Texte intégral
R. Elkrief.- Vous partez demain à Johannesburg ; J. Chirac, vous rejoindra, dimanche, où il doit prononcer un discours la semaine prochaine. Aujourd'hui, la tonalité est assez pessimiste. Par exemple N. Hulot - qui est proche de J. Chirac - dit, dans une interview, qu'il n'attend pas grand chose de Johannesburg. Vous partagez ce pessimisme ?
- "Non, je ne le partage pas, parce qu'en fait, Johannesburg arrive dix ans après Rio. On dit communément que Johannesburg va être le bilan, "Rio plus 10". La difficulté de Johannesburg est que Rio était le sommet des grands principes et que Johannesburg doit mettre en oeuvre ces grands principes ; une mise en oeuvre concrète avec un calendrier précis et des objectifs précis. Voilà la difficulté de Johannesburg. Mais je ne partage pas ce pessimisme, parce que je crois que la vraie réussite de Rio - et aujourd'hui on peut s'en féliciter -, c'est la prise de conscience du citoyen sur les problèmes environnementaux."
On va en parler effectivement en se demandant ce que nous, pays riches, on peut faire pour le développement durable. Mais il y aura plus de 100 dirigeants du monde entier, plusieurs dizaines de milliers de délégués. La France peut-elle faire entendre sa voix dans cette foule ?
- "Oui, la France va faire entendre sa voix. D'abord, le président de la République sera à la tête d'une très grosse délégation. Nous travaillons depuis pas mal de temps sur le message de la France. Il a d'abord comme ligne directrice la lutte contre la pauvreté. Aujourd'hui, nous sommes arrivés à un niveau critique avec le fossé qui s'est creusé entre les pays riches et les pays du Sud. La ligne directrice est aussi d'arriver, aujourd'hui, à harmoniser la mondialisation. Je crois qu'elle est nécessaire, créatrice de richesses et aujourd'hui, nous sommes arrivés au moment du partage. Je crois que beaucoup de gens sont sur le bord du chemin et qu'il va falloir leur tendre la main."
Vous dites que c'est le message fort de la France et que J. Chirac s'est beaucoup impliqué là-dessus mais, néanmoins, beaucoup de personnalités, qui appartiennent à des organisations non-gouvernementales, disent aussi que la France doit balayer devant sa porte. Par exemple, le pourcentage de l'aide aux pays en voie de développement de la France n'est que de 0,34 % du PIB et on l'a prévu théoriquement à 0,7 %. La France n'est peut-être pas la meilleure non plus ?
- "La France n'est pas le pire dans ce dossier de l'aide au développement, parce que le Président s'est engagé à augmenter sur cinq ans de 50 % l'aide aux pays en voie de développement. Je crois que tous les pays du Nord doivent balayer devant leurs portes. C'est une des difficultés que nous avons rencontrée au niveau des négociations, notamment à la dernière conférence préparatoire à Bali. Je crois qu'il y a un vrai désenchantement des pays du Sud par rapport aux pays du Nord. Ils reprochent aux pays du Nord de ne pas tenir leurs engagements. C'est exact sur l'aide au développement et je crois que l'heure est venue, aujourd'hui, pour les pays du Nord de faire leur autocritique. Est-ce qu'on peut demander à des pays qui ont la tête sous l'eau, dont les peuples sont dans une misère terrible - il faut rappeler quelques chiffres : 2 milliards de personnes vivent avec moins d'un euro par jour, un milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau potable, un milliard et demi de personnes n'ont pas accès à l'électricité : remettons cela dans le contexte - un modèle et des critères ? Je reprendrais la phrase du président du Venezuela parlant des pays du Sud : "Nous, chefs d'Etat courrons de sommet en sommet et nos peuples courent d'abîmes en abîmes"."
Leur responsabilité n'est pas du tout engagée à ces chefs d'Etat ? Dans les pays du Sud, il n'y a pas de responsabilités internes ?
