Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF à TF1 le 28 novembre 1999, sur la place de l'UDF dans la vie politique, l'élection à la présidence du RPR, la situation en Corse, l'éventuelle reprise des attentats par l'ETA, l'enseignement des lettres classiques et débat sur la notion de gauche et de droite avec M. Fabrice Luchini.

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Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Ruth ELKRIEF
Bonsoir, je suis très heureuse de vous retrouver pour ce nouveau numéro de " 19 :00 dimanche ". Nos deux invités ce soir sont François BAYROU, le président de l'UDF, et Fabrice LUCHINI, le comédien, qui reprend son spectacle de lecture poétique pour la quatrième année consécutive à Paris. Au menu donc la Corse, l'avenir de l'opposition, le débat sur la mondialisation mais aussi LAFONTAINE, CELINE et BAUDELAIRE. Et puis à quelques jours de la douzième journée mondiale de lutte contre le sida, notre rubrique portrait sera consacrée à Emmanuelle COSSE, la nouvelle présidente d'ACT-UP, un mouvement qui s'est illustré par ses actions spectaculaires pour mobiliser l'opinion publique sur le sida. Mais bien sûr tout de suite, comme chaque dimanche, " Les gens de la semaine ", de Gilles BOULEAU.
Ruth ELKRIEF
Bonsoir François BAYROU, merci beaucoup d'être avec nous, vous êtes le président de l'UDF ; on va accueillir tout à l'heure Fabrice LUCHINI, l'acteur, le comédien qui fait un spectacle sur les grands auteurs français et étrangers. LAFONTAINE, CELINE, BAUDELAIRE, c'est aussi un peu votre truc, vous étiez ministre de l'Education, prof de lettres, c'est assez familier, non ?
François BAYROU
Oui, c'est même pour moi une partie très importante de ma vie, vous comprenez, ce qui se joue, on l'oublie trop, dans l'éducation, c'est précisément ça : un bagage qui vous donne une liberté pour toute votre vie. On est en train de l'oublier, enfin il y a des signes inquiétants, on n'a pas le temps d'en parler, sur les humanités classiques par exemple, sur le latin, sur le grec. Si on fait ça, on se trompe On n'a pas le temps mais
Ruth ELKRIEF
On en parlera effectivement, sur la manière d'apprendre, sur la manière d'enseigner et comment est-ce qu'on en parle au plus grand nombre.
François BAYROU
C'est peut-être le sujet le plus important qu'on aura à aborder dans cette soirée, même si ça ne paraît pas.
Ruth ELKRIEF
On va en aborder quelques autres déjà, parce qu'en tant que président de l'UDF, donc je vous ai invité après votre score aux élections européennes, qui a été une des surprises du score, vous vous en êtes réjoui, il y a eu beaucoup de commentaires et puis j'ai envie de dire, depuis la rentrée, on a été peut-être un peu surpris parce qu'on vous entendait moins. Alors est-ce que vous étiez dans l'avion entre Strasbourg et Pau, là où vous êtes président du Conseil général ? Est-ce que vous trouvez que finalement la politique européenne c'est bien plus amusant et intéressant que ce qui se passe à Paris ? Mais qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qui s'est passé ?
François BAYROU
Il s'est passé deux choses simples ; la première, c'est que tout le monde disait : BAYROU est sur son nuage ou l'UDF est sur son nuage ; et qu'il était bon de labourer un peu. On a labouré, comme vous l'avez vu hier
Ruth ELKRIEF
Donc vous n'êtes plus sur votre nuage.
François BAYROU
Et deuxièmement, il y a des moments en politique où il faut savoir ne rien dire parce que le spectacle qui se propose ou qui se donne, est tellement éloquent que les mots ne feraient que l'affaiblir.
Ruth ELKRIEF
Vous allez nous expliquer peut-être plus en détails à quel point ce spectacle est dramatique selon vous
François BAYROU
Eloquent, j'ai dit, je n'ai pas dit dramatique.
Ruth ELKRIEF
Oui. On va regarder d'abord ensemble notre portrait de la semaine, il est consacré à Emmanuelle COSSE, la nouvelle présidente d'ACT-UP, le mouvement de protestation contre le sida. Pour la première fois, c'est une femme hétérosexuelle, non atteinte par la maladie, qui est le porte-drapeau de cette association connue pour ses actions et son discours choc. Une nouvelle image pour une nouvelle étape de la lutte contre le sida. Mathilde PASINETTI et Christelle CHIRON ont passé quelques jours avec Emmanuelle COSSE.
Ruth ELKRIEF
Voilà, François BAYROU, à votre avis, donc on est à quelques jours de la journée mondiale de lutte contre le sida ; une action comme celle d'ACT-UP, elle est toujours utile aujourd'hui ?
François BAYROU
Vous savez, c'est une action très originale, très violente
Ruth ELKRIEF
Spectaculaire, oui.
François BAYROU
Spectaculaire associative, et qui essaie de faire entendre des choses quand les oreilles ne sont plus ouvertes. Donc c'est sûrement utile Si on peut dire deux phrases sur cette dramatique épidémie : il y a deux choses qui me frappent, la première c'est qu'il semble en effet - et cette jeune femme l'a dit - on baisse un peu les bras, on fait comme si ça n'existait plus chez nous ; et il y a un autre drame à côté, c'est que le monde du sud et des pauvres est en train de voir exploser c'est par millions que les gens sont en train de mourir ou de couver ce mal et c'est comme s'il y avait une santé pour les riches et une santé pour les pauvres et ça, si on était courageux, on ne l'accepterait pas.
Ruth ELKRIEF
A l'UDF, on a eu l'impression que depuis la rentrée, vous avez un peu évolué dans votre discours sur la société ; par exemple, Christine BOUTIN a été un petit peu retirée du haut de l'affiche notamment dans la discussion sur le PACS, comme si vous vouliez donner un signe : à l'UDF, on est peut-être plus ouvert, moins dogmatique sur les problèmes de société, c'est ce que vous vouliez dire ?
