Interview de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, à RTL le 12 décembre 2002, sur les résultats des élections prud'homales, la participation et la représentativité syndicale.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief-. La participation est faible, très faible aux élections prud'homales : 32,7 % contre 34,4 % il y a cinq ans. Et certains syndicats se plaignent d'une mauvaise organisation. Allez-vous changer quelque chose pour les prochaines élections prud'homales ?
- "Il faut quand même d'abord dire qu'il y a eu 5,5 millions de Français qui se sont déplacés pour aller élire 15 000 juges bénévoles des conflits du travail. En soi..."
C'est déjà pas mal ?
- "Je trouve que c'est déjà pas mal. C'est vrai que la participation n'est pas satisfaisante, c'est vrai qu'il y a des problèmes d'organisation. Tout le monde conviendra qu'il y en a plutôt moins que lors des élections précédentes. J'ai indiqué que j'allais regarder comment confier à une personnalité indépendante un audit pour regarder comment on pourrait organiser différemment les choses demain. Je crois qu'il ne faut pas se cacher derrière des détails, la vérité c'est que, si la participation est faible c'est qu'il y a un problème par rapport à cette élection, par rapport au dialogue social dans notre pays, par rapport à la démocratie sociale."
Les syndicats ne sont pas assez représentatifs ? On ne tient pas assez compte de leur travail ?
- "Il y a plusieurs choses. D'abord, un mélange des enjeux. On dit aux Français qu'il faut élire des juges du travail. Après, une fois qu'ils ont voté, on leur dit que finalement, ils ont voté pour donner un mandat à des organisations syndicales. Ce n'est pas complètement clair. Ensuite, il y a autour de la démocratie sociale, qui ne fonctionne pas très bien dans notre pays, avec des accords signés par des syndicats minoritaires, avec une interrogation autour de la responsabilité des organisations syndicales. Donc, je sors conforté par cette élection..."
Je précise que la hiérarchie syndicale est inchangée, que la CGT reste en tête, la CFDT est confortée et FO perd deux points.
- "Voilà. Il n'y a pas de mouvement considérable. Mais je sors conforté, en raison du taux d'abstention notamment, par l'idée qu'il faut maintenant, engager la réforme de la démocratie sociale. J'ai décidé que, dès le début de janvier, dans quelques jours, je recevrai les organisations syndicales pour enclencher avec elles la préparation d'un texte de loi, sur la base de ce qu'on appelle "la position commune" de juillet 2001, c'est-à-dire, un texte signé par toutes les organisations syndicales, sauf la CGT, qui permettrait de faire évoluer la démocratie sociale."
Concrètement, vous le disiez il y a un instant, aujourd'hui, même un syndicat minoritaire, lorsqu'il adopte, qu'il signe un accord avec le patronat dans une entreprise ou dans une branche, cet accord est applicable à l'entreprise ou à la branche. Et ce que vous dites, c'est qu'il faudrait quand même que les syndicats soient plus représentatifs et que les accords soient signés avec des syndicats qui représentent 50 % des salariés ?
- "Si on veut donner plus de pouvoir aux syndicats, si on veut avoir un dialogue équilibré entre des partenaires qui se respectent, si on veut des syndicats plus proches, plus forts, plus responsables, il faut impérativement que la question de la légitimité des accords qui sont signés soit posée. Et donc, dans la position commune qu'ils ont adoptée, ils proposent deux solutions : dans les entreprises la majorité des salariés ; et dans les branches, la majorité des organisations."
Cela vous conviendrait ?
- "Tout ce qu'ils proposent me convient d'une certaine manière. Je trouve qu'il y a quelque chose d'un peu étonnant à voir laisser dormir un accord signé par tous les partenaires sociaux qui permet un progrès dans le domaine de la démocratie."
Si je me souviens bien, le conflit des routiers a été réglé de quelle façon ? Il a été signé avec des syndicats minoritaires et c'était bien la plainte de la CFDT ! Est-ce que, en fait, ce n'est pas aussi tentant et confortable, y compris pour un Gouvernement, de pouvoir signer avec des organisations minoritaires et pouvoir se sortir d'un conflit plus facilement ?
