Déclaration à la presse de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur la politique commerciale de l'Union européenne, le projet d'adhésion de la Turquie, la situation en Albanie, et la proposition française de donner à l'OSCE la mission d'organiser les élections en Serbie, Bruxelles le 24 mars 1997.

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Circonstance : Conseil affaires générales à Bruxelles (Belgique) le 24 mars 1997

Texte intégral

Nous avons parlé des questions intéressant la politique commerciale de l'Union européenne. La France a proposé ce que nous appellerions une pause active en ce qui concerne les projets de zone de libre échange dont la Commission est, je le sais bien, friande. Il semble en effet qu'il faut poursuivre les négociations en cours et que pour le reste, il convient de faire ce qui a été prévu, c'est-à-dire donner la priorité au multilatéralisme, de veiller à ce que la politique commerciale de l'Union n'affecte pas nos politiques communes, ni nos relations avec les pays tiers avec lesquels nous avons des accords préférentiels. Pour le reste, il vaut mieux y regarder à deux fois.

On progresse, certes difficilement, mais on progresse quand même. Un certain nombre de questions significatives sont à l'ordre du jour.

Je voudrais vous dire un mot sur la Turquie, puisque après nos échanges de vues informels, nous allons aujourd'hui, je l'espère, avancer sur la question de nos relations avec la Turquie. Je vais me borner à confirmer ce que j'ai dit. Je vais le redire ici où nous avons des décisions à prendre. La France considère que la Turquie a vocation à adhérer à l'Union européenne. Cette vocation européenne de la Turquie doit être aujourd'hui réaffirmée, confirmée, comme un acte politique fort vis-à-vis du peuple turc et vis-à-vis de son gouvernement. Il faut en déduire des actes pratiques s'il est vrai que la Turquie a vocation à adhérer à l'Union européenne, il va de soi que c'est selon les mêmes critères objectifs applicables aux autres et que tout ceux-ci ne pourront pas être remplis du jour au lendemain. Mais, il est clair que cette vocation doit être exprimée de façon forte et compréhensive. Nous en déduisons que du point de vue français, la Turquie devrait figurer sur ce que l'on appelle "la photo de famille", à Luxembourg et participer, selon des modalités qui peuvent être discutées si certains le souhaitent, à la Conférence européenne que la France a proposée.

Désormais, je crois que l'on peut considérer que nos collègues de l'Union européenne ont accepté son principe. Vous savez qu'elle va faire l'objet maintenant de discussions et de travaux entre nous pour donner un corps précis agréés par les Quinze à ce projet de conférence. La France estime que la Turquie devrait participer à cette Conférence européenne comme pays ayant vocation à adhérer à l'Union. Notre langage est donc clair. J'espère que nous pourrons le faire valoir.

Nous parlerons aussi de l'Albanie. Je voudrais rappeler la position française. Nous pensons que la crise albanaise appelle une intervention européenne. Le peuple albanais doit être aidé dans la solution de cette crise, à la fois sur le plan humanitaire avec une aide exceptionnelle et urgente, ensuite pour la reconstruction économique et financière, avec l'aide du FMI et de la Banque mondiale, pour porter remède à une crise qui a commencé par l'effondrement de son système économique et financier. Sur le plan politique et administratif, il faut aider ce pays à reconstituer son organisation territoriale et ses institutions politiques. Enfin, un dispositif de sécurisation peut s'avérer nécessaire pour accompagner cette action.

Nous avons proposé que l'Europe désigne un administrateur général dont la vocation serait d'animer l'équipe amenée à s'installer sur place pour remplir sa mission. Voilà donc le volet politique administratif financier et humanitaire. Il s'agit là d'une responsabilité de l'Europe. C'est à l'Union européenne de la prendre en charge, sous sa seule responsabilité. Nous allons célébrer demain le 40ème anniversaire du Traité de Rome. Il a marqué le début de notre Histoire européenne. Il serait assez désolant que l'accord ne se fasse pas. Pour que l'Europe assume pleinement ses responsabilités, 350 millions d'Européens plutôt riches doivent avoir à coeur de venir en aide à 3 millions d'Européens extrêmement pauvres.

