquel la France attend beaucoup s'inscrit dans cet objectif général de couverture des besoins de recherche de l'Union européenne en matière de développement durable.
Les organismes publics de recherche français se sont également reconfigurés. Ainsi, depuis le début des années 1990, la plupart d'entre eux ont connu des inflexions en termes de structure, de programmation et d'instrumentation au profit de recherches orientées vers la protection de l'environnement. Le CNRS vient pour sa part de modifier les missions de l'un de ses instituts en transformant l'Institut national des sciences de l'Univers (l'INSU) en Institut national des sciences de l'Univers et de l'Environnement (INSUe).
A ma demande, sous la coordination de l'Institut de Recherche pour le Développement et la direction du professeur Jean François Girard, Président de l'IRD, seize organismes nationaux de recherche, dont je salue le travail, ont effectué en 2002 le bilan de leurs réalisations les plus marquantes depuis le sommet de la terre, illustrant les atouts de la communauté scientifique française. Ils ont esquissé également les perspectives qui, de leur point de vue, sont les plus probables ou les plus souhaitables. Ils présentent leurs conclusions dans un rapport qui m'a été remis il y a quelques jours, par le professeur Girard que je veux saluer et remercier ici pour la qualité du travail accompli ainsi que pour m'accompagner ce matin à Rennes. Intitulé " la science au service du développement durable ", ce rapport dont je vous conseille la lecture sera largement accessible dans quelques jours soit sous forme d'une publication papier, soit sous forme numérique, sur le site du ministère.
A la lecture de ce document, on constate que les recherches se sont organisées autour de quatre grandes problématiques :
- les changements planétaires avec l'effet de serre et l'évolution climatique,
- la dynamique et la gestion des ressources naturelles avec les thèmes importants relatifs à la biodiversité, l'eau, le sol et le sous-sol,
- le cadre de vie et les relations environnement-santé,
- les modes de production et de consommation et les innovations technologiques.
Nous ne pouvons que nous réjouir des avancées significatives des connaissances qui ont été enregistrées dans plusieurs domaines liés à ces problématiques.
C'est le cas notamment dans les domaines de la sécurité alimentaire et de la préservation de la santé, de l'organisation des villes et des transports, des modes de production agricoles et industriels plus respectueux de l'environnement. C'est aussi le cas dans les domaines de l'énergie, de la compréhension des milieux et des écosystèmes, de la gestion des ressources naturelles, de la connaissance des aléas climatiques et des catastrophes naturelles. C'est enfin le cas dans les domaines des dynamiques démographiques et des transformations sociales.
Je crois souhaitable de mentionner trois exemples particuliers qui illustrent ces avancées, fruits du travail remarquable des scientifiques et des investissements importants de l'Etat.
Je citerai l'usage de la macrofaune du sol pour l'amélioration des rendements agricoles dans les pays tropicaux, de manière alternative, ou complémentaire, à l'usage des engrais, des pesticides, des semences sélectionnées. L'augmentation future de la production agricole et le maintien de la qualité des sols reposent sans doute maintenant sur la possibilité d'utiliser les macro-invertébrés du sol et plus précisément ceux connus sous le nom d'organismes ingénieurs.
Je citerai aussi le programme MERCATOR lancé en 1996, première expérience internationale d'océanographie opérationnelle. Combinant les données issues de capteurs in situ et les données satellitaires fournies par les satellites Jason et Topex-Poséidon, ce projet a l'ambition de suivre en temps réel et en tous lieux la situation des océans et de mieux comprendre les phénomènes à l'oeuvre dans les variations climatiques et de celles des ressources halieutiques.
Je ferai mention enfin des études relatives à la dissémination du mercure en Amazonie. Ces études ont mis en évidence que l'Amazonie est une terre affine du mercure de manière naturelle. Elle est un terrain favorable à la formation de méthylmercure ; si l'orpaillage constitue bien une source de méthylmercure, il semble que la source la plus importante résulte de la mise à nu des sols par déforestation ou conversion agricole, qui rendent le mercure du sol disponible pour la méthylisation. Les populations amazoniennes sont en conséquence exposées à des risques sanitaires sérieux, dont il importe de se préoccuper activement.