- "Bien sûr. Vous savez que nous défendrons, lors du Sommet de Johannesburg, le thème de la bonne gouvernance. Et la bonne gouvernance s'applique aussi aux pays du Sud. Je crois que nous avons en critère principal le respect des droits de l'homme ; nous défendrons aussi la diversité culturelle. L'aide au développement et la nouvelle idée de partenariat plutôt que d'assistance avec ces pays du Sud doivent se mettre en place. Mais en même temps, nous avons des exigences de bonne gouvernance envers les chefs d'Etat de ces pays du Sud."
Concrètement, nous, vous, moi, chacun ici dans les pays riches, que pouvons-nous faire pour le développement durable ? Ce sont de grands mots mais, concrètement, est-ce qu'il y a quelque chose que nous pouvons faire ? J'ai envie de dire que c'est un peu votre travail, maintenant que vous êtes secrétaire d'Etat au développement durable, de nous l'expliquer et de nous le faire comprendre ?
- "C'est exactement mon travail. Déjà vous donner un chiffre : 80 % des ressources mondiales sont consommées par 20 % de la population. Evidemment, cette population se trouve dans les pays du Nord et dans les pays riches. Je crois que ce qui pose problèmes, aujourd'hui, c'est notre surconsommation. Et aujourd'hui, le moment est venu de remettre en question notre mode de consommation et notre façon de vivre. Peut-être abandonner un peu notre confort. Ce n'est pas grand chose pour nous à abandonner. Depuis que je suis arrivée, ma mission est d'expliquer ce qu'est le développement durable. Parce qu'aujourd'hui, c'est un concept d'initié, c'est plutôt théorique."
Concrètement, que nous dites-vous, aujourd'hui : d'arrêter de faire couler le robinet quand on se brosse les dents, d'éteindre toutes les lumières quand on sort d'une pièce ?
- "J'ai envie d'expliquer le développement durable par la vie quotidienne. Dans la vie quotidienne, c'est commencer par des choses simples : c'est se dire que l'eau est quelque chose de précieux. On n'en a pas l'impression aujourd'hui dans nos pays. Quand on se brosse les dents le matin, on laisse le robinet d'eau couler pendant je ne sais pas combien de minutes. Il faut avoir le réflexe d'arrêter ce robinet."
Ceux qui nous écoutent, en ce moment : arrêtez le robinet d'eau, continuez à vous brossez les dents quand même !
- "Des gestes simples comme éteindre les lumières dans les pièces où l'on n'est pas. Le fait d'arrêter son moteur quand on attend ces enfants à la sortie de l'école - ou ailleurs, peu importe. Il faut arrêter son moteur, car on est nous-mêmes responsables de la pollution de l'air, ce qu'on appelle "l'effet de serre". Il y a beaucoup de choses. L'Irlande a pris une initiative que je trouve intéressante : depuis trois mois, elle fait payer les sacs plastiques quand on fait les courses dans les supermarchés - on en a plein : on met une chose dedans et quand on arrive à la maison, on entasse les sacs - et les personnes ramènent leurs sacs quand il reviennent faire leur course. La consommation en trois mois des sacs plastiques a chuté de 90 %. Voilà des gestes simples. Cela dit, je n'oublie pas que j'ai aussi des dossiers prioritaires. Il faut remettre en cause un certain nombre de gros dossiers dans les transports, l'agriculture, l'équipement."
Un des créateurs du concept du développement durable est dans Libé, ce matin, I. Sachs, et il dit que cela doit concerner tous les ministères, tout le Gouvernement, et que lorsqu'on nomme seulement un sous-secrétaire du ministre de l'Environnement, c'est qu'on en fait la cinquième roue du carrosse ?
- "Cela participe du pessimisme. Je connais I. Sachs, c'est quelqu'un qui a beaucoup de convictions..."
Vous êtes la cinquième roue du carrosse ?
