Texte intégral
Interview à France-Inter le 24 mai 2000 :
Q - Requis il y a 22 ans, pratiqué dans la précipitation depuis 48 heures, achevé cette nuit, le retrait israélien du Liban sud, cependant que les hommes de l'ALS - la milice supplétive d'Israël - abandonne le terrain au Hezbollah, conduira-t-il les Nations unies au doublement de sa force d'interposition - la Finul - à laquelle la France prend part ? Le retrait israélien, beaucoup plus rapide que prévu, puis la débandade de l'ALS placent-ils les Nations unies en situation d'urgence au Liban sud ?
R - D'urgence certainement, mais cela ne veut pas dire que les choses vont être examinées de façon désordonnée. Le Secrétaire général renvoie son représentant, M. Roed Larsen, pour avancer dans la mise en oeuvre de cette résolution, à laquelle vous faisiez allusion. Il s'agit maintenant de constater le retrait. Vous savez que le retrait doit être complet. Nous entrons dans une phase où il va vérifier qu'il n'y a rien de contestable - sur tous les plans - dans la façon dont le retrait a été effectué. Nous entrons dans une phase où il est maintenant demandé à l'Etat libanais de montrer son autorité sur ce territoire retrouvé, c'était l'origine de la résolution en 1978. Elle devait permettre à l'Etat libanais de recouvrer complètement sa souveraineté. D'autre part, le représentant du Secrétaire général doit s'assurer des dispositions des Syriens, des Libanais, des Israéliens par rapport à la suite, par rapport à cette nouvelle situation. Comme je l'ai dit plusieurs fois ces derniers jours, c'est au vu de l'ensemble de ces éléments que finalement, la France, le président de la République et le gouvernement, décideront de ce que nous faisons ou pas pour la suite. Donc tout cela a été prévu et annoncé. Simplement, nous accélérons avec l'accélération des événements.
Q - S'agissant justement du rôle de la France, on voit bien, d'une part les messages que le président de la République envoie en direction de la Syrie, et d'autre part les messages que vous-même avez adressés aussi en direction d'Israël. Comment concevez-vous aujourd'hui le rôle de la France dans cette partie du monde ?
R - Un certain nombre de pays se tournent vers la France pour qu'elle joue un rôle important dans la Finul actuelle, dont le mandat serait adapté pour tenir compte de la nouvelle situation. Nous sommes déjà dans la Finul, mais la situation n'est pas du tout la même. Donc on se tourne vers nous à la fois pour confirmer notre présence, éventuellement pour l'augmenter. Nous avons dit ces derniers jours et répété, que nous ne voulons pas y aller dans n'importe quelles conditions. Nous n'avons jamais écarté cette demande mais il faut que les pays riverains, les trois protagonistes aient un comportement responsable pour gérer cette situation nouvelle, qui est une bonne chose puisque c'est ce que demandait la résolution 425 dès 1978, en demandant ce retrait d'urgence. Donc mieux vaut tard que jamais. Il faut un engagement responsable de la part de ces protagonistes. Nous voulons que, d'une façon ou d'une autre, les membres du Conseil de sécurité, notamment les membres permanents, expriment leur solidarité par rapport à ceux des pays qui participeraient à cette Finul. C'est d'ailleurs un point dont j'ai l'intention de parler ce matin même, à Florence, avec Mme Albright. Après, dans l'hypothèse où ces éléments sont présents, où ces garanties sont là, et où le président de la République et le gouvernement jugent, au bout du compte, que nous pouvons maintenir voire renforcer notre présence ; à ce moment-là on s'occupera de la façon dont cette Finul serait organisée, commandée, et de ce que serait exactement son mandat. Voilà ce qui est devant nous pour les prochains jours.
Q - On dit - je reprends la formule parce qu'elle est souvent utilisée - de la France, " qu'elle est l'amie de tous au Liban ". N'est-ce pas une situation tellement exigeante qu'elle finit par être presque un peu embarrassante ?