François BAYROU
Ce n'est pas ça, c'est qu'on a besoin de deux choses. Même si ce n'est pas à la mode, je suis de ceux qui pensent qu'on a besoin d'une réflexion morale sur la société et la morale, ce n'est pas seulement les droits de l'homme et les bons sentiments, c'est aussi essayer d'affirmer un certain nombre de repères dans lesquels les gens retrouvent des raisons de vivre, ça c'est le premier point et le deuxième point - et c'est vrai qu'on a un peu cherché notre équilibre, je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'on l'ait trouvé encore
Ruth ELKRIEF
Vous le reconnaissez Vous allez trop loin parfois
François BAYROU
Attendez, le deuxième point, c'est qu'il y a dans la société des comportements nouveaux, des femmes et des hommes qui ont besoin de reconnaissance et j'avoue qu'on a eu du mal à trouver le bon équilibre entre les deux. Mais vous savez, la société française aussi a eu du mal à trouver le bon équilibre.
Ruth ELKRIEF
Un petit mot par exemple, maintenant on entend parler les nouveaux " pacsés ", ceux qui viennent de signer des PACS, vous n'avez pas changé d'avis là-dessus néanmoins ?
François BAYROU
Non, je n'ai pas changé d'avis. Je sais et je reconnais qu'il y a ce besoin de reconnaissance-là, ou qu'il y a ce besoin que soient prises en compte des situations particulières, des gens qui vivent ensemble, l'un des deux meurt, comment on fait pour transmettre le patrimoine ou le logement Et ça, c'est absolument digne et absolument juste. Mais mélanger les deux dans une espèce de création d'un mariage qui n'ose pas dire son nom, alors non, pour nous, nous n'avons pas changé d'avis sur le fond.
Ruth ELKRIEF
Quelle est la position de l'UDF, est-ce que l'UDF cherche à se faire entendre, à essayer d'exister dans un chemin autonome, c'est ce que vous avez fait pour les élections européennes ? Parce qu'on a le sentiment que le dialogue politique, que le discours politique est un peu monopolisé entre les deux grands acteurs, Lionel JOSPIN et Jacques CHIRAC
François BAYROU
Au fond, vous venez de dire les choses
Ruth ELKRIEF
Ah bon
François BAYROU
L'UDF, qu'est-ce que c'est ? Pour moi, c'est l'opposition nouvelle
Ruth ELKRIEF
Vous trouvez votre place entre les deux, c'est ça que vous voulez dire ? Vous êtes sûr qu'il y a une place pour vous ?
François BAYROU
Non seulement je crois qu'on trouvera notre place mais je crois de toutes mes fibres que c'est indispensable. Au fond, la politique française depuis vingt ans, c'est RPR et PS aller-retour et on prend les mêmes et on recommence. Et moi je suis sûr qu'un pays, quels que soient les sentiments d'amitié ou de respect qu'on peut avoir pour les uns ou pour les autres, je suis sûr qu'un pays a besoin de solutions nouvelles, de voies nouvelles, d'équipes nouvelles, de styles nouveaux, bref, quelquefois voilà, que les portes s'ouvrent.
Ruth ELKRIEF
Vous êtes vraiment si nouveau ? Ca fait longtemps que vous êtes dans la politique, vous êtes aussi un professionnel de la politique, non ?
François BAYROU
Ca fait vingt ans que la formation politique que je représente aujourd'hui, n'a pas eu l'occasion de proposer ou de mettre en uvre une voie nouvelle pour la France. Or comme j'essaierai de vous le montrer dans le court entretien que nous allons avoir, c'est précisément sur les lieux où nous nous sommes investis depuis longtemps, que va se jouer l'avenir de la France.
Ruth ELKRIEF
Alors un mot quand même parce qu'en France, vous savez, la place politique, elle est mécaniquement liée à l'élection présidentielle depuis des décennies. Moi, si je traduis ce que j'entends, ça veut dire que l'UDF aura un candidat à l'élection présidentielle.
François BAYROU
Ecoutez, on verra parce que c'est des décisions, vous le savez bien, qui ne se prennent pas deux ans à l'avance. On aura un débat sérieux sur le sujet parce que je vous le dis, il n'y a pas de formation politique sérieuse qui écarte cette éventualité-là.
Ruth ELKRIEF
Donc vous ne l'écartez pas, vous y pensez sérieusement ? Pourquoi vous ne dites pas oui ?
François BAYROU
Non, parce que je n'ai pas envie de jouer avec ça. Si une formation politique a vraiment une vision originale et forte, si elle croit à ce qu'elle dit, alors elle doit le défendre à la seule échéance que tous les Français écoutent et entendent ; alors il peut y avoir des circonstances dans un sens ou dans un autre, on l'a déjà vu, qui l'empêchent. Il demeure que sur le fond et sur le principe, c'est bien cela qui est en jeu.
Ruth ELKRIEF
Vous le dites à Jacques CHIRAC, cela, il le sait ? Vous en parlez avec lui ? Vous le voyez, vous discutez avec lui ?
François BAYROU
Pour dire la vérité, je n'ai pas vu Jacques CHIRAC depuis longtemps.
Ruth ELKRIEF
Et vous le regrettez.
François BAYROU
Voilà.
Ruth ELKRIEF
On peut le dire ici, il entend peut-être, on peut lui passer le message.
François BAYROU
Je vois que le président de la République reçoit des leaders politiques de la majorité actuelle, donc du camp dont il n'est pas ; peut-être que ça serait bien qu'un jour il recommence à recevoir aussi ceux qui sont dans le même camp que lui. Peut-être que j'ai un petit pêché d'indépendance.
Ruth ELKRIEF
La droite plurielle, c'est dur.
François BAYROU
Non, c'est le phénomène majeur des temps qui viennent. On a vécu vingt ans avec une opposition, avec un parti dominant et qui fixait les choix. Ce temps-là est fini. L'opposition sera pluraliste et équilibrée. Et c'est comme ça qu'elle gagnera parce que quand vous avez un parti dominant, ce parti par nature il devient sourd. Comme il lui suffit de parler pour qu'obéissent tous ceux qui sont autour, il n'entend plus la société française et il ne sait pas explorer les chemins nouveaux. Et donc pour la France, c'est mieux qu'on ait une opposition équilibrée et pluraliste.
