Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF à France-Inter le 3 novembre 1999, sur le projet de "constitution sociale" proposé par le MEDEF avec les syndicats, sur les relations du travail, la protection sociale et le dialogue avec les partenaires sociaux.

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Média : France Inter

Texte intégral

STEPHANE PAOLI : La nouvelle constitution sociale que le MEDEF propose de mettre en chantier avec les syndicats, première actualisation des relations sociales depuis l'après-guerre, bien au-delà du seul cadre des 35 heures, déborde-t-elle le gouvernement au moment où son ministre le plus libéral, Dominique Strauss-Kahn, vient de présenter sa démission ? Invité de " Questions directes ", Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF. Bonjour.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bonjour.
STEPHANE PAOLI : Regretterez-vous le pragmatisme, le réalisme de Dominique Strauss-Kahn ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est-à-dire que nous, nous attendons de tous les ministres de la République qu'ils aient une bonne écoute de l'entreprise, qu'ils comprennent ses problèmes et que nous ayons avec lui ou elle de bonnes relations de travail.
STEPHANE PAOLI : Mais alors, vous dites lui ou elle. C'est drôle, parce que l'on dit beaucoup que c'est Dominique Strauss-Kahn qui a fait reculer le gouvernement sur la question de l'Unedic, le financement par l'Unedic d'une partie des 35 heures.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, le gouvernement, c'est le gouvernement de monsieur Jospin. C'est lui qui fixe la loi, fixe la règle et c'est lui qui tranche. Il peut y avoir des débats internes, mais enfin, nous, nous voyions quand même en DSK quelqu'un qui était parfaitement solidaire de la politique des 35 heures que nous réprouvons, quelqu'un qui a mis en place pour l'entreprise environ 25 milliards d'impôts nouveaux. Donc, son départ, en ce qui nous concerne, ne change pas grand-chose. Sur le plan international, je crois qu'il est exact qu'il avait pris une place remarquée et remarquable, compte tenu de ses talents et ses dons personnels et sa très grande compétence. Il avait du poids donc sur la scène internationale, ce n'est pas tellement facile d'en obtenir. Mais son départ et les circonstances de son départ ne sont pas favorables à l'image économique de la France.
STEPHANE PAOLI : Quand monsieur Kessler dit qu'il lui conserve son amitié, vous, vous dites au fond que ça ne change rien, même si au sein du gouvernement, par rapport à Martine Aubry, par rapport aux communistes, par rapport aux Verts, il était quand même probablement un modérateur.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, très honnêtement, nous n'avons pas vu qu'il l'emporte dans les différents débats où il est intervenu. La ligne que Jospin a fixée pour la politique de la France a été appliquée. Et encore une fois, nous ne pouvons pas, nous, trancher de la nature des débats qui ont lieu au sein du gouvernement.
STEPHANE PAOLI : Alors, quel hasard ! Mais d'ailleurs, est-ce vraiment le hasard ? Oui, évidemment, c'est le hasard, mais au moment où il annonce sa démission hier, vous, vous annoncez une grande opération du MEDEF qui est, au fond, la proposition d'une nouvelle constitution sociale, exactement à la même heure, midi tapante !
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, et c'est en effet une coïncidence. Cela dit, nous avions décidé de prendre notre temps pour réagir aux projets du gouvernement de renoncer à frapper les caisses sociales pour les 35 heures. Nous avons regardé de très près ce qui a été fait. Et nous avons considéré que le compte n'y était pas. C'est-à-dire qu'il y avait un tour de passe-passe et que le gouvernement gardait à la fois l'intention et les moyens juridiques de prélever dans les caisses des chômeurs, les caisses des assurés sociaux, l'argent nécessaire pour financer, comme le dit madame Aubry, le jardinage et le bricolage du temps libre des 35 heures. Alors, nous avons décidé de poser très clairement nos conditions. Oui, nous resterons dans le système social à condition qu'on renonce définitivement à cette volonté de prendre dans les caisses. Et en même temps, nous avons - et quoi de plus naturel - dit : écoutez, regardez le système social français, il fonctionne de plus en plus mal. Ce que l'on appelle le paritarisme est usé jusqu'à la corde. L'Etat a tout envahi et les 35 heures en sont un exemple particulièrement révélateur. Donc, nous disons aux syndicats, qui sont nos partenaires naturels avec lesquels nous gérons actuellement, ou nous sommes supposés gérer : mettons-nous ensemble et essayons, avec un vrai recul, pour le XXIème siècle, pour l'Europe qui se met en place, de modifier profondément la manière dont nous faisons fonctionner le système social français. Et bien entendu, dans le respect total de ceux qui doivent être protégés des risques.