- "Non, parce que je suis la première secrétaire d'Etat au monde qui porte le sujet du développement durable en lui-même. Je ne suis pas du tout la cinquième roue du carrosse, mais j'entends être un peu le poils à gratter du Gouvernement."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 août 2002)
- "Non, je ne le partage pas, parce qu'en fait, Johannesburg arrive dix ans après Rio. On dit communément que Johannesburg va être le bilan, "Rio plus 10". La difficulté de Johannesburg est que Rio était le sommet des grands principes et que Johannesburg doit mettre en oeuvre ces grands principes ; une mise en oeuvre concrète avec un calendrier précis et des objectifs précis. Voilà la difficulté de Johannesburg. Mais je ne partage pas ce pessimisme, parce que je crois que la vraie réussite de Rio - et aujourd'hui on peut s'en féliciter -, c'est la prise de conscience du citoyen sur les problèmes environnementaux."
On va en parler effectivement en se demandant ce que nous, pays riches, on peut faire pour le développement durable. Mais il y aura plus de 100 dirigeants du monde entier, plusieurs dizaines de milliers de délégués. La France peut-elle faire entendre sa voix dans cette foule ?
- "Oui, la France va faire entendre sa voix. D'abord, le président de la République sera à la tête d'une très grosse délégation. Nous travaillons depuis pas mal de temps sur le message de la France. Il a d'abord comme ligne directrice la lutte contre la pauvreté. Aujourd'hui, nous sommes arrivés à un niveau critique avec le fossé qui s'est creusé entre les pays riches et les pays du Sud. La ligne directrice est aussi d'arriver, aujourd'hui, à harmoniser la mondialisation. Je crois qu'elle est nécessaire, créatrice de richesses et aujourd'hui, nous sommes arrivés au moment du partage. Je crois que beaucoup de gens sont sur le bord du chemin et qu'il va falloir leur tendre la main."
Vous dites que c'est le message fort de la France et que J. Chirac s'est beaucoup impliqué là-dessus mais, néanmoins, beaucoup de personnalités, qui appartiennent à des organisations non-gouvernementales, disent aussi que la France doit balayer devant sa porte. Par exemple, le pourcentage de l'aide aux pays en voie de développement de la France n'est que de 0,34 % du PIB et on l'a prévu théoriquement à 0,7 %. La France n'est peut-être pas la meilleure non plus ?
- "La France n'est pas le pire dans ce dossier de l'aide au développement, parce que le Président s'est engagé à augmenter sur cinq ans de 50 % l'aide aux pays en voie de développement. Je crois que tous les pays du Nord doivent balayer devant leurs portes. C'est une des difficultés que nous avons rencontrée au niveau des négociations, notamment à la dernière conférence préparatoire à Bali. Je crois qu'il y a un vrai désenchantement des pays du Sud par rapport aux pays du Nord. Ils reprochent aux pays du Nord de ne pas tenir leurs engagements. C'est exact sur l'aide au développement et je crois que l'heure est venue, aujourd'hui, pour les pays du Nord de faire leur autocritique. Est-ce qu'on peut demander à des pays qui ont la tête sous l'eau, dont les peuples sont dans une misère terrible - il faut rappeler quelques chiffres : 2 milliards de personnes vivent avec moins d'un euro par jour, un milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau potable, un milliard et demi de personnes n'ont pas accès à l'électricité : remettons cela dans le contexte - un modèle et des critères ? Je reprendrais la phrase du président du Venezuela parlant des pays du Sud : "Nous, chefs d'Etat courrons de sommet en sommet et nos peuples courent d'abîmes en abîmes"."
Leur responsabilité n'est pas du tout engagée à ces chefs d'Etat ? Dans les pays du Sud, il n'y a pas de responsabilités internes ?
