Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, à "Europe 1" le 25 novembre 2002, sur la grève des routiers, sur la mobilisation lancée par les cheminots pour défendre le service public et sur la grève des inspecteurs du permis de conduire.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. Je sais que vous irez à Amiens tout à l'heure et que vous reviendrez pour négocier avec FO sur les problèmes des permis de conduire, avec les inspecteurs qui sont en grève. Est-ce que, pour le problème des routiers, on peut dire que la fermeté est en train de dissuader, que la fermeté ça paye ?
- "C'est le dialogue qui a payé. Je crois vraiment que c'est le dialogue, la concertation, pendant presqu'une trentaine d'heures, cette semaine, les employeurs et les employés ont négocié. Ils ont beaucoup négocié, leur point de vue s'est beaucoup rapproché, au point que quatre syndicats sur six - quatre sur six ! -, hier soir, à 22 heures ou 22h10, ont décidé de signer l'accord."
Mais ce sont des syndicats minoritaires, les majoritaires n'en veulent pas, par exemple, la CFDT. Qui se trompe ?
- "C'est vrai, la CFDT est majoritaire. Mais les quatre syndicats réunis font au moins la moitié des chauffeurs-routiers aujourd'hui. C'est-à-dire qu'une grande majorité de ces derniers a bien perçu le message que jamais ils n'espéraient obtenir : 14 % d'augmentation des salaires, avec des clauses de revoyure, au cas où l'inflation serait supérieure à 1% par an. Ce qui est quand même exceptionnel. Je suis sûr que si la CFDT avait annoncé ces résultats il y a huit ou quinze jours, ils n'auraient pas annoncé à ce moment-là qu'il y aurait grève."
F. Chérèque disait tout à l'heure à S. Soumier que les 14 %, c'était ce qui était prévu dans les trois ans qui viennent.
- "Non ! Ce n'est pas ce qui était prévu. L'harmonisation des Smic, c'est quelque chose comme 10 à 11% au maximum. Mais là, il y a non seulement 14 %, mais en plus de cela, si l'inflation est supérieure à 1 % par an, ils se revoient."
La CFDT prévoyait 80 barrages. En 1996, il y en avait 50. Comment vous expliquez cette moindre mobilisation ?
- "Tout simplement, parce que les salariés, les chauffeurs-routiers, ont bien perçu les avancées considérables. Non seulement, il y a ces avancées salariales mais en plus de cela, il y a encore quelques jours, ils craignaient que les préretraites soient remises en cause. Au contraire, pour déblayer le terrain, si l'on peut dire, a été acté le fait que ces préretraites sont garanties au moins jusqu'en 2007."
Est-ce que cela veut dire que le ministre de tutelle pense que les barrages aujourd'hui n'ont plus de raison d'être ?
- "Les barrages n'ont jamais de raison d'être. La grève est légale, les barrages qui immobilisent le pays et qui empêchent les familles de se retrouver, les salariés d'aller travailler, les marchandises d'aller nourrir les gens, n'ont pas de raison d'être. Il ne faut pas confondre le droit de grève avec le droit de barrer les routes."
Il n'y a pas de raison aujourd'hui, qu'ils fassent grève, en tout cas qu'ils se manifestent, même avec des barrages filtrants, comme c'est le cas ?
- "Les barrages filtrants, s'ils sont filtrants, ce ne sont plus des barrages. C'est donc à ce moment-là une manifestation de la grève, à condition que ce ne soit pas avec les outils de travail, j'insiste là-dessus. Parce que là, ce serait plutôt une faute grave. Je dis plus généralement qu'il peut y avoir des inquiétudes et il y en a eues. Mais aujourd'hui, sur le plan de la feuille de salaire, il y a des énormes progrès, des garanties qui sont faites grâce au dialogue et à la concertation sous l'égide du ministère des Transports. Je voulais vous dire, qu'en fond de cela, il y a deux choses. La première, c'est qu'il y a des élections prud'homales bientôt, et donc il fallait, quelque part, exister. Deuxièmement..."
D'accord, mais il ne faut pas tout ramener aux prud'homales, comme disent les syndicalistes !
- "Deuxièmement, il y a quand même une crainte, je le dis très simplement, il y a aussi la crainte de l'arrivée de l'Europe et de la concurrence européenne."
En 2004.
- "En 2004. Et donc, cette concurrence parfois, se fait au détriment des entreprises françaises, parce qu'il y a des entreprises avec des chauffeurs-routiers de l'Europe de l'Est qui sont mal payés, avec très peu de charges salariales, qui font de la concurrence énorme aux transports français. Je voulais dire de façon extrêmement claire, que cette peur de la concurrence européenne, que les chauffeurs-routiers sachent, en tout cas, que le Gouvernement se bat contre le dumping social et qu'à chaque fois que je vais à un Conseil Transports, sur les ordres, d'ailleurs du Premier ministre, j'insiste sur les conditions d'embauche dans toute l'Europe, j'insiste sur les conditions de formation dans toute l'Europe, et j'essaye de contenir, justement, cette concurrence déloyale tant qu'il n'y aura pas une certaine harmonisation des conditions sociales."