Ruth ELKRIEF
Ca, c'est un message que vous adressez au futur président du RPR ou à la future présidente du RPR qui est Michèle ALLIOT-MARIE et qui part favorite aujourd'hui mais qui n'est pas encore élue
François BAYROU
Si c'est Michèle ALLIOT-MARIE qui est élue, vous le savez, j'ai avec elle des liens profonds et anciens.
Ruth ELKRIEF
Vous, vous êtes Béarnais, elle est Basquaise, c'est ça ?
François BAYROU
Elle est la première vice-présidente du conseil général dont je suis le président, donc on est assis à côté l'un de l'autre au Parlement de Navarre pendant toutes les séances ; et puis ça me ferait plaisir parce que ça prouverait ce que je dis depuis longtemps, que tout se passe ou se passera de plus en plus dans les Pyrénées-Atlantiques.
Ruth ELKRIEF
Dans les Pyrénées-Atlantiques ou j'ai envie de dire en province par rapport à Paris ? Parce que vous, vous êtes un Girondin, vous êtes celui qui prône la décentralisation. On va parler de la Corse parce qu'évidemment c'est l'actualité de cette semaine qui vient de passer, sur la Corse, il y a eu recrudescence de violence. Il y a eu plusieurs méthodes qui ont été utilisées dans le passé. Vous, vous avez appartenu à des gouvernements dans lesquels il y a eu deux méthodes, une méthode plutôt de négociations puis une méthode de fermeté. Aujourd'hui, en quelques mots, vous diriez où est le chemin ?
François BAYROU
D'abord c'est un Etat qui retrouve enfin comment dirais-je sa transparence et sa sécurité, qui retrouve ses vraies fonctions. En Corse, à quoi vient-on d'assister, c'est d'ailleurs époustouflant, le numéro deux de la police judiciaire en France, est venu devant l'Assemblée nationale et le Sénat, en commission d'enquête, et sous serment - je le jure - il a déclaré que l'assassin du préfet ERIGNAC avait été prévenu par des hauts responsables de la police. Que se passe-t-il ? Rien. On est un pays où on peut dire des choses sans qu'il y ait
Ruth ELKRIEF
Il y a eu des suites, François BAYROU, on poursuit, on réfléchit, il y a des critiques dans tous les sens.
François BAYROU
Il y a des critiques mais ce n'est pas des critiques qu'il faut quand on est l'Etat, c'est de l'action. Je ne sais pas qui a raison ou qui a tort mais la moindre des choses qu'on pourrait espérer d'un Etat sa solidité et son équilibre, c'est que dans ce cas-là, il explique aux Français ce qui s'est passé exactement et qu'il en tire les conclusions. Pardonnez-moi, en face de vous, dimanche dernier, le ministre de l'Intérieur, monsieur CHEVENEMENT, il vous a dit les yeux dans les yeux : je sais tout de cette affaire. Simplement les Français ne le savent pas, les parlementaires ne le savent pas
Ruth ELKRIEF
Qu'est-ce que vous suggérez alors ?
François BAYROU
Eh bien je suggère que le gouvernement s'explique ; puisqu'il sait tout de cette affaire, qu'il dise tout au moins à la représentation nationale et aux Français, c'est fait pour ça ; et deuxièmement, qu'il en tire les conclusions et qu'il y ait des suites. Il y a plusieurs maladies françaises, il y en a une aujourd'hui qui est celle de l'Etat.
Ruth ELKRIEF
Est-ce qu'à votre avis, cette absence de suites selon vous, expliquerait aussi cette recrudescence des violences comme on l'a entendu ?
François BAYROU
Je ne dirais pas absence de suites en tout cas, ce trouble constamment entretenu autour de l'affaire de la Corse, n'est pas je veux dire c'est la responsabilité de l'Etat. Si j'osais, je dirais l'affaire de la Corse, ça n'est pas une affaire particulière ; la Corse, c'est un symptôme de la maladie générale de notre Etat en France.
Ruth ELKRIEF
Un mot sur l'ETA qui vient d'annoncer la rupture de la trêve de ses opérations armées. Vous êtes concerné, vous êtes dans les Pyrénées-Atlantiques comme vous le disiez, cela vous inquiète beaucoup ?
François BAYROU
C'est un événement extrêmement important et qui va avoir des conséquences absolument terribles ; et je crois qu'on a le devoir de dire deux choses, la première c'est que la France doit la solidarité la plus absolue à l'Espagne dans les moments affreux qui se préparent s'ils vont jusqu'au bout de cette annonce, si l'ETA va jusqu'au bout de cette annonce, solidarité à l'Espagne et à l'autonomie basque parce qu'elle aussi va beaucoup souffrir. Et deuxièmement, il y a derrière ça un problème très profond : est-ce qu'être fier de son identité, ça veut dire qu'on se sépare des autres ? Eh bien moi je plaide pour le contraire, c'est-à-dire qu'on soit fier de son identité, qu'on la reconnaisse, qu'on la promeuve pour l'avenir et qu'en même temps on vive avec les autres. Ce n'est pas au moment où nous faisons l'Europe qu'il faut défaire cette communauté-là.
Ruth ELKRIEF
L'Europe d'ailleurs Strasbourg, j'ai entendu que vous alliez peut-être le quitter ?
François BAYROU
C'est très simple : ma décision que j'avais annoncée ici à cette émission, à celle qui précédait, c'était de garder mon mandat local, président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques, et le mandat européen. Le gouvernement est en train de faire voter une loi qui va avoir pour conséquence que les députés européens auront deux poids deux mesures avec les députés nationaux ; et les députés européens, eux, ne pourront pas garder un mandat local. Je ne me laisserais jamais déraciner.
Ruth ELKRIEF
On va se retrouver dans un instant après la publicité bien sûr, avec Fabrice LUCHINI, François BAYROU, merci, à tout de suite.
