Interview de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du gouvernement, à RTL le 3 février 2003, sur la préparation de la réforme des retraites.

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Circonstance : Présentation du calendrier de la réforme des retraites par M. Raffarin au Conseil économique et social, à Paris le 3 février 2003

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief-. 350 000 personnes dans les rues pour les retraites, des plans de licenciements massifs, une remontée du chômage en décembre, un climat international difficile, et pour couronner le tout, une petite députée socialiste, une grande députée socialiste - elle m'en voudrait de dire "petite" -, élue à Paris. Alors c'est le premier trou d'air sérieux...

- "...Ainsi qu'un député UMP, d'ailleurs."
... - et un député UMP en banlieue parisienne - C'est le premier trou d'air sérieux pour le gouvernement Raffarin ?
- "Je crois que c'est surtout un appel à des moments de vérité. On commence à lancer des réformes importantes, on est dans un carrefour. Et je crois que c'est là vraiment que l'intensité du dialogue entre le Gouvernement et les Français va prendre toute sa force parce qu'on rentre dans une phase de réformes difficiles pour lesquelles le courage s'impose."
L'état de grâce est fini, comme disait Alain, et maintenant les choses sérieuses commencent ?
- "Je crois surtout qu'on est dans des moments où le Gouvernement doit bien montrer que sa détermination est totale, et c'est le cas, à continuer d'engager des réformes qui sont bonnes pour la France. Et pour cela, il y a naturellement besoin d'en parler avec les uns et les autres et de faire que le débat soit le plus intense et le plus passionnant possible."
Donc, communiquons, communiquons, c'est ce que vous dites avant le discours de J.-P. Raffarin, cet après-midi, devant le Conseil économique et social. 358 000 personnes pour les retraites, cela va-t-il influer sur ce discours, sur cette stratégie du Gouvernement sur les retraites ?
- "Pour être tout à fait honnête avec vous, cela va surtout le conforter. Parce que c'est un véritable appel au courage politique. Je suis très frappé de voir - aussi bien d'ailleurs dans l'esprit de ceux qui ont manifesté, qui était en nombre relativement important, que dans ceux qui n'ont pas manifesté, mais dont on voit l'expression au travers les études d'opinion - qu'il y a la volonté, cette fois, d'aller pour et pas d'aller contre. D'habitude, on va contre, là on va pour : on demande au Gouvernement..."
...Peut-être pas dans le même sens et peut-être pas pour les mêmes choses que vous !
- "Attendons. Moi, j'ai le sentiment, aujourd'hui, que ce que les Français attendent de leurs gouvernants c'est qu'ils assument leurs responsabilités, qu'ils prennent des décisions, qui n'ont pas été prises depuis des années, sur un des sujets dont j'ai envie de dire qu'il constitue une réforme assez historique. Ce qui va se passer aujourd'hui est assez historique : le discours du Premier ministre devant le Conseil économique et social, son intervention..."
Sera historique ?!
- "... à la télévision. C'est un rendez-vous historique, parce qu'on lance une réforme qui touche un des points essentiels et qu'il faut préserver : la sécurité de nos retraites. Or, l'inquiétude des Français aujourd'hui est très forte dans ce domaine. Le sentiment que j'éprouve, c'est que beaucoup de nos concitoyens disent : "enlevez-nous cette épine du pied, cette inquiétude pour nous, pour nos enfants, pour nos petits-enfants et même pour nos arrière-petits-enfants !". Parce que l'espérance de vie fait qu'il y a quatre générations aujourd'hui."
"Enlevez-nous cette inquiétude !", mais ce qu'on dit aussi les syndicats et les manifestants, c'est conservez le haut niveau de nos pensions, donnez-nous un taux plein à 60 ans, prenez en compte la pénibilité des travaux. Est-ce que tout cela on va le retrouver dans le discours de J.-P. Raffarin ?
- "Voilà pourquoi le débat doit être lancé maintenant, sur la base d'un calendrier..."
Cela fait six mois qu'il est lancé, vous avez été élus... On attend, un peu les vraies décisions, en tout cas les vraies propositions !
- "Je sais que cela fait partie de la vie en France mais il y a un moment où il faut savoir ce que l'on veut. Quand les gouvernants arrivent avec des projets tout ficelés, en trois semaines, d'une certaine manière, d'abord, ils provoquent immédiatement des oppositions très fortes parce que personne n'a la vérité révélée. En tout cas, notre Gouvernement n'a pas la vérité révélée, il n'a pas un plan clés en main ; il ouvre le débat sur la base d'une méthode. Le Premier ministre va effectivement présenter un discours de la méthode, présenter les enjeux, la gravité de la situation, la nécessité pour chacun d'avoir..."
Mais cela fait cinq ans, six ans qu'il y a des rapports qui se succèdent ! On le sait un petit peu quand même !
- "Et enfin, il va parler d'un calendrier. Parce qu'il est clair qu'il faudra que de tout cela, de ce débat, de ces discussions, de ces concertations nécessaires, le cas échéant sur certains points, de ces négociations également, de tout cela doit ressortir une décision sur la base d'un calendrier que chacun connaît, qui est, grosso modo, à l'été. Ne doutez pas de notre détermination à arriver à une décision. Car en clair - c'est en cela que je vous disais tout à l'heure que la période est effectivement une période où chacun débat beaucoup et on peut contester tel ou tel point -, c'est un moment où nous voulons montrer notre détermination à faire des réformes difficiles."
