Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Je suis sincèrement très heureux d'avoir cette occasion de vous exprimer mes vues sur la France à la veille de l'Union économique et monétaire.
Le dialogue franco-allemand
J'ai souhaité venir à Bonn, hors de toute crise puisque la relation franco-allemande est bonne, pour dialoguer avec vous et exprimer quelques convictions. Dialoguer tout d'abord : avec des parlementaires au déjeuner, avec mon homologue T. Waigel, avec vous, chefs d'entreprises, industriels. Car c'est par le dialogue permanent que les malentendus sont levés. Cette nécessité du dialogue, je l'ai ressenti fortement dès ma prise de fonctions puisque ma première rencontre internationale fut 3 jours après ma nomination, début juin, une rencontre avec T. Waigel à Luxembourg. Je crois que ce jour-là Théo était perplexe. Il se demandait ce que je voulais exactement. Quelques jours plus tard nous nous sommes revus à Poitiers. Cette fois-ci nous avions mis plus précisément par écrit nos souhaits : renforcer la coordination économique en Europe, et tout particulièrement entre les futurs " ins " ; mettre les préoccupations d'emploi au coeur des réflexions européennes, avec la convocation pour la première fois d'un Sommet emploi.
Encore quelques jours plus tard, à Amsterdam, les Gouvernements français et allemands sont parvenus à un accord sur ces points et le Conseil Européen a donné mandat aux différents Ministres de travailler selon ces lignes. Les malentendus initiaux avaient été rapidement levés et l'axe franco-allemand relancé avec une dynamique nouvelle. Nous avons continué à travailler et à Münster le 14 octobre l'accord signé entre T. Waigel et moi est la base de la coopération renforcée entre ins qui est maintenant une idée partagée par 11 pays européens et qui va se concrétiser dans le groupe que nous appelons " Euro-X ".
Car chacun ressent bien que nous aurons besoin d'intensifier ce dialogue étroit lorsque demain nous partagerons la même monnaie avec d'autres partenaires européens. Puisque je vous ai annoncé que je venais ici pour expliquer mes vues, arrêtons-nous un instant sur ce sujet.
En termes concrets, ce que nous avons à l'esprit est un cadre permanent de concertation grâce auquel les Ministres des finances de la zone euro pourront échanger leurs points de vue, suivre ensemble la situation économique et financière de l'Union Monétaire, discuter des ajustements souhaitables, se concerter avec la banque centrale, et à l'occasion faire des déclarations communes.
Il est évident que le but de l'euro-X n'est pas de contrôler la Banque centrale. Mieux : il est fort possible qu'il participe au renforcement de son indépendance. En effet, en l'absence d'une telle organisation légitime de nature politique, la Banque centrale européenne pourrait facilement être considérée par l'opinion publique comme responsable de l'ensemble de la politique macro-économique, parce qu'elle serait en fait la seule institution européenne prenant au quotidien des décisions discrétionnaires. En l'absence d'un pôle économique, les citoyens de la zone euro seraient tentés de rendre la Banque centrale comptable de la croissance, de l'emploi, ou du chômage, alors que sa fonction est de se concentrer sur un objectif plus restreint : la stabilité des prix. L'écart entre le mandat légal de la Banque et la façon dont le public le percevrait limiterait au final sa marge de manoeuvre. C'est pourquoi, mettre l'accent sur la responsabilité collective des Ministres de l'économie et des finances de la zone euro ne peut en fait que protéger la Banque centrale européenne de pressions infondées de l'opinion publique.
J'ai bon espoir que dès Luxembourg la création de ce groupe soit décidée, afin qu'il puisse se réunir dès le mois de mai prochain.
L'euro sera notre monnaie commune le 1er janvier 1999, car nos deux économies ont complètement convergé
Les débats sur le respect à la virgule près d'un des cinq critères du Traité, une année donnée, ont heureusement disparu du débat européen. Je dis heureusement car ces débats stériles faisaient perdre de vue la dimension politique et historique de ce grand projet européen, espéré par Victor Hugo il y a plus de 140 ans.
