Interview de M. Philippe Douste-Blazy, secrétaire général de l'UMP, à France 2 le 4 septembre 2002, sur la préparation du congrès de l'UMP en novembre, les différents courants de la droite, les relations avec l'UDF, la consultation des partenaires sociaux et la commémoration de l'explosion de l'usine AZF à Toulouse.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard - Les cadres de l'UMP se sont réunis, hier soir, pour mettre la dernière main à ce nouveau grand parti de la droite. Vous avez annoncé qu'avec A. Juppé et J.-C. Gaudin, vous alliez former un ticket pour prendre la direction de ce mouvement. Est-ce que vous lui avez trouvé un nom à ce nouveau parti ?
- "Nous voulons avec A. Juppé que ce parti soit le plus démocratique et le plus décentralisé possible. 15 millions de personnes n'ont pas voté aux dernières élections. Il faut donc entraîner au maximum nos concitoyens vers ce parti. Nous souhaitons que ce parti soit le plus rassembleur possible, qu'il soit le plus moderne possible. Nous allons présenter le nom et le logo au prochain congrès, c'est-à-dire le 17 novembre. Ce congrès sera fondateur. Cette réunion s'est passée dans un climat très constructif, très amical, très serein. Pourquoi ? Parce que nous sommes le parti le plus rassembleur de France aujourd'hui. C'est un grand parti de centre-droit et de droite, qui nous manquait depuis longtemps pour soutenir le Gouvernement. Maintenant que les élections sont passées, il faut passer à autre chose : à l'action."
Vous disiez "soutenir le Gouvernement". Le risque évidemment, c'est que cela devienne ce que cela a été dans le passé, le "parti des godillots", comme on disait. Comment allez vous faire pour ne pas tomber dans cette dérive ? Est-ce que vous allez aiguillonner le Gouvernement ou est-ce que vous allez toujours dire "oui" à ce qu'il fait ?
- "Nous avons présenté hier un projet de statuts, dans lequel il y aura des sensibilités, des mouvements qui permettront le débat. Il est normal qu'il y en ait qui préfèrent baisser l'impôt sur le revenu, d'autres qui vont parler de la baisse des charges, d'autres qui parleront plus d'Europe, d'autres qui seront plus libéraux, d'autres qui seront plus sociaux. C'est à partir d'un grand parti comme celui-là - comme il en existe en Allemagne avec la CDU, comme il en existe en Espagne avec J.-M. Aznar et le Parti populaire espagnol, comme il en existe en Italie -, qu'il y aura un débat et ensuite, qu'il y aura une action mesurée et constructive."
Les courants dans un parti de droite, c'est assez nouveau ?
- "Il faudra s'y habituer. Il n'y aura pas d'ambitions personnelles. Je dis à ceux qui nous regardent, à ceux qui veulent participer - qui se sentent de notre sensibilité - à la vie citoyenne, il faut une démocratie de proximité dans les départements, dans les circonscriptions et aussi une démocratie apaisée. Mais il est normal qu'il y ait un débat politique dans la vie politique française."
Votre ami F. Bayrou, qui était avec vous au sein de l'UDF, lui, ne veut pas aller dans l'UMP et dit que ce grand parti risque de tout écraser sur son passage. Est-ce qu'il exagère ou est-ce que c'est vraiment un risque ?
- "La question est de savoir pourquoi on fait un parti politique. On ne fait pas un parti politique pour se présenter à une élection. On fait un parti politique pour d'abord défendre ses idées. Quelles sont les idées de l'UDF, du RPR et de DL ? Depuis très longtemps maintenant, il s'agit de la construction européenne, de ce qu'on appelle l'économie sociale de marché - on est contre la société du "tout fric" et contre la société communiste - et vouloir rapprocher l'homme politique du citoyen, c'est-à-dire la décentralisation, augmenter les libertés locales. Voilà les trois grands enjeux pour demain : l'Europe, la décentralisation et l'économie sociale de marché. Là-dessus, nous sommes tous d'accord."
Sauf Bayrou...
- "Sur le fond, tous les militants de l'UDF sont d'accord sur cela. Alors, pourquoi ne pas venir dans l'UMP, venir au contraire affirmer ses valeurs et ensuite être majoritaire ? C'est cela qui est important. C'est le débat. Pour être courageux dans la vie politique française, il faut au contraire se frotter dans un grand parti, pour s'affirmer et pour faire valoir ses idées. C'est comme cela d'ailleurs que les Allemands, les Italiens et les Espagnols font. Ils sont au pouvoir et j'espère pour les Allemands que cela se fera très vite."
