Interview de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, à France-Inter le 27 janvier 2003, sur le dépôt de bilan d'entreprises voulant échapper aux plans sociaux et la réforme des retraites.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli-. S'il était avéré que de grandes entreprises voulant mettre fin à leurs activités en échappant aux plans sociaux, organisaient avec l'aide d'avocats spécialisés leur insolvabilité, quelles seraient alors les recours possibles ? Ces entreprises seraient-elles passibles de poursuites ou y échapperaient-elles en toute légalité ? Le président de Metaleurop-Nord convoque aujourd'hui un comité d'entreprise extraordinaire pour constater la cessation de paiement avant de déposer le bilan cet après-midi. Qu'en sera-t-il alors des 830 salariés de l'usine ? Le Premier ministre s'est dit préoccupé, F. Mer dit qu'il est révulsé. Vous avez dénoncé, vous-même, le manque de scrupule des dirigeants. Mais quels sont les recours face à des situations nouvelles de ce type ?
- "Les entreprises doivent respecter la loi comme tout le monde. Nous avons les moyens de faire respecter cette loi, c'est-à-dire à la fois de poursuivre les entreprises ou les dirigeants d'entreprise qui ne respecteraient pas la législation française. Nous avons la possibilité de les poursuivre y compris en dehors du territoire national."
C'est-à-dire s'en prendre, par exemple, s'agissant de Metaleurop à la maison mère ?
- "Bien sûr. C'est bien ce que nous allons faire d'ailleurs. Nous avons la possibilité de saisir les comptes bancaires de ces entreprises. Nous avons les instruments nécessaires pour sanctionner ceux qui se comportent de cette manière, et j'ai envie de dire dissuader d'autres groupes internationaux de suivre le même chemin."
Quelque chose de nouveau est-il en train d'émerger ? Un nouveau type de comportement ? Le Medef s'en est aussi préoccupé, parlant "des patrons voyous". Qu'est-ce qui se passe ?
- "Le Medef a raison de s'en préoccuper, parce que c'est l'image des chefs d'entreprise au fond qui est injustement salie par des gens qui ne respectent pas les règles sociales et les règles de droit. Il faut savoir que les plans sociaux, dans notre pays, ne représentent pas, et de loin, la totalité des licenciements. C'est seulement 20 % des licenciements, les grandes affaires dont on parle à la radio et à la télévision. D'ailleurs, ces licenciements économiques sont moins importants ces derniers mois qu'ils ne l'étaient il y a un an. L'image de crise comme celle qu'on connaît à Metaleurop donne un éclairage sur l'entreprise et sur son fonctionnement qui ne correspond pas à la réalité et qui, d'une certaine manière, fragilise son développement dans notre pays."
Comment concevez-vous le rôle du Gouvernement dans une affaire de cette nature ? Cet après-midi, par exemple, 830 salariés de Metaleurop vont se demander ce qu'ils vont devenir. Qu'est-ce qui se passe pour eux ?
- "D'abord, on sa s'occuper d'eux. S'agissant des salariés de Metaleurop, il y a des dispositifs en France qui vont permettre de payer leurs salaires malgré la défection de l'entreprise. Le Gouvernement va ensuite veiller à ce qu'un plan social digne de ce nom soit mis en place, c'est-à-dire que chacun soit individuellement traité, placé dans une situation où il pourra bien entendu bénéficier des systèmes de chômage de notre pays, placé dans un dispositif où il pourra bénéficier de reconversion, et surtout, nous allons nous attaquer au problème du développement de ce bassin d'emplois, pour retrouver des emplois dans la région. Mais je crois qu'il faut dire la vérité aux Français. On a trop souvent, sur ce sujet, laissé croire que l'Etat pourrait empêcher les entreprises de licencier. C'est comme vouloir empêcher la maladie. La vérité c'est que les crises, les difficultés économiques, elles sont inhérentes à l'activité économique elle-même et le rôle de l'Etat c'est de faire respecter la loi. C'est de veiller à ce que les entreprises mettent en oeuvre les plans sociaux, qu'elles doivent mettre en oeuvre lorsqu'elles licencient, et c'est de mobiliser des énergies sur le terrain pour que les bassins d'emplois qui sont frappés, surtout ceux comme celui de Metaleurop qui et particulièrement soumis à des difficultés, soient réindustrialisés, qu'on y amène de nouveaux investisseurs et qu'on y crée de nouveaux emplois."
