Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureuse de participer à un moment de ce séminaire qui représente pour moi l'ouverture d'un chantier important, et c'est d'ailleurs pourquoi je n'ai pas souhaité céder à l'académisme habituel qui veut qu'un ministre ouvre ou clôture un débat.
L'objet, les objets devrais-je dire, de cette rencontre professionnelle appartiennent d'abord à ceux et celles qui, à Paris, en banlieue, en région, mais aussi ailleurs en Europe, de façon instituée ou précaire, foraine ou fixe, inventent de nouvelles formes esthétiques, de nouvelles pratiques culturelles ou artistiques, de nouvelles relations avec la population.
Je suis là ce matin parmi vous, parce que ce séminaire, je l'ai voulu, et je remercie ceux et celles - en premier lieu Bernard Latarjet et son équipe qui nous accueillent pendant ces deux journées - qui en ont bâti la trame et, naturellement, chaque porteur d'expérience qui a bien voulu distraire de son temps pour participer à cette réflexion collective.
J'ai voulu ce séminaire car je m'aperçois à l'occasion de mes déplacements, ou à la lecture de la presse comme de divers supports de communication, que quelque chose émerge dans ce pays, qui vient marquer une nouvelle étape de son développement culturel.
Ce quelque chose ce sont des entreprises fort diverses, développées dans des espaces matériels et symboliques conquis souvent de haute lutte, conduites par des animateurs qui ont au moins en commun, la volonté de rapprocher l'initiative culturelle et artistique de tant d'hommes, de femmes, de jeunes qui n'y ont pas accès. Souvent, en leur faisant d'abord prendre conscience, qu'ils sont, par leur histoire individuelle ou collective, par leurs pratiques, des producteurs de culture.
Vous êtes, dans votre diversité, représentatifs de ce quelque chose, que l'on hésite à nommer, (nouvelles pratiques, formes émergentes, alternatives culturelles...), tant parfois les mots sont piégés, appartiennent ou se réfèrent à une histoire, un propos, un projet, qui ne sont pas les vôtres.
Je viens d'évoquer une nouvelle étape pour le développement culturel. Je voudrais commenter un instant cette problématique.
Pus de 50 ans de développement culturel dans notre pays ont été caractérisés, pour l'essentiel par une réponse publique, productrice de normes, à des besoins perçus par chaque responsable du moment. On doit à Jeanne Laurent et à Jacques Duhamel, l'initiative et la relance des centres dramatiques, à Malraux les maisons de la culture, à Jack Lang, entre autres, les FRAC et les centres d'art, ou encore à Marcel Landowski les orchestres de région.
Je ne veux, bien sûr, pas dire que chaque élément de l'un ou l'autre de ces réseaux est identique aux autres. La diversité est heureusement venue de ce qu'en ont fait les hommes et les femmes qui ont présidé ou président, à leur destinée, de l'ancrage de leur action à des territoires.
Mais les pouvoirs publics ont toujours privilégié, par souci d'afficher des critères clairs, l'introduction, de modèles, donnant lieu à la production d'une série limitée, parfois revue à la baisse pour raisons budgétaires (Malraux ne voulait-il pas une maison de la culture par département ?) et qui ont au cours du temps concouru à rigidifier leur intervention.
Avec les scènes de musique actuelles que j'ai tenu à développer et que j'ai trouvées encore embryonnaires à mon arrivée rue de Valois, un tournant a été amorcé car sous le même label se trouvent regroupées des initiatives et des histoires fort différentes. Si tous ces lieux accueillent ou produisent des groupes de musique, défendent leur travail auprès d'un public, certains, il y en a ici représentés, développent une activité pluridisciplinaire qui associe musique et arts visuels, musique et chorégraphie, musique et théâtre, musique et appropriation de l'espace urbain. Les uns relèvent d'une gestion désintéressée, les autres d'une stratégie plus commerciale. Et cette diversité de profils ne nuit pas, bien au contraire, au développement de l'action.
Je veux que cette approche normative qui fut jusqu'ici la règle, et dont on mesure aujourd'hui succès et limites puisse être accompagnée d'une autre, qui épouse l'initiative singulière, celle d'artistes ou d'acteurs culturels, d'individus ou de collectifs.
Ce que je désigne comme nouvelle étape du développement culturel, c'est la capacité récente d'artistes et d'acteurs culturels à mener à bien leur entreprise. dans un rapport renouvelé à l'argent public.
Je pense en particulier à ceux et celles d'entre vous qui, en dépit des obstacles et des difficultés financières, en l'absence de toute reconnaissance préalable ont investi des lieux, souvent des friches, pour leur donner une seconde vie, en instaurant une relation forte entre proposition artistique et population environnante.
Il ne m'a pas échappé que le travail de proximité est pour vous toujours essentiel. J'observe aussi que c'est souvent, après que vous ayez atteint un certain stade de développement, qu'interviennent les soutiens publics nécessaires à la pérennité de votre action.
Je constate également que vos entreprises sont toujours fondées sur l'échange, la circulation des oeuvres, des expériences, des idées, le partage des moyens.