S'agissant du volet électoral, puisqu'il a été en effet prévue des élections législatives, il semble que cette fonction revient traditionnellement à l'OSCE dont c'est la vocation. Elle l'a fait en Yougoslavie. Il serait bien qu'elle en assume la responsabilité en Albanie.

Enfin, s'agissant de la sécurisation, dès lors qu'elle apparaîtrait nécessaire, elle ne pourrait venir que d'un groupe d'Etats volontaires, dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité. La France n'engagera pas d'intervention qui ne serait pas dans le cadre d'un mandat international clair. Ceci sous réserve, la France est disponible, étant précisé comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, qu'il ne s'agit pas pour cette force d'aller maintenir l'ordre en Albanie. Il s'agit de deux choses : d'abord, par une assistance technique, d'aider la police et l'armée albanaise à se reconstituer, à se réorganiser, à redémarrer ; d'autre part, il s'agit, le cas échéant, de sécuriser par exemple des livraisons d'aide alimentaire ou la mission de l'Union européenne à Tirana, peut-être à l'aéroport. Par conséquent, il faut envisager une force de sécurisation qui, si elle est décidée, devra être de configuration limitée.
Voilà les points les plus importants sur lesquels il y a des décisions à prendre. J'aurai l'occasion de rendre compte à mes collègues à propos de l'ex-Yougoslavie de la visite de M. Milutinovic ministre des Affaires étrangères yougoslave à Paris le 17 mars dernier. Je rappellerai ce que je lui ai dit : la France souhaite que la Serbie confie à l'OSCE la mission d'organiser le processus électoral prévu - les élections législatives - incluant des dispositions propres à assurer l'égalité d'accès aux médias des candidats, la surveillance, le contrôle et l'observation des élections, des dispositions de caractère législatif intéressant les financements de ces élections, et enfin, le dialogue politique qui devrait s'organiser sous l'égide de l'OSCE entre l'opposition et le gouvernement.

J'ai par ailleurs demandé à M. Milutinovic de faire en sorte que le gouvernement serbe accepte l'envoi au Kosovo d'une antenne de l'Union européenne dans les mêmes conditions que cela a été fait pour le gouvernement américain. Enfin, je l'ai pressé de différer la ratification de l'accord passé entre la République Sprska et la République fédérale de Yougoslavie. Force est de constater qu'au moins sur ce point, mes paroles n'ont pas été entendues. Cet accord a été ratifié dans les heures qui ont suivies notre conversation. Depuis lors, M. Bildt qui a la charge, selon les accords de Paris, d'approuver de tels accords, vient de faire savoir que, selon lui, il n'y avait pas de compatibilité entre le texte de l'accord signé et les accords de Paris. J'espère que l'Union prendra des positions conformes aux voeux de la France.

Q - S'agissant de la Serbie, qu'attendez-vous ?
R - C'était une réunion informelle, par conséquent, nous n'y avons pas pris de décision. Certes, les convergences sont apparues mais nous n'avons pas pris de décision. Je souhaiterais que cette position, qui est la position de la France mais aussi celle d'autres Etats membres, soit confirmée aujourd'hui, qu'à la discussion informelle succède une position officielle.

Q - Etes-vous favorable à la tenue du Conseil d'association avec la Turquie ?
R - Bien entendu, il faut que ce Conseil d'association ait lieu. Il faut que les obstacles qui subsistent sur le plan financier soit levé, et j'espère qu'ils le seront.