Je ne sais pas si vous avez lu la presse de ce matin, mais beaucoup de spécialistes disent que, finalement, ce grand parti de droite, c'est finalement une "rampe de lancement" pour qu'A. Juppé soit candidat à l'élection présidentielle de 2007 ?
- "A. Juppé sera un excellent président de ce parti. Lui-même a dit, hier, qu'il y a un quinquennat et que nous en sommes au début de mandat. Nous sortons des élections présidentielles. De grâce, ne nous faîtes pas rentrer dans une nouvelle élection présidentielle tout de suite. Je suis persuadé qu'il sera élu président. Je suis persuadé que ce sera un très grand président démocrate, écoutant les autres et respectueux des autres. On a vraiment le temps pour cela. Il y aura probablement des échéances et un calendrier : tous les deux ans ou tous les trois ans, nous aurons à voter pour un nouveau président, une nouvelle équipe, un nouveau secrétaire général et un nouveau vice-président."
Un mot sur l'action du Gouvernement. F. Fillon consulte les partenaires sociaux et on a un peu l'impression qu'il est empêtré : ni les syndicats ni le patronat ne sont contents ? Est-ce qu'il y aurait fallu s'y prendre autrement ?
- "La question importante est la croissance. On voit bien que la croissance américaine peine à redémarrer. On nous parle d'une croissance entre 2 et 2,5 %. Il faut faire en fonction de cette croissance. Le premier problème est celui de l'investissement, non seulement de productivité mais aussi de capacité. Comment fait-on pour faire repartir les entreprises ? En diminuant l'impôt sur les sociétés. Deuxièmement, comment fait-on pour faire repartir la consommation ? En augmentant le pouvoir d'achat des Français. Il faut plus d'argent dans les poches."
Il faut augmenter les salaires ?
- "Cela veut dire qu'il faut, en effet, baisser l'impôt sur le revenu mais aussi, vous avez raison, augmenter le salaire direct de ceux qui gagnent peu. C'est-à-dire baisser les charges sociales pour ceux qui gagnent entre 1 et 1,7 fois le Smic. Enfin, troisièmement, il faut évidemment - et c'est la chose la plus importante - baisser les charges patronales, parce que comme le Gouvernement - et F. Fillon en particulier - a voulu harmoniser les Smics, cela va augmenter le coût du travail, et il faut donc baisser les charges patronales."
Vous êtes aussi maire de Toulouse. On va arriver au premier anniversaire de la catastrophe d'AZF. Est-ce qu'aujourd'hui, tous les cas individuels ont été réglés ?
- "95 % dans le parc social qui dépend de la mairie ont leur menuiserie, leurs fenêtres. Nous sommes en train de faire les 5 %. Mais je voudrais défendre une proposition de loi, un an après cette catastrophe : il faut que dans des cas pareils, lorsque des catastrophes industrielles sont aussi importantes que cela, l'Etat immédiatement puisse de manière exceptionnelle indemniser, reloger immédiatement les sinistrés et ensuite se retourner vers les assurances. Ce qui me fait peur, c'est le temps qui a été perdu. Je dirais que tout le monde a joué le jeu, y compris les assureurs, mais il n'y avait au début que sept experts pour 100.000 sinistres déclarés. Comment voulez-vous que sept experts soient efficaces par rapport à 100.000 sinistres ? Il y en a eu, ensuite, 100, 200 experts. On voit maintenant qu'il en aurait fallu 300 ou 400 tout de suite. Il faut que l'Etat prenne tout de suite la mesure et ensuite se retourne vers les assurances."
En un mot : il faut que l'ensemble du pôle chimique ferme à Toulouse ?
- "Il faut surtout, après une catastrophe comme nous l'avons connue, s'assurer que les dangers dans une entreprises soient vraiment limités au périmètre de l'usine. Comment voulez-vous que je reconstruise des écoles primaires à 800 mètres de l'usine, si je sais qu'il peut encore y avoir un risque ? Je préfère alors ne pas les reconstruire évidemment. C'est ce que nous faisons actuellement, avec le préfet de région et avec le Gouvernement, pour s'assurer qu'il n'y aura plus de danger en dehors de l'usine et évidemment, les plus petits possibles à l'intérieur de l'usine pour les salariés."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 septembre 2002)