La recherche apporte des éléments de réponse à la question du développement durable par la mise au point de technologies adaptés aux nouveaux impératifs, la définition de normes et l'apport d'expertise au service de l'action publique et des débats de société. Elle contribue aussi au développement durable par la formation intellectuelle, à ces questions, des responsables scientifiques, politiques, sociaux et économiques des pays du Nord, comme du Sud et par le renforcement des capacités scientifiques et techniques dans les pays du Sud. La recherche doit être nécessairement accompagnée d'une politique de formation supérieure adéquate, mobilisant les universités et grandes écoles, ainsi que les organismes de recherche. Il nous faut en priorité traiter les besoins scientifiques et techniques des pays du Sud.
Quelles sont les perspectives de mobilisation de notre potentiel de recherche dans les prochaines années pour relever les défis du développement durable ?
En intégrant à la fois les dimensions sociale, économique et environnementale, la notion de développement durable interpelle la recherche scientifique dans son organisation et dans ses objets. Cela implique de renforcer les travaux sur les interactions entre l'environnement, les organisations techniques et économiques, et les sociétés avec leurs différents systèmes humains, politiques et sociaux. Ce sont autant de champs de recherche qui étaient traditionnellement disjoints, relevant les uns des sciences de l'univers, les autres des sciences de la vie, d'autres encore des sciences humaines et sociales, ou des sciences de l'ingénieur, qu'il faut désormais mobiliser de manière conjointe. Il s'agit de transcender les logiques disciplinaires, les logiques institutionnelles et les logiques nationales.
Il s'agit de mieux prendre en compte les différentes échelles de temps, celle des politiques publiques et celles des prévisions en termes de changement climatique ou biologique. Il s'agit de procéder de même avec les différentes échelles d'espace, planétaire, régional, national, local. Il s'agit de favoriser la conception pluridisciplinaire des objets de recherche et la communication entre les différentes disciplines. Nous devons aller plus loin dans la surveillance à long terme de la terre, des océans et des sols avec l'espoir de mettre en évidence les phénomènes qui, au fond, gouvernent les évolutions. Il y a là de formidables défis scientifiques que nous sommes désormais en mesure de relever. La concertation internationale doit être renforcée avec la mise en place de grands programmes d'observation à l'intérieur desquels chaque pays apporte sa contribution de manière coordonnée.
Il est nécessaire d'articuler étroitement l'étude des milieux et des ressources naturelles avec celles de l'organisation des sociétés humaines. Les chercheurs savent bien qu'il est difficile d'anticiper tous les problèmes à la fois. Devant l'ampleur de la tâche, ils ont pour stratégie de sélectionner des zones de vigilance où il sera possible d'examiner à la fois les phénomènes naturels, les systèmes techniques, fruits du travail des hommes, et leur contexte social ou politique de mise en oeuvre.
La recherche pour le développement durable, qu'elle porte sur des enjeux nationaux, globaux ou qu'elle vise au développement des pays du Sud, se trouve actuellement répartie dans un grand nombre d'organismes publics répondant à des logiques de programmation et de fonctionnement distinctes. Des dynamiques structurantes se développent au niveau européen, notamment dans le cadre du 6ème PCRD.
Dans la définition de notre politique nationale de recherche, nous allons examiner avec soin les principales recommandations que formule le rapport, à savoir développer une recherche inter-disciplinaire qui intègre l'apport des sciences humaines et sociales, multiplier les groupements de recherche, créer un réseau de développement concerté des " technologies pour le développement " et aider au renforcement des capacités scientifiques des pays en développement. Sans prétendre ici arrêter nos positions, revenons rapidement sur chacun de ces points.
Développer une recherche inter-disciplinaire qui intègre l'apport des sciences humaines et sociales
Agir dans le sens d'un développement plus durable implique donc d'approfondir les connaissances sur le fonctionnement de systèmes complexes, reposant sur les interactions entre les sociétés humaines et le milieu naturel. L'enjeu aujourd'hui est d'établir les conditions d'une compatibilité durable entre la dynamique des systèmes sociaux et naturels. oeuvrer dans cette perspective, c'est promouvoir notamment des travaux interdisciplinaires, d'une part sur les dynamiques temporelles et spatiales des interactions sociétés/nature et, d'autre part, sur la gouvernance, avec un questionnement sur les nouvelles formes de concertation et de participation des institutions publiques, du secteur privé et de la société civile. Les réformes des organismes de recherche depuis le sommet de Rio vont dans ce sens mais l'effort devra être poursuivi dans les années à venir. Les sciences humaines et sociales doivent contribuer à la réflexion éthique indispensable aussi bien à la communauté scientifique dans ses choix de sujets et de méthodes de recherche que dans les conditions de transfert et de partage de leurs résultats.