Mais alors, quel type de régulation et puis, après tout, pourquoi pas, quel type d'éthique et de morale dans un espace, celui de l'Europe aujourd'hui à 25, où la compétition va probablement entraîner beaucoup de délocalisations. Comment essayer de réguler tout cela ?
- "La première chose c'est de faire en sorte que les pays européens aient les mêmes règles du jeu. C'est un sujet qui est assez conflictuel dans notre pays où nous nous sommes dotés, souvent, de législations assez originales que n'ont pas les autres pays européens. Et quand on est dans la même zone économique, avec la même monnaie, on crée évidemment des appels d'air, des déséquilibres qui favorisent les délocalisations à l'intérieur même de l'Union européenne, ce qui est tout à fait inacceptable. Moi, je me bats pour qu'au plan européen, il y ait un effort d'harmonisation au plan social, au plan fiscal, pour que les différences qui existent entre les pays européens soient progressivement estompées. Cela ne règle pas la question des pays qui émergent au plan industriel, aujourd'hui, et qui vont naturellement se faire de plus en plus pressants sur le plan de la compétition industrielle. Il faut que nous acceptions cette situation, et que nous en tirions toutes les conséquences, c'est-à-dire que nous cherchions à développer notre économie sur des créneaux, sur des secteurs, en utilisant notamment nos outils, c'est-à-dire l'intelligence, la formation professionnelle, l'éducation qui ne sont pas ceux avec lesquels on est en concurrence avec ces pays. Il y a dans le discours de ceux qui s'opposent à la mondialisation une énorme contradiction : ils voudraient bien qu'il n'y ait pas d'accidents économiques dans nos pays mais en même temps, ils souhaitent que les pays qui sont en voie de développement émergent et se développent au plan industriel. Plus ils se développeront au plan industriel, et c'est souhaitable, plus nous aurons, nous, à nous reconvertir s'agissant de nos activités traditionnelles."
N'empêche que tous ces dossiers - Daewoo, Matra, Air Lib dont on attend des informations sur une reprise ou pas, ACT-Manufacturing, je ne parle même plus de Metaleurop - mettent une pression importante sur l'autre gros dossier dont vous avez la charge, qui est la question des retraites. Peut-être avez-vous entendu J.-M. Aphatie, à 8 heures, qui disait qu'au sein même du Gouvernement, certains - est-ce déjà un reproche ou un point de vue qui diverge un peu du vôtre - disent que vous avez trop attendu pour engager le débat sur les retraites.
- "J'espère qu'aucun membre du Gouvernement ne se laisse aller à ce qui serait une faiblesse, car nous n'avons pas attendu. Nous avons, au mois de juin dernier, indiqué que le dossier des retraites serait traité au premier semestre 2003. Pourquoi ? Parce que le dossier des retraites, c'est un dossier qui engage l'avenir de notre pays pour très longtemps, et qui nécessite un minimum d'accord entre les partenaires sociaux et les partis politiques. Une réforme des retraites, c'est une réforme qui va se dérouler sur quarante ans. Si elle doit être remise en cause à chaque alternance - et chez nous, elles sont assez fréquentes - il n'y aura jamais de sécurité pour les Français en matière de retraites. Tous les pays européens qui nous entourent ont fait des réformes des retraites assez consensuelles. C'est-à-dire qu'ils ont pris le temps de dialoguer avec les organisations syndicales, dans certains pays même avec les partis politiques, pour obtenir un minimum de consensus. C'est ce que nous sommes en train de faire et, pour cela, nous avons besoin de quelques semaines, c'est bien le moins, pour traiter un dossier qui est en panne depuis près de dix ans."