R - Non, rien n'est embarrassant en particulier pour nous. C'est une situation qui est à la fois positive parce que ce retrait était demandé, et que c'est un progrès dans ce Proche-Orient où il est toujours difficile d'avancer sur le chemin de la paix. En même temps, c'est une situation complexe, délicate, qu'il faut traiter en faisant en sorte que ce retrait - encore une fois, qui doit être vérifié, je le rappelle - soit un élément vers une paix plus large puisque là c'est un retrait unilatéral - ce que d'ailleurs demandait la résolution. Cela aurait été encore mieux dans le cadre d'un accord négocié entre Israël et la Syrie, entre Israël et le Liban. Malheureusement cela n'a pas été possible jusqu'à maintenant. Il faut garder cette perspective. Il n'y a pas de raison que cela ne devienne pas possible un jour. Il faut poursuivre notre travail pour la paix. Ce n'est pas embarrassant, c'est simplement complexe de traiter en faisant attention à tous ces éléments que je rappelle.
Q - Le parcours ensuite risque d'être assez compliqué parce que nul ne sait ce que le Hezbollah va continuer ou non à faire ? Poursuivra-t-il ces avancées ? Actuellement, il est en train d'occuper tout le territoire abandonné par les troupes israéliennes ?
R - Oui, c'est presque mécaniquement logique. C'est d'ailleurs exactement ce à quoi s'attendaient tous les experts, notamment israéliens. Mais vous notez que tout cela pour le moment s'est fait sans désordre et dans des conditions qui ont l'air - j'attends le rapport de l'envoyé de Kofi Annan - de s'être passées sans troubles particuliers. Mais entre le retrait qui au début se passe sans troubles et la suite, il peut y avoir une différence. Donc, c'est sur la continuité de cette situation et sur sa stabilité que nous allons travailler maintenant.
Q - S'agissant de la Finul, Kofi Annan dit " qu'il n'est pas question qu'elle devienne un punching-ball ". Imaginons qu'on augmente la présence de la Finul, aurait-elle un droit de riposte ?
R - C'est précisément parce qu'on ne veut pas qu'elle soit un " punching-ball " - comme il dit - et on ne veut pas non plus qu'elle soit un témoin passif et impuissant d'une situation qui se redégraderait, que nous posons un certain nombre de conditions parfaitement logiques et légitimes, avant de prendre notre décision définitive. Encore une fois, nous n'avons jamais écarté l'hypothèse qu'au bout du compte nous puissions, soit rester, soit augmenter. Je dis " soit rester ", parce que de toute façon le mandat de la Finul se termine fin juillet automatiquement. Il faudra donc une nouvelle décision du Conseil de sécurité pour la maintenir. Il faut peut être adapter les choses parce que la Finul, depuis des années, n'a jamais été dans cette situation. Une Finul passive n'a pas d'intérêt. Il faut qu'elle puisse peser sur les événements. Il faut donc qu'elle ait un commandement efficace, il faut qu'elle ait une capacité à aider le gouvernement libanais à ce qu'on attend de lui, puisqu'au début, au point de départ, c'est pour que le Liban retrouve sa souveraineté dans cette région. Donc il faut qu'il marque maintenant cette capacité à travers son armée, sa police etc.
Q - Le processus de paix est-il en train d'y gagner ou est-on en train d'entrer dans la confusion ?
R - Non, on ne peut pas dire cela. Depuis 1978, tout le monde réclame l'application de la résolution 425 s'agissant du sud Liban. Elle est appliquée. Donc on ne peut pas présenter cela comme un événement négatif. Simplement, c'est dans un contexte extraordinairement sensible - voire dangereux - qui est celui du Proche-Orient. Par conséquent, on ne peut pas déplacer quoi que ce soit sans que cela puisse avoir des conséquences, qui elles-mêmes peuvent éventuellement mal tourner. D'où la tension, d'où les précautions. Si c'était très simple, on dirait : ils se sont retirés, très bien, tout va bien, le problème est réglé. Mais c'est plus compliqué. Il y a la suite, l'accord n'est pas encore là, il n'y a pas encore la paix juste et globale pour le Proche-Orient dont nous avons besoin pour l'avenir, pour sa stabilité. Donc il faut traiter cela de façon subtile. En même temps, on ne peut pas présenter cela comme un élément négatif puisque c'est ce que demandait l'ONU depuis si longtemps. Il faut l'accompagner, il faut préparer la suite. D'où l'action qui se fait en ce moment. Je vais d'ailleurs consacrer une partie de mon temps à Florence - même si c'est un Sommet de l'Otan, ce qui n'a rien à voir avec le Sud-Liban - à des contacts bilatéraux. Je vais travailler sur cette question ici.
Q - Encore deux questions sur un autre sujet. Tout d'abord l'Europe : est-ce que l'affaire Chevènement va changer les rapports France-Allemagne ?