" Une monnaie continentale, ayant pour point d'appui le capital Europe tout entier et pour moteur l'activité libre de 200 millions d'hommes. Cette monnaie unique remplacerait et résorberait toutes les absurdes variétés monétaires d'aujourd'hui, effigies de princes, figures des misères, variétés qui sont autant de causes d'appauvrissement. " (Lettre adressée le 24 février 1855 aux exilés après le coup d'État du 2 décembre).
Heureusement aussi car ce qui importe ce sont les tendances de fond de la convergence. Je suis moi-même très impressionné par la réalité de cette convergence.
Le franc et le mark sont liés entre eux par un cours-pivot au sein du SME qui n'a pas changé depuis 1987 et dont nous sommes très proches aujourd'hui sur les marchés des changes. Est-il justifié de ne pas avoir changé ce cours ?
Oui, car si vous regardez l'inflation sur 10 ans, elle a été de 25 % en France et de 26 % en RFA, soit des chiffres quasiment identiques. Si l'on regarde les anticipations d'inflation pour le futur, je constate que les taux d'intérêt à 10 ans entre la France et la RFA sont à un niveau exactement identique à 5,40 %.
Si vous trouvez que ces chiffres concernent trop la sphère monétaire, prenons l'économie réelle : la croissance de nos deux économies est rigoureusement en phase : environ 2 % en 1995, 1,5 % en 1996, 2,5 % en 1997 et nous l'espérons 3 % en 1998. C'est un phénomène qui est d'ailleurs profond et ancien car si l'on regarde sur longue période, sur 20 ans, la croissance du PIB a été identique en Allemagne de l'Ouest et en France (2 %/an). France et Allemagne auront cette année le même déficit public, peut-être à la décimale près.
Nous sommes donc bien prêts pour l'Union Économique et Monétaire. D'ailleurs, les opinions publiques ne s'y trompent pas. En France 57 % des français sont favorables à l'introduction de l'euro contre 36 % de réticents, soit un net progrès en quelques mois, et je vois avec plaisir que le même phénomène est à l'oeuvre en RFA et ailleurs en Europe.
En disant cela, je veux simplement rappeler les faits : nos deux économies sont aujourd'hui complètement intégrées, chacune étant pour l'autre le premier partenaire commercial, avec je ne peux m'empêcher de le souligner un petit excédent commercial pour la France (2 Md DM en 1996).
Je suis également heureux de voir que l'an dernier les entreprises françaises ont été les premiers investisseurs en RFA.
La spécificité française
Rappeler ceci ne me dispense pas naturellement de répondre aux questions que certains d'entre vous se posent encore sur leur principal partenaire. " Ces français qui ont désormais un cadre macro-économique aussi stable que le notre, dont l'économie est intégrée à la notre, vont-ils apporter les mêmes réponses que nous aux défis communs auxquels nous sommes confrontés : le chômage, l'avenir des systèmes de retraites, l'assainissement des finances publiques ? "
Je crois qu'en Union Monétaire, la réponse que nous devrons apporter à cette question sera double :
*une forte concertation sur le cadre macro-économique, d'où la nécessité de ce que l'on appelle " l'euro-X " ;
*la subsidiarité dans la mise en oeuvre des politiques.
Une illustration de ceci est la politique de lutte contre le chômage. Nous avons la même vision du cadre macro-économique souhaitable : stabilité des prix, déficits publics faibles ou nuls. Nous avons défini pour la première fois à Luxembourg il y a un mois des objectifs intermédiaires communs : accroître la formation professionnelle, alléger le coût du travail pour les moins qualifiés, effort en faveur des jeunes et des chômeurs de longue durée, meilleure organisation du travail.
Ces objectifs communs, à chacun de nous de les décliner selon ses besoins et la spécificité de son marché du travail.
