Interviews de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, à des radios et télévisions françaises et à la presse le 14 février 2003 à New York, sur son intervention au Conseil de sécurité de l'ONU après la remise du nouveau rapport de l'inspection en désarmement de l'Onu en Irak.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion à niveau ministériel du Conseil de sécurité de l'ONU pour la présentation d'un nouveau rapport des chefs des inspections en désarmement de l'Onu, à New York le 14 février 2003-intervention de M. de Villepin

Média : Agence Algérie Presse Service - Presse - Télévision

Texte intégral

(Entretien avec des télévisions et radios françaises à New York le 14 février 2003) :
Q - Monsieur le Ministre, qu'attend-on aujourd'hui des Iraquiens ? Comment interprétez-vous les applaudissements qui ont salué votre intervention au Conseil de sécurité ?
R - Nous attendons une meilleure connaissance des programmes, notamment dans les domaines chimique, balistique, nucléaire, des gestes de la part des Iraquiens, comme par exemple les scientifiques qui peuvent être interrogés librement. Par ailleurs, un certain nombre d'informations, de documents ont été remis et doivent être approfondis. C'est là l'essentiel, c'est cela qui compte, qui doit permettre aux inspections de produire tous leurs effets, nous l'espérons, au cours des prochaines semaines. C'est pour cela que la France propose un certain nombre de mesures permettant le renforcement et une plus grande efficacité des inspections. C'est pour cela que nous sommes mobilisés. Les applaudissements saluent, je crois, l'effort de la France, pour maintenir une position équilibrée, à la fois de fermeté vis-à-vis de l'Iraq - pour obtenir la réponse que nous attendons à notre objectif clair et simple, le désarmement de l'Iraq -, et par ailleurs, les efforts que nous faisons pour permettre véritablement à ces inspections de donner tous leurs résultats. Et nous le faisons avec toute la communauté internationale, avec l'ensemble des membres du Conseil qui sont mobilisés à cette fin.
Q - Comment la communauté internationale, l'opinion publique internationale sont-elles en train d'évoluer, à votre avis ?
R - Chacun se rend compte, d'abord de l'importance de l'enjeu. Il s'agit de la capacité du Conseil de sécurité, de l'ONU, d'avancer dans la voie des inspections en désarmant pacifiquement l'Iraq. L'autre option c'est aujourd'hui celle de l'intervention militaire. Et nous pensons qu'avant d'examiner cette option de la force, qui ne peut être qu'un dernier recours, il convient de tout faire. C'est pour cela que la France est si active, si mobilisée, à travers la ligne définie par le président de la République qui fixe bien le cap et qui est en constant contact avec l'ensemble des dirigeants du monde pour justement faire avancer ces orientations avec le soutien de la communauté internationale.
Q - Nous n'avons pas l'impression que M. Powell soit très ému de ce qui a été dit aujourd'hui. Il maintient le cap et, à votre avis, dans les jours à venir, ne pourrait-il pas y avoir un vote au Conseil de sécurité ?
R - L'important, ce sont les faits. Les faits ont été présentés par les inspecteurs ce matin et ils parlent d'eux-mêmes. Il y a des progrès. Donc, s'il y a des progrès, nous sommes bien dans le temps des inspections, dans le temps de la coopération que nous voulons tous les jours plus active de la part de l'Iraq. C'est, je crois, pour cela que la communauté internationale travaille et c'est dans ce sens que nous devons continuer, déterminés, résolus, sereins.
Q - N'avez-vous pas l'impression, tout de même, que le temps compte beaucoup pour les Américains et que, dans les jours à venir, il pourrait y avoir un vote ?
R - La résolution 1441 est claire de ce point de vue. Elle ne fixe pas de délai, elle fixe une exigence. C'est la coopération de l'Iraq. C'est à cela que nous travaillons. Nous nous efforçons d'obtenir tous les jours davantage de la part des Iraquiens. Le rapport des chefs des inspecteurs est circonstancié. Il parle de lui-même. Il nous appartient maintenant de permettre à ces inspecteurs d'obtenir toujours davantage de résultats sur le terrain.
