Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, sur les relations internationales et entre l'Europe et l'Asie, Shanghaï le 10 janvier 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage officiel en Chine les 9 et 10 janvier 2003-discours à l'Université Fudan à Shanghaï le 10

Texte intégral

Je suis heureux de m'adresser à vous, ici dans cette prestigieuse université de Fudan, et à travers vous à toute la jeunesse chinoise. Vous avez la chance de vivre dans une ville symbole de l'ouverture de la Chine au monde, de son dynamisme, de sa modernité ; symbole aussi de sa détermination à affirmer son identité, à porter haut les valeurs et la civilisation de la Chine éternelle. Une ville dont la communauté internationale a consacré la place dans le XXIème siècle en la choisissant pour accueillir l'exposition universelle de 2010. La France veut saluer chaleureusement cette décision à laquelle, vous le savez, elle a contribué.
Le monde qui s'ouvre devant nous, à l'orée de ce nouveau millénaire, est riche d'opportunités et d'expériences nouvelles, mais également gros de menaces et de pièges.
Chacun, où qu'il soit, peut sentir à tout moment battre le pouls de la planète. L'étudiant d'une province de Chine de l'Ouest peut accéder aux banques de données des universités européennes, confronter ses idées à celles de ses collègues américains ou dialoguer avec vous. Les produits et les services sont mus par cette même logique. Ainsi, parmi les entreprises françaises, certaines développent des produits à Shanghai, les réalisent sur d'autres continents et les vendent dans le monde entier.
Ce nouveau bouillonnement entraîne une dynamique sans précédent, source de création et de richesse. Mais qui ne perçoit aussi les risques de ce tourbillon qui menace d'écarter sur son passage les plus démunis et d'affaiblir encore les plus fragiles ? Aujourd'hui plus que jamais, notre monde est régi par deux lois implacables : l'urgence et l'interdépendance.
L'urgence, face aux crises qui éclatent l'une après l'autre, sur toute la surface du globe, des Balkans à l'Afghanistan, de l'Iraq à la Corée du Nord. L'urgence, face aux grandes pandémies qui déciment jour après jour des populations entières. L'urgence, enfin, face aux crises économiques qui jettent des pays voire des continents entiers dans la pauvreté, mettant en péril la stabilité mondiale.
Toutes les régions du monde sont ouvertes aux crises et aux désordres qui se propagent d'un pays à l'autre, d'un continent à l'autre. Le terrorisme frappe à Bali comme à New York, en Tanzanie comme au Kenya à Mombasa ; partout, il brandit l'étendard de l'absurde, de la mort et de la haine. La prolifération des armes de destruction massive engage l'humanité dans la peur et multiplie les risques d'autodestruction de l'espèce humaine.
Jour après jour, il apparaît que les problèmes sont de plus en plus liés. Interdépendance il y a. Le terrorisme se nourrit de toutes les crises, des zones de non-droit et de désordre où s'épanouissent trafics illicites et réseaux du crime organisé. Il se nourrit des idéologies intégristes, qui instrumentalisent la pauvreté et la misère des plus démunis tout autant que les flux de capitaux mafieux.
Ces dangers sont ramifiés et complexes. Ils concernent tout le monde. Ils n'épargneront personne. Aucun pays, aucune région du monde ne peut se croire à l'abri des nouvelles menaces et des nouveaux risques. Qu'il s'agisse de l'économie, de l'environnement ou de la sécurité, aspects de plus en plus indissociables, notre monde porte l'exigence générale de la solidarité. Nul ne peut se prétendre indifférent à une tempête boursière qui affecte une région située aux antipodes, à un désastre écologique qui ignore les frontières, ou à une crise militaire régionale qui menace les équilibres stratégiques. On le dit souvent, le battement, le froissement des ailes d'un papillon peut créer un cataclysme à l'autre bout du globe. C'est ce qu'on appelle la loi du chaos.