Je veux expliquer ici notre politique concernant le passage aux 35 H qui donne lieu à beaucoup des malentendus dont je parlais tout à l'heure.
Le gouvernement français a annoncé le passage de 39 H à 35 H de la durée légale du travail au 1er janvier 2000, et au 1er janvier 2002 pour les entreprises de moins de 20 salariés.
Cette politique se justifie par le fait que compte tenu du niveau élevé du chômage (12,5 %), et de la forte croissance de l'offre de travail au cours des prochaines années (0,5 % par an), une croissance de 3 % par an, supérieure à la croissance potentielle (2,3 %), ne suffira pas à ramener à l'horizon 2001-2002 le chômage à un niveau correspondant au chômage structurel. Celui-ci serait, d'après plusieurs estimations, de l'ordre de 9 %, soit un niveau voisin du taux de chômage effectivement atteint en 1990, à la fin du dernier cycle conjoncturel. Cette forte croissance de la population active est une caractéristique de l'économie française : dans beaucoup de pays de l'Union européenne, la population active est stable ou même décroissante.
Nous constatons également qu'il existe dans notre société, traumatisée par le chômage, une aspiration forte à un partage plus équitable du travail, en même temps que des gisements d'emploi liés à des modes d'organisation trop rigides. La réduction de la durée du travail peut être une occasion de gagner en réactivité par une utilisation plus intensive des équipements (création de nouvelles équipes) ou par une adaptation plus souple de la durée du travail aux fluctuations de la demande (modulation sur l'année). Les entreprises qui ont réduit la durée du travail en ont généralement fait un levier pour des réorganisation et y ont gagné en flexibilité interne et/ou en productivité. C'est pourquoi le gouvernement a décidé d'envoyer aux entreprises et aux salariés le " signal " que constitue la réduction de la durée légale, à charge pour eux, entreprise par entreprise, d'en négocier les conditions.
Il va sans dire que ce processus ne doit pas conduire à un alourdissement du coût du travail. Ce choc asymétrique serait dommageable à l'économie française compte tenu des contraintes de l'Union monétaire. C'est pourquoi il devra s'accompagner non seulement de gains de productivité mais aussi, le Gouvernement l'a exprimé très clairement, d'un effort soutenu de modération des salaires. En outre le dispositif comporte des éléments de souplesse importants : la durée légale du travail n'a pas de caractère contraignant et les entreprises resteront libres de fixer la durée effective du travail. Le coût dépendra du barème appliqué aux heures supplémentaires, qui ne sera fixé qu'en 1999 au vu de la situation des entreprises.
Autre malentendu que je veux dissiper : l'idée selon laquelle le marché du travail français serait rigide. Je crois que contrairement aux idées reçues et grâce aux multiples réformes décidées depuis 10 ans, les entreprises peuvent gérer souplement leurs effectifs. Concrètement : le travail à temps partiel progresse et surtout les contrats à durée déterminée constitue aujourd'hui les 2/3 des embauches.
C'est sans doute ce qui explique que les investisseurs étrangers n'hésitent pas à venir en France. Au-delà du cas de Toyota annoncé ce matin, les flux d'investissements étrangers ont plus que doublé en l'espace de cinq ans. Ils se sont élevés à plus de 112 milliards de Francs en 1996, contre 49 milliards en 1990. La France se situe au quatrième rang mondial pour le montant des investissements en provenance de l'étranger, après les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni.
Au-delà de l'euro
1) Que va nous apporter l'euro, que nous n'avons pas ou plus aujourd'hui ?
a) L'euro, c'est d'abord un projet politique. En partageant leur souveraineté monétaire, la France et la RFA vont la retrouver. Le mark et à un moindre degré le franc sont aujourd'hui deux grandes monnaies internationales mais ni l'une ni l'autre ne peuvent prétendre rivaliser avec le dollar.
Demain, l'euro sera l'égal du dollar. Nos entreprises factureront leurs exportations et importations en euros. L'euro sera l'une des deux principales monnaies internationales.
