Déclaration de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, sur les incidences de l'activité agricole sur l'eau, notamment les pollutions, la protection de l'environnement, l'épandage des boues et la gestion de l'eau, Paris le 29 mai 2000.

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Circonstance : Colloque "L'eau, l'agriculture et l'environnement" du Cercle Français de l'eau au Sénat le 29 mai 2000

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Si la profession agricole, à travers le Conseil de l'Agriculture Française (CAF) a souhaité être associée aux travaux de cette journée, c'est parce que, même sur un sujet réputé inconfortable, nous souhaitons dialoguer et trouver avec nos partenaires des solutions durables. C'est aussi parce que nous souhaitons être mieux compris et reconnus dans notre action et notre métier, plutôt que d'être mis trop souvent et à la va vite, au banc des accusés.
Le constat dressé ce matin sur les incidences de l'activité agricole sur l'eau a été précis, franc et sans complaisance.
Vous le comprenez bien, ce débat sur l'eau est pour nous essentiel. L'eau est pour l'agriculture une ressource indispensable : il est possible de se passer de terre, mais pas d'eau. Tous nos produits sont constitués d'eau, à 80%.
Bien sûr, à travers l'irrigation, l'agriculture est une grande consommatrice de cette ressource. Mais l'irrigation est vitale pour l'équilibre de nombreuses productions, régions et territoires. Sans elle, l'agriculture ne pourrait pas répondre aux besoins des consommateurs, tant sur le plan quantitatif, que sur le plan qualitatif. Et quand la population mondiale augmentera de 2 milliards d'ici 25 ans, il faudra bien que notre agriculture continue à jouer son rôle dans l'équilibre alimentaire de la planète.
Mais bien sûr, gérer cette ressource, préserver sa qualité et sa disponibilité est une responsabilité collective. Les agriculteurs sont conscients des leurs. Ils ont d'ailleurs tout intérêt à préserver l'eau et leur milieu naturel et pour leurs cultures et leurs animaux. Et, comme tout citoyen, ils sont concernés par la qualité de l'eau qu'ils boivent.
Mais ils demandent aussi que leurs efforts soient reconnus et appréciés. L'amélioration des pratiques agricoles est une réalité, la société doit le reconnaître et nos débats le démontrent encore. Même s'il faut juger les fruits de ces efforts sur plusieurs années.
Et je n'ai pas l'impression, lorsque je me tourne vers les agriculteurs présents ici, de m'adresser à des pollueurs sans état d'âme, bien au contraire ! Nous pouvons être fiers de nos progrès, fiers de notre manière d'exercer notre métier. Fiers aussi de notre rôle pour la société, car l'agriculture contribue également à la production d'environnement, au recyclage, à la sauvegarde des milieux naturels, à la biodiversité.
A l'inverse, elle subit à son tour les nuisances des pollutions industrielles et urbaines. C'est toute la question des boues d'épurations qui seront évoquées tout à l'heure.
Alors, la responsabilité de l'environnement est collective, elle regarde tous les acteurs économiques et politiques que vous représentez. C'est la société dans son ensemble qui est confrontée à l'impact de ses activités, à la gestion de ses déchets, à la préservation de ses ressources naturelles.
Mais il est frappant de constater que trop souvent, la hiérarchie des risques est mal appréciée par les Français. Une eau nitratée à 51 mg/litre d'eau est pour eux aussi grave qu'une intoxication au plomb ! La future agence de sécurité sanitaire environnementale sur laquelle le Sénat va se prononcer prochainement, pourrait contribuer à éclaircir le débat et à expliquer les risques. Il revient ensuite aux responsables politiques que vous êtes, de décider des priorités.
Pour autant, nous sommes tous conscients actuellement de la dimension stratégique des ressources naturelles. Aujourd'hui, l'approche du développement est plus globale, qu'il s'agisse d'agriculture ou d'autres activités.
La FNSEA souhaite résolument inscrire l'agriculture dans cette perspective à travers la multifonctionnalité de l'agriculture, qui consiste à croiser la dimension économique et productive de notre activité, avec le rôle qu'elle assume dans l'aménagement des territoires, la préservation de l'environnement, l'animation rurale.
Mais pour nous ces deux éléments sont indissociables. Le développement durable des territoires doit s'appuyer sur des hommes et des activités qui l'animent, le structurent. Préserver l'environnement ne doit pas conduire à transformer nos espaces en vastes réserves naturelles, sans hommes et sans âmes. Ce ne serait pas l'Eden, mais de nouveaux déserts verts.
