Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la part de la puissance militaire comme instrument de politique extérieure, la superpuissance américaine, la construction de la défense européenne et l'effort en faveur de la défense, Paris le 28 août 2002.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence des ambassadeurs, Paris le 28 août 2002

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Le thème qu'il m'a été demandé de traiter est celui de la puissance militaire comme instrument de politique extérieure.
Vous attendez sans doute qu'un ministre de la Défense vous dise à quel point cette puissance militaire joue un rôle essentiel.
Je ne me déroberai pas à l'exercice. Je le ferai non seulement de par ma fonction mais aussi par conviction.
Il fut en effet de bon ton en son temps de moquer Staline et son " Le Vatican, combien de divisions ? " .
La fin de la guerre froide renforça la tendance a relativiser le rôle du militaire face aux autres instruments de rayonnement nationaux. La puissance nouvelle passe, c'est vrai, par une diplomatie essentiellement volontariste ; par l'action économique, par le partage de notre culture. Les acteurs non gouvernementaux, les entreprises, les expatriés en sont des compléments précieux.
La résultante de cette alchimie complexe constitue le " rayonnement ", en un mot l'authentique puissance d'une nation.
Pour autant l'actualité de ces derniers mois montre, qu'aujourd'hui comme hier, si la réponse militaire n'est pas la meilleure des réponses à toutes les crises, elle demeure un instrument incontournable de la politique extérieure et du poids d'une nation. Rien de grand dans l'histoire des nations stricto sensu ne s'est fait sans le recours à cette puissance. Ce n'est d'ailleurs pas sans raison militaire que la France possède un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
Aujourd'hui, à l'évocation de l'idée même de puissance militaire, nous avons tous à l'esprit la superpuissance américaine.
Les Etats-Unis sont une superpuissance d'abord parce qu'ils sont une superpuissance militaire. Ils disposent certes pour exercer leur puissance d'une économie qui donne son rythme à celle du monde, de la maîtrise des technologies avancées ou encore, privilège de la puissance, de la capacité de prendre leurs distances par rapport aux normes et aux institutions multilatérales, mais ils s'appuient surtout sur leurs forces armées, capables d'imposer leurs choix. Leur industrie d'armement, la première du monde, contraint toutes les autres à se réorganiser et à fusionner pour affronter la compétition.
Au-delà même de l'exemple américain, de par le monde, toutes les puissances en quête d'un rôle mondial sont en train de forger les instruments militaires leur permettant de conquérir leur futur statut de " grande puissance ", y compris de puissance nucléaire. L'Inde en est l'exemple par excellence sur les traces de la Chine.
La France, qui joue déjà un rôle à la mesure de sa puissance, tient à maintenir son rang. J'y reviendrai.
Pour autant, l'ancienne conception de la puissance militaire nationale comme instrument de politique extérieure ne correspond plus aux exigences de la nouvelle donne. La puissance ne peut être seulement militaire. Elle peut encore moins être solitaire.
Rares seront désormais les crises qui n'auront pas de répercussions mondiales, qui n'appelleront pas une réponse multinationale.
Nous connaissons ces " nouvelles menaces " :
·- terrorisme transnational,
·- prolifération des armes de destruction massive,
·- expansion des trafics illicites et de la criminalité organisée,
·- phénomènes migratoires liés aux crises elles-mêmes
Il y a un an, les événements du 11 septembre ont ouvert l'ère du terrorisme global. Les "nouvelles menaces" ne sont donc plus nouvelles. Elles sont là. Elles ont déterminé de la part des démocraties une série d'opérations anti-terroristes qui annoncent une campagne longue et difficile.
La réponse exige des forces armées solides, disponibles et polyvalentes, pour faire affronter ces périls. Elle suppose que l'armée ne soit pas seule en ligne.
Son action est accompagnée de celle des services financiers, des services de police et de renseignement civil qui ont aussi la charge de traquer les auteurs et les commanditaires des attentats passés et probablement futurs.
De même que l'armée n'est pas seule en ligne, les Etats n'agissent pas isolément.