L'euro c'est le retour de l'Europe comme acteur majeur de la scène internationale.
b) C'est aussi la dynamisation des échanges et des investissements : marché intérieur de 300 Ms de personnes, assurance de taux d'intérêt faibles grâce à la politique monétaire que mènera la BCE et grâce à la maîtrise des finances publiques garantie par le Pacte de stabilité et de croissance.
2) La construction européenne après l'euro
Bien sûr, l'euro ne réglera pas tous les problèmes. Je crois que beaucoup d'autres progrès devront être réalisés en matière de construction européenne. Le rapprochement des fiscalités me paraît le grand chantier suivant. Nous commençons à enclencher le processus. Lentement, car la règle de l'unanimité est une contrainte forte. Lors du dernier Conseil Ecofin le 1er décembre, un accord a été trouvé pour démanteler dans les 5 ans les régimes de concurrence déloyaux en matière de fiscalité des entreprises. Les entreprises françaises et allemandes ont en la matière les mêmes intérêts à voir disparaître les régimes exorbitants existants en Irlande et aux Pays-Bas.
J'espère que d'ici un an un accord sera également trouvé sur la fiscalité de l'épargne avec l'adoption d'une directive s'appliquant partout en Europe et fixant un niveau minimum d'imposition. On ne peut pas avoir le marché unique, la monnaie unique et le maintien de paradis fiscaux au milieu. Là encore, France et RFA partagent le même intérêt.
3) Certains essaient de voir une divergence franco-allemande sur la question de l'élargissement à l'Est de l'Union.
Je crois qu'il n'y en a guère sur le fond : nous souhaitons intégrer les pays d'Europe de l'Est aussi vite qu'il sera possible, pour des raisons tant stratégiques qu'économiques. Cependant, il se peut effectivement que nous n'ayons pas la même insistance sur les modalités de l'élargissement. Celui-ci doit renforcer l'Union Européenne et non conduire à sa dilution. C'est pourquoi nous considérons que la réforme des Institutions européennes (repondération des voix, Commission resserrée) est une priorité absolue. C'est l'intérêt des PECO d'entrer dans une Union Européenne efficace.
De même, nous ne voulons pas créer une illusion financière. Nos ressources sont contraintes. Ils nous semble sage d'indiquer dès le lancement des négociations d'élargissement le cadre financier dans lequel celui-ci devra s'inscrire, afin d'éviter une explosion du budget communautaire.
Sur ces deux points, il me semble que France et RFA sont très proches.
4) La coopération industrielle
Dans l'économie globale dans laquelle nous vivons, la construction européenne nous permet d'avoir la taille critique pour continuer à peser et à exister. Un exemple frappant est le secteur aéronautique. Face à Boeing, on voit bien qu'il n'existe qu'un concurrent possible. Je salue le processus d'intégration européenne en cours afin de transformer Airbus en une société intégrée. Je suis très heureux qu'en matière aérospatiale Daimler Benz Aerospace, Aérospatiale et British Aerospace aient manifesté leur intention de regrouper leurs activités. Ces industries sont essentielles en termes d'emploi et de développement technologique. Nos groupes doivent se regrouper pour constituer de puissants pôles européens.
Mesdames, Messieurs,
Pour conclure, je voudrais seulement dire ceci. L'euro fera notre force, j'en suis convaincu. L'euro peut être le signal du retour de la confiance en Europe que nous attendons tous et dont nous bénéficierons tous. Mais l'euro est surtout le point de départ d'une coopération européenne renforcée, et non une fin en soi. Coopération renforcée en matière de politique économique - ce sera l'euro-X ; coopération renforcée entre nos industries et services.
Sur tous ces sujets, chaque fois que des groupes français et allemands décideront de s'unir, chaque fois que les gouvernements français et allemand parleront d'une même voix, ils montreront le chemin à suivre au reste de l'Europe.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 1 août 2002)
Je suis sincèrement très heureux d'avoir cette occasion de vous exprimer mes vues sur la France à la veille de l'Union économique et monétaire.