Mieux structurer les groupements de recherche
Les objectifs des fondations ou des groupements de recherche existants sont très spécifiques et sont loin de recouvrir les différents domaines de la recherche pour le développement durable. Un premier objectif serait d'une part de restructurer ces groupements de recherche pour redéfinir leur champ d'action et les doter des moyens nécessaires, et d'autre part, de compléter leur action, les intégrer dans un contexte européen par d'autres structures coopératives dans les champs de recherche non couverts (pauvreté et inégalités, urbain, ressources en eau, etc.). Le développement de grands programmes internationaux de collectes de données fiables et homogènes, dans le cadre d'une coordination européenne ou mondiale, me semble absolument à promouvoir.
Créer un réseau de développement concerté des " technologies pour le développement "
Les développements technologiques appropriés constitueront un enjeu essentiel du Sommet de Johannesbourg. La France dispose d'un ensemble d'établissements publics qui ont montré leur capacité de mobilisation avec les industriels dans le cadre de réseaux technologiques créés à l'incitation du ministère en charge de la recherche dans les domaines de l'eau, de l'observation spatiale, des piles à combustible... La recherche pour le développement pourrait bénéficier de la création d'un réseau spécifique de ce type, visant à l'innovation dans le domaine des technologies appropriées. Dans tous les champs techniques, il existe en effet d'une part des entreprises - souvent des PME - susceptibles de trouver sur ces marchés de nouveaux développements, et d'autre part dans les établissements scientifiques une connaissance du terrain, et notamment des ressources locales, physiques ou humaines, dont la combinaison des compétences est la condition du succès.
Aider au renforcement des capacités scientifiques des pays en développement
La réalisation des objectifs du développement durable définis à Rio passe par l'établissement d'un dialogue et la multiplication des échanges avec les pays en voie de développement. Pour ce dialogue, ces échanges et ces choix, la situation actuelle des communautés scientifiques dans beaucoup de ces pays, et en particulier en Afrique, n'est pas favorable. Agenda 21, dans son chapitre 35, insiste sur ce sujet. Aider ces communautés scientifiques à sortir de leur précarité et de leur isolement constitue donc un enjeu fondamental. Une mobilisation accrue des organismes de recherche français s'avère nécessaire. Le système d'appui existant devrait être renforcé en concentrant ses moyens, s'inscrire dans la durée, être élargi au système de formation universitaire, et pourrait ici aussi prendre une dimension européenne.
La question du développement durable interpelle donc nos sociétés, et en particulier leurs responsables politiques, avec une force et une ampleur nouvelles, sans doute jamais connues dans l'histoire de l'humanité. Les raisons sont liées, en autres, à la croissance démographique mondiale depuis un siècle, à nos modes de vie fortement consommateurs d'énergie, qu'elle soit d'origine fossile, hydraulique ou nucléaire, au formidable développement industriel, à la généralisation de l'exigence démocratique. Sur toutes ces questions, la recherche est une ressource précieuse pour éclairer nos décisions et nourrir les débats, contribuer à promouvoir des solutions techniques, économiques ou sociales. Je souhaite vivement que le dialogue engagé ce matin se poursuive et que les chercheurs des organismes publics comme des entreprises se sentent mobilisés sur cet enjeu du développement durable, sachant que d'une certaine manière, une grande fraction de la recherche et développement doit avoir une finalité de développement durable.