Ruth ELKRIEF
Voilà. Fabrice LUCHINI, merci de nous avoir rejoints sur ce plateau de " 19:00 dimanche ". Vous êtes acteur de cinéma et de théâtre bien sûr. Votre dernier film, c'est " Pas de scandale ", de Benoît JACQUOT. Et puis la semaine prochaine, vous reprenez pour la quatrième année consécutive un spectacle de lecture poétique, LAFONTAINE, CELINE, BAUDELAIRE et NIETZSCHE. On en verra un extrait tout à l'heure. Quand vous voyez le succès de ce spectacle qui revient donc au Théâtre de la Madeleine, vous vous dites " je fais uvre civique, je donne du bonheur mais aussi je donne du savoir " ? Non, vous ne vous dites pas du tout ça.
Fabrice LUCHINI
Je ne me dis pas ça.
Ruth ELKRIEF
Vous vous dites quoi alors ?
Fabrice LUCHINI
Je ne serais pas loin d'un asile psychiatrique si je me disais ça. Non, je ne me dis pas ça ; je me dis : comment exécuter le moins mal la perfection qui est écrite. C'est très simple, c'est technique, c'est concret. Il n'y a pas d'idées, il n'y a pas de pensées.
Ruth ELKRIEF
Il n'y a pas d'idées, il n'y a pas de pensées. Alors François BAYROU connaît bien la littérature, il était professeur de lettres, il a même appris des dizaines de poèmes par cur et il a même été au conservatoire.
François BAYROU
Mais je ne peux pas enfin c'est très difficile pour moi
Ruth ELKRIEF
De rivaliser vous voulez dire Je ne vais pas vous faire déclamer tout de suite un poème chacun.
François BAYROU
Je veux dire la perfection c'est le plus grand diseur du siècle. Enfin de la moitié de siècle que nous avons connue ensemble. Le plus grand peut-être le plus original, celui qui sait le mieux en transmettre le plaisir. Alors donc parler de mon amour de la poésie en face de lui, c'est un peu difficile mais
Ruth ELKRIEF
Il y a des hommes politiques qui sont venus vous voir, Jacques CHIRAC, le président est venu, Nicolas SARKOZY, Edouard BALLADUR, plusieurs personnalités qui sont venues. Ca vous a donné le trac ?
Fabrice LUCHINI
La salle n'est pas la même exactement quand il y a des personnalités importantes, qu'elles soient politiques ou artistiques ou cinématographiques. Le public a un comportement pendant les premières minutes un petit peu impressionné.
Ruth ELKRIEF
Et vous, vous n'êtes pas impressionné devant un homme politique ?
Fabrice LUCHINI
Bien sûr que si. Toute autorité est impressionnante.
Ruth ELKRIEF
Pour vous, un homme politique, ce n'est pas aussi un petit peu un acteur parfois ?
Fabrice LUCHINI
Je savais que vous me poseriez la question. Il y a quelques années, je tournais un film à Toulouse et il y a un monsieur qui est maintenant Premier ministre qui est passé pendant un plan où je me faisais casser la figure parce qu'un bonhomme était fou de rage que je prenne sa fiancée ou que j'embrasse sur la bouche sa fiancée. Et puis il était en imperméable, il avait une sacoche, il traverse le hall comme ça. Et je me suis dit " c'est étrange ", c'était une période de manifestement je ne m'y connais pas et puis ça ne me regarde pas, mais ce n'était pas une période... ce n'était pas là où il est. C'était un homme qui manifestement je crois - je ne veux pas me mêler de trop de choses qui ne me regardent pas - mais qui avait demandé au Premier ministre actuel des choses pour passer dans les pays étrangers
Ruth ELKRIEF
En gros c'était Lionel JOSPIN qui avait demandé à être ambassadeur à Alain JUPPE et il ne l'a pas eu et puis voilà
Fabrice LUCHINI
Donc il était là et puis pourquoi j'ai été lui parler ? Parce que je suis très soucieux et curieux des contacts avec les hommes et les femmes. Donc j'ai demandé qu'on arrête le tournage et puis j'ai été le voir et puis on a parlé de quelqu'un qu'on connaissait globalement et puis après pourquoi je vous parle de ça ?
Ruth ELKRIEF
Est-ce qu'un homme politique est un acteur ?
Fabrice LUCHINI
Ah bien non, parce que lui par exemple non, parce que les gens sont grandis parce qui leur arrive, par exemple lui, il était comme un acteur qui est une mauvaise passe je ne veux pas du tout dire qu'il n'était pas le même mais il est était un peu normal. Et puis maintenant, il est bon. Monsieur BAYROU
Ruth ELKRIEF
Alors Monsieur BAYROU ?
Fabrice LUCHINI
Je ne sais pas. Moi je le sens c'était intéressant ce qu'il a dit au tout début sur l'éducation, je ne veux pas trop me mêler de ça non plus, sur le problème de l'éducation et des humanités, tout ça, ce que vous disiez avec une sorte de gravité en disant qu'on n'aurait pas le temps d'en parler mais que l'éducation selon vous, puisque vous étiez professeur de littérature, alors ça, ça me semblait un thème intéressant Mais est-ce qu'elle va nous donner le temps ?
François BAYROU
On peut toujours essayer au moins trente secondes. Ce n'est pas la mode. La mode est à la technicisationaux nouvelles technologies, je ne suis pas sûr d'ailleurs que ce soit contradictoire et opposé. Mais perdre de vue et faire manquer la chance à des gamins qui ne sont pas du bon milieu de découvrir ça, qui est l'instrument de liberté et de bonheur par excellence, si on fait ça, vraiment on se trompe et on fait du mal. Or il faut savoir que les humanités, si on ne les relève pas comme j'avais entrepris de le faire, eh bien il n'y en aura plus. Il n'y a plus, vous m'entendez, il n'y a pas cent élèves en France qui font du latin et du grec
Fabrice LUCHINI
Là, vous n'êtes pas d'accord avec ALLEGRE en gros.