Le dialogue franco-allemand
J'ai souhaité venir à Bonn, hors de toute crise puisque la relation franco-allemande est bonne, pour dialoguer avec vous et exprimer quelques convictions. Dialoguer tout d'abord : avec des parlementaires au déjeuner, avec mon homologue T. Waigel, avec vous, chefs d'entreprises, industriels. Car c'est par le dialogue permanent que les malentendus sont levés. Cette nécessité du dialogue, je l'ai ressenti fortement dès ma prise de fonctions puisque ma première rencontre internationale fut 3 jours après ma nomination, début juin, une rencontre avec T. Waigel à Luxembourg. Je crois que ce jour-là Théo était perplexe. Il se demandait ce que je voulais exactement. Quelques jours plus tard nous nous sommes revus à Poitiers. Cette fois-ci nous avions mis plus précisément par écrit nos souhaits : renforcer la coordination économique en Europe, et tout particulièrement entre les futurs " ins " ; mettre les préoccupations d'emploi au coeur des réflexions européennes, avec la convocation pour la première fois d'un Sommet emploi.
Encore quelques jours plus tard, à Amsterdam, les Gouvernements français et allemands sont parvenus à un accord sur ces points et le Conseil Européen a donné mandat aux différents Ministres de travailler selon ces lignes. Les malentendus initiaux avaient été rapidement levés et l'axe franco-allemand relancé avec une dynamique nouvelle. Nous avons continué à travailler et à Münster le 14 octobre l'accord signé entre T. Waigel et moi est la base de la coopération renforcée entre ins qui est maintenant une idée partagée par 11 pays européens et qui va se concrétiser dans le groupe que nous appelons " Euro-X ".
Car chacun ressent bien que nous aurons besoin d'intensifier ce dialogue étroit lorsque demain nous partagerons la même monnaie avec d'autres partenaires européens. Puisque je vous ai annoncé que je venais ici pour expliquer mes vues, arrêtons-nous un instant sur ce sujet.
En termes concrets, ce que nous avons à l'esprit est un cadre permanent de concertation grâce auquel les Ministres des finances de la zone euro pourront échanger leurs points de vue, suivre ensemble la situation économique et financière de l'Union Monétaire, discuter des ajustements souhaitables, se concerter avec la banque centrale, et à l'occasion faire des déclarations communes.
Il est évident que le but de l'euro-X n'est pas de contrôler la Banque centrale. Mieux : il est fort possible qu'il participe au renforcement de son indépendance. En effet, en l'absence d'une telle organisation légitime de nature politique, la Banque centrale européenne pourrait facilement être considérée par l'opinion publique comme responsable de l'ensemble de la politique macro-économique, parce qu'elle serait en fait la seule institution européenne prenant au quotidien des décisions discrétionnaires. En l'absence d'un pôle économique, les citoyens de la zone euro seraient tentés de rendre la Banque centrale comptable de la croissance, de l'emploi, ou du chômage, alors que sa fonction est de se concentrer sur un objectif plus restreint : la stabilité des prix. L'écart entre le mandat légal de la Banque et la façon dont le public le percevrait limiterait au final sa marge de manoeuvre. C'est pourquoi, mettre l'accent sur la responsabilité collective des Ministres de l'économie et des finances de la zone euro ne peut en fait que protéger la Banque centrale européenne de pressions infondées de l'opinion publique.
J'ai bon espoir que dès Luxembourg la création de ce groupe soit décidée, afin qu'il puisse se réunir dès le mois de mai prochain.
L'euro sera notre monnaie commune le 1er janvier 1999, car nos deux économies ont complètement convergé
Les débats sur le respect à la virgule près d'un des cinq critères du Traité, une année donnée, ont heureusement disparu du débat européen. Je dis heureusement car ces débats stériles faisaient perdre de vue la dimension politique et historique de ce grand projet européen, espéré par Victor Hugo il y a plus de 140 ans.