R - Certainement pas. D'abord M. Chevènement a eu l'occasion de s'expliquer en regrettant certaines formules qu'il avait employées et qui, du coup, avaient fait que sa pensée n'avait pas été comprise. J'ai noté d'autre part du côté des Allemands un très grand sang froid par rapport à cela. J'ai eu l'occasion d'avoir un échange lundi à Bruxelles avec monsieur Fischer sur ces questions. Donc, il me semble qu'il n'y pas de problème.
Q - Et les otages ? Je dis bien les otages parce qu'il y a ceux des Philippines et toujours la question s'agissant de Brice Fleutiaux. Avez vous des informations pour les uns ou pour l'autre ?
R - Nous restons absolument mobilisés. En ce qui concerne les Philippines, je viens de demander au Secrétaire général du quai d'Orsay de se rendre à Manille. Dès mercredi soir, nous avons eu des envoyés spéciaux qui se sont relayés là-bas depuis le début. Je renvoie ce très haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères pour faire le point à un niveau encore plus élevé avec les autorités philippines. Il s'y trouvera d'ailleurs en même temps qu'un envoyé spécial allemand et qu'un envoyé spécial finlandais. Ce sont les deux autres pays de l'Union européenne qui ont des ressortissants. Nous poursuivons notre action qui consiste à dire sans arrêt aux autorités philippines qu'il ne faut rien faire qui puisse mettre en péril la vie de nos otages. D'autre part, nos représentants sur place font tout ce qu'ils peuvent pour que ces personnes reçoivent une aide humanitaire, l'objectif étant, naturellement, de les libérer. Notre action se poursuit. Quant à Brice Fleutiaux, nous restons mobilisés comme nous le sommes depuis octobre et j'ai l'occasion de dire souvent - souvent, malheureusement, parce que cela dure - que nous le serons jusqu'à ce qu'il soit libre./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 mai 2000)
Interview à RMC Moyen-Orient le 26 mai :
Q - La France, pour se déployer au sud Liban a demandé des garanties aux différentes parties dans la région, Israël, le Liban et la Syrie. Vous avez rencontré ce matin le représentant de l'Etat libanais à cette réunion informelle, et votre homologue syrien. Avez-vous obtenu les garanties souhaitées ?
R - La nouvelle situation créée au sud Liban par le retrait de l'armée israélienne est une bonne chose puisque c'était demandé depuis 1978 par la résolution 425 et par la résolution 426. Mais elle pose un problème, non pas à la France, mais au Conseil de sécurité. C'est au Conseil de sécurité ou au Secrétaire général - mais ils s'articulent entre eux dans leur action - de s'assurer que tout est fait pour qu'au-delà du retrait, la stabilité soit assurée et que l'autorité de l'Etat libanais puisse être restaurée dans cette région.
C'est pour cela que c'est au sein du Conseil de sécurité que nous avons examiné le contexte dans lequel ce retrait intervient et c'est pour cela que nous avons demandé au secrétaire général des Nations unies de constater le retrait, ce que son représentant spécial pour ces questions est en train de faire sur place. Nous attendons ses conclusions, le plus tôt sera le mieux.
Q - S'est-il dit optimiste ?
R - Oui, tant mieux, et c'est dans la foulée de cette analyse que nous attendons ses recommandations. Ensuite, la France, en tant que membre permanent, dira si elle accepte ou non de participer et dans quelles conditions, avec quel niveau de troupes, tout dépend de la fonction de la FINUL. Le contexte n'est plus le même qu'avant. Et c'est dans ce contexte que nous sommes en train d'interroger les autorités syriennes, libanaises, israéliennes, de faire sonder, directement ou indirectement, d'autres pays qui peuvent avoir une influence dans la région sur leur attitude, au cours des jours et des semaines qui vont venir concernant la situation au sud Liban. De même que nous sommes en train de travailler avec les autres membres permanents du Conseil de sécurité car si nous décidons de participer, il faudra bien qu'ils montrent, d'une façon ou d'une autre, qu'ils se sentent engagés dans cette situation. Ce n'est donc pas entre la France, le Liban et Israël que les choses vont se décider. C'est une question qui concerne le Conseil de sécurité, par rapport à toute la région.
