Déclaration de M. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur l'application des 35 heures à l'hôpital et la modernisation de l'hôpital, Paris le 6 novembre 2002.

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Circonstance : Salon infirmier 2002 à Paris le 6 novembre 2002

Texte intégral

Madame la présidente,
Mesdames, messieurs
Vous m'attendiez, disiez-vous, je suis là, et vous avez pu exprimer vos demandes. Mais parce que je ne suis pas un homme de promesses rapides et aussi vite oubliées, je vais vous tenir des propos qui correspondent à l'état réel de ma réflexion.
Je voudrais tout d'abord saluer par votre intermédiaire les 300 000 infirmières salariées et les 50 000 infirmières libérales qui oeuvrent au coeur de notre de système de santé.
Ce système de santé, mieux que d'autres, vous le connaissez et en voyez les imperfections. Et vous les subissez. Aussi, plus que d'autres, vous avez à coeur de le voir se moderniser et de participer à cette modernisation.
Notre système de santé expose votre pratique professionnelle à plusieurs dérives. La dérive économique d'abord qui fait peser sur votre manière de travailler les contraintes de la restriction des moyens. Mais aussi une dérive technique qui vous enserre dans un enchaînement d'actes techniques au risque de voir la personne du malade s'estomper. Une dérive juridique fait planer sur vous la menace d'être mises en cause dans des situations où il faut agir davantage en prenant en compte une souffrance individuelle qu'une norme technique. Pire encore, une dérive éthique peut frapper certaines d'entre vous quand vous demeurez trop longtemps, seules et sans soutien, face à la douleur que l'on n'allège pas.
Vous travaillez dans un hôpital conçu, trop souvent encore, pour des séjours longs, qui permettaient une relation suivie avec un malade. Les hospitalisations courtes, réduites parfois à une seule journée, les consultations externes, à des cadences impossibles, révèlent l'inadaptation de nos structures hospitalières actuelles. L'espoir initial de contacts humains qui avait déterminé pour une large part votre vocation fait place parfois trop souvent à l'amertume d'une succession accélérée de malades qui ne laisse pas la place essentielle à l'échange et au lien. Comme si d'ailleurs on avait oublié que la qualité de la relation humaine conditionne pour beaucoup la qualité du soin et naturellement son efficacité. Je ne peux accepter une telle évolution qui est négation de l'état du soignant.
La pénurie de personnel et les cadences de travail vous donnent parfois le sentiment d'être dans une chaîne où il faut piquer, panser, perfuser plutôt que soigner et soulager. On finit par perdre le but final de l'action. Dans un environnement d'ordinateurs et de moniteurs, vous finissez par ne plus avoir de temps à consacrer au malade qu'un fil ou un tuyau relie à ces machines pourtant indispensables.
C'est dire combien je sais que vous partagez avec moi le sentiment que la réforme est nécessaire. Une profonde réforme.
Elle est d'abord nécessaire aux malades qui doivent être accueillis dans des locaux adaptés à l'introduction des équipements modernes et permettant aux professionnels un exercice commode de leur métier.
Cette urgence, le Gouvernement l'a comprise, comme en atteste la préparation du plan "Hôpital 2007". Ce plan a pour objectif de rendre l'hôpital français plus moderne, plus responsable et donc plus humain. J'en présenterai les grandes lignes le 20 novembre prochain en Conseil des ministres.
Un hôpital plus moderne, cela signifie trois choses : relancer l'investissement, modifier le mode de financement, simplifier les outils de la planification.
L'effort d'investissement sera important. Dès 2003 une première tranche de travaux sera engagé pour un milliard d'euros supplémentaires afin de réaliser en cinq ans un plan de six milliards d'euros d'investissement. Je veillerai tout particulièrement à ce que les décisions de travaux ou d'équipement soient prises rapidement, en confiant davantage de responsabilités aux agences régionales de l'hospitalisation et aux directeurs d'établissement. Le financement de l'hôpital par la technique de la tarification à l'activité sera un moyen de responsabilisation accrue des gestionnaires. Enfin, en assouplissant les règles de planification, l'évolution de l'offre hospitalière aux besoins de santé sera facilitée.
L'hôpital doit donc être plus moderne dans ses murs et ses équipements. Il doit l'être aussi dans sa gestion. Donner plus d'autonomie à ses gestionnaires, accroître les responsabilités des conseils d'administration, favoriser l'intéressement du personnel, créer des pôles d'activité sont des axes du plan que mes services préparent et que je soumettrai à une ample et attentive concertation.
Mais les difficultés de l'hôpital tiennent pour une bonne part à la gestion du temps de travail. Je l'ai dit et le répète : j'assume, dans un esprit de continuité républicaine, les décisions prises par mon prédécesseur même si je me reconnais le droit d'exprimer le regret que les conditions de mise en oeuvre de ces décisions aient fait fi des réalités les plus évidentes. La loi sera donc appliquée. Les 35 heures à l'hôpital seront appliquées. Mais je n'aurais garde d'oublier un autre impératif : la sécurité des malades. Et que les choses soient claires : entre ces deux impératifs c'est la sécurité des malades qui doit primer. Je ne doute pas que vous pensiez avec moi que si la réduction du temps de travail est un droit pour le personnel soignant, la sécurité est un devoir à l'égard des malades.
