Texte intégral
Dans trois ans, ce ministère fêtera ses quarante ans d'existence et d'action. Visionnaire, le général de Gaulle avait bien compris qu'avec l'ère des indépendances, inaugurée par lui-même à Brazzaville et réalisée, toujours par lui-même, quinze ans plus tard, l'heure était arrivée de l'appui au développement garant de la véritable indépendance. Ainsi est né le ministère de la Coopération.
Il fait partie de ce que beaucoup de pays du monde appellent le signe distinctif de la France. La notion même de coopération fait partie de notre patrimoine politique au sens noble, et je suis heureux que cette exception française, qui depuis a fait école, puisse servir à la fois notre diplomatie et notre commerce extérieur.
C'est dire combien je suis fier de diriger une administration dont l'existence répond à une nécessité politique autant qu'à un devoir moral. C'est dire aussi combien je suis fier qu'à toutes les périodes de la Vème République, la nécessité de la coopération française, avec sa spécificité, n'ait non seulement pas été remise en cause, mais au contraire se soit trouvée renforcée par la volonté des chefs de l'Etat successifs et des chefs de gouvernement, l'un et l'autre garants de l'exception française qui inspire notre action.
C'est pour marquer cette période historique de première importance et lancer un pont vers le XXIème siècle, que j'ai décidé de faire préparer la célébration éclatante du 40ème anniversaire de ce ministère. Il faudra bien, en effet, trois ans pour que les fonctionnaires, les chercheurs, les universitaires, les acteurs de terrain, les témoins français et étrangers puissent préparer avec soin et précision la documentation et les éléments de base sur cette belle page de l'Histoire de France - qui est loin d'être terminée - et du monde en développement, tout particulièrement en Afrique. Ainsi les jeunes générations, qui s'interrogent et qui doutent de l'avenir, en se ralliant plus aux fatalités qu'aux espérances, sauront la voie à suivre, et sauront sur quelles bases solides ils peuvent bâtir l'édifice. Loin des systèmes et des organigrammes désincarnés, la coopération a ceci de remarquable qu'elle sait placer l'homme au coeur de ses préoccupations.
Quand je cite ceux qui font oeuvre de coopération, je n'omets personne, ni dans les ONG, ni dans les associations spirituelles, caritatives ou autres. C'est pourquoi je suis heureux de saluer le fait qu'à chaque promotion de nos ordres nationaux, nous tendions à établir la parité entre hommes et femmes.
Ce que d'aucuns appellent parfois et par erreur l'archaïsme oublient que le XXIème siècle ne sera pas exclusivement celui des ordinateurs et des pilules nutritives.
Sans doute verrons-nous la réhabilitation des relations personnelles, des contacts humains, de la confiance partagée, si difficile parfois à faire admettre par ceux qui mettraient aisément les relations internationales en équation.
Je voudrais insister sur le fait que le modèle de développement de l'Afrique de demain devra être celui des Africains eux-mêmes, avec leur conception de la vie en société pleine d'esprit de solidarité et de jugement rapidement clairvoyant sur l'autre.
Mais rien ne saurait nous faire oublier que la fin de ce siècle, et probablement le prochain, est plus marquée par l'idée que l'on s'en fait que par la réalité des choses.
C'est pourquoi je voudrais en quelques mots que nous redescendions sur terre et que nous observions objectivement la situation de la France par rapport à ces pays.
A en croire certains, on penserait que la France a perdu la main notamment en Afrique. J'observe que ceux qui écrivent ou disent cela aujourd'hui laissent entendre que l'âge d'or serait celui où nous étions "maîtres" des autres. Quelle curieuse vocation attribuent-ils donc à la France, que celle d'être en quelque sorte tuteur de pays "inférieurs" au notre. Je leur laisse la nostalgie d'une pensée indigne de notre tradition politique et historique.