- "Bien sûr. Vous savez que nous défendrons, lors du Sommet de Johannesburg, le thème de la bonne gouvernance. Et la bonne gouvernance s'applique aussi aux pays du Sud. Je crois que nous avons en critère principal le respect des droits de l'homme ; nous défendrons aussi la diversité culturelle. L'aide au développement et la nouvelle idée de partenariat plutôt que d'assistance avec ces pays du Sud doivent se mettre en place. Mais en même temps, nous avons des exigences de bonne gouvernance envers les chefs d'Etat de ces pays du Sud."
Concrètement, nous, vous, moi, chacun ici dans les pays riches, que pouvons-nous faire pour le développement durable ? Ce sont de grands mots mais, concrètement, est-ce qu'il y a quelque chose que nous pouvons faire ? J'ai envie de dire que c'est un peu votre travail, maintenant que vous êtes secrétaire d'Etat au développement durable, de nous l'expliquer et de nous le faire comprendre ?
- "C'est exactement mon travail. Déjà vous donner un chiffre : 80 % des ressources mondiales sont consommées par 20 % de la population. Evidemment, cette population se trouve dans les pays du Nord et dans les pays riches. Je crois que ce qui pose problèmes, aujourd'hui, c'est notre surconsommation. Et aujourd'hui, le moment est venu de remettre en question notre mode de consommation et notre façon de vivre. Peut-être abandonner un peu notre confort. Ce n'est pas grand chose pour nous à abandonner. Depuis que je suis arrivée, ma mission est d'expliquer ce qu'est le développement durable. Parce qu'aujourd'hui, c'est un concept d'initié, c'est plutôt théorique."
Concrètement, que nous dites-vous, aujourd'hui : d'arrêter de faire couler le robinet quand on se brosse les dents, d'éteindre toutes les lumières quand on sort d'une pièce ?
- "J'ai envie d'expliquer le développement durable par la vie quotidienne. Dans la vie quotidienne, c'est commencer par des choses simples : c'est se dire que l'eau est quelque chose de précieux. On n'en a pas l'impression aujourd'hui dans nos pays. Quand on se brosse les dents le matin, on laisse le robinet d'eau couler pendant je ne sais pas combien de minutes. Il faut avoir le réflexe d'arrêter ce robinet."
Ceux qui nous écoutent, en ce moment : arrêtez le robinet d'eau, continuez à vous brossez les dents quand même !
- "Des gestes simples comme éteindre les lumières dans les pièces où l'on n'est pas. Le fait d'arrêter son moteur quand on attend ces enfants à la sortie de l'école - ou ailleurs, peu importe. Il faut arrêter son moteur, car on est nous-mêmes responsables de la pollution de l'air, ce qu'on appelle "l'effet de serre". Il y a beaucoup de choses. L'Irlande a pris une initiative que je trouve intéressante : depuis trois mois, elle fait payer les sacs plastiques quand on fait les courses dans les supermarchés - on en a plein : on met une chose dedans et quand on arrive à la maison, on entasse les sacs - et les personnes ramènent leurs sacs quand il reviennent faire leur course. La consommation en trois mois des sacs plastiques a chuté de 90 %. Voilà des gestes simples. Cela dit, je n'oublie pas que j'ai aussi des dossiers prioritaires. Il faut remettre en cause un certain nombre de gros dossiers dans les transports, l'agriculture, l'équipement."
Un des créateurs du concept du développement durable est dans Libé, ce matin, I. Sachs, et il dit que cela doit concerner tous les ministères, tout le Gouvernement, et que lorsqu'on nomme seulement un sous-secrétaire du ministre de l'Environnement, c'est qu'on en fait la cinquième roue du carrosse ?
- "Cela participe du pessimisme. Je connais I. Sachs, c'est quelqu'un qui a beaucoup de convictions..."
Vous êtes la cinquième roue du carrosse ?
- "Non, parce que je suis la première secrétaire d'Etat au monde qui porte le sujet du développement durable en lui-même. Je ne suis pas du tout la cinquième roue du carrosse, mais j'entends être un peu le poils à gratter du Gouvernement."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 août 2002)