Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur le contexte stratégique de l'après "11 septembre", la nouvelle loi de programmation militaire 2003 - 2008 et le lien entre la défense nationale et la dimension internationale de la lutte contre le terrorisme, au Sénat le 11 septembre 2002.

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Circonstance : Clôture du colloque "La France dans la guerre contre le terrorisme", au Sénat le 11 septembre 2002

Texte intégral

Je remercie Monsieur le président du Sénat de m'accueillir en ces murs pour conclure cette première journée de travaux et le président Vinçon d'avoir pris l'heureuse initiative de ce colloque en partenariat avec l'ambassade des Etats-Unis.
Mes premières pensées vont aujourd'hui aux victimes des odieux attentats du 11 septembre et je saisis cette occasion qui m'est donnée de réitérer mes sentiments de solidarité et de compassions aux familles des victimes et à la nation américaine.
En m'invitant à prendre la parole aujourd'hui, vous attendez sans doute de moi une présentation des efforts de la France en matière de défense dans le contexte stratégique créé par le " 11 septembre ".
J'évoquerai donc d'abord rapidement la nouveauté de ce contexte, pour rappeler la dimension sécuritaire des défis auxquels nous devons désormais faire face.
Je voudrais ensuite prendre avec vous la mesure de nos efforts en matière militaire, notamment ceux qui sont inscrits dans la nouvelle loi de programmation militaire.
Enfin, je souhaite insister sur l'interaction entre notre engagement national et ce dans la dimension internationale que revêt la lutte contre le terrorisme.
I - Au lendemain de la Guerre froide, nous sommes entrés dans une période de perplexité. Nous espérions un " Nouvel ordre mondial ".
Avec le coup de tonnerre du " 11 septembre ", le doute n'est plus de mise. C'est bien du nouveau désordre mondial qu'il s'agit.
Une forme imprévue de la mondialisation nous a tous stupéfiés : la menace du terrorisme de destruction massive.
Hier des Etats complaisants ou complices armaient les bras des terroristes pour peser sur nos décisions politiques.
Aujourd'hui, des acteurs non étatiques et non militaires peuvent porter une atteinte majeure à la vie de nos concitoyens et à nos intérêts nationaux essentiels.
Nous ne sommes pas hors d'atteinte et nous le savons. La porosité des sociétés libérales et démocratiques, leur ouverture au monde, l'interaction de leurs économies sont autant de vulnérabilités faciles à exploiter par un ennemi adapté au monde globalisé.
Croire que ce terrorisme ne s'en prendra qu'aux Etats-Unis en raison de leur superpuissance est une grave erreur. Dois-je vous rappeler l'attentat de Karachi qui visait précisément des Français ?
Qu'il s'agisse de mondialisation adaptée aux besoins de tous ou de fidélité à nos principes de liberté et de solidarité, il n'y aura pas de retour en arrière.
Nous voici donc dans une guerre de longue haleine.
C'est dans le sang et les larmes que nous avons pris conscience de nos faiblesses.
C'est dans l'urgence que nous avons décidé de prendre toutes les mesures policières, judiciaires, financières et militaires pour faire face.
Les réponses au risque terroriste mettent en uvre une large palette de moyens qui doivent être mieux coordonnés. Sécurités intérieure et extérieure sont dorénavant inextricablement liées.
Mais si la nécessité se fait fortement sentir d'une vision globale de la sécurité, nous n'avons pas attendu le " 11 septembre " pour l'adopter.
La notion de défense globale elle-même figure déjà dans l'ordonnance prise par le général de Gaulle en 1959.
Elle prévoit que les forces armées apportent leurs concours aux autorités civiles dans de nombreuses circonstances. La mobilisation exemplaire des armées dans le cadre du plan Vigipirate en est un brillant exemple.
Le " 11 septembre " nous a conduit à renforcer nos capacités existantes de prévention et de réaction contre d'éventuelles actions terroristes utilisant des moyens nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques.
