Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur la francophonie comme projet politique, notamment au travers de l'Agence de la francophonie et les enjeux diplomatiques de la langue française dans la préparation du sommet de Hanoi.

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Circonstance : Inauguration de l'école internationale de la francophonie, Bordeaux le 24 janvier 1997

Texte intégral

L'inauguration des nouveaux locaux de l'école de l'Agence de la francophonie est pour moi un très grand plaisir.

Il y a quelques mois à peine, Monsieur le Secrétaire général, vous me faisiez part de l'obligation dans laquelle vous vous trouviez de quitter le site que vous occupiez depuis 1972 à Talence. L'école qui y était implantée a fait un travail remarquable en formant plusieurs générations de cadres francophones, mais vous souhaitiez l'adapter aux évolutions de notre temps en lui confiant un rôle particulier dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication.

Vous aviez donc besoin de nouveaux locaux mais vous ne vouliez pas quitter la région bordelaise - ce que je comprends fort bien - tant de liens s'étant noués au fil des ans. Pour la ville de Bordeaux, accueillir un établissement important de l'Agence de la Francophonie était, à de multiples égards, un symbole éclatant de sa très vieille tradition d'ouverture internationale, et de son ambition de l'affirmer plus encore.

C'est un honneur aussi, comme l'atteste le souvenir des illustres visiteurs qui sont venus sur place apprécier la formation qui était dispensée, depuis Charles Hélou, qui avait inauguré l'école, jusqu'à Léopold Sedar Senghor, le père de la Francophonie, accueilli à Talence en 1980.

Les choses ont été menées rondement grâce à la coopération efficace et chaleureuse de l'Agence et des services municipaux. Vous avez pu, dans les délais fixés, trouvé ce site central - la place des Quinconces est à deux pas - qui permet à l'école de s'installer au coeur de la ville, comme vous le souhaitiez.

Je ne sais d'ailleurs s'il n'y a qu'une simple coïncidence dans le fait que l'école, après 25 ans passés dans les murs d'un couvent, s'installe au siège d'une ancienne banque. Ne devons-nous pas y voir le signe du passage d'une Francophonie contemplative à une Francophonie pleinement engagée dans les défis et les combats du XXIème siècle ?

Mais voilà en tout cas l'Agence chez elle, dans des locaux parfaitement adaptés aux missions nouvelles qu'elle entend assumer.
Toutefois, le plaisir que j'éprouve aujourd'hui ne se limite pas à la satisfaction de voir s'installer à Bordeaux un nouvel organisme à caractère international.

Il s'agit d'abord de la Francophonie, qui, chacun le sait, représente l'une des priorités du président de la République et du gouvernement.

La Francophonie, pour la France, ce n'est pas la nostalgie d'une époque révolue, au cours de laquelle notre langue régnait sans partage dans les cours royales et dans les salons. Ce n'est pas davantage un cénacle consacré aux belles lettres et aux grands classiques de la littérature.

Certes nous sommes fiers de notre patrimoine littéraire. Nous sommes conscients de la fécondité extraordinaire de notre langue, qui a donné naissance à des littératures francophones originales, vigoureuses et créatives.

Mais la Francophonie, c'est d'abord un projet politique, au sens le plus noble du terme, et c'est une idée neuve.

Il y a fort peu de temps - si l'on considère bien les choses -, que les pays ayant le français en partage ont pris conscience de la nécessité de créer entre eux un lien permanent.

L'Agence de la Francophonie, qui s'appelait il y a peu l'Agence de coopération culturelle et technique, a été le pionnier de cette nouvelle ambition. Mais elle n'a été créée, je le rappelle, qu'en 1970.

C'est là que commence la coopération francophone intergouvernementale Seize ans plus tard, en 1986, intervient un second épisode décisif dans la construction de la communauté francophone, avec le premier Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement.

Dans quelques mois, à Hanoï, la Francophonie politique atteindra l'âge de la maturité.

Pour la première fois les chefs d'Etat et de gouvernement désigneront un Secrétaire général de la Francophonie qui, tout en étant le plus haut responsable de l'Agence, sera sur la scène internationale le porte-parole et l'animateur de notre communauté.

Que peuvent bien avoir en commun les 49 membres du club francophone - et qui seront bientôt plus de 50 -, si l'on tient compte des nouvelles candidatures qui s'expriment ?