STEPHANE PAOLI : LE MONDE écrivait hier - est-ce que c'est trop ? - la " sainte alliance du patronat avec les syndicats, sur le dos du gouvernement ".
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, vous savez, le gouvernement a pris l'initiative de lancer la loi, le règlement et l'Etat dans un domaine qui était le nôtre, celui des relations de travail, de l'organisation du travail dans les entreprises. Les syndicats d'ailleurs se sont laissés faire, ils ont trouvé que c'était pas mal cette affaire, et nous avons, de ce fait, complètement perdu le terrain. Aujourd'hui, l'Etat est totalement envahissant dans les domaines qui sont les nôtres. Ce que nous proposons aux syndicats - et je crois que d'ailleurs ils ont une écoute assez intéressée à notre proposition -, c'est de reconquérir le domaine des syndicats et des entrepreneurs pour faire en sorte que l'Etat recule. L'Etat n'a rien à faire, excusez-moi de le dire, dans la définition du temps de travail pour le casse-croûte et le temps d'habillage et de déshabillage dans les entreprises.
STEPHANE PAOLI : Alors, bon, la nouvelle constitution sociale, c'est un chantier énorme parce que, en fait, ça prend en compte quoi ? Les relations du travail, la protection sociale, l'indemnisation du chômage, les CDD, les contrats précaires, l'évolution des technologies et des comportements et j'en passe. C'est presque un programme politique.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, ce n'est absolument pas un problème politique, c'est un programme...
STEPHANE PAOLI : Peut-être la modernisation que ça peut entraîner aussi...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Disons qu'il est certainement de notre intérêt à nous, syndicats et entrepreneurs, d'être capables de définir la manière dont doit fonctionner une société pour que ses entreprises, c'est-à-dire en fait l'emploi et l'expansion, soient, dans une compétition qui va devenir de plus de plus rude, capables de s'imposer. Et donc, nous essayons, encore une fois très légitimement, de reconquérir le domaine qui doit être le nôtre. C'est peut-être un peu tardif, on aurait dû peut-être le faire le plus tôt, les circonstances s'y prêtaient mal. Là, nous avons une ouverture. L'Etat, madame Aubry, a fait probablement une erreur en disant : je vais prendre l'argent des 35 heures dans les caisses. Les syndicats ont été totalement d'accord avec nous pour dire : écoutez, ça, il ne faut pas le faire, ce n'est pas possible. Et, à partir de là, nous disons : écoutez, constatons les uns et les autres que l'Etat est beaucoup trop fort et beaucoup trop envahissant dans le domaine qui est le nôtre, mettons-nous ensemble et essayons de reconquérir. C'est tout-à-fait légitime, c'est certainement complexe, mais à notre avis, il était légitime et c'était le moment de le faire.
STEPHANE PAOLI : Mais vous la citez souvent madame Aubry. Est-ce que, est-ce que Ca apparaît presque un peu comme un combat singulier ce qui vous oppose à elle sur les questions des 35 heures. C'est vraiment une vision du monde, là, qui s'oppose.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, écoutez, enfin combat singulier, c'est grotesque. Les ministres passent...
STEPHANE PAOLI : Ah, souvent quand même...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Les ministres passent, les présidents du MEDEF passent, ce qui reste, c'est l'entreprise, l'emploi et la nécessité de faire réussir le pays. Et donc, nous avons, nous, en vue, de contribuer lourdement à rénover le système social. Bien entendu, si l'Etat, lui, dit : moi, je ne cède rien et que les conditions élémentaires que nous avons mises pour commencer cet exercice de réussir ne se mettent pas en place, alors, nous quitterons les organisations sociales et ce sera l'étatisation. Etatisation qui, à sa manière, posera le même problème : comment fait-on réussir un système social ?
STEPHANE PAOLI : Alors, vous voyez bien quand même qu'il y a un rapport de forces qui joue. Peut-être avez-vous entendu Brigitte Jeanperrin ce matin qui, dans sa chronique, disait : le MEDEF passe d'une guerre de position à une guerre de mouvement.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, ce n'est pas du tout une guerre, au contraire, c'est vouloir faire la paix, c'est-à-dire sortir de la guerre en permettant aux partenaires sociaux de retrouver leur terrain, n'est-ce pas. Nous sommes une organisation non partisane, nous sommes une organisation de terrain, notre préoccupation, c'est de faire fonctionner les entreprises dans le meilleur environnement possible. L'environnement social n'est pas clair. Encore une fois, le rôle de l'Etat y est trop fort. Le positionnement entre ce qui doit être fait au niveau de la profession, au niveau de l'interprofession, au niveau de l'entreprise est également très confus. Tout ceci mérite une clarification comme on dit. Et nous la demandons. Et nous la proposons. Si on la refuse, eh bien advienne que pourra. Ce sera probablement en effet l'étatisation.
