Texte intégral
Q - En quoi la journée du vendredi 14 février a-t-elle été si particulière ?
R - C'est une étape importante dans la crise iraquienne. Le Conseil de sécurité des Nations unies, réuni au niveau des ministres des Affaires étrangères, a entendu les deux chefs des inspecteurs présenter un rapport très attendu. MM. Blix et El Baradeï sont, sur le terrain, à la fois l'oeil et la main du Conseil de sécurité. La résolution 1441, qui fixe pour objectif le désarmement de l'Iraq, s'appuie sur leurs comptes-rendus réguliers. Ils ont dit clairement que les inspections donnent des résultats, que des progrès ont été possibles ces dernières semaines. Tout cela va dans le sens que nous souhaitons, mais reste encore insuffisant. Nous devons persévérer jusqu'à atteindre le désarmement effectif de l'Iraq.
Q - Tout le monde est d'accord sur l'objectif : le désarmement de l'Iraq. Les Américains veulent se débarrasser de Saddam Hussein. Pas nous ?
R - La résolution 1441 définit un objectif et un seul : le désarmement de l'Iraq. C'est cet objectif qui fonde le consensus de la communauté internationale. Nous devons donc nous y tenir. Chacun sait que nous n'avons, évidemment, aucune complaisance à l'égard de Saddam Hussein. A ceux qui demandent un changement de régime, je réponds qu'il faut s'en tenir à un principe clair : le seul vrai détenteur de la légitimité et de la légalité internationales, c'est l'Organisation des Nations unies. Si chacun s'érige en juge de cette légitimité, où commence-t-on et où s'arrête-t-on ? Ce sont les règles de base de la communauté internationale qui seraient remises en cause. Ce n'est pas acceptable et c'est, de surcroît, dangereux.
Q - Quel va être le calendrier des jours à venir ?
R - Nous nous situons résolument dans l'application de la résolution 1441. La conviction de la France est que cette résolution offre beaucoup de possibilités qui n'ont pas encore été toutes explorées. Cette résolution ne prévoit pas de délai. Tant que les inspecteurs sur le terrain pourront nous présenter de nouveaux progrès, il n'y a pas lieu de changer de cap. En cas d'impasse, il appartiendrait au Conseil de sécurité d'envisager toutes les options possibles, y compris le recours à la force. Mais il ne saurait y avoir d'automaticité. C'est bien au Conseil de sécurité de décider à chaque étape du processus. On entend dire qu'une deuxième résolution pourrait être déposée par les Américains et les Anglais. Pour nous, une telle résolution n'est pas nécessaire dès lors que les inspections continuent d'avancer.
Q - Ne craignez-vous pas que les nombreuses manifestations de ce week-end ne précipitent le calendrier des Américains ?
R - Nous sommes à la croisée des chemins. La France affirme une conviction : les inspections progresseront d'autant plus sûrement que nous serons mobilisés pour agir ensemble. Dans ce but, nous avons fait des propositions pour donner plus d'efficacité à ces inspections. Comme celle de renforcer la capacité d'observation et de surveillance aérienne, notamment par des avions Mirage-IV, ou encore la possibilité d'accroître les échanges de renseignements entre les pays membres. Je pense aussi à la possibilité de constituer un corps de surveillants qui assureraient en permanence le contrôle des sites déjà visités. Il est important que les Nations unies puissent constamment perfectionner l'outil des inspections de façon qu'il puisse servir, dans l'avenir, lors de toute autre crise de prolifération.
Q - Les difficultés dans les relations entre la France et les Etats-Unis ne vont-elles pas avoir des répercussions sur l'avenir de l'Europe ?
R - C'est un sujet que j'ai abordé à plusieurs reprises avec Colin Powell. Nous sommes convaincus qu'il faut un monde multipolaire et qu'une puissance seule ne peut pas assurer l'ordre du monde. Il faut une Europe forte et unie. La qualité des liens transatlantiques, l'amitié avec les Etats-Unis doivent constituer une force commune pour contribuer ensemble à la stabilité du monde et non pas diviser les Européens. Faisons en sorte que l'Europe soit capable d'affirmer son identité et ses principes. C'est l'enjeu du Conseil européen extraordinaire de lundi. Les chefs d'Etat et de gouvernement ont rendez-vous avec les peuples de l'Europe. Chacun sent bien que l'attente est immense. L'Europe doit être capable de porter haut ses valeurs et de défendre son ambition.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 février 2003)