Q - Est-ce que vous avez le sentiment que vous allez être entendu aujourd'hui par le Conseil de sécurité ? Est-ce que vous pensez que la position française reflète la majorité du Conseil ?
R - Vous avez écouté l'essentiel des principaux représentants du Conseil de sécurité ce matin. Il y a une très large majorité qui soutient la voie des inspections, qui est la voie de la France. Nous pensons qu'il y a là le chemin qui est à suivre au cours des prochaines semaines.
Q - C'est interdit d'applaudir au Conseil de sécurité, le président Fischer l'a rappelé, il y a eu un tonnerre d'applaudissements à la fin de votre discours, est-ce que vous avez le sentiment d'avoir fait un discours historique qui va marquer ?
R - J'ai longuement préparé ce discours avec le président de la République. Nous avons voulu exprimer l'ambition de la France dans une crise majeure de la vie internationale puisqu'il est question de la guerre et de la paix. J'ai donc voulu présenter les efforts de la France, la conviction de la France, la conviction qu'avec volonté, avec détermination, avec la mobilisation de tous, il y a un chemin que nous pouvons tenir ; c'est cet espoir-là, qui est un espoir lucide et exigeant, car nous sommes déterminés à obtenir de l'Iraq le désarmement. Il n'y a aucune complaisance vis-à-vis du régime de Bagdad. C'est bien à partir de cela que la diplomatie française veut travailler avec l'ensemble des responsables du Conseil de sécurité.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 février 2003)
(Entretien avec des télévisions françaises à New York le 14 février 2003) :
Q - Y aura-t-il une résolution la semaine prochaine de la part des Anglais et des Américains ?
R - Dans la position française, il n'y a pas besoin d'une nouvelle résolution dès lors que le cadre posé par la résolution des Nations unies offre toutes les possibilités d'amélioration et de renforcement, et vous savez que la France a fait des propositions en ce sens, pour donner toutes les chances à la paix, toutes les chances aux inspecteurs, pour permettre de répondre à leur besoin sur le terrain et garantir en quelque sorte des progrès substantiels.
Q - L'assemblée était très émue par la position de la France aujourd'hui. Est-ce que vous pensez que vous allez pouvoir maintenir cette position la semaine prochaine ?
R - Dans cette question grave puisqu'il s'agit de guerre et de paix, au-delà des émotions, il y a des faits. Les faits qui nous ont été apportés aujourd'hui par les inspecteurs marquent des progrès significatifs. C'est cela je crois l'événement important du jour.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 février 2003)
(Entretien avec des radios françaises à New York le 14 février 2003) :
Q - Monsieur le Ministre vous avez été très applaudi, mais à la fois le blocage semble total au Conseil de sécurité. Quel bilan tirez-vous de cette journée ?
R - C'est une journée qui a permis de mieux connaître le travail des inspecteurs puisqu'il s'agissait pour eux de faire rapport devant le Conseil de sécurité, tant pour M. Blix que pour M. El Baradeï. Et qu'ont-ils dit ? Ils ont dit que les inspections donnaient des résultats, qu'il y avait des progrès sur le terrain. Or c'est bien cela qui est important. Nous sommes engagés dans un processus d'inspections en Iraq. Il s'agit de faire en sorte, grâce aux inspecteurs, d'avancer dans la voie du désarmement de l'Iraq, qui est l'objectif de la communauté internationale. Donc, de ce point de vue, c'est une journée riche en enseignements.
Q - Après une journée comme celle-ci, pensez-vous que la guerre recule ou non ?
R - Je crois que chacun est face à ses responsabilités. Au Conseil de sécurité nous avons voté tous ensemble la résolution 1441. C'est une résolution adoptée à l'unanimité. La France le dit et le redit, nous sommes confrontés à des choix graves et, entre la coopération insuffisante qui avait été celle des dernières semaines, et les progrès que nous constatons aujourd'hui, nous pensons qu'il y a véritablement de bonnes raisons de continuer à avancer dans la voie des inspections. En tout état de cause, il appartient à la communauté internationale de tout faire avant de considérer les dernières options, qui pourraient être le recours à la force.