Q - (Sur le processus de paix au Proche-Orient)
R - Oui, nous allons certainement en parler. J'exposerai la position française même si c'est la position européenne. D'un côté, il y a eu la position israélienne qui constitue un obstacle au processus de paix qui a été réprouvé par la communauté internationale dans des termes unanimes. Avec les déclarations américaines du président Clinton, il y a une très étroite similitude. Ensuite, il y a eu ce drame, un attentat dramatique de Tel Aviv. Je peux vous confirmer ici que la France condamne sans la moindre réserve le terrorisme sous toutes ces formes. Cet attentat particulièrement odieux, loin de faire progresser les choses, rend encore plus difficile la réussite du processus de paix qui aujourd'hui hélas est bien mal engagé.

Q - La Commission dit que la France a assoupli ses positions sur les accords commerciaux. Qu'en est-il ?

R - Je suis content que la Commission voie d'un oeil plus favorable les positions françaises. Elles n'ont pas évoluées. Je vais répéter quel est notre objectif ; nous avons des discussions en cours avec l'Afrique du Sud et avec le Mexique. Il faut naturellement les poursuivre. Nous n'avons pas de problème particulier avec aucun de ces deux pays dans les négociations en cours. Il n'est donc pas question d'arrêter. Au contraire, je souhaite très vivement que ces négociations débouchent dans les meilleurs délais. L'établissement de relations très étroites, dans tous les domaines, y compris dans le domaine économique avec le Mexique et l'Afrique du Sud sont pour la France des priorités.

Il n'en demeure pas moins qu'il ne nous faut pas ouvrir de nouveaux terrains de négociations pour de nouvelles zones de libre échange. Je crois d'ailleurs qu'il y a une certaine contradiction entre une démarche multilatérale, celle de l'Organisation mondiale du Commerce qui a pris les décisions que l'on connaît, somme toute positives, à Singapour il y a quelques mois, et puis la multiplication d'accords partiels, d'accords géographiques limités. Il faut agir dans une démarche commerciale ouverte. La position de la France est donc toujours la même. J'observe souvent que l'on donne de la France une image fausse. Puisque vous me posez la question, je voudrais redire ici clairement que la France n'est pas un pays protectionniste. Notre pays joue sans réserve la carte du commerce extérieur et des échanges mondiaux. Dans un pays qui est le quatrième exportateur du monde, le deuxième exportateur par tête d'habitant, le deuxième exportateur de services du monde, le premier exportateur de produits agricoles, pourquoi est-ce qu'un pays comme celui-là aurait une attitude fermée et repliée sur lui-même ? Nous sommes ouverts.

Franchement, nous pensons aussi que l'Europe doit être capable, dans cette grande partie mondiale qui s'organise, de défendre ses intérêts comme grand ensemble régional, le premier du monde en terme de produit intérieur brut, le plus ouvert du monde, contrairement à la légende, le premier marché international du monde. Ceci intéresse donc tous nos partenaires, asiatiques, américains, les pays d'Amérique latine, que sais-je ? Nous avons à défendre nos intérêts en commun dans les instances internationales. Nous pensons qu'il faut un peu de fermeté. Nous sommes des partisans très ardents du développement des échanges mondiaux car nous pensons que c'est l'intérêt européen et que c'est l'intérêt français. C'est ainsi que l'on défend le mieux nos emplois, mais il ne faut pas non plus avoir une attitude faiblarde.

Q - (Sur la ratification de l'accord d'association Union européenne - Israël et sur l'envoi d'une force de sécurisation en Albanie)

R -Sur le premier point, je pense que la ratification de l'accord d'association entre Israël et l'Union européenne doit être poursuivie selon le règlement prévu.

Je vais à la deuxième question. J'ai exposé que nous étions tout à fait ouverts à l'idée d'une force de sécurisation, d'effectifs limités et dont la vocation serait à la fois d'apporter une assistance à la reconstitution de l'armée et de la police albanaises et aussi de sécuriser certains éléments et en particulier la mission européenne dont je souhaite qu'elle se rende rapidement à Tirana.

Q - Que pensez-vous des déclarations de M. Eltsine sur l'adhésion de la Russie à l'Union européenne ?

