Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
À nouvelle économie, nouvel économiste !
Ceci n'est pas un slogan pour une campagne publicitaire, mais le constat qu'il est bon que dans une période de mutation économique comme aujourd'hui, un grand hebdomadaire analyse, commente, anticipe ces changements et qu'il le fasse selon une formule nouvelle : c'est le nouveau Nouvel Economiste. Je veux en féliciter les initiateurs qui sont aussi ceux de ce prix. Merci donc à Françoise Sampermans, à Jean-Michel Quatrepoint, à toute l'équipe du Nouvel Economiste. Merci à messieurs Dubrule et Pélisson, les parrains de ce prix qu'ils ont remporté en 1984, et dont ils ont fixé par leur propre excellence les critères d'attribution.
Nous sommes réunis ce soir pour honorer Thierry Desmarest. Dans un monde économique dominé par les méga-fusions, où d'ailleurs toutes ne sont pas réussies, vous avez, monsieur le Président, montré beaucoup de choses en étonnamment peu de temps. À peine commençait-on à se faire à l'idée que votre groupe n'était plus seulement le français Total, mais le franco-belge TotalFina, que quelques jours plus tard vous poursuiviez votre forte démonstration par une sorte de coup de tonnerre. Vous avez montré que le plus petit - disons le moins gros - pouvait lancer et réussir une offre publique sur le plus gros, qu'il fallait pour cela avoir les nerfs solides et un sens aiguisé du calendrier, que les marchés sont sensibles non seulement aux capacités financières mais à la clarté du projet stratégique et au soutien des salariés envers leurs dirigeants, qu'il faut savoir oser mais aussi savoir conclure, et qu'il vaut mieux conclure en dominant sa propre victoire. Vous avez montré également que l'industrie reste un élément fondamental de l'économie moderne et que, avec un regard mondial, avec un accent mis sur la formation et la recherche, on peut bâtir de très grands et beaux groupes, aux tout premiers rangs de la planète, à base européenne et française. C'est pour toutes ces raisons sans doute que vos pairs vous ont désigné manager de l'année pour la dernière année du XXème siècle ou, peut-être préférerez-vous cette formulation, pour l'avant première année du XXIème siècle. J'ai d'autant plus de plaisir à vous remettre ce prix que vous avez fait preuve depuis 1981 d'une grande fidélité à votre société, Total (devenue TotalFina, avant de prendre une appellation plus large encore) ; que vous avez su respecter les salariés placés sous votre autorité ; que vous contribuez à construire ce que j'appelle "une économie partenaire", c'est-à-dire une économie où l'impératif d'entreprendre et les exigences de la compétition sont comprises, mais où aucun acteur ne se sent exclu de la croissance.
Vous remettant cette distinction, je me limiterai à deux réflexions brèves.
Nous bénéficions actuellement en France d'une situation macro-économique favorable avec des conséquences positives sur l'emploi. Cela ne signifie pas que toutes les difficultés soient résolues : il en existe dans certains secteurs ou régions, en particulier pour les personnes peu formées. Cette situation d'ensemble positive va se poursuivre, et c'est excellent pour l'emploi. Il convient d'en profiter pour mener à bien les réformes de fond dont notre pays a besoin : modernisation de l'État, financement équilibré des retraites, développement de la création d'entreprises. Dans ce contexte, je soulignerai ce soir particulièrement le développement nécessaire de l'actionnariat salarié, de l'actionnariat privé en général et à mon sens des fonds partenariaux de retraite. Pour des raisons économiques et d'équité, pour mieux associer les salariés et plus généralement l'ensemble de nos concitoyens, actifs ou retraités, à la création de richesses, il me paraît fondamental que ces formules soient encouragées, y compris dans les PME.
L'occasion est également propice - et c'est ma deuxième réflexion - pour souligner que la France possède des atouts formidables pour réussir, à condition qu'ils soient mis en valeur. Le rôle des décideurs politiques n'est pas de décider de tout, mais d'aider à cette mise en valeur. Cela implique de refuser un certain nombre d'idées fausses. Non, il n'est pas vrai que les entreprises soient l'adversaire à combattre ; au contraire, les entrepreneurs, comme les salariés, sont une grande richesse de la France. Non, il n'est pas vrai que l'augmentation des dépenses publiques soit automatiquement la marque de leur efficacité : contrôler mieux pour dépenser moins constitue une piste pertinente. Non, il n'est pas vrai que le progrès économique puisse être solide sans de réelles avancées sociales, en particulier pour l'emploi. Si le secteur privé et la puissance publique parviennent à renforcer l'esprit d'entreprendre et à construire cette "économie partenaire" que j'évoquais, alors nous pourrons développer en France des rapports décomplexés avec la réussite, avec le risque et j'ajouterai même avec l'échec. Je dis l'échec car, bien que ceux qui sont ici ce soir aient en général réussi, souvent magnifiquement, je pense qu'il ne faut pas célébrer seulement la réussite mais savoir aussi accepter l'échec, à condition d'en tirer parti. Ma conviction est que chacun dans une société dynamique et démocratique doit avoir le droit à une nouvelle chance.
Pour formuler autrement ce que je veux dire, et ce sera ma conclusion : comme une famille ou un pays, une entreprise a besoin pour avancer qu'il lui soit proposé une ambition, un dessein, un chemin pour se dépasser ; c'est la tâche des décideurs. C'est précisément ce qu'a fait Thierry Desmarest. Merci.
(Source : http://www.assemblee-nationale.fr, le 2 décembre 1999)