Q - Lors de la conférence de presse qu'il a donnée tout à l'heure, le ministre syrien des Affaires étrangères a considéré le Hezbollah comme un mouvement de résistance et non comme une milice, semblant écarter l'hypothèse d'un éventuel désarmement du Hezbollah. Que fera la France en présence d'un Hezbollah armé dans le sud Liban ?
R - Ce problème fait partie de l'ensemble des problèmes qui caractérisent la situation au sud Liban dans les jours et dans les semaines qui viennent. Cela fait également partie des questions sur lesquelles nous avons des échanges avec les pays de la région et avec les autres membres du Conseil de sécurité. La question n'est pas ce que fera la France. Ce n'est pas un problème français, ce n'est pas un problème franco-libanais, ni franco-israélien, ni franco-syrien. Nous travaillons dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité. La question est donc posée aux membres permanents et à tous les membres du Conseil de sécurité. Il n'y a pas à demander à la France ce qu'elle fera seule.
La situation ne se présente donc pas telle que vous le sous-entendez. C'est au Secrétaire général et c'est au Conseil de sécurité tout entier de faire en sorte que la mission future de la FINUL - si elle doit être confirmée et, a fortiori si elle doit être renforcée - soit admise et comprise par tout le monde comme étant une contribution à la mise en oeuvre concrète et précise de la résolution 425, c'est-à-dire pendant un certain temps, jusqu'à ce que l'Etat libanais soit capable d'exercer complètement son autorité, ce que nous souhaitons le plus rapide possible.
Q - La diplomatie iranienne a été très visible dans la région ces derniers jours. Le chef de la diplomatie iranienne s'est rendu dans le sud Liban et à Damas, quelle lecture en faites-vous ?
R - Je n'ai pas de commentaire à faire sur la visite iranienne dans le sud Liban. Les Libanais et les Iraniens ont des relations, le ministre iranien va au Liban, cela ne me pose pas de problèmes particuliers. Ce qui est important pour la suite, c'est de savoir si l'Iran utilisera l'influence dont il peut disposer sur certains groupes de la région qui sont naturellement libanais mais qui ont des relations, qui agissent et ont de l'influence. Cette influence s'exercera-t-elle dans le sens de la stabilité de la région ? Et contribuera-t-elle à l'action stabilisatrice et de sécurité de l'éventuelle future FINUL ? C'est la question qui est posée aux autorités iraniennes./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2000)
Q - Requis il y a 22 ans, pratiqué dans la précipitation depuis 48 heures, achevé cette nuit, le retrait israélien du Liban sud, cependant que les hommes de l'ALS - la milice supplétive d'Israël - abandonne le terrain au Hezbollah, conduira-t-il les Nations unies au doublement de sa force d'interposition - la Finul - à laquelle la France prend part ? Le retrait israélien, beaucoup plus rapide que prévu, puis la débandade de l'ALS placent-ils les Nations unies en situation d'urgence au Liban sud ?
R - D'urgence certainement, mais cela ne veut pas dire que les choses vont être examinées de façon désordonnée. Le Secrétaire général renvoie son représentant, M. Roed Larsen, pour avancer dans la mise en oeuvre de cette résolution, à laquelle vous faisiez allusion. Il s'agit maintenant de constater le retrait. Vous savez que le retrait doit être complet. Nous entrons dans une phase où il va vérifier qu'il n'y a rien de contestable - sur tous les plans - dans la façon dont le retrait a été effectué. Nous entrons dans une phase où il est maintenant demandé à l'Etat libanais de montrer son autorité sur ce territoire retrouvé, c'était l'origine de la résolution en 1978. Elle devait permettre à l'Etat libanais de recouvrer complètement sa souveraineté. D'autre part, le représentant du Secrétaire général doit s'assurer des dispositions des Syriens, des Libanais, des Israéliens par rapport à la suite, par rapport à cette nouvelle situation. Comme je l'ai dit plusieurs fois ces derniers jours, c'est au vu de l'ensemble de ces éléments que finalement, la France, le président de la République et le gouvernement, décideront de ce que nous faisons ou pas pour la suite. Donc tout cela a été prévu et annoncé. Simplement, nous accélérons avec l'accélération des événements.
Q - S'agissant justement du rôle de la France, on voit bien, d'une part les messages que le président de la République envoie en direction de la Syrie, et d'autre part les messages que vous-même avez adressés aussi en direction d'Israël. Comment concevez-vous aujourd'hui le rôle de la France dans cette partie du monde ?