R - On ne peut pas parler de demande formulée. J'ai trouvé que c'était une façon brillante, appelant votre attention de la part du président Eltsine pour montrer à quel point la Russie s'est définitivement orientée vers l'économie de marché et combien elle entendait prendre sa part au développement de l'Europe.

Q - (Sur l'envoi d'une force de sécurisation en Albanie)
R - Je pense que ce serait plutôt des spécialistes, des militaires. Dans un premier temps, il a régné sur ce sujet une grande confusion. J'ai même entendu un parlementaire français de l'Assemblée qui demandait à la fois de rembourser les épargnants albanais et de confier à l'armée française d'aller chercher les armes dans les villes et les villages.

J'ai dit très clairement que nous ne ferions ni l'un ni l'autre. Aider l'Albanie à se reconstruire oui, d'ailleurs l'Europe a déjà dépensé beaucoup d'argent pour l'Albanie. Il n'a peut-être pas été directement dirigé dans les moments les plus utiles, sinon, l'Albanie irait mieux. En ce qui concerne le retour de la sécurité et de l'ordre, le dépôt des armes dans les garnisons, ceci relève des responsables et des autorités albanaises. Mais sécuriser un espace sur le port de Durrës pour que l'aide alimentaire puisse aboutir, sécuriser la mission européenne pour qu'elle s'installe le plus vite possible, peut-être sécuriser l'aéroport, je pense bien que cela puisse être utile. La France serait disposée, pour autant qu'elle ne soit pas la seule bien entendu, à participer à un groupe d'Etats volontaires pour le faire. Notez bien que la France ne serait pas d'accord pour qu'une fois de plus, on dise que c'est l'Europe qui paye et ce sont les autres qui commandent. Voilà, dire les choses clairement et carrément.

Q - Est-ce que la Turquie a vocation à adhérer à l'Union européenne ?
R - Nous ne sommes pas là pour faire une conférence de science politique. S'agissant de la Turquie, il a été évoqué dans l'accord que nous avons passé entre l'Europe et la Turquie en 1963. Il y a un texte et je demande simplement que les Européens respectent leur parole.

Q - Qu'attendez-vous concrètement de la réunion de la CIG à Rome ?
R - Ce que j'attends de concret ? Beaucoup de choses. L'Europe aujourd'hui est eurosceptique, c'est la dernière mode qui court. Le trajet accompli en 40 ans est un trajet formidable. Nous entrons c'est vrai dans une phase nouvelle et j'aborde cette phase nouvelle non pas avec des pieds de plomb mais avec un enthousiasme intact. Nous avons de grandes choses à faire ensemble entre Européens. Si nous nous réunissons à quinze pour ce quarantième anniversaire, je crois que c'est le moment pour les opinions publiques européennes de mesurer ce qui a été fait. Nous avons bien entendu d'interminables débats mais c'est un trajet tout à fait remarquable. Cela doit nous encourager à aller de l'avant et à continuer avec un optimisme européen. Pour être très concret, nous allons demain, en dehors du bon repas et des discours, travailler sur la Conférence intergouvernementale, poursuivre nos travaux, comme vous le savez, la France attache une importance particulière aux questions institutionnelles. Nous allons en profiter pour dire que je trouve que la présidence néerlandaise a fait un gros travail, qu'elle a pris à bras le corps cette négociation qui a commencé de façon un peu traînarde et qui, maintenant à trouvée son rythme.

Je suis sûr que si nous travaillons de cette façon-là, nous avons de bonnes perspectives de parvenir à un accord à Amsterdam au mois de juin prochain. Il reste des problèmes à résoudre, il en reste beaucoup ; j'attends toujours un texte sur les institutions puisque c'est pour nous la question principale. Néanmoins, je suis très sensible aux progrès déjà accomplis et je voudrais saluer le travail accompli par M. Van Mierlo au cours de ces dernières semaines
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 20001)