Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur le rôle de l'Etat dans la défense et l'emploi du français, sa promotion et sa diffusion et la place du français en Europe, Paris le 20 mars 1997.

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Circonstance : Remise du prix Georges Pompidou à M. Marc Fumaroli, Paris le 20 mars 1997.

Texte intégral

Madame,
Messieurs les Premiers Ministres,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
En apprenant que le Prix Georges Pompidou 1997 était décerné cette année à Marc Fumaroli et qu'il me revenait l'honneur de prononcer un discours pour remettre cette récompense à un éminent et redoutable spécialiste de l'éloquence, je vous avouerai avoir été saisi d'une certaine angoisse.
Qu'est-ce qu'un discours de quelques minutes comparé à l'ouvrage monumental que vous avez consacré à l'âge de l'éloquence et dans lequel vous décryptez avec tant de talent l'histoire de la rhétorique, au siècle des Belles Lettres ?
Cher Marc Fumaroli, j'ignore la manière dont vous jugez la qualité rhétorique des discours des hommes politiques - Dieu nous en préserve tous -, mais vous devez sans doute la trouver quelque peu éloignée de la pureté originelle de l'Eloquentia.
La cause en est sans doute que notre langue a évolué, de même que le monde dans lequel nous vivons. La langue française est en effet une langue vivante et si elle a parfois pu oublier son classicisme primitif, elle s'est aussi enrichie au fil du temps.
Et c'est bien la vocation du Prix Georges Pompidou, créé en 1980, pour couronner un ouvrage illustrant la langue française, que de souligner la fécondité de la pensée contemporaine d'expression française.
J'ai souhaité que ce prix soit remis aujourd'hui, pendant que se déroule la semaine de la langue française et de la francophonie afin qu'il s'insère de façon harmonieuse dans un ensemble de manifestations qui ont lieu en ce moment à travers toute la France et dont l'objectif est de rendre nos concitoyens sensibles au rôle éminent de notre langue.
"Le français comme on l'aime" a pour objectif de montrer que notre langue est à la fois un moyen d'expression personnelle, un facteur majeur de la cohésion nationale et de l'intégration, un lien entre les membres de la communauté francophone, enfin un vecteur de rayonnement de la France dans le monde. Elle vise aussi à souligner l'importance de la diversité culturelle et linguistique dans le monde.
Au rôle de la langue française, le Président Georges Pompidou attachait un grand prix. Parce qu'il était lui-même un homme de lettres et un homme d'une immense culture, l'importance de l'écrit dans le langage de nos sociétés ne pouvait pas lui échapper.
Il a donc arrêté une politique ambitieuse en faveur de la langue française, de sa promotion et de sa diffusion. C'est à lui que nous devons la mise en place en 1966, alors qu'il était Premier ministre, de la première institution chargée de la promotion de la langue française, le Haut Conseil de la Langue Française dont la délégation générale à la langue française et le Conseil Supérieur de la Langue Française sont les actuels successeurs.
Bien sûr me direz-vous, il n'est pas du rôle de l'État d'intervenir sur la qualité et l'évolution de la langue, mais il m'apparaît en revanche qu'il est de son devoir de promouvoir son emploi et son statut.
Le français doit disposer du vocabulaire scientifique, technique et économique nécessaire pour être présent dans ces disciplines.
Une nouvelle étape a été récemment franchie, le mois dernier, avec l'installation de la Commission générale de Terminologie et de Néologie.
L'action de l'État repose largement sur les agents publics qui jouent un rôle privilégié pour l'emploi du français par leurs initiatives et leur exemplarité.
Je viens d'envoyer une lettre à l'ensemble des Ministres pour le leur rappeler. Je viens également de signer une circulaire demandant à l'ensemble des organismes publics de veiller à la présence du français dans l'informatique car le français doit être présent dans ce domaine et dans les nouveaux moyens de diffusion de l'information.
Il est du devoir de l'État de jouer un rôle régulateur pour assurer la présence du français. La loi du 4 août 1994 est l'instrument essentiel et je suis particulièrement attaché à sa bonne application.
Le français a la chance d'être une grande langue de communication internationale. Georges Pompidou y était particulièrement sensible et avait à ce sujet une approche politique qui conserve toute son actualité.
Son amitié avec le Président Senghor l'a conduit à jouer un rôle très actif pour la promotion de l'idée francophone. Dans le discours qu'il a prononcé à Bruxelles en 1971, à la veille de la rentrée de la Grande Bretagne dans la Communauté, il insistait sur la place du français en Europe.
"Le problème de l'Europe pose tout naturellement le problème du français, nous devons attacher au maintien de notre culture et au maintien de notre langue une importance exceptionnelle".
La place du français en Europe est encore maintenant un enjeu essentiel et j'insiste sur l'importance de la diversité culturelle et linguistique et, afin de la préserver, sur la nécessité pour chaque européen, d'apprendre au moins deux langues étrangères.
Voilà, Madame et Messieurs, succinctement évoquée, la politique ambitieuse que nous déployons en faveur de la défense et de la promotion de notre langue.
La remise du Prix Georges Pompidou est traditionnellement l'occasion d'en rappeler les grandes lignes.
Et l'occasion est d'autant plus belle qu'il vient cette année récompenser un passionné de français.
Cher Marc Fumaroli, vos travaux innombrables sur la langue française font autorité. Vous êtes l'immense historien des formes littéraires et artistiques du XVIIe siècle, votre siècle préféré.
Sur les raisons qui vous ont conduit à vous passionner pour ce siècle, peut-être nous en direz-vous un mot dans quelques instants.
Ce que je retiendrai avant de vous remettre ce prix c'est que vous croyez, vous aussi, à la vocation universelle de la langue française, dont l'usage ne doit pas être le privilège d'une seule Nation, mais bien au contraire s'étendre au reste de l'humanité.
Marc Fumaroli, il ne me reste plus qu'à vous renouveler mes plus chaleureuses félicitations pour cette récompense amplement méritée qui va se traduire, je crois, de manière très concrète dans quelques jours.
M'exprimant devant un connaisseur aussi fin des règles de la rhétorique, j'ai pris garde pour terminer que ma péroraison ne répète l'exorde, et en aussi peu de temps, j'avoue ne pas avoir épuisé toutes les immenses possibilités que nous offrent les figures rhétoriques, ces figures de mots ou de pensées que vous avez étudiées avec tant de passion : métonymie, antonomase, catachrèse et autres synecdoques...
Je voudrais, pour conclure, saluer Georges Memmi et son ouvrage intitulé "Pour tout dire" qui a obtenu une mention spéciale du jury.
Je sais que les délibérations du jury ont été longues et difficiles, en raison de la qualité remarquable des ouvrages sélectionnés. Le livre de Georges Memmi est aussi rafraîchissant qu'émouvant et constitue je crois un magnifique hommage à la langue française, qualifiée, ce qui nous comble de bonheur, comme étant, je le cite, "la plus belle du monde".