- "S'agissant du conflit des routiers, il a été signé par la majorité des organisations, pas par la majorité des salariés. Donc là, on peut aussi considérer que les choses auraient fonctionné. Ce que je crois surtout, c'est qu'il faut que les choses évoluent progressivement. L'objectif, c'est d'avoir des syndicats aussi plus responsables. Pourquoi est-ce que ce système satisfaisait tout le monde ? Parce qu'il permettait au patronat et au Gouvernement d'avoir des accords, et il permettait aussi à un certain nombre de grandes organisations syndicales de camper sur une posture très revendicative sans avoir à faire de concessions dans une négociation. Donc, je crois que tout le monde doit évoluer, doit faire un pas. On ne le fera pas d'un seul coup le pas. On ne va pas passer de cette situation d'aujourd'hui à une situation où il faudrait 50 % dans tous les cas, c'est-à-dire, qu'on pourrait atteindre des blocages de la vie sociale. Ma conviction, c'est que l'évolution des partenaires sociaux est positive, qu'elle va vers plus de responsabilités et que donc, on peut faire un pas supplémentaire."
Un instant quand même sur la hiérarchie syndicale : la CGT, toujours en tête, la CFDT, stable alors que des sondages indiquaient qu'elle aurait pu baisser, et FO, qui perd deux points. Quand on s'avance vers la réforme des retraites - on avait dit, en gros, qu'on attendait les prud'hommes, et puis après les prud'hommes, la réforme des retraites commence, le gros morceau commence -, quand on voit FO qui baisse alors qu'on sait qu'ils sont hostiles à toute réforme des retraites, cela rassure le ministre des Affaires sociales ? Et que la CFDT qui est plutôt favorable à la discussion reste stable, et donc en numéro 2, c'est bon pour vous ?
- "Non, parce que, comme je viens de le dire à l'instant, premièrement, c'est l'élection des juges aux prud'hommes ; deuxièmement, les mouvements sont quand même extrêmement modestes, et tirer de la hausse ou de la baisse d'1 point ou 2 points sur un corps électoral qui, lui-même, est très faible, des conclusions générales sur l'état d'esprit..."
Vous ne voulez froisser personne...
- "...sur l'état d'esprit de l'opinion vis-à-vis des retraites, je crois que ce serait très imprudent. Ma détermination à avancer sur la réforme des retraites est totale, parce que je crois que c'est une nécessité absolue, impérieuse. Ce climat, ce paysage syndical qui n'est pas bouleversé ne nous rend pas les choses plus difficiles. C'est tout ce que je peux dire."
Sur "la méthode Fillon", la CFDT, qui dialogue régulièrement avec vous, s'inquiète parce qu'elle dit : "F. Fillon nous promet des choses et puis il va à l'Assemblée nationale où des députés un peu radicaux transforment les projets - sur la modernisation sociale, ils rendent un peu libéraux les projets. Et puis s'inquiètent sur les retraites, en disant : "après tout, il va nous dire des choses et puis après, peut-être qu'à l'Assemblée cela va être modifié par les plus libéraux de sa majorité...
- "D'abord, il faut faire la part des déclarations et de la réalité des choses. On ne peut pas non plus considérer que seules les organisations syndicales ont légitimité pour réformer le pays. Il y a un Parlement qui a obtenu une majorité, avec un nombre d'électeurs beaucoup plus important que lors des élections syndicales, on ne peut pas lui nier toute liberté d'intervenir dans le débat. Deuxièmement, chacun aura pu constater que les modifications qui ont été apportées par le Parlement à la loi de modernisation sociale ont été extrêmement modérées et extrêmement modestes. Elles auraient pu être beaucoup plus ambitieuses."
C'est pas l'avis de tout le monde...
- "C'est l'avis de tout le monde quand les gens sont vraiment sincères et qu'on regarde la portée réelle des amendements qui ont été votés."
L'accord EDF sur les retraites, c'est bon signe ? Cela peut s'appliquer aux autres régimes spéciaux ? C'est un exemple ?
- "C'est signe en tout cas que les partenaires sociaux et notamment ceux d'une grande organisation, d'une grande entreprise publique comme EDF, sont prêts à bouger, sont prêts à négocier, notamment un changement de statut, en vue d'une évolution de l'organisation d'EDF. Donc, là encore, je n'en tire pas des conclusions définitives mais j'en tire le sentiment qu'il y a un espace pour le changement."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 décembre 2002)