R - Un certain nombre de pays se tournent vers la France pour qu'elle joue un rôle important dans la Finul actuelle, dont le mandat serait adapté pour tenir compte de la nouvelle situation. Nous sommes déjà dans la Finul, mais la situation n'est pas du tout la même. Donc on se tourne vers nous à la fois pour confirmer notre présence, éventuellement pour l'augmenter. Nous avons dit ces derniers jours et répété, que nous ne voulons pas y aller dans n'importe quelles conditions. Nous n'avons jamais écarté cette demande mais il faut que les pays riverains, les trois protagonistes aient un comportement responsable pour gérer cette situation nouvelle, qui est une bonne chose puisque c'est ce que demandait la résolution 425 dès 1978, en demandant ce retrait d'urgence. Donc mieux vaut tard que jamais. Il faut un engagement responsable de la part de ces protagonistes. Nous voulons que, d'une façon ou d'une autre, les membres du Conseil de sécurité, notamment les membres permanents, expriment leur solidarité par rapport à ceux des pays qui participeraient à cette Finul. C'est d'ailleurs un point dont j'ai l'intention de parler ce matin même, à Florence, avec Mme Albright. Après, dans l'hypothèse où ces éléments sont présents, où ces garanties sont là, et où le président de la République et le gouvernement jugent, au bout du compte, que nous pouvons maintenir voire renforcer notre présence ; à ce moment-là on s'occupera de la façon dont cette Finul serait organisée, commandée, et de ce que serait exactement son mandat. Voilà ce qui est devant nous pour les prochains jours.
Q - On dit - je reprends la formule parce qu'elle est souvent utilisée - de la France, " qu'elle est l'amie de tous au Liban ". N'est-ce pas une situation tellement exigeante qu'elle finit par être presque un peu embarrassante ?
R - Non, rien n'est embarrassant en particulier pour nous. C'est une situation qui est à la fois positive parce que ce retrait était demandé, et que c'est un progrès dans ce Proche-Orient où il est toujours difficile d'avancer sur le chemin de la paix. En même temps, c'est une situation complexe, délicate, qu'il faut traiter en faisant en sorte que ce retrait - encore une fois, qui doit être vérifié, je le rappelle - soit un élément vers une paix plus large puisque là c'est un retrait unilatéral - ce que d'ailleurs demandait la résolution. Cela aurait été encore mieux dans le cadre d'un accord négocié entre Israël et la Syrie, entre Israël et le Liban. Malheureusement cela n'a pas été possible jusqu'à maintenant. Il faut garder cette perspective. Il n'y a pas de raison que cela ne devienne pas possible un jour. Il faut poursuivre notre travail pour la paix. Ce n'est pas embarrassant, c'est simplement complexe de traiter en faisant attention à tous ces éléments que je rappelle.
Q - Le parcours ensuite risque d'être assez compliqué parce que nul ne sait ce que le Hezbollah va continuer ou non à faire ? Poursuivra-t-il ces avancées ? Actuellement, il est en train d'occuper tout le territoire abandonné par les troupes israéliennes ?
R - Oui, c'est presque mécaniquement logique. C'est d'ailleurs exactement ce à quoi s'attendaient tous les experts, notamment israéliens. Mais vous notez que tout cela pour le moment s'est fait sans désordre et dans des conditions qui ont l'air - j'attends le rapport de l'envoyé de Kofi Annan - de s'être passées sans troubles particuliers. Mais entre le retrait qui au début se passe sans troubles et la suite, il peut y avoir une différence. Donc, c'est sur la continuité de cette situation et sur sa stabilité que nous allons travailler maintenant.
Q - S'agissant de la Finul, Kofi Annan dit " qu'il n'est pas question qu'elle devienne un punching-ball ". Imaginons qu'on augmente la présence de la Finul, aurait-elle un droit de riposte ?
R - C'est précisément parce qu'on ne veut pas qu'elle soit un " punching-ball " - comme il dit - et on ne veut pas non plus qu'elle soit un témoin passif et impuissant d'une situation qui se redégraderait, que nous posons un certain nombre de conditions parfaitement logiques et légitimes, avant de prendre notre décision définitive. Encore une fois, nous n'avons jamais écarté l'hypothèse qu'au bout du compte nous puissions, soit rester, soit augmenter. Je dis " soit rester ", parce que de toute façon le mandat de la Finul se termine fin juillet automatiquement. Il faudra donc une nouvelle décision du Conseil de sécurité pour la maintenir. Il faut peut être adapter les choses parce que la Finul, depuis des années, n'a jamais été dans cette situation. Une Finul passive n'a pas d'intérêt. Il faut qu'elle puisse peser sur les événements. Il faut donc qu'elle ait un commandement efficace, il faut qu'elle ait une capacité à aider le gouvernement libanais à ce qu'on attend de lui, puisqu'au début, au point de départ, c'est pour que le Liban retrouve sa souveraineté dans cette région. Donc il faut qu'il marque maintenant cette capacité à travers son armée, sa police etc.