Tout cela, je l'ai repéré, je voulais que vous le sachiez, et aussi, que j'accorde la plus grande importance à ces mille et une façons dont vous témoignez ici, de travailler autrement, de produire différemment des oeuvres elles aussi différentes, d'inscrire votre démarche dans la cité, de vous regrouper de façon affinitaire.
Deux opportunités nous sont offertes pour avancer ensemble :
l'existence et la pertinence avérée de vos entreprises, d'une part et d'autre part ma définition de ce que doit être une mission de service public. Fondée sur la démocratisation de la culture elle peut être dévolue, sur une base contractuelle, à quiconque, entreprise ou réseau, qui répond aux objectifs de renouvellement de la création, comme des publics, de formation et d'accompagnement des parcours artistiques émergents.
Je ne doute pas que les conditions soient aujourd'hui réunies pour que nous nous rencontrions. Vous qui, par votre action, avez créé les conditions de votre reconnaissance, qui souvent avez entrepris sans la certitude d'un lendemain, et moi, Ministre de la culture et de la communication, qui veut donner davantage encore d'espaces, pour exister, aux pratiques culturelles et artistiques dans ce pays.
Je garde en mémoire un peu comme un fil rouge pour mon action, ce que déclarait Maurice Fleuret alors directeur de la musique et de la danse, en 1985, dans sa lettre ouverte, en réponse aux intellectuels, " victimes de la contre culture ", pour défendre sa démarche d'ouverture et de soutien à la diversité.
" Quoi , objecterez-vous, cette orgie de décibels, ces borborygmes et ces trémoussements, quand Mozart et Rimbaud peuvent ouvrir en nous tant de champs merveilleux et nous donner pour toujours un surcroît de conscience ! Mais il y a confusion. Vous parlez d'objets d'art là où je parle d'objets de fonction. Vous réduisez la culture à une collection d'oeuvres admirables et justement admirées là où je vois en plus un ensemble très vaste de comportements et de phénomènes, représentatifs d'une société à un moment donné ".
Je crois que Maurice Fleuret aurait été curieux des échanges qui auront eu lieu, ici, pendant ces deux jours.
J'attends de ce séminaire qu'il contribue à mieux éclairer vos démarches, y compris en les confrontant à celles d'artistes et d'acteurs d'autres pays européens.
J'attends sans doute aussi plus de lisibilité de cet essentiel qui vous rapproche, tant m'apparaît grande, à la lecture de la liste des présents, la disparité de vos situations.
Je ne doute pas que vous ayez à coeur d'éclairer, le rôle que tient le lieu où vous ancrez votre travail, votre façon de l'habiter, de le faire vivre, de l'ouvrir à l'extérieur. Ou, pour ceux et celles qui en sont dépourvus, que leur activité les en dispense, ou qu'ils en soient privés, de préciser les conditions dans lesquelles ils exercent.
J'attends enfin, non sur le mode de la pression financière à laquelle j'ai dû m'habituer depuis que je suis arrivée rue de Valois, des suggestions mûrement débattues comme des fulgurances jaillies de l'instant qui servent le renouvellement de la politique publique en matière culturelle.
J'ai à ce propos deux convictions,
- la première est que cette politique culturelle doit s'appuyer sur des institutions, mais aussi sur des initiatives viables, créées en dehors d'elle,
- la seconde est qu'il appartient aux pouvoirs constitués de vérifier que les institutions qu'ils ont fait naître répondent toujours aux nécessités de notre temps.
Par ce que vous faites, ce que vous êtes, vous m'aidez à anticiper, pour préparer, dans le respect de la différence des nations et des peuples, une action publique concertée à l'échelle de l'Europe.
Vous savez que bientôt ce sera, à nouveau, le tour de la France d'assurer la présidence de l'Union. Je souhaite, pour ma part, défendre le principe d'un programme européen réservant des moyens pour soutenir les nouvelles formes et les nouvelles pratiques culturelles et artistiques.
Je souhaite que les travaux de ce séminaire portant sur les Conditions de l'Expérience, que les rencontres professionnelles qui, je n'en doute pas, en découleront, apportent leur contribution à la formulation de ce programme.
En voyant comment se restructure l'espace urbain, à la suite des conversions économiques qu'a connues et que connaît l'Europe, comment en particulier, se trouvent laissées en déshérence des architectures industrielles ou d'habitat, en connaissant la charge symbolique dont elles sont souvent porteuses, et en ayant en mémoire de magnifiques remises en vie par des collectifs d'artistes de ce type d'édifices, je m'interroge sur la pertinence de développer dans ce programme, un volet que je baptise provisoirement : clos, couvert, sécurité.
Il consisterait à confier des lieux, sur une base contractuelle et sur celle d'objectifs clairement consignés dans un projet, à des collectifs artistiques stables présentant d'indiscutables garanties de gestion, et à prendre en charge les travaux cantonnés aux postes d'intervention que je viens d'énoncer.
Nous aurons l'occasion de revenir sur une telle perspective aux cours des prochains mois.
Mais le temps est compté et je souhaite céder la parole à François Verret, animateur des laboratoires d'Aubervilliers et premier intervenant de cette dernière demi-journée.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 6 décembre 1999)