C'est pourquoi nous devons aujourd'hui reprendre ensemble l'initiative sur un monde dangereux et imprévisible. Pour cela, il nous faut rejeter les trois grandes tentations qui saisissent aujourd'hui notre monde.
La première tentation est celle de la peur. Face aux grands défis qui nous attendent, rien ne serait pire que de nous replier chacun sur nous-mêmes. Nous devons inventer et mettre en uvre ensemble les solutions. Nous devons prendre acte de notre communauté de destin et renforcer nos actions communes, en particulier pour lutter contre le terrorisme, qui doit être combattu avec détermination, par tous les moyens dont on dispose, militaires si nécessaire. C'est ce que nous avons fait en Afghanistan, comme nous le faisons sur notre propre sol. Pour autant, comment ne pas voir qu'une approche purement sécuritaire concentrée sur la défense de nos intérêts de sécurité ne résoudrait pas le problème sur le long terme ? Lutter contre le terrorisme, c'est aussi lutter ensemble contre le fanatisme et contre tout ce dont il s'alimente : la grande pauvreté, le désespoir, l'humiliation, le rejet de l'autre. On voit ce cycle impitoyable dans beaucoup de pays du monde.
Jamais la peur ne doit dicter les priorités et les principes de notre action. L'exigence de sécurité ne doit pas nous faire oublier l'objectif du développement, de la croissance, le souci d'une meilleure répartition des richesses et de l'ouverture sur l'extérieur.
Or, c'est bien, nous le voyons au quotidien, la tentation dans certaines régions du monde, de faire passer cette question de la sécurité devant cet objectif et cette confiance indispensable en l'avenir qui conduit à se mobiliser pour créer des richesses, pour anticiper, pour se rassembler dans la création d'un nouveau monde. Jamais la peur, je l'ai dit, ne doit dicter les priorités et les principes de notre action, qui doit donc clairement être marquée par cet objectif de rassemblement et de communication.
La seconde tentation est celle de la force. Aujourd'hui, vouloir régler tous les problèmes par la force seule n'est ni souhaitable ni possible. Nul ne peut, par la domination et la puissance de ses armées, assurer la stabilité d'un monde régi par des lois complexes et hanté par des menaces globales. L'usage de la force ne peut être le fruit d'un renoncement aux efforts de paix et de dialogue.
La troisième tentation est celle du scepticisme, du cynisme ou encore de l'indifférence. Nous devons être particulièrement vigilant à l'égard des sentiments d'injustice, qui constituent aujourd'hui une véritable menace pour le monde. La surdité face aux malheurs des peuples les plus défavorisés porte en germe tous les conflits et toutes les haines. C'est pourquoi il nous faut inventer d'urgence une méthode de gestion des crises qui soit à la fois universelle, juste et équitable. L'action de la communauté internationale doit reposer sur une vision globale et le souci de l'intérêt général. Elle doit être cohérente. Toutes les crises doivent être traitées selon les mêmes principes, qu'elles éclatent au Moyen-Orient, en Afrique ou en Asie, sans méconnaître pour autant les spécificités régionales de chacune d'entre elles.
Ensemble, nous devons nous mobiliser pour construire un monde en paix, un monde pour tous et non pas seulement pour quelques uns. Jamais nos destins n'ont été aussi liés, mais jamais les dangers n'ont été aussi menaçants. Il faut remonter bien des décennies en arrière pour retrouver ce sentiment de tension, de gravité, d'urgence. Le monde tarde à retrouver ses repères. Parviendrons-nous à éviter l'engrenage des affrontements et des ruptures dans lequel notre monde risque de se trouver prisonnier ? Parviendrons-nous à retrouver ce qui nous unit, à construire ensemble un avenir commun, fondé sur le droit et la morale, et non sur l'arbitraire et la peur ?