Le tour d'Europe que vous-même vous avez fait, vous donne-t-il une idée d'un modèle français, ou est-ce qu'à chaque fois on est dans un cas d'espèce ?
- "On est à chaque fois dans un cas d'espèce, mais il y a quand même quelques données que nous partageons avec nos voisins européens : l'allongement de la durée de la vie, le vieillissement de la population sont des données que nous partageons avec tous les pays européens, même s'il peut y avoir quelques différences sur le taux de natalité, entre l'Allemagne et la France par exemple. Ce tour d'Europe m'a surtout, au fond, appris deux choses : la première chose c'est que tous les pays européens que j'ai visités sont arrivés à des réformes qui sont des réformes consensuelles..."
Tous ?
- "Tous, avec des nuances, mais tous sont arrivés à des réformes consensuelles qui sont des réformes qui ne sont pas définitives, c'est-à-dire ce sont des réformes continues, qui peuvent s'adapter à la réalité de la situation démographique, de la situation économique, à la réalité de l'allongement de la durée de la vie, par exemple. On nous promet un allongement de la durée de la vie très important, près de 6 ans, pour les vingt années qui viennent. C'est une formidable nouvelle, encore faut-il qu'elle se réalise, et les prévisions à vingt-cinq ou trente ans, sont toujours sujettes à caution. La deuxième chose que m'a appris ce voyage, c'est, au fond, la disponibilité de la plupart des organisations syndicales françaises à engager un dialogue sur les retraites, car c'était la première fois que des organisations syndicales - elles étaient presque toutes là, sauf la CGT -, acceptaient d'accompagner le ministre du Travail dans une tournée européenne. C'était aussi un symbole."
Mais jusqu'où iront la concertation et le consensus que vous recherchez ? Prenons l'exemple du dossier des retraites à EDF et la décision qui est prise, malgré le résultat du vote, de passer outre. Est-ce qu'on revient dans une exception culturelle à la française, ou est-ce qu'on saura se débarrasser cette fois encore de ce type de blocages ?
- "Il y a, vous le savez bien, à EDF, un accord assez général des organisations syndicales. Sans doute la réforme présentée et acceptée par les organisations n'a pas été suffisamment expliquée, débattue, avec le personnel. La direction de l'entreprise va reprendre quelques mois pour le faire. Nous voulons aller sur ce consensus le plus loin possible. Il est vrai qu'on n'a pas, dans notre pays, des traditions très fortes en matière de consensus social et de consensus politique. Et comme la question des retraites doit être réglée, parce qu'elle est en panne depuis près de dix ans, et qu'aujourd'hui, nous sommes déjà en retard, si nous voulons assurer un bon niveau de retraite aux Français à l'horizon de 2020 - on ne peut pas non plus se donner des horizons trop lointains. Nous sommes coincés entre ces deux impératifs : d'un côté, aller le plus loin possible dans la discussion avec les syndicats et il me semble qu'ils sont très ouverts sur ce sujet ; et puis de l'autre côté, enclencher une réforme qui ne sera pas définitive - et donc on ne pas tout fermer au mois de juin -, mais qui marquera une étape très significative, qui permettra de redonner confiance aux Français. Au fond, il faut leur enlever cette idée qu'il y a une menace qui pèse sur leurs retraites, parce que c'est une idée qui est mauvaise pour le moral des Français, qui est mauvaise pour notre société toute entière, pour sa cohésion. Donc, nous allons travailler entre ces deux contraintes. Ce qui veut dire qu'avant l'été, il faut que nous arrivions à un accord avec les partenaires sociaux. Sinon, nous serons amenés à demander au Parlement de trancher la question."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 janvier 2003)