Il est nécessaire de mieux analyser et comprendre, il est indispensable de mieux évaluer et de prévoir, de façon à mieux agir pour mieux gérer.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 3 juillet 2002)
Je suis particulièrement reconnaissante à Monsieur Michel Mousel, président du Comité français pour le Sommet mondial du développement durable, d'avoir accepté, en votre nom, quelques jours après la constitution du nouveau gouvernement et presque à la veille de votre réunion, de modifier l'organisation de vos travaux pour me permettre de vous saluer, de vous exprimer notre soutien et nos encouragements et de vous faire partager nos réflexions. J'y suis particulièrement sensible et je vous en remercie vivement. Cet accueil bienveillant est pour moi le signe tangible que beaucoup d'entre vous mesurent combien la recherche scientifique est un atout pour faire face aux difficiles questions posées par le développement durable. J'apprécie cette marque de confiance, confiance lucide et vigilante, ou, plus modestement pour certains peut-être, cette marque d'intérêt portée par votre assemblée à la recherche et aux nouvelles technologies dont j'assume la responsabilité au sein du nouveau gouvernement. Je crois en effet que nos sociétés doivent avoir confiance dans la science et la technologie, de manière raisonnée et équilibrée, afin de leur demander qu'elles donnent le meilleur d'elles-mêmes sur ce sujet du développement durable, comme elles sont appelées à le faire vis-à-vis de nombreux autres enjeux. Ainsi, j'apprécie grandement cette opportunité de parler au nom des acteurs de la recherche devant les représentants de la société civile qui composent le Comité français pour le sommet mondial du développement durable, et je souhaite à l'avenir que cet échange se prolonge et se structure. De la même façon, les chercheurs doivent être confiants dans la qualité et la sincérité du débat qu'ils peuvent avoir avec les multiples composantes de la société civile et être ainsi attentifs et réceptifs à leurs interrogations légitimes.
Dix ans après Rio de Janeiro, chacun s'accorde à reconnaître que la Conférence des Nations Unies de 1992 sur l'Environnement et le Développement a été l'amorce d'une prise de conscience quasi-universelle des risques multiples encourus par la planète Terre et par ses habitants, du fait même de l'activité humaine. Je crois qu'une part significative de ce résultat est à porter au crédit des premiers travaux scientifiques qui commençaient à dégager des tendances claires sur la situation de notre environnement physique, biologique, économique et social, et leur évolution dans le temps. Un des résultats les plus remarquables de cette Conférence a été l'élaboration d'un programme global d'action pour un développement durable au XXIème siècle, le fameux " Agenda 21 ". Si ce dernier ne néglige pas les dimensions économiques et sociales du développement durable, avec la nécessité d'une lutte résolue et vigoureuse contre la pauvreté, il insiste plus encore, au vu de ces analyses scientifiques, sur les impératifs d'une gestion nouvelle des ressources naturelles aux fins du développement.
La communauté scientifique internationale, en particulier française, a joué de manière très nette, et peut-être pour la première fois à cette échelle, son rôle d'information et d'alerte lors de ce sommet. Elle a joué aussi un rôle spécifique dans l'établissement des différentes conventions spécialisées qui ont découlé de cette conférence et qui privilégient largement les questions environnementales : conventions sur la biodiversité et sur les forêts en 1992, conventions sur le changement climatique et sur la lutte contre la désertification en 1994, protocole de Kyoto en 1997 Les équipes françaises de recherche ont été particulièrement mobilisées dans l'accompagnement scientifique de ces grandes conventions, notamment au travers de leur participation au Groupe Intergouvernemental d'experts sur l'Évolution du Climat. En France, elles ont prolongé le débat de Rio et engagé l'action avec l'organisation des rencontres nationales sur le changement climatique, la mise en place du Comité scientifique français sur la lutte contre la désertification et la constitution du groupement d'intérêt scientifique intitulé "Institut français de la biodiversité".
Dix ans après Rio de Janeiro, le Sommet Mondial sur le Développement Durable qui se tiendra à Johannesbourg se situera nécessairement en référence directe avec "Agenda 21", puisque ce dernier est considéré comme très inégalement réalisé en dépit des avancées enregistrées. Les dimensions économiques et sociales devraient cependant être mises en avant plus encore, traduisant véritablement le passage d'une conférence sur l'environnement et le développement à une conférence sur le développement durable.
Mais quelles sont donc les principales évolutions de la recherche scientifique qui sont intervenues en allant de Rio à Johannesburg ?
Après Rio, les chercheurs ont clairement compris la nécessité de "renforcer les bases scientifiques du développement durable". Ce concept, tel qu'il est apparu en 1987 dans le "Rapport Brundtland" et a été consacré à Rio en 1992, suscite de nouvelles questions. A une approche restée trop longtemps sectorielle du développement se substitue désormais l'impératif d'une gestion intégrée des ressources et des milieux, incitant la recherche à des efforts conséquents d'approche plus systémique. La problématique scientifique du développement durable apparaît ainsi comme étant désormais celle de la dynamique des interactions multiformes impliquant les différents milieux et sociétés qui coexistent sur notre planète.