Il faut s'attarder un instant sur ces changements si profonds auxquels nous faisons face. On le voit bien, avec la chute du mur de Berlin en 1989, c'est un monde qui s'ouvre, c'est le vent de la liberté qui tout à coup apparaît. Mais en même temps, c'est l'ordre des repères de notre monde, des deux blocs qui constituaient l'ordre du monde qui, tout à coup, s'affaisse. Et l'on voit bien quels changements, quel vertige - qui explique les tentations dont je viens de parler - saisit alors le monde. On voit bien aussi, à travers le deuxième grand mouvement que constitue la mondialisation, qui est un mouvement continu depuis la Renaissance, où l'interpénétration entre les différentes régions du globe se multiplie ; cette mondialisation comporte à la fois une facette de richesses, d'opportunités, de chances, mais aussi, je l'ai dit en parlant d'interdépendance, beaucoup de peurs, beaucoup d'inquiétudes dans tous les grands domaines de la vie économique, de l'environnement qui est effectivement pour notre planète aujourd'hui une grande menace. On le voit aussi avec cette date importante pour la conscience collective du monde, le 11 septembre : tout à coup, le sentiment de vertige s'accroît devant cette menace globale qui appelle, nous le savons, une approche globale. Et l'on voit bien aujourd'hui que l'inquiétude internationale se concentre sur les problèmes et les crises que constituent la Corée du Nord et l'Iraq. Parce qu'ils n'ont pas respecté les règles internationales, ces pays constituent une menace pour la sécurité de chacun d'entre nous. Pour autant, c'est dans le strict respect du droit international que nous devons répondre. La sécurité collective constitue le principe sur lequel nous devons nous fonder à chaque étape, pour adapter et coordonner nos actions avec le souci de l'efficacité. Unie, la communauté internationale est plus forte et plus à même d'agir pour faire respecter le droit. Comprenons bien : quand nous disons "sécurité collective", ce n'est pas une forme de méthode qui supposerait que l'on se satisfasse d'être ensemble, pour le plaisir d'être ensemble : non, il s'agit d'agir ensemble. Il s'agit, par cette sécurité collective, d'affirmer notre responsabilité collective, avec le souci de l'efficacité. Nous le voyons dans le cas de l'Iraq, nous le voyons dans le cas de la Corée.
Une Corée du Nord dotée d'armes nucléaires menacerait non seulement ses voisins immédiats, mais l'ensemble de la communauté internationale. Les nouvelles technologies, notamment balistiques, réduisent les distances. Au-delà, l'émergence d'une nouvelle puissance nucléaire bouleverserait les conditions de la paix et de la sécurité internationale et créerait un précédent inacceptable. L'annonce par la Corée du Nord, ce matin, de son retrait du TNP constitue à cet égard une décision grave, lourde de conséquence. La France condamne cette décision. La Corée du Nord doit comprendre qu'elle n'a pas d'autre voie que de renoncer à son programme nucléaire militaire, développé en contradiction avec ses engagements et le droit international. Il est essentiel que la communauté internationale soit unie sur cet objectif et que l'Asie, les Etats-Unis et l'Europe joignent leurs efforts pour faire respecter par la Corée du Nord ses obligations internationales. Le Conseil de sécurité des Nations unies devra jouer tout son rôle. La France qui assure ce mois-ci la Présidence du Conseil de sécurité se concertera de manière étroite avec la Corée du Sud et le Japon qui sont concernés au premier chef. Mais retenons l'importance de fixer des règles claires et de faire respecter ces règles. C'est à partir de ces règles et de ces repères que nous pourrons élaborer le monde nouveau auquel nous aspirons, un monde plus stable, un monde plus juste.
Je me rends à Séoul pour porter ce message ; pour manifester la solidarité de la France et dire que la fermeté, la conviction, la détermination, lorsqu'elles s'appuient sur le droit et la cohésion internationale, sont aussi le meilleur moyen de préserver la sécurité et la stabilité.