Aujourd'hui, la puissance nationale se mesure à son degré de coordination entre les composantes de l'appareil d'Etat et son engagement dans la coopération avec les Etats amis et les structures multinationales.
Les Etats-Unis parce qu'ils sont la puissance militaire majeure jouent un rôle pivot.
Ainsi ils ont choisi dans leur riposte à l'attaque du 11 septembre, le double recours à une large coalition, d'une part, et à des accords flexibles instaurés sur une base bilatérale, d'autre part.
Dès lors, la participation militaire d'une tierce nation comme la France auprès des forces américaines exige l'acceptation de leur stratégie et l'adaptation des moyens.
Nous entendons faire face à cette exigence nouvelle dans un esprit de coopération confiante avec les Etats-Unis. Leur course en avant technologique, parfois enhardie par la recherche de crédits et des intérêts industriels et commerciaux qui n'entrent pas dans notre approche de la puissance, soulève la question de l'interopérabilité entre leurs forces et les nôtres. Elle nous impose de relever ce défi.
Comment ?
Certains en Europe souhaitent se contenter de l'OTAN. Nous estimons que ce n'est pas suffisant. L'Alliance demeure certes l'ossature du lien transatlantique et la garantie ultime de notre sécurité. Mais l'Alliance n'est pas faite pour peser sur le monde. Est-ce à dire que la France prend ses distances à l'égard de l'Alliance atlantique ?
Non ; la construction de l'Europe de la défense ne se fait pas contre l'Alliance mais dans un esprit de coopération avec elle dans un dialogue entre partenaires.
L'Union européenne est de plus en plus en mesure de réunir tous les éléments qui concourent à la puissance. Cette Europe-puissance est nécessaire.
D'abord, il existe aujourd'hui des enjeux véritablement européens, auxquels nous devons apporter des réponses européennes. Les opérations militaires européennes elles-mêmes pourront avoir lieu dans un cadre strictement européen ou avec des moyens de l'OTAN.
Ensuite, l'Europe doit être un multiplicateur de puissance pour ses membres. Enfin, l'affirmation, par les Européens, de leurs intérêts propres peut désormais constituer un contrepoids sur la scène stratégique.
Cette puissance correspond déjà à une réalité. L'Union européenne est devenue un pôle de stabilité et bénéficie d'une capacité d'attraction financière et commerciale indéniable.
L'Europe prendra sa forme ultime lorsque l'Union pourra assurer la rapidité et l'efficacité de ses décisions par la mise en synergie des moyens civils et militaires dont elle dispose. L'idée d'une Europe-puissance continue à faire hésiter beaucoup de nos partenaires européens. Nous devons les convaincre.
Les convaincre d'abord que la France n'a pas vocation à décider pour l'Europe, mais à faire l'Europe. Les convaincre ensuite d'afficher une volonté d'agir ensemble pour défendre des intérêts communs dans le cadre de la PESC. Les convaincre enfin de se doter des moyens nécessaires pour mettre en uvre ses décisions.
C'est pourquoi nous uvrons à doter l'Europe d'une force de réaction rapide.
Déployer d'importants contingents dans de longues opérations de stabilisation obère notre capacité à constituer cette force de réaction rapide.
C'est la raison pour laquelle nous souhaitons limiter la diversité de nos engagements militaires de par le monde et assurer la prise en charge des tensions locales par des administrations civiles.
Depuis le Conseil européen de Cologne, des structures et des procédures de gestion de crises politico-militaires ont été établies au sein de l'Union. A Helsinki, les Européens se sont fixé des objectifs concrets en termes de contributions capacitaires.
Dans le cadre des missions définies à Petersberg, les Européens seront désormais autonomes pour décider, lancer et conduire des opérations militaires sous leur propre direction en réponse à une crise internationale.
La déclaration d'opérationnalité de la PESD, adoptée à Laeken constitue une première reconnaissance de la capacité d'action militaire européenne. Une politique européenne de l'armement est le complément naturel de cet effort. Elle vise à restructurer et intégrer les industries de défense.