Depuis 10 ans, les inflexions les plus évidentes apportées au dispositif de recherche français en réponse à cette analyse concernent la création de trois instituts ou agences spécialisées, appelées à travailler en coopération avec les organismes de recherche. Elles sont dédiées aux questions posées par la maîtrise de l'énergie (l'ADEME), la prévention des risques industriels (l'INERIS), l'information sur l'état de l'environnement (l'IFEN), en lien avec l'Agence Européenne de l'Environnement. L'Etat a également renforcé les dispositifs de sécurité sanitaire avec la création de l'Institut de Veille Sanitaire, de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des aliments (AFSSA), et de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire de l'Environnement (AFSSE). La mise en place, ou la réorganisation, de plusieurs groupements de recherche liés aux thématiques de développement durable doit également être mentionnée (effet de serre, écologie forestière, sites et sols pollués, agriculture pour la chimie et l'énergie). Le programme spécifique de l'Espace européen de la recherche duquel la France attend beaucoup s'inscrit dans cet objectif général de couverture des besoins de recherche de l'Union européenne en matière de développement durable.
Les organismes publics de recherche français se sont également reconfigurés. Ainsi, depuis le début des années 1990, la plupart d'entre eux ont connu des inflexions en termes de structure, de programmation et d'instrumentation au profit de recherches orientées vers la protection de l'environnement. Le CNRS vient pour sa part de modifier les missions de l'un de ses instituts en transformant l'Institut national des sciences de l'Univers (l'INSU) en Institut national des sciences de l'Univers et de l'Environnement (INSUe).
A ma demande, sous la coordination de l'Institut de Recherche pour le Développement et la direction du professeur Jean François Girard, Président de l'IRD, seize organismes nationaux de recherche, dont je salue le travail, ont effectué en 2002 le bilan de leurs réalisations les plus marquantes depuis le sommet de la terre, illustrant les atouts de la communauté scientifique française. Ils ont esquissé également les perspectives qui, de leur point de vue, sont les plus probables ou les plus souhaitables. Ils présentent leurs conclusions dans un rapport qui m'a été remis il y a quelques jours, par le professeur Girard que je veux saluer et remercier ici pour la qualité du travail accompli ainsi que pour m'accompagner ce matin à Rennes. Intitulé " la science au service du développement durable ", ce rapport dont je vous conseille la lecture sera largement accessible dans quelques jours soit sous forme d'une publication papier, soit sous forme numérique, sur le site du ministère.
A la lecture de ce document, on constate que les recherches se sont organisées autour de quatre grandes problématiques :
- les changements planétaires avec l'effet de serre et l'évolution climatique,
- la dynamique et la gestion des ressources naturelles avec les thèmes importants relatifs à la biodiversité, l'eau, le sol et le sous-sol,
- le cadre de vie et les relations environnement-santé,
- les modes de production et de consommation et les innovations technologiques.
Nous ne pouvons que nous réjouir des avancées significatives des connaissances qui ont été enregistrées dans plusieurs domaines liés à ces problématiques.
C'est le cas notamment dans les domaines de la sécurité alimentaire et de la préservation de la santé, de l'organisation des villes et des transports, des modes de production agricoles et industriels plus respectueux de l'environnement. C'est aussi le cas dans les domaines de l'énergie, de la compréhension des milieux et des écosystèmes, de la gestion des ressources naturelles, de la connaissance des aléas climatiques et des catastrophes naturelles. C'est enfin le cas dans les domaines des dynamiques démographiques et des transformations sociales.
Je crois souhaitable de mentionner trois exemples particuliers qui illustrent ces avancées, fruits du travail remarquable des scientifiques et des investissements importants de l'Etat.
Je citerai l'usage de la macrofaune du sol pour l'amélioration des rendements agricoles dans les pays tropicaux, de manière alternative, ou complémentaire, à l'usage des engrais, des pesticides, des semences sélectionnées. L'augmentation future de la production agricole et le maintien de la qualité des sols reposent sans doute maintenant sur la possibilité d'utiliser les macro-invertébrés du sol et plus précisément ceux connus sous le nom d'organismes ingénieurs.
Je citerai aussi le programme MERCATOR lancé en 1996, première expérience internationale d'océanographie opérationnelle. Combinant les données issues de capteurs in situ et les données satellitaires fournies par les satellites Jason et Topex-Poséidon, ce projet a l'ambition de suivre en temps réel et en tous lieux la situation des océans et de mieux comprendre les phénomènes à l'oeuvre dans les variations climatiques et de celles des ressources halieutiques.