Le cas de l'Iraq montre que seul le respect du droit permet de régler durablement les crises. Et j'insiste : ce "durablement" est important, car rien ne sert, un matin, de croire que l'on a réglé les choses, pour constater qu'elles deviennent plus graves. Ce "durablement" est important pour la réflexion internationale, important quand nous nous mobilisons pour l'Afghanistan, important quand nous nous mobilisons pour l'Afrique. Nous devons être comptables de chaque jour qui passe. Le monde avance vers un ordre plus stable. Le droit sans la force conduit à l'impuissance, mais la force sans le droit a pu aboutir aux pires catastrophes que nos histoires aient connues. Pour la première fois, le monde dispose d'un système qui allie le respect du droit et la capacité d'agir au nom de tous pour le mettre en oeuvre : c'est le Conseil de sécurité des Nations unies, dont nos deux pays, la France et la Chine, sont membres permanents. Ne sapons pas les bases de l'un des progrès les plus spectaculaires de l'histoire. Confortons-en l'autorité et le rôle de force de paix et de stabilité. Je me suis concerté régulièrement à chaque étape de la crise sur ce sujet avec l'ensemble de nos partenaires asiatiques au long de ce dernier mois, notamment avec le ministre des Affaires étrangères chinois, M. Tang, et j'ai constaté la très grande convergence de nos vues.
Sur toutes ces questions, nos deux continents ont un rôle essentiel à jouer. Aux antipodes l'un de l'autre par la géographie, ils convergent par leur vision marquée par l'histoire et le souci de prendre en compte la complexité du monde. A nous de transformer aujourd'hui une fascination mutuelle, une curiosité mutuelle vieille de plusieurs siècles en une force de cohésion et de paix pour le monde, une force de proposition et d'action.
L'Asie a toujours attiré l'Europe. Pour que les idées cheminent entre nous, il a fallu que les marchands ouvrent la voie et que deux empires puissants, Rome et la Chine des Han, se rencontrent et bâtissent la route de la soie. Mille ans plus tard les aventures de Marco Polo et la mission de Guillaume de Rubrouck attestent l'intérêt politique portée par les Européens à l'Orient.
Sur les traces de ces précurseurs, ce sont les Jésuites qui, à la Renaissance, sont accueillis à la cour des Ming avec une curiosité mutuellement partagée. Le grand humaniste Matteo Ricci apporte ses connaissances d'astronome et de mathématicien. Reçu en 1601 à la cour, il offre à l'Empereur une harpe, une carte du monde et une montre à répétition. De cette première rencontre résulte une période de création sans précédent, qui intervient au moment même où l'Europe s'éveillait à la diversité des peuples et des cultures.
Cette fascination n'a cessé de croître au cours des siècles et l'évolution de la pensée européenne porte la marque de ses contacts avec les cultures de l'Asie. Sans le bouddhisme, la philosophie de Schopenhauer n'aurait probablement pas existé, et c'est Leibniz qui voyait dans le jeu de go une illustration concrète de sa conception de l'universel et du particulier, tandis que Fénelon considérait Confucius comme le Socrate de l'Asie. Votre université porte elle aussi la trace de l'interaction de nos deux cultures : comme l'université Aurore, elle a été créée par Ma Xiangbo, grand lettré chinois, mais aussi ancien jésuite et admirateur de l'Europe.
Aujourd'hui, nos histoires sont riches de deux cultures, de deux mondes anciens, civilisations phares il y a plus de 2000 ans, lorsque la Grèce et Rome rayonnaient sur l'Europe, tandis que les Veda en Inde ou Confucius en Chine nourrissaient le ferment de la sagesse orientale. Par l'histoire tumultueuse que nous avons vécue, chacun sur notre continent et parfois ensemble, par ces courants multiples où nos peuples, nos arts et nos religions se sont croisés, nous avons appris que les soubresauts de l'histoire ne connaissent pas d'explication univoque et immédiate. Zhou Enlai, que l'on interrogeait sur son sentiment à l'égard de la révolution française aurait répondu : "il est encore un peu tôt pour se prononcer".