Au contraire, les ressources naturelles doivent être mises au service de l'homme et nous voulons les préserver non seulement pour l'équilibre de notre écosystème, mais aussi pour la pérennité de nos activités. Nos territoires doivent être animés, habités, vivants. Et l'environnement est d'ailleurs autant menacé par la déprises agricole, que par la surexploitation des ressources, dans le cadre d'une activité insuffisamment maîtrisée.
L'équilibre de l'espace et de l'environnement, passe par l'occupation des territoires par les agriculteurs. Mais encore faut-il pour cela qu'ils puissent vivre de leur activité. Pour nous c'est tout cela le développement durable. Et une agriculture durable, doit d'abord être viable économiquement, et transmissible pour les générations futures.
Il faut donc résoudre la quadrature du "cercle" : produire mieux et protéger l'environnement, tout en permettant à l'agriculteur de dégager un revenu suffisant de son activité.
C'est bien pour cela que le CAF préfère les logiques incitatives, qui reposent sur une approche économique et pragmatique de notre activité, dans son contexte naturel, à une approche fondée sur la sanction. Et nous avons fait plusieurs propositions en ce sens.
La profession agricole est prête à prendre ses responsabilités, à engager une agriculture plus respectueuse de l'environnement. C'est sur ce chemin que sont engagés les agriculteurs. Cette évolution ne se fera pas contre eux, mais avec eux et par eux.
Mais le gouvernement semble préférer prendre la profession à rebrousse poil, sans tenir compte de nos propositions et de nos observations.
Ainsi, l'orientation actuelle qui consisterait à gérer la ressource en laissant exploser le prix de l'eau, nous paraît être la pire des solutions. L'équilibre économique des exploitations en serait menacé et nos positions fragilisés par rapport à nos concurrents. De nombreux producteurs ne pourraient pas faire face et les plus fragiles, les plus petits se retrouveraient exclus du système. L 'agrandissement se développerait sur le terrain, pour récupérer une meilleure compétitivité coûts sur des marchés de plus en plus concurrentiels. La concentration sur certaines zones irait de pair avec la fragilisation de l'activité sur d'autres.
Est-ce vraiment là le but du ministère de l'environnement ?
Le Conseil de l'Agriculture Française a exprimé clairement sa préférence pour la gestion de l'eau par les volumes plutôt que par les prix. Il s'agit de créer de la ressource, de responsabiliser les usagers en tenant compte de leurs besoins et de leur activité. De favoriser une gestion partenariale, concertée et transparente de la ressource. La profession agricole est prête à avancer en ce sens.
Nous ne pouvons à l'inverse, que déplorer le simulacre de concertation conduit par le ministère de l'environnement, qui s'oriente vers la suppression des coefficients d'usage et la centralisation du système, au mépris des acteurs économiques, de leur activité et du dialogue entre les professionnels.
Pour le CAF, il est inacceptable et irresponsable que le ministère avance en ce sens, sans avoir évalué les conséquences de ces propositions sur les activités, l'emploi et les territoires. C'est vraiment le fait du prince. C'est pourquoi le CAF, qui regroupe les Chambres d'Agriculture, la coopération, la mutualité et le crédit, avec le syndicalisme jeune et aîné, a demandé que soit menée une étude d'impact sur notre secteur.
Gérer l'eau par le prix, revient à s'en remettre uniquement au marché. Or, sur une ressource essentielle et partagée comme l'eau, ce sont des arbitrages politiques qui sont nécessaires, avec une négociation entre les élus locaux et les différents utilisateurs, pour répartir la ressource selon les besoins, dans le contexte du développement d'une collectivité.
C'est ce que font les élus que vous êtes, avec nous et les autres partenaires, dans le cadre des agences de l'eau et des SAGE, dans le cadre des opérations rivières aussi. Acteurs du développement local, les agriculteurs ont conscience de l'importance de leurs relations avec les élus locaux. Il nous faut développer nos liens avec l'Association des Maires de France et tous les élus de terrain du pays pour trouver ensemble des solutions constructives pour tous.
Alors, ce n'est pas plus de marché que nous demandons, mais plus de démocratie locale et un rôle reconnu des corps intermédiaires et des acteurs économiques, au côté des élus.
Les progrès des agriculteurs se mesurent au quotidien, sur leurs exploitations et je vous assure, beaucoup a été fait pour améliorer les pratiques sur l'environnement. Seulement, bien sûr, un bon usage des pulvérisations ne fait pas souvent la une des gazettes !