Q - Le processus de paix est-il en train d'y gagner ou est-on en train d'entrer dans la confusion ?
R - Non, on ne peut pas dire cela. Depuis 1978, tout le monde réclame l'application de la résolution 425 s'agissant du sud Liban. Elle est appliquée. Donc on ne peut pas présenter cela comme un événement négatif. Simplement, c'est dans un contexte extraordinairement sensible - voire dangereux - qui est celui du Proche-Orient. Par conséquent, on ne peut pas déplacer quoi que ce soit sans que cela puisse avoir des conséquences, qui elles-mêmes peuvent éventuellement mal tourner. D'où la tension, d'où les précautions. Si c'était très simple, on dirait : ils se sont retirés, très bien, tout va bien, le problème est réglé. Mais c'est plus compliqué. Il y a la suite, l'accord n'est pas encore là, il n'y a pas encore la paix juste et globale pour le Proche-Orient dont nous avons besoin pour l'avenir, pour sa stabilité. Donc il faut traiter cela de façon subtile. En même temps, on ne peut pas présenter cela comme un élément négatif puisque c'est ce que demandait l'ONU depuis si longtemps. Il faut l'accompagner, il faut préparer la suite. D'où l'action qui se fait en ce moment. Je vais d'ailleurs consacrer une partie de mon temps à Florence - même si c'est un Sommet de l'Otan, ce qui n'a rien à voir avec le Sud-Liban - à des contacts bilatéraux. Je vais travailler sur cette question ici.
Q - Encore deux questions sur un autre sujet. Tout d'abord l'Europe : est-ce que l'affaire Chevènement va changer les rapports France-Allemagne ?
R - Certainement pas. D'abord M. Chevènement a eu l'occasion de s'expliquer en regrettant certaines formules qu'il avait employées et qui, du coup, avaient fait que sa pensée n'avait pas été comprise. J'ai noté d'autre part du côté des Allemands un très grand sang froid par rapport à cela. J'ai eu l'occasion d'avoir un échange lundi à Bruxelles avec monsieur Fischer sur ces questions. Donc, il me semble qu'il n'y pas de problème.
Q - Et les otages ? Je dis bien les otages parce qu'il y a ceux des Philippines et toujours la question s'agissant de Brice Fleutiaux. Avez vous des informations pour les uns ou pour l'autre ?
R - Nous restons absolument mobilisés. En ce qui concerne les Philippines, je viens de demander au Secrétaire général du quai d'Orsay de se rendre à Manille. Dès mercredi soir, nous avons eu des envoyés spéciaux qui se sont relayés là-bas depuis le début. Je renvoie ce très haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères pour faire le point à un niveau encore plus élevé avec les autorités philippines. Il s'y trouvera d'ailleurs en même temps qu'un envoyé spécial allemand et qu'un envoyé spécial finlandais. Ce sont les deux autres pays de l'Union européenne qui ont des ressortissants. Nous poursuivons notre action qui consiste à dire sans arrêt aux autorités philippines qu'il ne faut rien faire qui puisse mettre en péril la vie de nos otages. D'autre part, nos représentants sur place font tout ce qu'ils peuvent pour que ces personnes reçoivent une aide humanitaire, l'objectif étant, naturellement, de les libérer. Notre action se poursuit. Quant à Brice Fleutiaux, nous restons mobilisés comme nous le sommes depuis octobre et j'ai l'occasion de dire souvent - souvent, malheureusement, parce que cela dure - que nous le serons jusqu'à ce qu'il soit libre./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 mai 2000)
Interview à RMC Moyen-Orient le 26 mai :
Q - La France, pour se déployer au sud Liban a demandé des garanties aux différentes parties dans la région, Israël, le Liban et la Syrie. Vous avez rencontré ce matin le représentant de l'Etat libanais à cette réunion informelle, et votre homologue syrien. Avez-vous obtenu les garanties souhaitées ?