Le " 11 septembre " a fait comprendre aux Etats qu'ils ne pouvaient plus hésiter à exercer leurs fonctions régaliennes. Certains l'avaient oublié.
Si les grandes lignes de notre stratégie mondiale restent inchangées, nous devons pourtant nous adapter au nouveau contexte, sans précipitation, mais sans hésitation.
Certains Etats, notamment les Etats-Unis ont réorganisé en profondeur leur dispositif de protection en le centralisant après le " 11 septembre ".
Notre organisation, en France, est déjà très largement intégrée.
Le champ de la sécurité intérieure est lui-même en cours de réorganisation pour accroître l'efficacité et le volume des moyens qui lui sont dédiés.
Dans cet effort en commun, en plus de la gendarmerie, les trois armées assurent certaines missions prioritaires ; en particulier la surveillance de l'espace aérien et des approches maritimes.
Une coopération accrue de tous nos services de renseignement civils et militaires s'impose.
Hors de nos frontières, action diplomatique, soutien politique et aide économique étaient déjà essentiels pour contenir l'expansion des " zones grises ", où nulle souveraineté ne s'exerce et où les terroristes trouvent refuge.
Nous le savions. Nous travaillons à bâtir cette nécessaire diplomatie de défense.
Le modèle d'armée 2015, conçu sous l'autorité du chef de l'Etat, répondait il y a six ans à une analyse stratégique pertinente : pas de menace militaire directe à nos frontières, une instabilité dangereuse pouvant nous conduire à une intervention militaire extérieure, à distance et au sein de coalitions, un accroissement des risques dus à la prolifération d'armes de destruction massive et enfin le développement de menaces asymétriques, dont le terrorisme.
L'articulation de notre stratégie de défense en quatre grandes fonctions qui traduisent les quatre modes d'action de nos forces est donc tout à fait valide : dissuasion, prévention, projection et protection.
Par leurs interventions extérieures dans la lutte contre nos ennemis, les démocraties retrouvent le sens d'une histoire qu'elles doivent écrire.
Après les attaques qui ont frappé nos amis américains avec une lâcheté et une violence épouvantables, la France s'est engagée de façon déterminée et à un niveau élevé dans les opérations militaires en Afghanistan, au côté des Etats-Unis.
Dire, comme je l'entends parfois, que la France fut absente lors de l'éradication militaire d'al-Qaïda en Afghanistan est un mensonge.
Le groupe aéronaval a été déployé pendant sept mois en mer d'Arabie, accompagné de plusieurs bâtiments et d'un groupe de guerre des mines, pour assurer la surveillance de la navigation en mer d'Arabie et empêcher toute exfiltration par la mer des réseaux terroristes.
Des Mirage 2000 ont été déployés à Manas au Kirghizistan. Avec les Super-étendard du groupe aéronaval, ils ont assuré plusieurs centaines de missions d'appui au sol et de reconnaissance au profit des forces de la coalition.
Est-ce là passivité et inaction ? La France a donc apporté une contribution majeure à la lutte contre le terrorisme. La minimiser est une malhonnêteté ; la nier est un outrage.
De plus, nous sommes restés en Afghanistan dans le prolongement de la coalition antiterroristes.
La contribution française aux opérations de paix reste pour nous une priorité parce qu'elle stabilise des zones de crises potentielles. Ces crises locales sont susceptibles de dégénérer en affrontement régional ou en agressions directes contre nos intérêts et nos ressortissants.
C'est le sens de notre participation à la Force internationale d'assistance à la sécurité à Kaboul.
Nous prenons donc aujourd'hui des mesures capitales pour accroître nos capacités de défense.
Nous devons préparer pour demain les opérations qui pourraient s'avérer nécessaires dans le cadre de la guerre menée par les peuples libres contre le terrorisme.
