Déclaration de M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, sur la mise en place du groupe de travail sur l'absentéisme scolaire, Paris le 1er octobre 2002.

Prononcé le 1er octobre 2002

Intervenant(s) : 

Circonstance : Lancement du groupe de travail sur l'aide aux familles afin de remédier aux manquements à l'obligation scolaire à Paris le 1er octobre 2002

Texte intégral

Le hasard a voulu que nous soyons rassemblés exactement 120 ans après que fut posé le principe dont vous vous attacherez à défendre l'application. C'est en effet une loi du 28 mars 1882 qui évoque pour la première fois l'obligation scolaire. L'année précédente la loi Jules Ferry du 16 juin 1881 avait posé le principe de la gratuité de l'enseignement public. Gratuité et obligation : nous avons là réunis deux piliers de l'école de la République, une école ouverte et accessible à tous, mais une école, également, obligatoire pour tous. L'obligation scolaire est donc au fondement du pacte passé entre nation et son école. C'est dire l'importance de votre mission mais aussi la difficulté de la réflexion qui vous est confiée.
Nous sommes tous ici convaincus que le devoir de fréquenter l'école constitue plus une chance qu'une charge, qu'il fait pendant au droit à l'éducation, qu'il en est l'indispensable corollaire. Si nous sommes réunis, c'est que néanmoins cette évidence ne va, semble-t-il, plus de soi. Cent vingt ans après avoir été posé, le principe de l'obligation scolaire reste d' une application délicate. Les causes de l'absentéisme ont changé, le phénomène demeure.
Hier, l'école obligatoire arrachait les petits paysans au travail de la terre. Elle soustrayait de nombreux enfants à la nécessité économique. Dans un monde où les destins étaient scellés très tôt, l'école était synonyme de liberté. La scolarisation permettait d'échapper aux déterminations sociales. Elle était au moins perçue comme telle. Aujourd'hui l'école est de plus en plus souvent présentée et ressentie comme une contrainte, un enfermement, comme un obstacle à l'épanouissement des jeunes qui doivent la fréquenter, une entrave à leur liberté.
Le regard des familles et des élèves sur l'école a changé. Les enseignants et les responsables d'établissement se trouvent souvent démunis face à des phénomènes de " zapping scolaire ". Ils nous signalent des cas d'élèves qui se permettent de choisir les cours auxquels ils assistent et qui n'hésitent pas à s'abstenir de passer tel ou tel examen pour ménager leur moyenne comme s'ils disposaient d'une sorte de " joker ", d'un " droit à l'absence ". Cette violation délibérée d'un principe essentiel n'est pas la moins inquiétante des multiples causes de l'absentéisme. Il en est bien d'autres dont les professionnels de l'éducation signalent depuis longtemps les ravages, sans pouvoir toujours aller contre. Nous savons en effet que les difficultés familiales, la précarité ou encore les erreurs d'orientation augmentent fortement le " risque d'absentéisme ".
Il nous faut donc rappeler l'enjeu de l'obligation et de l'assiduité scolaires, à savoir, au-delà du respect de la règle, l'acquisition des savoirs et la socialisation des jeunes dans le cadre de certaines règles de " vivre ensemble " élémentaires qui sont les missions essentielles de l'institution scolaire.
La sanction de l'absentéisme doit être à la hauteur de l'enjeu du respect de l'obligation scolaire. La renforcer, ce n'est pas privilégier la répression sur le dialogue avec les élèves et les familles, comme on a pu le lire ici et là. C'est au contraire réaffirmer qu'un enfant absent de sa classe est condamné à l'échec, que cette situation n'est par conséquent pas acceptable et qu'il faut tout mettre en oeuvre pour l'éviter.
On a voulu faire croire que nous comptions remédier au problème par la répression, quand nous ne faisons que souligner la nécessité d'une véritable prévention de l'échec scolaire auquel mène immanquablement l'absentéisme.
Le fait que soient ici réunis les membres du gouvernement compétents en matière de sécurité, d'éducation et de famille montre bien que nous entendons agir de manière solidaire et complémentaire, chacun dans le cadre des attributions qui sont les nôtres.
La sanction de l'absentéisme a une double fonction : symbolique, parce qu'elle rappelle le sens profond de l'obligation, et pratique, dans la mesure où elle permet de traiter les cas extrêmes et forcément très minoritaires d'absentéisme répété et injustifié. Mais ce n'est qu'un aspect des choses. L'Éducation nationale doit, pour sa part, traiter le problème dans toute son ampleur, sa diversité et - hélas - sa banalité. Sa mission est triple : elle consiste à contrôler le respect de l'assiduité, à nouer le dialogue avec les familles et enfin, plus fondamentalement, à lutter contre le désintérêt, le désamour des enfants pour l'école.
A cet égard, la lutte contre l'absentéisme rejoint une de nos priorités : la lutte contre l'échec scolaire de ces quelques 150 000 élèves qui quittent chaque année notre système éducatif sans qualification. Ces jeunes - les enseignants et les proviseurs de collèges le savent bien - ne disparaissent pas du jour au lendemain. Ils ont généralement commencé par " manquer " quelques cours. Ils ont ensuite été absents pendant quelques jours. Ils se sont enfin trouvé dans l'impossibilité de suivre les cours auxquels ils assistaient et de participer aux évaluations. En un mot, ces jeunes ont décroché. C'est pourquoi nous devons faire en sorte de leur proposer des parcours qui soient suffisamment diversifiés pour qu'ils aient envie de revenir au collège.
Défiance à l'égard de l'école, manque d'intérêt pour le savoir, décrochage scolaire : ces phénomènes justifient pour le moins de mettre à jour sans tarder nos connaissances et d'approfondir notre réflexion sur l'absentéisme. La moindre de vos tâches ne sera pas de collecter et d'ordonner les informations utiles sur les multiples facteurs, les formes et l'ampleur d'un phénomène complexe. L'indigence des chiffres disponibles montre à quel point nos prédécesseurs ont négligé ce problème. Il n'est pas trop tard pour nous en saisir.


(Source http://www.social.gouv.fr/famille-enfance, le10 octobre 2002)