Oui, nous savons, vous et nous, la complexité d'un monde qui plonge ses fondements dans les siècles passés, à une profondeur à laquelle l'Asie et l'Europe plongent également leurs racines. A nous d'être capables aujourd'hui, face aux défis qui nous attendent, de redéfinir les frontières du politique, de la culture et de l'économie.
Nos modes de développement doivent en particulier être réinventés. Rendre l'homme "maître et possesseur de la nature" ne peut plus constituer notre but. D'autres modes de développement, davantage respectueux de la planète que nous laisserons en héritage aux générations qui nous suivent, doivent désormais être recherchés. L'Asie peut et doit apporter une précieuse contribution. Nous devons rechercher ensemble une meilleure adéquation entre l'homme et son environnement, un authentique "souci du monde", semblable à celui dont nous entretient le grand penseur du IIIème siècle Mencius au sujet des premiers souverains Yao et Shun. Il s'agit de mettre en regard nos conceptions, d'imprimer une distance à nos questionnements afin d'ouvrir de nouvelles possibilités, et de faire surgir d'autres modes de pensée et d'action.
A nous d'imaginer un système permettant d'éviter la propagation violente des crises économiques et monétaires. L'Europe a une longue expérience à cet égard, faite de dévaluations compétitives et de guerres commerciales néfastes qui l'ont amenée à bâtir un marché puis une monnaie uniques. L'Union européenne est de ce fait devenue un pôle de stabilité dans l'économie mondialisée d'aujourd'hui. L'Asie a elle aussi une expérience importante, en particulier celle de la tourmente économique de 1997. La décision courageuse de la Chine de ne pas dévaluer sa monnaie a facilité la gestion de cette crise. La vitalité et le dynamisme de la Chine, sa volonté d'aller de l'avant, en feront un moteur de la croissance économique de demain. Son entrée dans l'OMC, que la France a appelée de ses vux, ouvre de larges perspectives aux échanges avec l'Union Européenne, premier marché et première puissance commerciale au monde. Là aussi nos destins se croisent et nos intérêts sont partagés. Déjà le Cambodge et le Vietnam empruntent le même chemin. Nous les y encourageons vivement.
Sur l'ensemble de ces sujets, l'Europe et la Chine ont tout à gagner à partager leurs expériences : déjà à Shanghai, l'Ecole euro-chinoise de commerce international forme des managers chinois internationaux ; la création du pôle génomique des sciences du vivant associe les grandes institutions françaises dans le domaine et l'Université Médicale de Shanghai II, ainsi que l'hôpital Rui Jin ; l'Academia Europa Sinica, d'initiative française, est devenue en quelques mois un lieu privilégié de dialogue. Au sein de l'Europe, la France a développé des technologies de pointe, en particulier dans les domaines de l'espace, de l'environnement et des télécommunications. Plusieurs entreprises portent ces projets ici même, à Shanghai. Autant de secteurs qui sont au coeur de la croissance de l'Asie et de la Chine. Autant de partenariats à poursuivre et à développer ensemble. Appuyons-nous davantage les uns sur les autres pour aborder les grandes questions de ce siècle.
La chance de nos deux régions, l'Asie comme l'Europe, c'est d'être enracinées dans une culture du dialogue et de la diversité. C'est aussi cela qui fait la force de leur attirance réciproque, comme celle d'un Victor Segalen, Français qui a tant célébré la culture chinoise, et qui exaltait dans sa poésie "le Divers, maître de toute joie en ce monde", ou celle d'un Alexis Léger, qui trouva en Chine son nom de plume - Saint John Perse - et en revint avec un fulgurant recueil de poèmes, Anabase, et l'amour de l'Orient.
J'évoquais l'apport considérable des relations entre l'Europe et l'Asie au cours des siècles passés. Nos identités ont été façonnées par ces échanges, cette curiosité mue par l'exploration de nos propres différences. La diversité culturelle est le contraire du repli sur soi. Elle est la source même de l'échange. C'est dans cet esprit que la Chine et la France lanceront en octobre prochain un programme d'années croisées qui permettra de présenter dans chaque pays la création et la force vitale de l'autre.