" Une monnaie continentale, ayant pour point d'appui le capital Europe tout entier et pour moteur l'activité libre de 200 millions d'hommes. Cette monnaie unique remplacerait et résorberait toutes les absurdes variétés monétaires d'aujourd'hui, effigies de princes, figures des misères, variétés qui sont autant de causes d'appauvrissement. " (Lettre adressée le 24 février 1855 aux exilés après le coup d'État du 2 décembre).
Heureusement aussi car ce qui importe ce sont les tendances de fond de la convergence. Je suis moi-même très impressionné par la réalité de cette convergence.
Le franc et le mark sont liés entre eux par un cours-pivot au sein du SME qui n'a pas changé depuis 1987 et dont nous sommes très proches aujourd'hui sur les marchés des changes. Est-il justifié de ne pas avoir changé ce cours ?
Oui, car si vous regardez l'inflation sur 10 ans, elle a été de 25 % en France et de 26 % en RFA, soit des chiffres quasiment identiques. Si l'on regarde les anticipations d'inflation pour le futur, je constate que les taux d'intérêt à 10 ans entre la France et la RFA sont à un niveau exactement identique à 5,40 %.
Si vous trouvez que ces chiffres concernent trop la sphère monétaire, prenons l'économie réelle : la croissance de nos deux économies est rigoureusement en phase : environ 2 % en 1995, 1,5 % en 1996, 2,5 % en 1997 et nous l'espérons 3 % en 1998. C'est un phénomène qui est d'ailleurs profond et ancien car si l'on regarde sur longue période, sur 20 ans, la croissance du PIB a été identique en Allemagne de l'Ouest et en France (2 %/an). France et Allemagne auront cette année le même déficit public, peut-être à la décimale près.
Nous sommes donc bien prêts pour l'Union Économique et Monétaire. D'ailleurs, les opinions publiques ne s'y trompent pas. En France 57 % des français sont favorables à l'introduction de l'euro contre 36 % de réticents, soit un net progrès en quelques mois, et je vois avec plaisir que le même phénomène est à l'oeuvre en RFA et ailleurs en Europe.
En disant cela, je veux simplement rappeler les faits : nos deux économies sont aujourd'hui complètement intégrées, chacune étant pour l'autre le premier partenaire commercial, avec je ne peux m'empêcher de le souligner un petit excédent commercial pour la France (2 Md DM en 1996).
Je suis également heureux de voir que l'an dernier les entreprises françaises ont été les premiers investisseurs en RFA.
La spécificité française
Rappeler ceci ne me dispense pas naturellement de répondre aux questions que certains d'entre vous se posent encore sur leur principal partenaire. " Ces français qui ont désormais un cadre macro-économique aussi stable que le notre, dont l'économie est intégrée à la notre, vont-ils apporter les mêmes réponses que nous aux défis communs auxquels nous sommes confrontés : le chômage, l'avenir des systèmes de retraites, l'assainissement des finances publiques ? "
Je crois qu'en Union Monétaire, la réponse que nous devrons apporter à cette question sera double :
*une forte concertation sur le cadre macro-économique, d'où la nécessité de ce que l'on appelle " l'euro-X " ;
*la subsidiarité dans la mise en oeuvre des politiques.
Une illustration de ceci est la politique de lutte contre le chômage. Nous avons la même vision du cadre macro-économique souhaitable : stabilité des prix, déficits publics faibles ou nuls. Nous avons défini pour la première fois à Luxembourg il y a un mois des objectifs intermédiaires communs : accroître la formation professionnelle, alléger le coût du travail pour les moins qualifiés, effort en faveur des jeunes et des chômeurs de longue durée, meilleure organisation du travail.
Ces objectifs communs, à chacun de nous de les décliner selon ses besoins et la spécificité de son marché du travail.