II - La réforme des armées décidée par le président de la République en 1996 avait lancé le processus d'adaptation de moyens de défense au nouveau contexte stratégique. Cette rénovation, appuyée sur la professionnalisation, a acquis une ampleur comparable à celle qu'ont connu les armées au début des années 60 avec la réalisation de nos forces nucléaires.
La loi de programmation 1997-2002 a amorcé cette réforme. La professionnalisation des armées, qui vient de s'achever, conduit à des forces moins nombreuses, mais plus efficaces, particulièrement adaptées à l'action extérieure.
Les insuffisances passées dans l'allocation des ressources n'ont pas permis de mener à bien cette entreprise. Elles avaient dégradé notre capacité opérationnelle et porté atteinte à notre crédibilité et au moral des forces.
Sans la nouvelle loi de programmation militaire, nous ne pourrions espérer ni participer activement à la lutte, ni faire entendre notre voix la scène internationale.
Le gouvernement a pris conscience de ces besoins nouveaux qui se traduiront par un effort en conséquence. Le budget de la Défense ne sera plus une variable d'ajustement du budget de l'Etat.
Le projet de loi de programmation militaire pour la période 2003-2008 doit permettre à la France de tenir son rang, tout en restaurant la confiance entre les armées et la nation.
La nouvelle loi de programmation militaire vient d'être approuvée ce matin par le gouvernement et sera présentée au parlement dans quelques jours. Laissez-moi partager avec vous la primeur de ses orientations.
Le montant des annuités prévues par ce projet de loi est de 14,8 milliards d'euros, ce qui est très sensiblement supérieur aux 13 milliards d'euros de la précédente loi.
Notre première priorité est la restauration de la disponibilité de nos matériels.
Notre deuxième priorité est la modernisation des équipements, avec une attention toute particulière à certaines capacités clefs. Je pense d'abord à l'évaluation de situation et au commandement, ensuite à la projection et aux actions en profondeur, enfin à la protection des forces.
Pour permettre l'opérationnalité permanente du groupe aéronaval, nous acquerrons un second porte-avions.
Notre troisième priorité est la consolidation de la professionnalisation. L'effort de recrutement que nous fournissons fait du ministère de la Défense le premier recruteur national avec 30 000 personnes par an. Nous nous attacherons à garantir un niveau optimal de préparation en mettant l'accent sur l'entraînement des forces, sans négliger pour autant l'amélioration de leur cadre de vie.
A ces trois priorités, nous ajouterons un effort considérable en matière de recherche et développement afin de nous préparer toujours mieux à faire face à l'avenir.
Il s'agit pour nous d'un redressement historique, afin d'atteindre l'objectif que représente le modèle d'armée 2015.
Cet accroissement exceptionnel de nos ressources répond ainsi aux exigences imposées par le nouveau contexte international.
Dans la panoplie des équipements dont le projet de LPM prévoit l'acquisition, certains relèvent directement des enseignements que nous avons tirés du contexte stratégique. Si nombre d'équipements déjà prévus peuvent jouer un rôle dans la guerre contre le terrorisme, nous avons choisi de faire un effort spécifique en certains domaines.
Afin d'améliorer notre aéromobilité, nous acquerrons des hélicoptères de transport Cougar, au profit des forces spéciales notamment.
Nous renforcerons nos moyens techniques d'acquisition et de traitement du renseignement, en nous dotant de drones supplémentaires.
Sur le plan humain, nous maintiendrons nos moyens de renseignement, parfois trop délaissés par nos alliés au profit de techniques nouvelles.
Nous poursuivrons la rénovation du système de radars de surveillance de l'espace aérien, couplée à un accroissement de la disponibilité des aéronefs de défense permettant des interventions immédiates en toutes circonstances.
Nous renforcerons les moyens de protection des forces et du territoire national, notamment face à la menace biologique et nous recruterons des spécialistes en matière de lutte contre les agressions informatiques et les attaques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques.