Q - Avez-vous le sentiment que les inspections pourraient fonctionner s'il n'y avait pas cette énorme menace militaire américaine ?
R - Il est très important de garder la pression sur l'Iraq. Et nous attendons de l'Iraq davantage. Nous l'avons dit collectivement. Ce que nous voulons c'est le désarmement. Il est donc important que l'Iraq prenne la mesure de la situation, coopère pleinement avec les inspecteurs. Nous avons vu des progrès au cours des dernières semaines, mais évidemment nous sommes mobilisés pour obtenir davantage.
Q - Comment avez-vous trouvé Colin Powell ?
R - Colin Powell est un ami. Je le connais maintenant depuis de longs mois. Nous avons beaucoup travaillé ensemble, en particulier pour préparer la résolution 1441. Il est évident que nous avons, les uns et les autres, le poids de la responsabilité. Nous sommes au Conseil de sécurité. Le Conseil engage la communauté mondiale. Je le redis, il y a là des enjeux aussi lourds que la guerre et la paix. Et nous sommes, je crois, très conscients des responsabilités qui pèsent sur nous et nous le faisons évidemment avec le souci de défendre non seulement les intérêts de nos pays mais en même temps les intérêts de la communauté mondiale.
Q - Vous avez certainement constaté qu'un sentiment anti-français s'est développé aux Etats-Unis ces derniers jours. Est-ce que vous avez le sentiment que cela va trop loin ?
R - Nous regrettons ces incompréhensions. Nous regrettons ces nombreuses critiques qui se sont étalées dans la presse, certaines déclarations qui ne nous paraissaient pas mesurées, ni correspondre à la vérité. Il y a une passion qui s'exerce aujourd'hui aux Etats-Unis et qui est, je crois, très largement le fait du choc qu'a été le 11 septembre, un sentiment très profond d'insécurité ; le sentiment que la vie quotidienne des Américains était menacée. Nous comprenons cette situation et, en même temps, nous réaffirmons à chaque occasion, je l'ai redis aujourd'hui, qu'il y a une profonde amitié entre la France et les Etats-Unis - Colin Powell l'a rappelé dans sa conférence de presse - une amitié de 225 années. Nous sommes fidèles à cette amitié, quoi qu'il arrive.
Q - Vous avez été applaudi dans une enceinte où on n'applaudit jamais. Qu'est-ce que vous avez ressenti à ce moment-là ?
R - D'abord une très grande fierté de représenter ici la diplomatie française ; une très grande fierté de défendre les couleurs de la France ; une très grande fierté de servir sous l'autorité d'un président de la République qui depuis le premier jour de cette crise a marqué le cap pour la communauté internationale, et d'avoir défendu l'objectif de la communauté internationale à travers ce qui a été la résolution 1441, une résolution en deux temps, qui donne toutes ses chances à la paix par les inspections et qui le dit clairement. La force ne peut être qu'un dernier recours, la guerre est toujours la pire des solutions.
Q - Une question sur la réunion européenne de lundi, quelle importance peut-elle avoir ?