Sans s'interdire d'acheter " sur étagère " des moyens développés ailleurs, la France ne perd pas de vue ses propres industries ainsi que les emplois qu'elles occupent et qu'elles créent. Nous comptons sur une industrie d'armement puissante, riche de pôles d'excellence en matière d'avionique ou de satellites, par exemple.
C'est pourquoi, avec plusieurs de nos partenaires, nous poursuivons des projets européens ambitieux. Le choix d'investir dans la puissance militaire n'est pas uniquement français. Nos alliés anglo-saxons nous ont précédé dans cette voie.
L'effort de défense du Royaume-Uni est supérieur au nôtre. Les Britanniques accordent une grande importance à leur outil militaire, utilisé de façon volontariste en tant qu'alliés privilégiés des Etats-Unis. Les Britanniques ont un talent particulier pour arriver les premiers sur un théâtre d'opérations. Parfois aussi pour le quitter les premiers. Reste que diplomates et militaires se partagent efficacement la réalisation des objectifs de politique extérieure. La qualité de cette " diplomatie de défense " est une spécificité britannique.
A nous de savoir, comme les Britanniques, penser l'outil militaire comme un instrument de politique extérieure à part entière à utiliser avec discernement et souplesse. Notre crédibilité à l'égard de nos partenaires européens et américains doit être assurée. Nous avons établi avec les Britanniques depuis le sommet de Saint Malo un dialogue d'une grande franchise. Nos objectifs sont à peu près comparables, nos moyens doivent le redevenir.
Dans cette perspective, la France a décidé un sensible supplément d'effort en matière d'équipement de ses forces. Le gouvernement a décidé de faire de la Défense une des priorités de son budget 2003. Il est prématuré d'entrer ici dans le détail de la prochaine loi de Programmation ; sachez qu'elle devrait assurer une augmentation très significative des moyens qui nous permettront de renforcer notre image de puissance militaire, de faire respecter nos idéaux et défendre nos intérêts. C'est la volonté forte qu'a exprimée le président de la République.
Je compte sur vous pour relayer dans vos postes le message de ce renforcement de notre puissance militaire. Du pré-positionnement de moyens militaires et de leur activation progressive à la mise en alerte, jusqu'à la projection de forces, la puissance militaire est là pour soutenir nos objectifs politiques et diplomatiques.
Le " modèle d'armée 2015 " et le choix de la professionnalisation des forces armées nous préparent à faire face à exigences. Des coopérations militaires et les accords de défense nous lient sur les cinq continents. Ils seront maintenus et renforcés.
Nous entretenons des bases dans le monde qui ont vocation à s'intégrer dans leur environnement d'accueil. Nos militaires y participent déjà au rayonnement national, social et culturel, au-delà de leurs compétences militaires, en particulier en Afrique où nous sommes largement implantés.
La France est présente dans un grand nombre de missions internationales : 11 000 personnes sont engagées dans des opérations extérieures multiples.
Depuis longtemps, les relations tissées à l'occasion des exportations d'armements ajoutent à cette puissance d'influence. Nous contribuons également à la maîtrise des armements et à la lutte contre la prolifération, ainsi qu'au partage du renseignement avec nos alliés. Telle est notre contribution à la puissance nationale.
La Guerre froide est finie depuis dix ans. Nous n'avons hélas pas pu tirer tous les dividendes de cette paix qui aurait dû marginaliser le recours à la puissance militaire.
Il y a encore un an, j'aurais pu dire que notre capacité d'influence tiendrait largement à notre puissance militaire si les bouleversements de l'après-Guerre froide dégénéraient en conflits.
Dans le monde de l'après-11 septembre, la perspective d'une guerre comme nous l'entendions hier est déjà dépassée.
A menace globale, réponse globale.
Insérer la puissance militaire dans une politique de puissance nationale au service de la paix, politique passant par toutes les formes de coopération que je viens d'évoquer, devient pour diplomates et militaires l'exigence de l'heure comme celle de l'avenir.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 16 septembre 2002)