Ruth ELKRIEF
Exactement.
Fabrice LUCHINI
Donc là, il y a du conflit là ! Non, mais la droite
François BAYROU
En général, je ne suis vraiment pas d'accord avec ALLEGRE
Fabrice LUCHINI
Mais là par exemple ?
François BAYROU
Mais ce n'est pas le sujet parce que ça j'avais commencé une politique très ambitieuse qui aurait fait qu'il y aurait eu plusieurs dizaines de milliers d'élèves qui auraient de nouveau fait des humanités et du texte scientifique ou littéraire, aucune importance, le grec ça sert au moins autant pour les scientifiques que pour les littéraires. Et on croit que c'est pour apprendre une langue morte ; ce n'est pas pour apprendre une langue morte, c'est pour apprendre qui nous sommes.
Fabrice LUCHINI
C'est large, comme débat. Ca demande beaucoup de temps. Vous êtes d'accord.
Ruth ELKRIEF
Mais franchement, quand vous, vous parlez, quand vous êtes sur votre scène et que vous déclamez LAFONTAINE et que vous allez et venez, vous comparez
Fabrice LUCHINI
Déclamer, c'est mauvais signe ; dès qu'on déclame, c'est que ça ne va pas très bien. Le mot "déclamer"
Ruth ELKRIEF
Il ne vous convient pas.
Fabrice LUCHINI
Non, le mot " déclamer ", c'est quand on a perdu le sentiment intérieur véritable et qu'on projette extérieurement un sentiment qu'on n'a pas. Les acteurs - là je vais parler un tout petit peu boutique - un acteur le mot n'est pas faux mais dans notre petit vocabulaire à nous, déclamer, c'est quand on n'est pas dans le sentiment intérieur et que par l'extérieur, on essaie de projeter.
Ruth ELKRIEF
Alors vous, vous dites ?
Fabrice LUCHINI
Je ne dis pas j'essaie c'est très hésitant, j'essaie de restituer enfin j'essaie, je ne veux même pas dire c'est très compliqué mon truc, ça prend beaucoup de temps et puis ce n'est pas explicable
Ruth ELKRIEF
On a un peu de temps, ne vous inquiétez pas.
Fabrice LUCHINI
J'essaie de mais non, c'est trop large, on ne peut pas en parler, on ne peut pas parler de ce qui se passe pour un acteur face à un grand auteur, c'est impossible. Alors je vous ai coupé, pardonnez-moi, je déclame ou en gros je dis alors allez-y, finissez.
Ruth ELKRIEF
Lorsque vous dites des textes comme ça, vous apportez ces humanités dont parle l'ancien ministre, au plus grand nombre, puisqu'il y a des centaines de milliers de personnes qui viennent vous écouter.
Fabrice LUCHINI
Oui, mais moi je fais payer aussi, moi ce n'est pas gratuit du tout. Moi ça coûte 100, 220 francs, c'est assez cher.
Ruth ELKRIEF
Mais quand vous le faites, vous êtes content de le faire. Vous vous dites aussi cela, non ?
Fabrice LUCHINI
Non, pas du tout. Ce serait un discours d'une prétention sans borne et d'une mégalomanie délirante.
Ruth ELKRIEF
Que vous n'avez pas bien sûr
Fabrice LUCHINI
Je peux en avoir plein d'autres mais pas celle-là.
François BAYROU
En tout cas, c'est rendre service aux gens. Vous aviez posé la question en commençant, c'est rendre service aux gens. Et il n'y a pas de moyens plus voilà, un texte, ça se dit, point. Et c'est très dommage que dans les écoles, on n'apprenne plus par cur. Ca a l'air d'un discours d'un autre temps, réactionnaire et tout, c'est un discours d'avenir.
Ruth ELKRIEF
Oui, c'est par cur, on va regarder tout de suite un extrait. J'ai quand même envie de vous redemander votre regard sur les hommes politiques, Fabrice LUCHINI, quand un homme politique parle et s'exprime et répond à des questions ou fait un discours ou fait un meeting, vous vous dites : tiens, il a travaillé, il y a un côté de jeu aussi, de travail technique ? Vous avez envie de leur donner des conseils, de dire tiens, moi je n'aurais pas dit ça comme ça ?
Fabrice LUCHINI
Un homme politique, c'est exactement comme un acteur, on n'écoute pas ce qu'il dit
François BAYROU
On écoute ce qu'il est.
Fabrice LUCHINI
Parce que la télévision, puisque le débat politique a été happé même si votre émission est vraiment, réellement, sincèrement, est quand même un lieu où vous ne lâchez pas le morceau, le débat est volé par cet écran, le débat grave, sérieux, profond. Les problèmes de civisme, toutes ces choses-là, passionnantes, intéressantes Tout est alors il doit y avoir dans les réunions Peut-être que les militants vivent ça, mais voilà, je vous ai répondu.
François BAYROU
Et en tout cas, s'il y a quelque chose qui va changer dans les temps qui viennent comme je le crois, une intuition, c'est que devant cet instrument-là, on ne peut pas mentir.
Ruth ELKRIEF
Devant la télévision ?
François BAYROU
Voilà. Devant vos caméras, si on ment, à l'autre bout, enfin de l'autre côté de l'écran, tout le monde s'en aperçoit, même si on ne sait pas
Fabrice LUCHINI
Il ne faut pas y passer souvent.
Ruth ELKRIEF
Fabrice LUCHINI, lui, quand il y passe en général, il fait des grands shows et il ne ment pas mais il fait un peu un numéro, il fait un peu un jeu d'acteur, non ?
Fabrice LUCHINI
En fonction du climat général. Quand on passe à minuit, dans une chaîne concurrente, il y a un climat mais là je suis ravi d'avoir un autre climat avec vous, voilà.
