Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, à TF1 à New York et à l'émission "Mots croisés" sur France 2 le 20 janvier 2003, sur le soutien de la France au Conseil de sécurité de l'ONU pour la poursuite des inspections en désarmement de l'ONU en Irak.

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Média : Emission Mots croisés - France 2 - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

(Interview à TF1 le 20 janvier 2003 à New York) :
Q - Le chef de la diplomatie française, Dominique de Villepin, est arrivé hier soir à New York, pour une réunion consacrée au terrorisme, et à la question iraquienne, le Britannique Jack Straw, a estimé que Bagdad devait cesser de jouer au chat et à la souris, l'Allemand Joschka Fischer, de son côté, a espéré que la résolution 1441 pourrait être mise en uvre sans action militaire, et le ministre français des Affaires étrangères a également abordé la question iraquienne, avec Colin Powell, la France et les Etats-Unis ont, vous le savez, une approche très différente de cette crise.
R - La France ne pourra pas s'associer à une intervention unilatérale. La France agit dans le cadre des Nations unies. Nous avons la possibilité, aujourd'hui, d'avancer dans la voie d'un désarmement de l'Iraq par la coopération et par les inspections. Il faut poursuivre dans ce sens, d'autant qu'une intervention militaire n'apporterait aucune garantie, quant à l'unité, la sécurité, la stabilité de l'Iraq. Beaucoup d'incertitudes seraient devant nous, il est donc important, dans la mesure où nous avons la possibilité, aujourd'hui, d'avancer par les inspections, d'ouvrir un chemin, et ce chemin est d'autant plus important qu'il pourra servir d'autres crises de prolifération. Nous le voyons, avec la crise nord-coréenne, nous le voyons à travers d'autres pays, qui peuvent être une menace pour la prolifération. Il est donc important que la communauté internationale unie puisse avancer sur un chemin exemplaire, qui puisse servir dans d'autres cas
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 janvier 2003)
(Interview à l'émission "Mots croisés" sur France 2) :
Q - La question que l'on se pose ce soir et peut-être pouvez-vous nous apporter une partie de la réponse, y a-t-il une possibilité pour éviter la guerre en Iraq ?
R - Le Conseil de sécurité est évidemment mobilisé. Nous nous sommes très longuement concertés sur la question du terrorisme mais nous avons constaté que l'ensemble des sujets, aujourd'hui, sur la planète, sont liés : le terrorisme, la prolifération, les crises du monde, celles de la Corée du Nord, et bien évidemment l'Iraq.
Nous avons longuement abordé, lors du déjeuner avec le Secrétaire général des Nations unies, avec les quinze ministres réunis, représentant leur pays au Conseil de sécurité, nous avons abordé cette question, ce choix qui s'offre aujourd'hui à la communauté internationale : faut-il continuer dans le sens des inspections, continuer la coopération qui a été engagée sur l'Iraq avec les Nations unies ou faut-il au contraire, changer de pied, changer d'attitude et faire le choix de la guerre ?
Je pense qu'aujourd'hui, la conviction la plus partagée, c'est que nous devons vraiment continuer avec fermeté, continuer à souhaiter la coopération active de l'Iraq. D'ores et déjà, on le voit, les inspecteurs qui réalisent plus de 300 inspections par mois sur le terrain, arrivent à obtenir des renseignements, des informations qui servent la communauté internationale dans ce qui est son ambition, son objectif, son seul objectif, c'est désarmer l'Iraq.
Nous avançons dans cette voie. D'ores et déjà, nous avons le sentiment que l'Iraq n'a pas les moyens, aujourd'hui, de développer de nouveaux programmes. Bien évidemment, nous voulons faire plus. Nous voulons nous attaquer à l'ensemble des armes que l'Iraq pourrait avoir et c'est pour cela qu'il est si important d'appuyer le travail des inspecteurs. Tant que les inspecteurs peuvent travailler, tant que les inspecteurs peuvent avancer dans la voie des inspections, évidemment cette coopération pacifique, c'est ce que la France veut soutenir. Nous pensons que c'est là la situation qu'il faut soutenir.
Il y a une impatience américaine. Les Américains se posent la question : ne faut-il pas avancer dans la voie de l'intervention militaire ? Notre sentiment est que, bien évidemment, - le président de la République l'a dit avec force -, cela ne peut être qu'un dernier recours et nous voyons que cette intervention militaire plongerait la région, le monde dans une incertitude.
Quelles garanties aurions-nous de légitimité d'une action unilatérale ? Quelle garantie d'efficacité, dans quelle situation d'incompréhension, de frustration, de division, le monde se retrouverait-il ?