R - La nouvelle situation créée au sud Liban par le retrait de l'armée israélienne est une bonne chose puisque c'était demandé depuis 1978 par la résolution 425 et par la résolution 426. Mais elle pose un problème, non pas à la France, mais au Conseil de sécurité. C'est au Conseil de sécurité ou au Secrétaire général - mais ils s'articulent entre eux dans leur action - de s'assurer que tout est fait pour qu'au-delà du retrait, la stabilité soit assurée et que l'autorité de l'Etat libanais puisse être restaurée dans cette région.
C'est pour cela que c'est au sein du Conseil de sécurité que nous avons examiné le contexte dans lequel ce retrait intervient et c'est pour cela que nous avons demandé au secrétaire général des Nations unies de constater le retrait, ce que son représentant spécial pour ces questions est en train de faire sur place. Nous attendons ses conclusions, le plus tôt sera le mieux.
Q - S'est-il dit optimiste ?
R - Oui, tant mieux, et c'est dans la foulée de cette analyse que nous attendons ses recommandations. Ensuite, la France, en tant que membre permanent, dira si elle accepte ou non de participer et dans quelles conditions, avec quel niveau de troupes, tout dépend de la fonction de la FINUL. Le contexte n'est plus le même qu'avant. Et c'est dans ce contexte que nous sommes en train d'interroger les autorités syriennes, libanaises, israéliennes, de faire sonder, directement ou indirectement, d'autres pays qui peuvent avoir une influence dans la région sur leur attitude, au cours des jours et des semaines qui vont venir concernant la situation au sud Liban. De même que nous sommes en train de travailler avec les autres membres permanents du Conseil de sécurité car si nous décidons de participer, il faudra bien qu'ils montrent, d'une façon ou d'une autre, qu'ils se sentent engagés dans cette situation. Ce n'est donc pas entre la France, le Liban et Israël que les choses vont se décider. C'est une question qui concerne le Conseil de sécurité, par rapport à toute la région.
Q - Lors de la conférence de presse qu'il a donnée tout à l'heure, le ministre syrien des Affaires étrangères a considéré le Hezbollah comme un mouvement de résistance et non comme une milice, semblant écarter l'hypothèse d'un éventuel désarmement du Hezbollah. Que fera la France en présence d'un Hezbollah armé dans le sud Liban ?
R - Ce problème fait partie de l'ensemble des problèmes qui caractérisent la situation au sud Liban dans les jours et dans les semaines qui viennent. Cela fait également partie des questions sur lesquelles nous avons des échanges avec les pays de la région et avec les autres membres du Conseil de sécurité. La question n'est pas ce que fera la France. Ce n'est pas un problème français, ce n'est pas un problème franco-libanais, ni franco-israélien, ni franco-syrien. Nous travaillons dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité. La question est donc posée aux membres permanents et à tous les membres du Conseil de sécurité. Il n'y a pas à demander à la France ce qu'elle fera seule.
La situation ne se présente donc pas telle que vous le sous-entendez. C'est au Secrétaire général et c'est au Conseil de sécurité tout entier de faire en sorte que la mission future de la FINUL - si elle doit être confirmée et, a fortiori si elle doit être renforcée - soit admise et comprise par tout le monde comme étant une contribution à la mise en oeuvre concrète et précise de la résolution 425, c'est-à-dire pendant un certain temps, jusqu'à ce que l'Etat libanais soit capable d'exercer complètement son autorité, ce que nous souhaitons le plus rapide possible.
Q - La diplomatie iranienne a été très visible dans la région ces derniers jours. Le chef de la diplomatie iranienne s'est rendu dans le sud Liban et à Damas, quelle lecture en faites-vous ?
R - Je n'ai pas de commentaire à faire sur la visite iranienne dans le sud Liban. Les Libanais et les Iraniens ont des relations, le ministre iranien va au Liban, cela ne me pose pas de problèmes particuliers. Ce qui est important pour la suite, c'est de savoir si l'Iran utilisera l'influence dont il peut disposer sur certains groupes de la région qui sont naturellement libanais mais qui ont des relations, qui agissent et ont de l'influence. Cette influence s'exercera-t-elle dans le sens de la stabilité de la région ? Et contribuera-t-elle à l'action stabilisatrice et de sécurité de l'éventuelle future FINUL ? C'est la question qui est posée aux autorités iraniennes./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2000)