Je veux expliquer ici notre politique concernant le passage aux 35 H qui donne lieu à beaucoup des malentendus dont je parlais tout à l'heure.
Le gouvernement français a annoncé le passage de 39 H à 35 H de la durée légale du travail au 1er janvier 2000, et au 1er janvier 2002 pour les entreprises de moins de 20 salariés.
Cette politique se justifie par le fait que compte tenu du niveau élevé du chômage (12,5 %), et de la forte croissance de l'offre de travail au cours des prochaines années (0,5 % par an), une croissance de 3 % par an, supérieure à la croissance potentielle (2,3 %), ne suffira pas à ramener à l'horizon 2001-2002 le chômage à un niveau correspondant au chômage structurel. Celui-ci serait, d'après plusieurs estimations, de l'ordre de 9 %, soit un niveau voisin du taux de chômage effectivement atteint en 1990, à la fin du dernier cycle conjoncturel. Cette forte croissance de la population active est une caractéristique de l'économie française : dans beaucoup de pays de l'Union européenne, la population active est stable ou même décroissante.
Nous constatons également qu'il existe dans notre société, traumatisée par le chômage, une aspiration forte à un partage plus équitable du travail, en même temps que des gisements d'emploi liés à des modes d'organisation trop rigides. La réduction de la durée du travail peut être une occasion de gagner en réactivité par une utilisation plus intensive des équipements (création de nouvelles équipes) ou par une adaptation plus souple de la durée du travail aux fluctuations de la demande (modulation sur l'année). Les entreprises qui ont réduit la durée du travail en ont généralement fait un levier pour des réorganisation et y ont gagné en flexibilité interne et/ou en productivité. C'est pourquoi le gouvernement a décidé d'envoyer aux entreprises et aux salariés le " signal " que constitue la réduction de la durée légale, à charge pour eux, entreprise par entreprise, d'en négocier les conditions.
Il va sans dire que ce processus ne doit pas conduire à un alourdissement du coût du travail. Ce choc asymétrique serait dommageable à l'économie française compte tenu des contraintes de l'Union monétaire. C'est pourquoi il devra s'accompagner non seulement de gains de productivité mais aussi, le Gouvernement l'a exprimé très clairement, d'un effort soutenu de modération des salaires. En outre le dispositif comporte des éléments de souplesse importants : la durée légale du travail n'a pas de caractère contraignant et les entreprises resteront libres de fixer la durée effective du travail. Le coût dépendra du barème appliqué aux heures supplémentaires, qui ne sera fixé qu'en 1999 au vu de la situation des entreprises.
Autre malentendu que je veux dissiper : l'idée selon laquelle le marché du travail français serait rigide. Je crois que contrairement aux idées reçues et grâce aux multiples réformes décidées depuis 10 ans, les entreprises peuvent gérer souplement leurs effectifs. Concrètement : le travail à temps partiel progresse et surtout les contrats à durée déterminée constitue aujourd'hui les 2/3 des embauches.
C'est sans doute ce qui explique que les investisseurs étrangers n'hésitent pas à venir en France. Au-delà du cas de Toyota annoncé ce matin, les flux d'investissements étrangers ont plus que doublé en l'espace de cinq ans. Ils se sont élevés à plus de 112 milliards de Francs en 1996, contre 49 milliards en 1990. La France se situe au quatrième rang mondial pour le montant des investissements en provenance de l'étranger, après les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni.
Au-delà de l'euro
1) Que va nous apporter l'euro, que nous n'avons pas ou plus aujourd'hui ?
a) L'euro, c'est d'abord un projet politique. En partageant leur souveraineté monétaire, la France et la RFA vont la retrouver. Le mark et à un moindre degré le franc sont aujourd'hui deux grandes monnaies internationales mais ni l'une ni l'autre ne peuvent prétendre rivaliser avec le dollar.
Demain, l'euro sera l'égal du dollar. Nos entreprises factureront leurs exportations et importations en euros. L'euro sera l'une des deux principales monnaies internationales.