R - C'est une réunion importante parce que nous allons d'abord nous retrouver au niveau ministériel et l'après-midi, les chefs d'Etat et de gouvernement vont se retrouver pour évoquer cette crise importante qu'est la crise iraquienne, qui, comme nous l'avons tous vu et compris, crée des divisions et des incompréhensions en Europe. Il est important que l'Europe se retrouve sur l'essentiel, sur ce qui fait nos principes et nos valeurs. Je crois que tous les chefs d'Etat et de gouvernement qui seront présents à Bruxelles ont cela en tête. L'importance est primordiale pour nous Européens de nous définir par rapport à l'idée que nous nous faisons de cette grande ambition que doit être l'Europe pour chacun de nous. Il est important que souvent ce qui nous divise, c'est à dire l'attitude à avoir par rapport aux Etats-Unis, ne soit pas un élément qui pèse dans le jeu de nos différences. Nous sommes tous amis, nous sommes tous fidèles à l'amitié qui est celle des Etats-Unis mais nous devons faire la part des choses. L'Europe est une réalité, une réalité commune pour chacun d'entre nous. Nous ne devons pas accepter de nous laisser diviser.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 février 2003)
(Entretien avec la presse à New York le 14 février 2003) :
Nous avons écouté ce matin avec la plus grande attention les exposés de MM. Blix et El Baradeï, et une chose est claire : les inspections donnent des résultats. Il y a des résultats significatifs et positifs, des progrès importants ont été réalisés ces dernières semaines. Mais, bien entendu, en tant que membre de la communauté internationale, nous voulons davantage. Nous exigeons de l'Iraq qu'il se conforme pleinement à ses obligations, car le but du Conseil de sécurité, ne l'oublions pas, c'est le désarmement de l'Iraq. C'est la raison pour laquelle la France a proposé de renforcer les inspections, en essayant de donner aux inspecteurs tous les moyens nécessaires pour assurer la conduite des inspections. Nous pensons qu'il faut, tous ensemble, maintenir la pression sur l'Iraq et c'est pourquoi nous proposons de nous retrouver le 14 mars, au niveau ministériel. Nous sommes tous engagés pour essayer de résoudre cette crise pacifiquement, c'est aujourd'hui notre tache la plus importante.
Q - Pensez-vous que l'Iraq est aujourd'hui en situation de violation flagrante ?
R - Nous sommes dans le cadre de la résolution 1441, et selon cette résolution, sur la base du rapport des inspecteurs au Conseil de sécurité, il revient au Conseil de décider si l'Iraq est dans une telle situation ou non.
Q - (A propos d'une deuxième résolution du Conseil de sécurité des Nations unies)
R - Je l'ai dit très clairement ce matin. Nous sommes dans le cadre de la résolution 1441. Nous sommes dans le temps des inspections. Nous pouvons, dans ce cadre, améliorer, renforcer les inspections. Nous n'avons pas besoin, à ce stade, d'une seconde résolution. Bien entendu, s'il y a échec, si les inspecteurs reviennent et nous disent qu'ils ne peuvent plus travailler sur le terrain, alors nous devrons envisager une nouvelle réunion du Conseil de sécurité, une nouvelle résolution. Nous devrions examiner toutes les options, y compris le recours à la force. Mais nous n'en sommes pas là aujourd'hui.
Q - Vous avez été applaudi à la fin de votre discours, ce qui n'est pas courant ici. Quelle est votre réaction ?
R - La seule réaction est que nous travaillons tous pour quelque chose d'important. Ce qui est en jeu ici, c'est la guerre et la paix. Et notre responsabilité, la responsabilité collective du Conseil de sécurité, est engagée. Nous voulons essayer de donner une chance à la paix.
Q - Votre opposition à la guerre va-t-elle jusqu'à un éventuel veto à une résolution soutenue par les Etats-Unis dans les deux semaines à venir ? Pensez-vous que les troupes américaines doivent rester dans la région pour maintenir la pression sur l'Iraq, même si cela peut durer des mois ?
R - Nous pensons que la pression que nous avons mis tous ensemble sur l'Iraq donne aujourd'hui des résultats. Nous avons dit très clairement quelle est la position de la France. C'est une position précise. En premier lieu, nous avons dit que nous devrions faire de notre mieux avec les inspecteurs. Ensuite, bien entendu, si cela ne marche pas, alors nous devrions examiner une seconde option.
Q- La France est-elle convaincue que davantage de force accroîtrait la pression ou bien laisserait-elle les Etats-Unis exercer cette pression ?
R - Vous avez entendu le rapport de MM. Blix et El Baradeï, je pense que la pression est forte. Nous obtenons des résultats. Nous devrions rester soudés afin d'obtenir encore davantage de résultats.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 février 2003)