C'est pourquoi j'ai demandé à M. Angel Piquemal un rapport qui m'aide à définir les solutions transitoires nécessaires dans la période où la pénurie de personnel ne permet pas une application complète immédiate des textes initiaux. Ce rapport me sera remis demain. Il sera rendu public demain.
Cette question difficile pour moi, et lancinante pour vous, du temps de travail révèle un mal beaucoup plus grave : le manque d'effectifs qui est en certains endroits une véritable pénurie. C'est la difficulté majeure. Elle résulte d'une gestion strictement comptable du système de santé. Cette gestion a notamment pris la forme du numerus clausus. Cette manière de faire s'est révélée inefficace. Les dépenses ont continué de filer et les conditions de travail de l'ensemble des personnels se sont dégradées. J'ai donc poursuivi cette année le relèvement entrepris des seuils d'accès aux études médicales et paramédicales avec le souci de ne pas déstabiliser pour l'avenir les pyramides démographiques. Malheureusement le mal se révèle profond puisque certaines écoles ne font pas le plein des inscriptions possibles. Alors il nous faut admettre et comprendre la perte d'attractivité d'un métier comme le vôtre, encore bien souvent considéré comme un des plus beaux métiers qui soient, avant de réfléchir aux réponses à apporter.
Cette réflexion ne peut laisser de côté les infirmières libérales dont les difficultés sont identiques : stress accumulé devant le manque de temps, jusqu'à ne pas trouver de remplaçant quand on veut partir en vacances, enchaînement des actes, perte de la relation humaine et pénuries parfois
Ce n'est pas le lieu ici d'un exposé technique des solutions d'avenir mais je voudrais toutefois vous indiquer quelques orientations de mon action.
D'abord, cela va de soi, il nous faut répondre au besoin d'infirmières, ce qui signifie redonner tout son attrait à la profession. Cela passe en premier lieu par une amélioration des conditions matérielles. J'ai indiqué tout à l'heure ce que le Gouvernement préparait pour l'hôpital. Je ne méconnais pas ce qui a été entrepris par le Gouvernement précédent en matière statutaire. Dans le secteur libéral des accords " conventionnels " ont été signés qui constituent des avancées mais des questions restent en suspens, telles la prise en charge décente des frais de déplacement et il est à espérer que les négociations à venir, dans le cadre de l'accord-cadre interprofessionnel, donnent les perspectives attendues.
Mais l'aspect matériel n'épuise pas le champ de l'action. Les considérations morales comptent tout autant pour un métier que l'on choisit pour des raisons profondes et avec le souci de l'humain. Et là il faut que l'infirmière ait sa part à la révolution que nous vivons. Car les choses changent profondément. Le médecin n'est plus un patron solitaire face à un malade passif auquel on ne demande rien que de se taire et de faire confiance. Le malade devient un acteur à part entière. De la relation médecin-malade, l'infirmière ne doit pas être exclue. Elle est aussi une actrice dans cette relation pour guérir. Il faut lui reconnaître sa part d'initiative et son statut de partenaire de l'action de soin. C'est dire aussi que la relation hiérarchique au sein des équipes médicales doit abandonner les schémas anciens et inventer de nouveaux équilibres.
Plus encore, c'est d'un vrai projet professionnel dont l'infirmière d'aujourd'hui a besoin. Mieux, elle y a droit. Les infirmières veulent en effet s'engager dans un cursus professionnel qui dépasse le seul cadre de leur première formation dans une école. Dès 1997, j'avais imaginé un cursus universitaire initial commun à toutes les professions de santé. C'est peu dire que j'avais eu beaucoup de mal à me faire entendre. Je constate qu'à présent les esprits sont plus ouverts et qu'un consensus est apparu pour reconnaître le bien fondé d'une formation commune à toutes les professions de santé sur les questions éthiques et déontologiques, la santé publique ou l'économie de la santé. C'est au terme de ce tronçon commun universitaire que le choix de sa voie doit être opéré, ainsi en toute connaissance de cause. De plus, des passerelles doivent être installées qui permettent le changement de voie parce qu'il est normal que l'on ait la possibilité d'évoluer au cours de la vie professionnelle. Je mesure la chance mais aussi la lourde responsabilité de concourir plus activement encore à ces objectifs maintenant que la charge du ministère de la santé m'a été confiée par le Président de la République. C'est un véritable défi.
Les abandons de carrière dans votre profession signalent l'urgence à agir pour rénover l'hôpital, reconstituer les équipes de travail et revaloriser votre métier. Découragées dans un système de santé désemparé, les infirmières invitent la nation à exprimer une vraie priorité politique. Pour cela vous pouvez compter sur ma détermination et ma compréhension. A la noblesse du choix de vie que vous avez fait un jour, doit répondre la justesse des décisions politiques. C'est pour moi un objectif essentiel.




(source http://www.sante.gouv.fr, le 14 novembre 2002)