L'euro c'est le retour de l'Europe comme acteur majeur de la scène internationale.
b) C'est aussi la dynamisation des échanges et des investissements : marché intérieur de 300 Ms de personnes, assurance de taux d'intérêt faibles grâce à la politique monétaire que mènera la BCE et grâce à la maîtrise des finances publiques garantie par le Pacte de stabilité et de croissance.
2) La construction européenne après l'euro
Bien sûr, l'euro ne réglera pas tous les problèmes. Je crois que beaucoup d'autres progrès devront être réalisés en matière de construction européenne. Le rapprochement des fiscalités me paraît le grand chantier suivant. Nous commençons à enclencher le processus. Lentement, car la règle de l'unanimité est une contrainte forte. Lors du dernier Conseil Ecofin le 1er décembre, un accord a été trouvé pour démanteler dans les 5 ans les régimes de concurrence déloyaux en matière de fiscalité des entreprises. Les entreprises françaises et allemandes ont en la matière les mêmes intérêts à voir disparaître les régimes exorbitants existants en Irlande et aux Pays-Bas.
J'espère que d'ici un an un accord sera également trouvé sur la fiscalité de l'épargne avec l'adoption d'une directive s'appliquant partout en Europe et fixant un niveau minimum d'imposition. On ne peut pas avoir le marché unique, la monnaie unique et le maintien de paradis fiscaux au milieu. Là encore, France et RFA partagent le même intérêt.
3) Certains essaient de voir une divergence franco-allemande sur la question de l'élargissement à l'Est de l'Union.
Je crois qu'il n'y en a guère sur le fond : nous souhaitons intégrer les pays d'Europe de l'Est aussi vite qu'il sera possible, pour des raisons tant stratégiques qu'économiques. Cependant, il se peut effectivement que nous n'ayons pas la même insistance sur les modalités de l'élargissement. Celui-ci doit renforcer l'Union Européenne et non conduire à sa dilution. C'est pourquoi nous considérons que la réforme des Institutions européennes (repondération des voix, Commission resserrée) est une priorité absolue. C'est l'intérêt des PECO d'entrer dans une Union Européenne efficace.
De même, nous ne voulons pas créer une illusion financière. Nos ressources sont contraintes. Ils nous semble sage d'indiquer dès le lancement des négociations d'élargissement le cadre financier dans lequel celui-ci devra s'inscrire, afin d'éviter une explosion du budget communautaire.
Sur ces deux points, il me semble que France et RFA sont très proches.
4) La coopération industrielle
Dans l'économie globale dans laquelle nous vivons, la construction européenne nous permet d'avoir la taille critique pour continuer à peser et à exister. Un exemple frappant est le secteur aéronautique. Face à Boeing, on voit bien qu'il n'existe qu'un concurrent possible. Je salue le processus d'intégration européenne en cours afin de transformer Airbus en une société intégrée. Je suis très heureux qu'en matière aérospatiale Daimler Benz Aerospace, Aérospatiale et British Aerospace aient manifesté leur intention de regrouper leurs activités. Ces industries sont essentielles en termes d'emploi et de développement technologique. Nos groupes doivent se regrouper pour constituer de puissants pôles européens.
Mesdames, Messieurs,
Pour conclure, je voudrais seulement dire ceci. L'euro fera notre force, j'en suis convaincu. L'euro peut être le signal du retour de la confiance en Europe que nous attendons tous et dont nous bénéficierons tous. Mais l'euro est surtout le point de départ d'une coopération européenne renforcée, et non une fin en soi. Coopération renforcée en matière de politique économique - ce sera l'euro-X ; coopération renforcée entre nos industries et services.
Sur tous ces sujets, chaque fois que des groupes français et allemands décideront de s'unir, chaque fois que les gouvernements français et allemand parleront d'une même voix, ils montreront le chemin à suivre au reste de l'Europe.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 1 août 2002)