C'est pour cela que la diplomatie française est mobilisée, qu'elle est en initiative. Nous avons écrit, il y a quelques jours, à tous les membres du Conseil de sécurité pour les mobiliser, pour qu'ils donnent les informations qu'ils peuvent avoir, qu'ils donnent ces informations aux inspecteurs. Nous comptons sur le travail des inspecteurs pour avancer.
Q - Cela veut donc dire que la pression française ne se relâche pas. Depuis le début, vous avez un rôle important, la France a un rôle important au Conseil de sécurité, aux Nations unies, vous ne relâchez pas la pression et vous pensez que les Américains donneront un délai supplémentaire aux inspecteurs pour continuer leur travail ; tout ne s'arrêtera pas dans les 8 jours, après la première présentation de leur rapport.
R - C'est la conviction française que nous défendons. Le 27 janvier, les inspecteurs vont faire rapport devant le Conseil de sécurité. Ce sera l'occasion de débattre de la situation, de faire le bilan de ce qui marche et de ce qui ne marche pas. Notre conviction est que tant qu'il y a la possibilité d'avancer, d'améliorer le travail des inspections, par le biais pacifique, nous n'avons pas de raison de changer de stratégie, cette stratégie collective qui bénéficie de l'ensemble du soutien international ; vous savez à quel point la France a mené ce combat pour une résolution unanime, à quel point le président de la République s'est engagé dans cette voie, pour une résolution en deux temps qui conduise la communauté internationale à prendre toutes ses responsabilités, à faire face à chaque étape à la situation en disant "si nous sommes dans l'impasse, alors, il faudra que le Conseil de sécurité se réunisse et qu'il débatte dans une seconde résolution de ce qu'il convient de faire".
Ce cadre qui a été fixé dès l'origine par le président de la République, c'est le bon. Il rallie aujourd'hui le très large soutien de la communauté internationale. Nous pensons que les Américains seront sensibles à ces arguments d'autant que la mobilisation américaine, il faut le constater, fait aujourd'hui pression sur l'Iraq. Nous voyons ce pays avancer et l'accord qui a pu être obtenu entre les Nations unies et l'Iraq donne quelques signes qui semblent indiquer que la voie de la coopération active n'est pas impossible.
C'est dans cet esprit que nous travaillons. Nous travaillons jour et nuit, mobilisés pour essayer d'avancer dans le sens de la paix parce que nous savons que c'est l'intérêt d'une planète, d'une planète aujourd'hui inquiète et qui a besoin de marquer des points par l'action collective.
Q - Ne pensez-vous pas que ce serait bien s'il y avait une position commune de l'Europe au Conseil de sécurité. Quatre pays qui siègent au Conseil de sécurité parmi les membres de l'Union, s'il y avait une seule position, ce serait peut-être pas mal ?
R - C'est un sujet qui nous préoccupe beaucoup. Faire en sorte que l'Europe puisse s'affirmer, c'est ce que l'Europe a fait à Copenhague, elle s'élargit. C'est ce que nous faisons dans le cadre de la Convention dirigée par le président Giscard d'Estaing, approfondir nos institutions. Mais nous voulons plus, nous voulons des conditions communes sur les grandes questions de politique étrangère, sur les questions de guerre et de paix, et nous avançons.
Constatons déjà que les quatre membres du Conseil de sécurité que je viens de rencontrer et avec lesquels nous avons longuement parlé de l'Iraq justement, - l'Espagne, la France le Royaume-Uni, l'Allemagne - tous ensemble, nous avons aujourd'hui un esprit commun. Le Conseil de sécurité doit être au cur de ce qui se fait vis-à-vis de l'Iraq. Nous devons soutenir la démarche du Conseil de sécurité. Bien sûr, il y a l'attitude américaine, si les Etats-Unis devaient décider d'avancer vers la guerre. Il y a des tentations des diplomaties. Il y a du côté britannique, voire du côté espagnol, la tentation de rallier et de soutenir l'action américaine. La France veut, elle, soutenir les principes qui fondent véritablement la diplomatie française. Ces principes, le président de la République les a rappelés à plusieurs reprises, c'est le droit, c'est la morale, c'est la solidarité et c'est la justice.
Et je peux vous dire que j'ai constaté aujourd'hui, à New York, aux Nations unies, à quel point ces grands principes constituent le fer de lance de la mobilisation internationale. La communauté internationale soutient ces principes et nous devons agir en Iraq comme nous le faisons sur les autres grands conflits, qu'il s'agisse de la Corée du Nord, qu'il s'agisse du Proche-Orient où il y a tant à faire. Le sentiment d'injustice qui se développe, d'insécurité, justifie que la France soit mobilisée comme toute la communauté internationale.
Ce que nous faisons pour l'Iraq, nous devons le faire pour le monde. La communauté internationale doit être exemplaire
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 janvier 2003)