STEPHANE PAOLI : N'empêche que vous occupez un champ - et pardonnez-moi d'insister là-dessus -, mais laissé vacant par l'espace politique. Ce que vous proposez, cette grande constitution sociale, c'est en réalité une grande proposition politique au sens le plus large du mot : comment vivons-nous ensemble dans la cité ? Est-ce que vous occupez, au fond, la place laissée libre par l'opposition là ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, nous sommes dans notre domaine. C'est-à-dire, en fait, nous nous occupons des questions économiques et sociales liées à l'entreprise. Nous n'en sortons jamais. Et je me donne énormément de mal pour essayer de lutter contre une tendance naturelle et au fond assez sotte qui consiste à dire : le MEDEF fait de la politique. C'est absolument pas vrai. Nous sommes dans notre responsabilité de définir en commun avec les partenaires sociaux et d'indiquer clairement les voies de la réussite. Que les entrepreneurs, d'ailleurs, soient, eux, frustrés à force d'avoir été bousculés, vous les avez vu à la Porte de Versailles, ils étaient une trentaine de milliers, ils sont très mobilisés et ils nous demandent en effet à nous, MEDEF, d'occuper largement le terrain pour faire valoir leurs positions. Ca, c'est tout-à-fait exact. Mais ça n'est en rien une prise de position partisane. Il appartient aux partis politiques de faire leur travail, de se faire élire, de se faire installer au pouvoir, ce n'est pas notre affaire. C'est clair. Mais personne ne comprendrait que, dans le domaine qui est le nôtre, nous ne disons pas clairement ce que nous souhaitons.
STEPHANE PAOLI : S'agissant de cette constitution sociale à laquelle vous souhaitez réfléchir avec les syndicats, existe-t-il pour vous des modèles en Europe ? Est-ce que, par exemple, vous pensez à ce qui se passe en Allemagne, voire ce qui se passe aux Pays-Bas, où, en effet, ici et là, on a quand même su mieux organiser les rapports entre l'entreprise, les syndicats et le gouvernement ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, si vous voulez, nous avons, en effet, en vue des modèles sociaux autour de nous où l'Etat n'essaye pas de se substituer aux partenaires sociaux, mais essaye de les engager et de faciliter leur dialogue. C'est une attitude qui n'est absolument pas celle de l'Etat en France, quelle que soit, encore une fois, la couleur politique, qui, d'une manière générale, veut dominer et soumettre et commander et ordonner. Donc, nos modèles à nous, ce sont des modèles dans lesquels l'Etat se met en position de favoriser la naissance et la renaissance d'un vrai dialogue social qui soit positif, qui soit d'initiatives et qui contribue à la mise en place de choses modernes, efficaces, et si besoin est, nouvelles. Et nous avons donc en vue que ce dialogue social reprenne sa force. C'est de la part du MEDEF une attitude constante. Et je dois dire que, depuis deux ans, nous sommes tétanisés par la puissance de la loi, notamment sur le domaine des 35 heures qui nous a totalement cassé les bras en ce qui concerne la possibilité d'un dialogue social. Que voulez-vous faire quand le règlement et l'Etat veut tout faire ?
STEPHANE PAOLI : Alors, certains disent ce matin : poigne de fer contre le gouvernement, main de velours avec les syndicats. Quelle serait l'attitude du MEDEF ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : De toute façon, si nous pouvons éviter d'être vus comme une main de fer dans un gant de crin, ce sera tout bénéfice. Mais nous avons, bien entendu, à discuter entre nous, à nous ouvrir. Probablement en effet est-ce nécessaire dans une société qui évolue à toute allure. Rappelez-vous l'euro et Internet qui vont modifier prodigieusement notre société dans l'espace de 5 à 10 ans. Le patronat comme on disait hier, les entrepreneurs comme nous le disons, doivent jouer un rôle majeur de propositions pour faire en sorte que notre pays, dans cette nouvelle circonstance historique, trouve pleinement sa place et sa réussite.
STEPHANE PAOLI : Merci Ernest-Antoine Seillière.
(source http://www.medef.fr, le 9 février 2001)