Le principe de la diversité et de l'équilibre entre les civilisations et les grands ensembles géopolitiques, doit s'étendre à l'organisation du monde. Les deux pôles que sont l'Asie et l'Europe ont engagé leur rapprochement. En 1996 à Bangkok, les dirigeants d'Europe et d'Asie ont jeté les bases d'un nouveau partenariat en créant l'ASEM. Le dialogue politique est ainsi devenu une réalité. Il a gagné en profondeur, et les malentendus et les polémiques ont reculé. Notre compréhension mutuelle a progressé, y compris sur les sujets parfois très sensibles - démocratie, Droits de l'Homme. Mais le dialogue n'est pas une fin en soi : il doit conduire à se concerter puis à agir ensemble pour relever les défis d'aujourd'hui et de demain. Il faut nourrir notre partenariat stratégique, le renforcer afin que nos deux pays se déterminent ensemble face à des défis qui ne connaissent pas de frontière.
A nous de construire ensemble un monde organisé, harmonieux, permettant l'épanouissement des civilisations au rythme de leur respiration historique. Qui voudrait d'un monde uniforme, dominé par une seule monnaie, fût-elle stable, par une seule langue, fût-elle commode, par une seule culture, fût-elle populaire ? La richesse du monde aujourd'hui, dans le domaine culturel mais aussi dans les domaines scientifiques, technologiques et économiques, c'est de faire place à tous. C'est la diversité des peuples, la diversité des cultures, la diversité des visions du monde.
Mais cette volonté de préserver le souffle des différences ne doit pas encourager la tentation de la vieille pratique diplomatique du jeu de bascule. Pour nous, l'exigence de responsabilité collective témoigne au contraire des logiques de convergence et de complémentarité avec les Etats-Unis. Tous ensemble, nous participons à l'émergence de plusieurs pôles capables d'apporter, par la coopération et le dialogue, plus de paix et de stabilité à un monde aujourd'hui saisi de vertige.
Car pour que le monde soit équilibré, il faut qu'il soit organisé autour de quelques grands ensembles. La construction européenne en est un exemple. Combien d'obstacles ont été franchis pour bâtir l'Europe politique et entrer aujourd'hui dans l'étape historique de l'élargissement franchie, il y a quelques semaines, au Conseil européen de Copenhague et qui marque la future adhésion de dix nouveaux Etats membres.
Loin de moi l'idée de poser cette Europe en modèle pour l'Asie : les conditions sont naturellement différentes, mais il est important que nous partagions nos expériences. Quelques idées simples peuvent être retenues de grands hommes tels que Jean Monnet, qui a vécu six ans à Shanghai, le Général de Gaulle et Konrad Adenauer : il faut savoir tourner nos regards vers l'avenir ; la marche vers l'union agrandit et démultiplie les potentialités de chacun ; le respect de la diversité est une source de progrès économique et social.
La grande leçon du demi-siècle écoulé est que le dialogue, l'échange et la coopération jalonnent le chemin de la croissance et de la paix. Les idées et les connaissances s'enrichissent par l'échange, et la jeunesse en est l'âme. Par votre créativité, vous en êtes les principaux acteurs et vous en serez les principaux bénéficiaires. C'est dire l'extraordinaire potentiel offert aux relations entre l'Asie et l'Europe. La ville de Shanghai en est la preuve vivante. Elle montre que l'on peut concilier l'ouverture au marché et l'affirmation de son identité, que l'on peut engager le dialogue des civilisations et respecter leur altérité, que l'on peut enfin conduire la modernité avec enthousiasme et rester fidèle à ses traditions. Forts de notre conscience du monde et de ses enjeux, de notre désir d'ouverture et de partage, unissons-nous davantage pour répondre aux grands défis que porte le nouveau millénaire. Ensemble, transformons les menaces qui pèsent sur notre avenir en une force pour nous rassembler et agir, en une volonté commune de contribuer à la paix et à la stabilité du monde.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 janvier 2003)