Négociations, concertations : tous ces mots n'ont pas exactement le même sens. F. Fillon dit que les syndicats auront leur mot à dire, et puis le Gouvernement, vous notamment, vous avez dit : "attention, il n'y pas de négociations, ce sera une concertation". Très brièvement, comment ça va se passer précisément ?
- "Cela va se passer de la manière suivante : en clair, aujourd'hui, le Premier ministre lance le coup d'envoi de la réforme. C'est-à-dire qu'il va bien rappeler les grands enjeux de la situation et en même temps faire un discours de la méthode, du calendrier, tout en rappelant notre détermination. Bien entendu, là-dedans, chacun aura sa part et bien entendu, les partenaires sociaux auront un rôle tout à fait essentiel. Et puis la formule que nous retenons, c'est celle qui consiste à dire : concertation-négociation. Il y a des domaines qui relèvent de l'un, des domaines qui relèvent de l'autre. Et pour ce qui touche à l'essentiel du politique, in fine, il y aura une décision à assumer. Mais tout cela se passe avec un préalable important. On discute et on débat au fond des choses, sur tous les sujets. Il ne doit pas y avoir de tabous."
Vous disiez : "Le Gouvernement n'a pas la vérité révélée", c'est la nouvelle formule, c'est-à-dire qu'on y va mollo, on attend les réactions de l'opinion... Mais certains disent aussi que c'est "une politique qui marche en crabe" - je cite mon confrère du Monde, L. Mauduit - c'est-à-dire, que vous tâtonnez, vous attendez de voir la réaction de l'opinion, vous reculez, vous revenez. Est-ce que c'est cela un cap clair ?
- "Il faut quand même que les choses soient claires : personne ne va, comme vous dites, "mollo". Le but est que, effectivement, les choses sont trop difficiles pour qu'un Gouvernement, depuis Paris, puisse décider, tout seul, comme un grand, enfermé dans un bureau. On a vu ce que ça a donné : c'est la victoire de l'idéologie et donc le contraire du bon sens et du pragmatisme."
Vous pensez à 1995 ?
- "Mais je pense aussi à cinq années de croissance qui n'ont servi à rien parce qu'on ne voulait pas faire les réformes difficiles, parce qu'on avait peur et qu'il fallait rien faire ! Ca, c'est non seulement "mollo" mais c'est de l'immobilisme complet. Nous faisons l'inverse. Nous pensons que l'esprit de mai 2002, c'est l'esprit dans lequel les Français nous disent "faites le boulot, et faites-le en respectant les uns et les autres". On veut une société de confiance dans laquelle on se parle, on s'écoute, on se respecte et ensuite on décide."
Cela veut dire concrètement, par exemple, que vous oserez dire : il faut 40 ans de cotisations pour tout le monde, les fonctionnaires et les salariés du privé ?
- "Cela veut dire que le débat aujourd'hui est ouvert, que nous avons besoin d'entendre tout le monde, que nous n'avons pas un plan clés en main,..."
Je sens que le porte-parole n'ose pas griller la politesse à son Premier ministre...
- "Mais au-delà de cela, ne vous y trompez pas : ce soir le Premier ministre va lancer le coup d'envoi de cette réforme. Elle est historique, elle est importante. Il y a un calendrier, il y a donc une date d'arrivée. Mais aujourd'hui, on lance le débat, il est ouvert. Et croyez-moi, il est important que chacun s'exprime."
Quand même, sur le fond, on sent évidemment qu'on est obligé, peut-être, vous allez annoncer qu'il faudra allonger la durée du travail, et en même temps on a une avalanche de plans sociaux. Comment voulez-vous concilier le fait qu'il va y avoir des préretraites peut-être en quantité, alors que dans un autre jour, vous allez nous dire "non, non, il faut travailler plus longtemps et on va s'arranger pour que tout le monde travaille plus longtemps".
- "Ce qu'il faut bien voir, c'est que dans la réforme des retraites, il va y avoir des principes qui sont intangibles. Par exemple, le principe de préserver la retraite par répartition, le fait de préserver le niveau des revenus des retraites qui est un élément essentiel. Ensuite, les plans sociaux : ne vous y trompez, le Gouvernement est hypermobilisé sur cette question des plans sociaux, mais..."
Les syndicats dénoncent "la léthargie, "la page blanche du Gouvernement".
- "Vous voyez bien que chacun est dans son rôle, chacun y va de ses phrases, de ses mots forts. N'empêche que, quel est notre objectif ? Premièrement, il s'agit pour nous d'éviter des plans sociaux en amont quand ils ont illégaux et dans le même temps de les accompagner quand ils sont inévitables. Quand ils sont illégaux, bien sûr, il y a des patrons voyous, qui ne sont pas très nombreux, mais qui, par leur comportement, face au droit social, ou même au droit de l'environnement, salissent l'image du métier qui, aujourd'hui, est le seul à créer de l'emploi : le métier d'entrepreneur. C'est inacceptable ! Et puis, il y a ceux qu'il faut accompagner, parce qu'il y a des situations inévitables. Et dans ce domaine-là, il faut être évidemment hyperpragmatique. L'exemple typique, c'est ce site de Metaleurop qui risque effectivement d'être sinistré au plan industriel ; 15 kilomètres à côté, nous décidons depuis la semaine dernière la création d'une zone franche, c'est-à-dire une zone défiscalisée où on va créer de l'emplois et de l'entreprise.."
Pour compenser...
- "...Oui. C'est très important, c'est ça la réactivité."
Certains diront que ce n'est pas très différent de ce qu'a fait le gouvernement Jospin. Nous en reparlerons...
- "Sans vouloir polémiquer, le Gouvernement précédent les a supprimées, c'est nous qui les rétablissons parce que justement, c'est pragmatique, c'est ce que nous voulons faire."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 février 2003