La réalité est tout autre. Nous venons d'en être témoins à Ouagadougou récemment où, à la fois, la famille s'est retrouvée entre elle, d'autant plus étroitement que le lendemain elle accueillait la quasi-totalité des pays africains, anglophones, hispanophones, lusophones, invités par un des leurs, le Burkina-Faso ; tous ces pays venaient à la rencontre de celui qui parmi les grandes puissances, notamment du G7, avait le plus fait, à contre-courant, pour que l'aide publique au développement ne tombe pas en déshérence.
Si quelques-uns imaginent la politique étrangère de la France comme une série d'échecs, notamment en Afrique, qu'on en juge par la réalité plus que par les fantasmes :
- Succès du président Chirac auprès de l'Union européenne pour le 8ème FED et la préparation du 9ème.
- Succès du G7 à Lyon notamment en ce qui concerne l'aide au développement. Et pour dissiper ce qui pour quelques-uns reste une impression, je citerai le premier accord qu'un ministre de la Coopération a pu signer avec le directeur général du FMI, Michel Camdessus, à Washington récemment.
Quant à notre rôle dans la construction d'un lien très fort entre le continent africain et le continent européen, pensons à celui que nous jouons avec nos partenaires de la zone franc qui, à ce jour, n'a pas d'équivalent dans le monde et qui a un effet plus attractif que répulsif vers de nouveaux pays. Quel formidable atout partageons-nous avec l'Afrique alors que va se créer une nouvelle monnaie réserve.
Pensons aussi à toutes les initiatives que nous avons prises notamment pour les cas difficiles et parfois dramatiques de l'Afrique. Quand nos suggestions pour amoindrir la souffrance des hommes ne sont pas suivies d'effet, d'aucuns semblent s'en réjouir car ce serait un échec de la France. Mais n'est-ce pas plutôt un échec moral des indifférents, autrement plus grave ?
Et puisque la France a toujours joué avec une mi-temps d'avance sur ce continent, permettez-moi de dire que je me réjouis de constater que nous faisons toujours école.
Si l'Asie se détournait de l'Afrique, si l'Amérique ne s'y intéressait pas, si Sa Sainteté le Pape ne parlait pas de l'Afrique, alors nous pourrions nous interroger sur notre politique. Mais voilà que les uns et les autres s'intéressent à l'Afrique, et que nous lisons ici ou là que ce serait la preuve de notre échec. Cela me semble être l'inverse dans ma logique personnelle et paysanne.
Qui sont les plus archaïques ? Ceux qui poussent aux privatisations pour faire entrer l'Afrique dans le monde moderne, ou ceux qui interprètent cette ligne comme un affaiblissement de la France ?
Pour réussir cette oeuvre et en faire une des lignes de force de ce 21ème siècle, il faut des hommes et des femmes aguerris, enthousiastes et organisés. Cela signifie une administration légère, rapide, proche du terrain, qui sache répondre rapidement aux sollicitations du moment tout en ayant le sens de la continuité, pour laquelle les principes fondamentaux du droit public français sont incontestables, tout en sachant agir en opportunité lorsque les événements l'exigent.
Il faut également savoir préserver les acquis et ne pas jouer les apprentis-sorciers. Une des grandes réussites de ces quarante dernières années a été par exemple de créer de toute pièce en zone sahélienne une filière qui fait directement vivre des millions d'Africains : je veux parler de la filière "coton". Je sais que celle-ci est l'objet de nombreuses convoitises, mais je voudrais insister sur la volonté de l'Etat français et des Etats africains de préserver cet outil essentiel dans le cadre actuel qui donne pleine satisfaction.
C'est aussi une des pistes de la réforme de la Coopération que d'y associer les jeunes étudiants africains en France qui devraient avoir un rôle éminent par rapport à nos actions de coopération futures. Leurs espérances scolaires ou universitaires doivent recouper nos propres espérances pour le développement.