Peu de choses apparemment, si l'on se contente des critères objectifs que sont la localisation géographique, la démographie, ou la richesse relative des pays membres. La Francophonie est présente partout dans le monde, sous toutes les latitudes. Et elle ne correspond assurément pas à un modèle politique économique et social uniforme.

Pourtant, les francophones éprouvent de plus en plus fortement la nécessité et la solidité de ce qui les unit. Ils prennent conscience, surtout, que les valeurs qu'ils ont en commun sont l'une des réponses pertinentes aux défis que nous avons à relever pour assurer le nouvel équilibre du monde.

Je ne saurais mieux l'exprimer qu'en citant le président de la République, Jacques Chirac, qui s'exprimait il y a quelques jours seulement à Budapest - la Hongrie n'appartient pourtant pas à la Francophonie - devant plusieurs milliers de jeunes Hongrois francophones enthousiastes : "la Francophonie a vocation à appeler toutes les autres langues du monde à se rassembler pour faire en sorte que la diversité culturelle, qui résulte de la diversité linguistique, soit sauvegardée.

Au-delà du français, au-delà de la Francophonie, il nous faut être les militants du multiculturalisme dans le monde pour lutter contre l'étouffement, par une langue unique, des diverses cultures qui font la richesse et la dignité de l'humanité".

Oui, la Francophonie est bien au coeur de l'un des principaux enjeux diplomatiques de notre temps. Et le respect de la diversité linguistique et culturelle est la première condition à remplir pour permettre l'avènement d'une organisation réellement multipolaire du monde, sans laquelle la libre-circulation des idées, des images, des marchandises et des capitaux ne serait qu'un leurre guère plus satisfaisant que les hégémonies manichéennes d'antan.

Voilà pourquoi la France attache tant de prix à ce que l'on appelle volontiers l'exception culturelle".

Voilà pourquoi il nous paraît indispensable que la Francophonie s'affirme désormais comme un acteur à part entière sur la scène internationale.

Il faut bien l'avouer, la Francophonie a aussi une tradition gauloise. Certes on est unis sur l'essentiel. Mais l'on ne résiste pas toujours au plaisir de se chamailler sur l'accessoire.

Eh bien, j'ai plaisir à souligner que depuis le Sommet de Cotonou la ligne de crête de notre nouvelle ambition francophone a été suivie sans défaillance.

Il y a à peine plus d'un mois, à Marrakech, la Conférence ministérielle francophone a adopté la Charte amendée de l'Agence, qui prend le beau nom de Charte de la Francophonie. Avec ce texte, notre communauté dispose désormais de sa constitution.

Je sais, Monsieur le Secrétaire général, la part personnelle que vous avez prise dans la réforme des institutions francophones. Mme Margie Sudre m'a dit le rôle que vous avez joué pour créer et maintenir le climat de confiance sans lequel rien n'aurait été possible.

A la fin de l'année, vous quitterez les fonctions de Secrétaire général de l'Agence que vous assumez depuis huit ans. Depuis plusieurs mois vous vous attachez à adapter l'organisation de l'Agence au cadre nouveau créé par la réforme institutionnelle. La transformation de l'Ecole de Bordeaux est l'un des aspects concrets de cette adaptation conduite sous votre impulsion.

Je souhaite donc très simplement, Monsieur le Secrétaire général, vous rendre aujourd'hui un hommage amical et chaleureux pour l'action que vous avez menée au service d'une Francophonie moderne, ouverte et dynamique.

J'ai le sentiment de me faire ainsi l'interprète de toutes celles et de tous ceux qui sont venus ici nombreux pour cette inauguration. Je voudrais particulièrement saluer les ambassadeurs et les représentants personnels des chefs d'Etat et de gouvernement et les remercier de manifester par leur présence l'attachement qu'ils portent à l'Ecole internationale de la Francophonie.

Les réunions francophones se caractérisent toujours par une exceptionnelle atmosphère de convivialité, de complicité et d'amitié. Je vous redis toute la joie que j'ai à partager aujourd'hui ces moments avec vous, en vous accueillant à Bordeaux.

Il y a cinq ans, en fêtant avec vous le 20ème anniversaire de l'Ecole, M. Jacques Chaban-Delmas s'était exclamé : "Je me sens africain". Permettez-moi de vous dire combien, moi, je me sens francophone.

Longue vie à l'Ecole internationale de Bordeaux, et vive la Francophonie !.
5Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 août 2002)