Ce projet s'inscrit bien sûr en cohérence avec le projet de loi d'orientation et de programmation de sécurité intérieure et avec notre ambition pour l'Europe.
Il nous permettra donc de mieux protéger nos populations et nos intérêts, et d'affronter, avec nos alliés et nos partenaires, les dangers du terrorisme globalisé.
III - Au-delà de l'effort consenti au niveau national, il est en effet impératif que les Européens prennent pleinement conscience de la donne internationale post-11 septembre pour donner une nouvelle impulsion à la politique européenne de sécurité et de défense, tout particulièrement dans les domaines des capacités et du renforcement de sa crédibilité opérationnelle.
En menant ces efforts, la France tient à se garder de stratégies inspirées par une vision trop étroite de ses intérêts. Nous tenons à un engagement global des sociétés développées en faveur d'une nouvelle stabilité dans un monde perturbé par la mondialisation.
L'UE est le cadre d'échange pour les Etats européens sur les sujets relevant de leur sécurité intérieure et sur ceux relevant de l'Europe de défense.
L'OTAN est le lieu privilégié de la coopération transatlantique militaire et de défense.
L'ONU reste le seul garant ultime du droit international.
Pour mobiliser l'action contre le terrorisme, la France veut donner une nouvelle impulsion à la PESD, améliorer la complémentarité transatlantique et accroître sa coopération avec un Sud frustré.
L'Europe, tout en devenant l'ensemble régional le plus élaboré de la planète, reste une puissance pacifique. Elle n'en deviendra pas moins, grâce à la PESD, un acteur mondial en matière de défense et de sécurité.
L'Union européenne s'attache aussi à désamorcer les sources de tensions.
Trop souvent et trop facilement critiquée pour son impuissance, l'Europe contribue plus qu'il n'y paraît à la sécurité et à la stabilité internationale.
Les Européens sont les premiers contributeurs pour l'aide aux pays d'Europe centrale et orientale, au développement dans les Balkans et aux nouveaux états indépendants de l'ex-URSS.
Ils fournissent la plus grande partie des forces militaires dans les Balkans et ils sont les premiers pourvoyeurs de troupes dans les opérations internationales mandatées par l'ONU.
Contre le terrorisme, il nous faut désormais construire des coalitions au cas par cas et trouver un nouvel équilibre dans les modes d'engagement extérieur, en particulier dans les cadres de coopération euro-atlantique.
L'Alliance atlantique reste le fondement de notre sécurité collective et de notre solidarité de part et d'autre de l'Atlantique.
Les Etats-Unis disposent d'une superpuissance militaire incontestable. L'Europe, pour sa part, tend à vouloir privilégier tout d'abord d'autres moyens pour gérer la sécurité de son environnement. Dans tous les cas, nos instruments respectifs de puissance devront être complémentaires.
Enfin, je voudrais rappeler le rôle de pont que s'assigne la France entre un Occident prospère et des pays en voie de développement. Ce rôle est capital dans la lutte contre le terrorisme ; il nous permet de nous attaquer à nombre de ses causes.
Et la France est un élément moteur au service de cette ambition. Elle a une capacité d'écoute unique et une relation ancienne et particulière avec de nombreux pays du " Sud ". Elle sait jouer ce rôle d'allié fidèle des Etats-Unis, en même temps capable de ne pas offrir aux pays non Occidentaux le visage de l'incompréhension et de la suspicion.
L'après " 11 septembre " est un défi formidable pour tous. Il représente une occasion extraordinaire pour la France de faire entendre sa voix.
Dans la course contre le terrorisme, nous sommes résolument engagés. Nous savons qu'il n'y aura pas de victoire parfaite, absolue, définitive. Nous n'en sommes pas moins déterminés. Et rien ne nous arrêtera.
Merci.

(source http://www.defense.gouv.fr, le 17 septembre 2002)