Cela veut dire que notre action culturelle ne peut pas être exclusivement tournée vers la satisfaction d'une pseudo élite, et que la culture c'est aussi le rire, la musique populaire, la diffusion radiophonique de proximité. N'est-ce pas le Pape Jean-Paul II qui rappelait que les peuples qui perdaient la mémoire étaient des peuples qui mouraient ?
Cela veut dire que notre action en matière de santé ne peut pas se contenter de mettre en place des systèmes idéaux, dont les résultats seront prouvés quand tous les malades d'aujourd'hui seront bel et bien morts.
Quel bonheur là-aussi d'avoir pu lancer cette formidable expérience de télé-médecine entre la France et le Mali, saluée par le président Konaré en personne, et qui est la porte ouverte à une télé-médecine mondiale initiée par nous-mêmes et mon ami le professeur Lareng de la faculté de Toulouse.
Cela veut dire que la défense de l'Etat de droit, c'est certes le respect et l'écoute des minorités, le droit à l'expression des oppositions, mais c'est aussi la description objective des rapports de force politique et le droit à la légitimité des majorités et des gouvernements. La presse a de ce point de vue un devoir déontologique tant vis-à-vis des minorités que des majorités. Permettez-moi d'ajouter que la défense de l'Etat de droit est un des angles fondamentaux de notre politique et je voudrais rendre hommage à l'instant à ceux qui récemment ont perdu la vie pour l'Etat de droit.
Cela veut dire que la Caisse française de développement, cet outil exceptionnel, doit sans cesse chercher, dans son action, la simplicité et l'efficacité, comme nous-mêmes la recherchons, et comme je le sais s'y emploie son directeur général.
Cela veut dire que dans tous les domaines de notre action, nous devons chercher à innover, réformer et agir sur les événements plutôt que les subir.
Etre à l'écoute des Français et de l'opinion, c'est ce qu'a demandé le Premier ministre à chaque ministre. Nous n'en sommes pas exempts. C'est pourquoi semaine après semaine, j'ai sillonné la France, rencontré les étudiants et les forces vives pour expliquer notre politique africaine de Coopération. Cet effort est insuffisant et, dans le cadre de la réforme de notre action, je viens de solliciter l'ensemble des membres des groupes d'amitié des deux assemblées pour qu'ils participent eux aussi à l'action extérieure de la France en représentant le ministre de la Coopération lors de différents événements liés à notre action. On sait à quel point le législatif a une conception de la coopération qui dépasse les clivages politiques traditionnels, notamment, grâce au rôle des différents rapporteurs de l'Assemblée et du Sénat.
Je voudrais mettre ici l'accent sur un des axes de la mission que je poursuis : celui d'aider les pays en développement à maîtriser eux-mêmes les problèmes migratoires par le développement de proximité. Mon voyage dans la région de Kayes n'a pas été une réponse à Saint-Bernard. Il s'inscrit dans une politique initiée, dès le début de mon mandat pour inciter les populations tentées par le mirage de l'immigration, à demeurer sur lace. La réponse se trouve là, à Kayes, sur le terrain dans un travail d'écoute et de dialogue. C'est de là qu'est venue l'idée d'une table ronde des bailleurs de fonds à laquelle je participerai dans quelques jours à Bamako.
La vie n'est pas faite que de moyens attribués. Elle est aussi faite de l'intelligence avec laquelle nous savons les utiliser.
Je vous souhaite de découvrir ce que Mano Dayak dénonçait : "j'ai vécu trente ans dans le désert, mais je n'ai pas réussi à combattre celui qui est en moi".
Pour contredire affectueusement celui qui a parlé magnifiquement des espaces infinis, de la raison et de la passion des hommes de l'Afrique, souhaitons de faire avancer la culture contre le désert, la vie contre la mort, la joie d'un sourire d'enfant rassasié et guéri, contre les sceptiques et les incrédules.
Alors... Bonne année.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2001)