Ruth ELKRIEF
Je voudrais revenir sur une phrase, Fabrice LUCHINI, j'ai retrouvé une phrase de vous. Vous disiez que vous ne parliez pas du tout politique et vous vous esquivez tout le temps, vous ne voulez pas être sur ce terrain-là, mais j'ai retrouvé une phrase de vous dans TELERAMA en 94 où vous disiez : je ne vote pas, la bonne conscience de gauche m'ennuie. Pourquoi est-ce qu'on serait forcément médiocre dans un milieu où on regarde Jean-Pierre FOUCAULT plutôt qu'ARTE ?
Fabrice LUCHINI
C'est riche comme perspective.
Ruth ELKRIEF
Vous le diriez toujours aujourd'hui ?
Fabrice LUCHINI
Quelle est votre question exactement ?
Ruth ELKRIEF
Est-ce que vous diriez cela aujourd'hui aussi ?
Fabrice LUCHINI
Je ferais plus court.
Ruth ELKRIEF
Mais vous le pensez toujours.
Fabrice LUCHINI
C'est trop riche moi je veux bien qu'on rentre là-dessus mais vous parliez de par cur, alors vous alliez envoyer quelque chose sur le film Tout à l'heure ?
Ruth ELKRIEF
Tout à l'heure, oui.
Fabrice LUCHINI
J'ai eu peur que vous sortiez une phrase d'une interview où j'avais dit une phrase qui avait été sortie comme ça, où j'avais dit de manière un petit peu provocatrice, que pour un acteur, c'est plus important qu'il s'occupe de l'exécution technique du problème qu'il a à jouer, plutôt que de passer son temps à se faire plaisir en un mot on va dire ça rapidement : être de gauche - moi je vous dirai jamais ce que je vote - est d'une part plus difficile humainement, c'est comme être chrétien. Etre de droite, si on caricature la droite et la gauche puisqu'on n'a pas le temps de l'affiner, être de droite - et c'est pour ça que la droite a eu tous ses problèmes - c'est qu'à un moment, elle est devenue tellement humaniste, elle est devenue près que les autres ont becqueté le truc parce que pour eux, c'est le fonds de commerce de base ; la gauche Si on voulait résumer par exemple la sensibilité de gauche et de droite, c'est que - il ne va pas être d'accord mais je le dis - la gauche croit profondément dans l'homme. Alors je ne dis pas que la droite n'y croit pas ; mais la gauche a une espèce de avec parfois des choses très irritantes puisqu'elle a des fois des attitudes qui se contentent de la posture ou en ayant des comportements parallèlement
Ruth ELKRIEF
Ce que vous appelez la bonne conscience de gauche
Fabrice LUCHINI
Et en ayant des comportements parallèlement totalement de petits bourgeois, consommateurs, qui ont des employés, tout va bien
Ruth ELKRIEF
Et élitistes parfois.
Fabrice LUCHINI
Et élitistes. Enfin en gros, c'est aussi bien que la droite mais simplement c'est la gauche, donc on est gagnant sur tous les côtés. Ca, j'ai été victime de ça dans mon milieu familial qui n'était pas mon milieu parental mais dans un autre milieu, parce que moi, je viens d'un milieu d'immigrés italiens, des gens qui avaient une sensibilité pas politique mais j'ai vécu dans un monde, c'était hallucinant, c'est-à-dire ce monde de la tyrannie, de l'immense de l'indignation constante. Je suis né le jour pour être indigné de la société tragique, de la condition dans laquelle l'homme je prends un taxi, un homme de couleur a été refusé, je hurle ma haine du monde ça, moi, je ne peux pas trop supporter ça parce qu'on rentre - je n'ai pas envie de faire du poujadisme - mais on peut rentrer dans des quartiers cools C'est d'une complication ! Donc je termine, la gauche, c'est passionnant, ça m'intéresse énormément, mais si on la résume, la droite est plutôt pessimiste, elle croit aux lois du marché, elle n'est pas humaniste normalement. Normalement, la droite, elle n'est pas là pour faire de l'humain ; elle ment quand elle fait trop d'humain et c'est pour ça qu'elle perd. Elle doit concrète, elle doit dire en gros : les mecs, la gauche, elle vous fait faire le boulot mais elle ne vous promet pas l'autogestion parce que le but quand même qu'un jour ou l'autre il faudra remettre en branle, c'est : est-ce qu'on est capable profondément de remettre en cause l'économie de marché, réellement, non ! L'économie de marché, c'est-à-dire qu'à un moment, il y a du profit, il y a un truc. La deuxième chose - moi qui avais dit que je ne m'occupais pas de politique, je me lance dans la politique C'est dramatique
François BAYROU
Mais c'est très bien !
Fabrice LUCHINI
Non, c'est très moyen.
François BAYROU
Là, on est sur le bon chemin, là.
Ruth ELKRIEF
Allez-y !
Fabrice LUCHINI
Oui, mais ce n'est pas du tout mon domaine, donc je suis idiot d'être parti, je suis encore impulsif, ce n'est pas mon domaine. Non, mais ce que je veux dire par là, c'est que la droite, ce qu'elle a de bien un patron de droite, c'est beaucoup mieux qu'un patron de gauche ! Un patron de droite, il dit : tu feras ça, je n'en ai rien à foutre, ou alors il est paternaliste, humaniste ; être de gauche, c'est un effort constant puisque c'est un effort de non cynisme, de non mépris et de totale notion aiguë de l'égalité, de la fraternité. C'est-à-dire être de gauche, le matin, on doit se lever plus tôt que les autres
Ruth ELKRIEF
Ce n'est pas naturel.
Fabrice LUCHINI
C'est un effort. C'est un vrai effort. C'est de penser qu'on a une compassion vraiment pour l'autre, ce qui est totalement évidemment une invention, qu'on est complètement au-delà de son petit moi et de son petit ego, c'est évidemment une invention, et pourtant là où ce n'est pas une invention, c'est que là il y a un projet pour JOSPIN qui est énorme, ça je le sais parce qu'intuitivement je l'ai compris : il y a une chose qui va résoudre et qui va incarner le gouvernement actuel, c'est qu'il va être pour la première fois face à une responsabilité gigantesque, il va ne pas s'opposer comme en 81 aux lois du marché - ils ont compris les erreurs, etc ; mais ils vont dire : on va apporter au capitalisme un immense visage humain, c'est-à-dire qu'on va régler les problèmes humains - le socialisme, c'est-à-dire très très préoccupé par ce qui est fondamental dans la vie aussi parce que moi je voudrais aussi dire beaucoup de bien de la gauche
Ruth ELKRIEF
Et ça, ça ne va pas marcher ?