Et pourtant, c'est bien en responsabilisant l'agriculteur dans son métier, que nous progresseront le plus. A ceux qui contestent les actions volontaires de la profession - Irrimieux, Fertimieux, PhytomieuxFARRE aussi, sous prétexte qu'elles ne toucheraient que peu d'agriculteurs, j'ai toujours répondu qu'au contraire, nous étions engagés dans un véritable mouvement de fond. M. Paillotin, en remettant son rapport, s'est ainsi déclaré surpris que plus de 50% des agriculteurs, selon ses propres dires, sont prêts pour l'agriculture raisonnée.
Moi, je ne suis pas surpris : c'est le résultat de tout le travail des agriculteurs, de l'engagement de la profession et de nos outils de formation et de développement, avec au premier rang l'ANDA présidé par Gilbert Bros, dont je veux saluer le rôle primordial pour la profession. L'ANDA par ses actions, est déjà l'artisan de l'agriculture durable. Oui, l'ANDA construit l'avenir, avec les agriculteurs, et il est vital que cet outil reste à la profession pour demeurer proche du terrain et aider l'adaptation d'un maximum d'agriculteurs.
Il reste que nous nous demandons quelle place il restera aux actions volontaires, quelle initiative et quelle responsabilité si les agriculteurs se retrouvent étouffés par un carcan de textes, lois et réglements sans cesse renforcés.
Et peut-on dire d'un côté aux agriculteurs de faire mieux sur l'environnement, tout en créant une TGAP dont le produit est affecté, non pas aux actions préventives, mais au financement des 35 heures ?
Nous n'admettons pas ce jeu de billard à deux bandes dont les agriculteurs sont les victimes!
Pas plus que nous n'acceptons le parti pris inadmissible des ministères contre le PMPOA. Dire et faire croire que les agriculteurs ont touché une fortune pour un résultat nul sur la dépollution est un double mensonge. C'est une véritable entreprise de démolition de l'image de l'agriculture dans la société.
La réalité est que l'Etat n'a pas su prévoir la demande des agriculteurs désireux de s'engager dans le programme. Dans ces conditions la baisse massive des aides à partir de ce 1er avril est inacceptable : elle va créer des inéquités dans la profession, car les nouveaux entrants seront défavorisés par rapport à leurs prédécesseurs.
La FNSEA s'oppose à l'inéquité entre éleveurs et je rappelle d'ailleurs que c'est nous qui en 1997 avions demandé que les petites éleveurs, comme les gros, soient inclus dans le PMPOA. L'impact du PMPOA sur l'environnement ne peut être que positif même s'il n'est pas encore directement visible sur la qualité de l'eau. Il faut laisser du temps au temps et des moyens pour agir.
Sur le dossier des boues, si j'ai été amené comme Président de la FNSEA a lancé un mot d'ordre de suspension de l'épandage, c'est bien parce que nous sommes devant une véritable question de société, pas uniquement une question agricole.
Or, nous n'avons pas eu de la société toutes les réponses à nos interrogations. Nous devons avoir des garanties sur l'innocuité des boues pour exercer notre rôle de recyclage au service de la société. Et nous ne pouvons pas accepter d'être pris dans l'engrenage commercial, quand les GMS refusent des produits issus de parcelles épandues, histoire de dire bien haut qu'elles lavent plus banc que blanc.
Le flou actuel ne rend service à personne. Alors, nous souhaitons que le débat de société ait lieu soit tranché. Et je pense que l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques devrait y contribuer.
Mesdames et messieurs, nous ne sommes pas au bout de nos peines sur l'environnement. Beaucoup d'agriculteurs aujourd'hui, sont exaspérés par le rôle de bouc émissaire qu'on leur fait trop souvent jouer aujourd'hui.
Alors que leurs efforts n'ont jamais été aussi importants, ils n'ont sans doute jamais été autant critiqués, avec des levées de boucliers d'associations et d'idéologues de tout poil, qui critiquent leurs pratiques sans jamais avoir mis le nez dans une ferme. Et qui trouvent trop souvent des relais complaisants dans les ministères.
Alors, nous voulons démontrer dans ce colloque que les agriculteurs font du bon travail, avec l'appui des chambres, des coopératives, des instituts techniques en faveur de l'eau, ce bien commun de la nation.
Ce que nous demandons pour aller plus loin, c'est un débat équilibré et responsable dans ce pays, débouchant sur des solutions réalistes et durables. Et nous espérons que ce colloque du Cercle de l'Eau relancera le dialogue en ce sens. A nous aussi de répercuter dans tous les départements les débats que nous avons ici sur le plan national. La profession agricole est prête, au côté de tous ses partenaires : élus, acteurs économiques, responsables associatifs, à rechercher des solutions durables pour tous dans le respect des besoins et des activités de chacun, au bénéfice de la société tout entière.
Je vous remercie.
(source http://www.fnsea.fr, le 01Juin2000)