Je ferai mention enfin des études relatives à la dissémination du mercure en Amazonie. Ces études ont mis en évidence que l'Amazonie est une terre affine du mercure de manière naturelle. Elle est un terrain favorable à la formation de méthylmercure ; si l'orpaillage constitue bien une source de méthylmercure, il semble que la source la plus importante résulte de la mise à nu des sols par déforestation ou conversion agricole, qui rendent le mercure du sol disponible pour la méthylisation. Les populations amazoniennes sont en conséquence exposées à des risques sanitaires sérieux, dont il importe de se préoccuper activement.
La recherche apporte des éléments de réponse à la question du développement durable par la mise au point de technologies adaptés aux nouveaux impératifs, la définition de normes et l'apport d'expertise au service de l'action publique et des débats de société. Elle contribue aussi au développement durable par la formation intellectuelle, à ces questions, des responsables scientifiques, politiques, sociaux et économiques des pays du Nord, comme du Sud et par le renforcement des capacités scientifiques et techniques dans les pays du Sud. La recherche doit être nécessairement accompagnée d'une politique de formation supérieure adéquate, mobilisant les universités et grandes écoles, ainsi que les organismes de recherche. Il nous faut en priorité traiter les besoins scientifiques et techniques des pays du Sud.
Quelles sont les perspectives de mobilisation de notre potentiel de recherche dans les prochaines années pour relever les défis du développement durable ?
En intégrant à la fois les dimensions sociale, économique et environnementale, la notion de développement durable interpelle la recherche scientifique dans son organisation et dans ses objets. Cela implique de renforcer les travaux sur les interactions entre l'environnement, les organisations techniques et économiques, et les sociétés avec leurs différents systèmes humains, politiques et sociaux. Ce sont autant de champs de recherche qui étaient traditionnellement disjoints, relevant les uns des sciences de l'univers, les autres des sciences de la vie, d'autres encore des sciences humaines et sociales, ou des sciences de l'ingénieur, qu'il faut désormais mobiliser de manière conjointe. Il s'agit de transcender les logiques disciplinaires, les logiques institutionnelles et les logiques nationales.
Il s'agit de mieux prendre en compte les différentes échelles de temps, celle des politiques publiques et celles des prévisions en termes de changement climatique ou biologique. Il s'agit de procéder de même avec les différentes échelles d'espace, planétaire, régional, national, local. Il s'agit de favoriser la conception pluridisciplinaire des objets de recherche et la communication entre les différentes disciplines. Nous devons aller plus loin dans la surveillance à long terme de la terre, des océans et des sols avec l'espoir de mettre en évidence les phénomènes qui, au fond, gouvernent les évolutions. Il y a là de formidables défis scientifiques que nous sommes désormais en mesure de relever. La concertation internationale doit être renforcée avec la mise en place de grands programmes d'observation à l'intérieur desquels chaque pays apporte sa contribution de manière coordonnée.
Il est nécessaire d'articuler étroitement l'étude des milieux et des ressources naturelles avec celles de l'organisation des sociétés humaines. Les chercheurs savent bien qu'il est difficile d'anticiper tous les problèmes à la fois. Devant l'ampleur de la tâche, ils ont pour stratégie de sélectionner des zones de vigilance où il sera possible d'examiner à la fois les phénomènes naturels, les systèmes techniques, fruits du travail des hommes, et leur contexte social ou politique de mise en oeuvre.
La recherche pour le développement durable, qu'elle porte sur des enjeux nationaux, globaux ou qu'elle vise au développement des pays du Sud, se trouve actuellement répartie dans un grand nombre d'organismes publics répondant à des logiques de programmation et de fonctionnement distinctes. Des dynamiques structurantes se développent au niveau européen, notamment dans le cadre du 6ème PCRD.
Dans la définition de notre politique nationale de recherche, nous allons examiner avec soin les principales recommandations que formule le rapport, à savoir développer une recherche inter-disciplinaire qui intègre l'apport des sciences humaines et sociales, multiplier les groupements de recherche, créer un réseau de développement concerté des " technologies pour le développement " et aider au renforcement des capacités scientifiques des pays en développement. Sans prétendre ici arrêter nos positions, revenons rapidement sur chacun de ces points.