Fabrice LUCHINI
Si, si on s'y met et si tout le monde commence à vraiment se mettre autour d'une table pour comprendre globalement le monde, la nature humaine, la psychanalyse et aussi les conflits intérieurs, le monde intérieur, vous comprenez, tous ces gens-là qui s'occupent de politique - et je ne parle pas de vous mais des militants - sont des gens qui détestent les problèmes intérieurs, donc il y a un problème aussi psychanalytique. Ces gens qui s'occupent du monde, pourquoi ils s'en occupent ? C'est anormal. Il y a un proverbe anglais qui dit : les hommes politiques ont eu des problèmes dans l'enfance très importants.
Ruth ELKRIEF
François BAYROU, quand on fait de la politique, ce n'est pas normal, c'est des questions d'ordre psychanalytique, dit Fabrice LUCHINI ?
François BAYROU
Est-ce que je puis allumer un tout petit projecteur sur une toute petite chose qui m'agace un peu aussi. Fabrice LUCHINI a fait un numéro je veux dire a fait une expression très amusante et très forte de critique de la gauche. Est-ce que vous avez remarqué que la gauche, quand on la critique, on en dit toujours du bien ? On dit : elle est humaniste
Ruth ELKRIEF
Ca vous fait de la peine, François BAYROU alors ?
François BAYROU
La droite, elle est moche ; et si elle l'était plus encore, ça serait plus clair. Eh bien moi je crois deux choses, et l'une va annuler l'autre, comme ça on va être complètement d'accord ; je crois que la première chose, c'est qu'il y a autant de gens bien, conscients et généreux à droite - et personne ne le dit - à gauche - et tout le monde le dit - et que ce n'est pas normal que ceux-là, toujours, on les fasse passer du côté du cynisme et du fric. Il y a des tas de gens
Ruth ELKRIEF
Il dit aussi qu'à gauche, il y a du cynisme, j'ai cru comprendre ça !
Fabrice LUCHINI
Moi je ne veux pas dire du mal de la gauche, elle est au pouvoir !
François BAYROU
Pour finir donc, c'est normal qu'on les reconnaisse, ceux-là aussi. Une société
Ruth ELKRIEF
C'est à ça que sert l'UDF, François BAYROU, il y a des gens bien.
François BAYROU
Non, je veux dire il y a des gens qui veulent que ce ne soit pas que le fric, il y a des gens qui veulent que ce soit autre chose qu'on construise, voilà quelque chose d'humain. Donc un. Et deux, je ne veux plus que droite et gauche, ce soit le bon et pertinent critère et ce que je viens de dire annule ce que je disais précédemment.
Ruth ELKRIEF
On parlait des gens comme ça José BOVE qui est en train de faire un grand show aux Etats-Unis. C'est un personnage pour vous, Fabrice LUCHINI ?
Fabrice LUCHINI
Ah non mais je suis triste parce que ce n'est pas du tout du tout ce que je voulais dire. Je voulais dire une chose que je vais répéter, je suis désolé, la droite est pessimiste sur la condition humaine ; elle pense qu'il y a des hiérarchies
François BAYROU
Oui, c'est très juste.
Fabrice LUCHINI
Et moi je ne déteste pas du tout ni la gauche ni la droite
François BAYROU
Une partie de la droite croit ça.
Fabrice LUCHINI
Bon, il y a une partie de la droite mais enfin c'est ça la vraie droite, c'est la droite pragmatique et concrète.
Ruth ELKRIEF
Lui, ce n'est pas la vraie droite, François BAYROU, ce n'est pas la vraie droite, c'est ça que vous lui dites ?
Fabrice LUCHINI
Non, mais le problème de la droite je vais encore me mêler d'un truc, je n'aurais pas dû venir à cette émission, le problème de la droite, c'est que les gens n'ont plus compris du tout ce qui se passait ! La droite, il faudrait qu'elle parle aussi de manière enfin je ne veux pas m'en occuper parce qu'en même temps, fondamentalement, je pense qu'il y avait une chose que j'aimais beaucoup que disait FINKELKRAUT - voilà quelqu'un qu'on devrait inviter beaucoup plus
Ruth ELKRIEF
Alain FINKELKRAUT, le philosophe
Fabrice LUCHINI
Parce que vraiment nous, les acteurs, vous voyez, dès qu'un acteur se mêle de trucs, il dit des bêtises, il est là pour dire les textes des autres. Et FINKELKRAUT disait une chose très belle, c'est vraiment quelqu'un de formidable, il disait : il y a une époque, on pouvait imaginer que la notoriété créait l'excellence et maintenant
Ruth ELKRIEF
C'était l'excellence qui créait la notoriété et aujourd'hui, c'est la notoriété qui crée l'excellence.
Fabrice LUCHINI
Voilà. Redites-la !
Ruth ELKRIEF
Alors c'était l'excellence qui créait la notoriété et maintenant, selon vous et selon FINKELKRAUT, c'est la notoriété qui créerait l'excellence.
Fabrice LUCHINI
Donc c'est complètement idiot qu'un acteur parle de politique parce que mon travail, il n'est pas là.
Ruth ELKRIEF
Alors on va le regarder, ce travail, justement. C'est un extrait de votre spectacle. Il a été filmé par le cinéaste Benoît JACQUOT qui en a fait donc un film " Par cur ". C'est l'extrait d'une fable de LAFONTAINE : " Le rat qui voulait se retirer du monde ", c'est ça ?
Fabrice LUCHINI
Oui.
Ruth ELKRIEF
On le regarde.
Extrait
Ruth ELKRIEF
François BAYROU rit et dit : j'ai toujours rêvé d'expliquer un texte comme ça.