C'est bien de les défendre et de les défendre pour ce qui va arriver dans l'avenir, en 2004 avec l'Europe élargie. Mais aujourd'hui, F. Chérèque disait tout à l'heure sur Europe 1, qu'il fallait négocier ou renégocier. Vous avez reçu les négociateurs, dans votre ministère. Vous avez été, comme vous l'avez dit, "un facilitateur". Aujourd'hui, qu'est-ce que vous dites ?
- "Je suis toujours un facilitateur et le Gouvernement, sur sa ligne de conduite qui existe depuis six mois, c'est de dire : à chaque fois qu'on peut faciliter des choses, faire que les gens se réunissent pour discuter encore et harmoniser les points de vue, bien entendu que les portes sont toujours ouvertes."
Cela veut dire que la négociation est possible encore ou il n'y a plus possibilité de négociation ?
- "Hier, les négociateurs ont dit, "c'est fini, nous, nous signons ; nous, nous ne voulons pas signer". S'il y a des éléments et des appels ici ou là au cours de la journée, bien entendu que les portes du ministère restent toujours ouvertes."
Demain, journée de mobilisation lancée par les cheminots pour défendre les services publics, le thème idéal de la gauche : SNCF, RATP, Air France. Vous êtes gâté ! Qu'est-ce que vous leur dites ? Est-ce que vous avez des craintes, vous aussi ?
- "Je leur dis qu'ils sont raisonnables, que plutôt que de faire une grève généralisée, de bloquer des trains, ils ont décidé de faire une journée de manifestation. Je vous assure que la nuance est de taille. Et donc, que les gens manifestent pour exprimer des craintes pour l'avenir et qu'ils obtiennent certaines garanties pour l'avenir m'apparaît comme quelque chose de très sain dans une démocratie. En tout cas, ça ne sera pas..."
Autrement dit, vous pourriez manifester vous aussi !
- "Les craintes, j'essaye de ne pas en avoir trop. J'essaye surtout de répondre aux craintes qui s'expriment en expliquant, justement, la politique gouvernementale, et comment peut s'écrire l'avenir ensemble."
F. Mer a lancé hier une opération-éclair pour vendre les 11 % de l'Etat du Crédit Lyonnais. La méthode a surpris - on en parlera peut-être. F. Mer a révélé qu'une partie, 500 millions d'euros, iraient aux retraites, et la plus grande par des 1,7 milliard aiderait à réduire les déficits des entreprises publiques.
- "Eh bien ça, c'est heureux. J'imagine que les cheminots doivent être contents d'entendre cela, parce qu'ils demandent sans arrêt que la dette de RFF soit réduite, contenue. Parce qu'à chaque fois qu'il y a des dettes de RFF, ça pénalise aussi la SNCF."
Mais parce que vous pensez que vous allez en toucher un peu ?!
- "Je pense à nous tous ; on va bien s'accorder au Gouvernement. De toute façon, quand ce sera vendu, ce sera de l'argent public. Et la bonne utilisation, c'est effectivement la retraite et combler une partie des déficits des entreprises publiques."
F. Mer et J.-P. Raffarin le savent maintenant : vous leur demandez un peu de sous...
- "On ne leur demande pas, on est tout à fait d'accord les uns et les autres."
Pour la première fois aujourd'hui, les gendarmes vont faire passer le Code du permis de conduire à la place des inspecteurs qui sont en grève depuis cinq, six semaines. Comment en sortir ?
- "Par le dialogue, et en même temps, la survie du service public. Le dialogue, c'est ce que je fais encore aujourd'hui, je reçois..."
Cela fait cinq semaines, ça ne marche pas le dialogue !
- "Ca a bien marché, puisqu'aujourd'hui il y a 25 à 30 % de grévistes, il y en avait 60 il y a un mois. Donc, la grève a été diminuée par deux. Deuxièmement, on a trouvé une réponse au service public avec des passages en nombre de personnes qui attendent le permis de conduire, donc qui, dès aujourd'hui, pourront passer ce permis, au moins pour la partie théorique. Et le dialogue continue : aujourd'hui même, au ministère, nous recevrons les inspecteurs du permis de conduire, la partie FO, qui poursuit en partie la grève."
Vous avez accepté des plans locaux de rattrapage des examens en retard ?
- "Tout à fait. Et les préfets sont mobilisés depuis trois jours. Il y a eu une formation, dès samedi, pendant ce week-end, de ceux qui allaient faire passer le permis théorique. Et cette formation trouve un débouché aujourd'hui, en faisant passer, j'espère, des centaines et des centaines de personnes en attente, de façon à résorber les files d'attente."
Ma dernière question, la marée noire : on voit que les Espagnols et les Portugais en souffrent. Est-ce que nos côtes sont menacées ? Qu'est-ce que vous faites ? Est-ce que vous anticipez, parce qu'on prétend que dans trois semaines, on aura des éléments de la marée noire en France.
- "Nous avons deux navires français qui sont aujourd'hui en train de pomper, au large de l'Espagne et du Portugal, le pétrole en mer. Et deuxièmement, principe de précaution, quel que soit l'avenir - et on ne connaît pas exactement la direction des vents dans les trois semaines -, nous commençons une certaine mobilisation pour protéger les côtes françaises."
Vous n'excluez pas qu'on soit atteints ?
- "Dans la période où nous sommes, nous n'avons pas à exclure. Au contraire, nous avons à nous protéger."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 novembre 2002)