Développer une recherche inter-disciplinaire qui intègre l'apport des sciences humaines et sociales
Agir dans le sens d'un développement plus durable implique donc d'approfondir les connaissances sur le fonctionnement de systèmes complexes, reposant sur les interactions entre les sociétés humaines et le milieu naturel. L'enjeu aujourd'hui est d'établir les conditions d'une compatibilité durable entre la dynamique des systèmes sociaux et naturels. oeuvrer dans cette perspective, c'est promouvoir notamment des travaux interdisciplinaires, d'une part sur les dynamiques temporelles et spatiales des interactions sociétés/nature et, d'autre part, sur la gouvernance, avec un questionnement sur les nouvelles formes de concertation et de participation des institutions publiques, du secteur privé et de la société civile. Les réformes des organismes de recherche depuis le sommet de Rio vont dans ce sens mais l'effort devra être poursuivi dans les années à venir. Les sciences humaines et sociales doivent contribuer à la réflexion éthique indispensable aussi bien à la communauté scientifique dans ses choix de sujets et de méthodes de recherche que dans les conditions de transfert et de partage de leurs résultats.
Mieux structurer les groupements de recherche
Les objectifs des fondations ou des groupements de recherche existants sont très spécifiques et sont loin de recouvrir les différents domaines de la recherche pour le développement durable. Un premier objectif serait d'une part de restructurer ces groupements de recherche pour redéfinir leur champ d'action et les doter des moyens nécessaires, et d'autre part, de compléter leur action, les intégrer dans un contexte européen par d'autres structures coopératives dans les champs de recherche non couverts (pauvreté et inégalités, urbain, ressources en eau, etc.). Le développement de grands programmes internationaux de collectes de données fiables et homogènes, dans le cadre d'une coordination européenne ou mondiale, me semble absolument à promouvoir.
Créer un réseau de développement concerté des " technologies pour le développement "
Les développements technologiques appropriés constitueront un enjeu essentiel du Sommet de Johannesbourg. La France dispose d'un ensemble d'établissements publics qui ont montré leur capacité de mobilisation avec les industriels dans le cadre de réseaux technologiques créés à l'incitation du ministère en charge de la recherche dans les domaines de l'eau, de l'observation spatiale, des piles à combustible... La recherche pour le développement pourrait bénéficier de la création d'un réseau spécifique de ce type, visant à l'innovation dans le domaine des technologies appropriées. Dans tous les champs techniques, il existe en effet d'une part des entreprises - souvent des PME - susceptibles de trouver sur ces marchés de nouveaux développements, et d'autre part dans les établissements scientifiques une connaissance du terrain, et notamment des ressources locales, physiques ou humaines, dont la combinaison des compétences est la condition du succès.
Aider au renforcement des capacités scientifiques des pays en développement
La réalisation des objectifs du développement durable définis à Rio passe par l'établissement d'un dialogue et la multiplication des échanges avec les pays en voie de développement. Pour ce dialogue, ces échanges et ces choix, la situation actuelle des communautés scientifiques dans beaucoup de ces pays, et en particulier en Afrique, n'est pas favorable. Agenda 21, dans son chapitre 35, insiste sur ce sujet. Aider ces communautés scientifiques à sortir de leur précarité et de leur isolement constitue donc un enjeu fondamental. Une mobilisation accrue des organismes de recherche français s'avère nécessaire. Le système d'appui existant devrait être renforcé en concentrant ses moyens, s'inscrire dans la durée, être élargi au système de formation universitaire, et pourrait ici aussi prendre une dimension européenne.
La question du développement durable interpelle donc nos sociétés, et en particulier leurs responsables politiques, avec une force et une ampleur nouvelles, sans doute jamais connues dans l'histoire de l'humanité. Les raisons sont liées, en autres, à la croissance démographique mondiale depuis un siècle, à nos modes de vie fortement consommateurs d'énergie, qu'elle soit d'origine fossile, hydraulique ou nucléaire, au formidable développement industriel, à la généralisation de l'exigence démocratique. Sur toutes ces questions, la recherche est une ressource précieuse pour éclairer nos décisions et nourrir les débats, contribuer à promouvoir des solutions techniques, économiques ou sociales. Je souhaite vivement que le dialogue engagé ce matin se poursuive et que les chercheurs des organismes publics comme des entreprises se sentent mobilisés sur cet enjeu du développement durable, sachant que d'une certaine manière, une grande fraction de la recherche et développement doit avoir une finalité de développement durable.
Il est nécessaire de mieux analyser et comprendre, il est indispensable de mieux évaluer et de prévoir, de façon à mieux agir pour mieux gérer.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 3 juillet 2002)