François BAYROU
Ne vous en privez pas.
Fabrice LUCCHINI
D'ailleurs c'est une chose qui est un immense bonheur pour moi, c'est d'avoir tous les liens avec les professeurs de littérature, la gentillesse des gens qui veulent emmener leurs élèves, la difficulté qu'on a de les faire entrer parce que moi je suis un peu obsédé par l'idée d'une chose trop scolaire et je ne veux pas qu'on force les enfants à venir. Je trouve une aberration absolue de les obliger, il faut qu'ils manifestent aussi un désir. Donc aussi, moi j'ai une position ambiguë. Et c'est quand même grâce à eux, cette immense humanité qui souvent est à gauche, c'est-à-dire de profs, de gens qui travaillent, qui ont donné à mon activité une dimension. Donc je veux maintenant absolument rétablir l'incroyable souci que j'ai des problèmes importants de chaque être humain. Simplement je ne suis pas spécialiste. Voilà, maintenant vous pouvez y aller.
Ruth ELKRIEF
Je peux y aller, donc pour parler de cet amour des mots que vous avez. Vous parliez il y a un instant, tout à l'heure, de psychanalyse et de rapports plus compliqués pour les hommes politiques peut-être avec leur intime. Quand on est un acteur et qu'on a été en psychanalyse, est-ce que c'est pour ça qu'on aime les mots comme ça ? J'ai lu une phrase de Michel BRAUDEAU, écrivain, il dit : c'est pour ça que vous avez le goût des mots, vous, Fabrice LUCHINI, et que vous savez ce qu'il en coûte.
Fabrice LUCHINI
J'ai repéré que les militants par exemple quels qu'ils soient, les militants j'ai beaucoup croisé de marxistes etc, ne donnent pas trop d'intérêt à l'individu. Ils en ont un peu marre et on les comprend, cette espèce de peste dont a parlé Sigmund quand il est monté sur l'avion en arrivant et qu'il a dit simplement : ils croient que j'apporte un truc bien, j'apporte la peste. C'est une horreur. C'est pour ça qu'être impliqué dans le social, être impliqué dans le socialisme quel qu'il soit, être impliqué dans le monde, c'est passionnant parce que ça soulage de cette immonde rencontre de se taper soi avec soi. L'acteur, il est payé pour ça, on le paie, la société va suffisamment bien pour qu'on dise à l'acteur : tu vas brasser dans ton vieil intérieur des conflits, des difficultés, et tu vas surtout essayer alors pour les mots, eh bien tu vas essayer de comprendre ce qui est écrit parce qu'on va finir sur une note un peu plus élevée que mes malheureux propos, c'est que le seul but d'un acteur, c'est d'essayer de dire de quoi ça parle. De quoi ça parle un texte ? Il y a évidemment un très grand mystère qui échappera à toutes les images, qui échappera à toutes les formulations. Il y a quoi ? Il y a une sensation, il y a des sentiments, il y a une réalité qui n'est pas de l'ordre de l'association rapide du monde brutal qui est le monde de la réalité actuelle, non, c'est ce pourquoi on peut continuer à vivre, c'est que des êtres, des génies, des écrivains le problème, il n'est pas dans la transmission, il est dans la puissance des auteurs. Pourquoi on ne se pose pas une seule question ? Comment se fait-il que LAFONTAINE qui a été pris dans un hold-up, qu'on l'impose à des enfants très jeunes, alors qu'il est le plus compliqué des écrivains que je joue et qu'il est beaucoup plus compliqué que NIETZSCHE, que ce LAFONTAINE qui a ce génie tellement spécifique, pourquoi il nous parle ? C'est la seule question. Il n'y a pas de gauche, il n'y a pas de droite. Pourquoi ça nous parle maintenant ? Pourquoi il y a certaines personnes qui sont dans le ponctuel - je ne vous dis pas vous, ni vous, ni moi
Ruth ELKRIEF
La télé, le cinéma, " Star wars ", etc
Fabrice LUCHINI
Et pourquoi il y a tout d'un coup, quand on rentre dans le domaine du très sérieux, le très sérieux, c'est l'écrivain, c'est l'auteur, c'est celui qui est sacrifié, c'est Charles BAUDELAIRE qui a fait des musiques à tomber, qui sait dire mais qui sont très souvent des gens pour qui l'existence n'est pas un problème, ils ne sont pas là où nous sommes, nous, dans des problèmes gauche-droite, ils sont à un autre niveau. C'est comme des appelés de la vie. Et nous, essayer de comprendre ce qu'il y a pourquoi ça parle encore, c'est la seule question, il y a trois siècles et pourquoi ça continue à parler.
Ruth ELKRIEF
Et donc vous en parlez devant des spectateurs. J'ai vraiment une toute dernière question : quand on dit " le phénomène LUCHINI ", ça vous fait plaisir ? Vous vous dites : je suis arrivé à être consensuel, on m'aime ? Ou bien vous vous dites oh là là, c'est trop et ce n'est pas moi ?
Fabrice LUCHINI
Je n'ai pas l'espoir que les gens me renseignent sur ce que je suis maintenant, j'ai grandi, j'ai 48 ans et ça fait 23 ans que je suis sur le divan. Donc moi, ils peuvent dire ce qu'ils veulent, ça ne me renseigne pas énormément. Mais je suis ravi par contre, que le théâtre, que les films, on aurait pu en parler, de tous ces films, du dernier film de Benoît JACQUOT sur un homme important
Ruth ELKRIEF
Qui se retrouve en prison et qui ressort. C'est une question de temps. On retrouvera le temps, François BAYROU, merci beaucoup, on retrouvera le temps, Fabrice LUCHINI, pour continuer à en parler. Donc je le disais, on vous retrouve à partir du 4 décembre au théâtre de la Madeleine pour Fabrice LUCHINI lit LAFONTAINE, NIETZSCHE et CELINE. Bonsoir, merci d'être restés avec nous. On se retrouve la semaine prochaine. FIN

(source http://www.udf.org, le 30 novembre 1999)