Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, lors de la conférence de presse conjointe avec M. Georges Papandreou, ministre grec des affaires étrangères, sur l'évolution des inspections de désarmement en Irak, l'annonce de la destruction de missiles et les risques que pourrait engendrer l'usage de la force pour remodeler le Proche et le Moyen-Orient, Paris le 28 février 2003.

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Texte intégral

Je me réjouis d'accueillir à Paris Georges Papandréou de retour de Washington, en tant, bien sûr, que ministre des Affaires étrangères de Grèce mais aussi président en exercice de l'Union.
Permettez-moi d'abord de saluer les efforts et le travail de la présidence grecque dans cette période difficile à un moment où l'Europe connaît des divisions. Georges Papandréou m'a informé des entretiens qu'il a eus hier à Washington et qui font ressortir les deux logiques différentes qui sont aujourd'hui en présence. D'un côté, une logique de mobilisation et d'intervention militaire qui est celle que l'on voit à l'uvre aux Etats-Unis, de l'autre, une logique de paix qui passe par la réussite des inspections.
Dans ce contexte, la France prend acte de la décision de l'Iraq de détruire les missiles Al-Samoud. Cette décision est conforme à la demande faite par les inspecteurs des Nations unies. La destruction doit commencer sans délai, comme le veut M. Blix, à compter du 1er mars.
C'est une étape importante dans le processus de désarmement pacifique de l'Iraq, elle confirme que les inspections donnent des résultats. Bien sûr, il reste, nous le savons tous, beaucoup à faire dans les autres domaines, je pense en particulier aux domaines chimique, biologique, mais le domaine balistique peut nous montrer l'exemple, exemple des trois phases indispensables dans le domaine de la lutte contre la prolifération : l'information, la vérification et, lorsqu'il y a des armes de destruction massive, l'élimination.
Le choix de la France qui est celui de la majorité de la communauté internationale, se trouve aujourd'hui conforté. Comme nous le proposons dans les deux mémorandums déposés à New York, nous voulons renforcer, accélérer et préciser les missions des inspecteurs. Je veux marquer notre détermination à mener ces inspections jusqu'à leur terme. C'est d'autant plus indispensable que l'Iraq, nous le savons tous, n'est qu'une des crises de prolifération. A travers les inspections, il nous faut chercher à bâtir un outil efficace qui est d'autant plus nécessaire que, nous le savons, il y a d'autres crises de prolifération qui se profilent, nous le voyons bien avec les derniers développements de la crise nord-coréenne.
Aujourd'hui, pour la France, une seconde résolution est prématurée. Je rappelle qu'elle n'a été envisagée par les Nations unies qu'en cas d'impasse. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, il n'y a donc pas de raison d'abandonner la voie pacifique du désarmement de l'Iraq.
C'est la conviction d'une large majorité de la communauté internationale et du Conseil de sécurité comme vient de le montrer la réunion qui s'est tenue hier à New York. C'est la vision partagée par la France, par la Russie, par l'Allemagne et appuyée par la Chine, telle qu'elle a été affirmée par la Déclaration de Paris.
C'est pourquoi nous nous opposons au projet de seconde résolution, comme une majorité du Conseil de sécurité et notamment la Russie, comme l'a rappelé M. Ivanov hier à Pékin.
La France en appelle à ses amis européens, en particulier à l'Espagne et à la Grande-Bretagne, d'autant que MM. Blair et Aznar sont réunis aujourd'hui à Madrid, pour que tous, nous soyons fidèles à la déclaration unanime adoptée lors du Conseil extraordinaire de Bruxelles le 17 février. L'Europe a dans ses mains une grande responsabilité ; d'elle, de chacun de nos pays, dépend le sort de la guerre et de la paix.
Qu'avons-nous dit à Bruxelles ?
Qu'il fallait donner le temps et les moyens nécessaires aux inspections. Nous avons également dit que les inspections ne pouvaient pas se poursuivre indéfiniment. Mais chacun le voit, nous parlons aujourd'hui de quelques mois, faut-il alors entrer dans l'engrenage de la guerre, alors que nous pouvons, ensemble, par notre fermeté et notre détermination communes, atteindre l'objectif d'un désarmement pacifique.
C'est l'intérêt de la communauté internationale tout entière de donner sa chance à la paix, à une mobilisation générale face aux crises du monde, qu'il s'agisse du terrorisme, qu'il s'agisse de la prolifération, qu'il s'agisse des nombreuses crises régionales que connaît notre planète.
Je vous remercie et j'ai le plaisir de passer la parole à Georges Papandréou.
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Q - Le président américain a déclaré il y a deux jours, qu'il avait l'intention de remodeler le Proche-Orient et insuffler la démocratie dans toute cette région. Pensez-vous que ceci est inscrit dans la résolution 1441 et le fait de remodeler cette région n'augure-t-il pas une étape un peu difficile qui peut paraître, à plusieurs observateurs, comme celle de Sykes Picot qui a été décidée au début du siècle ?
R - Ce n'est pas tout à fait le sentiment de mon ami Georges. Je pense qu'il faut en rester à la logique de la résolution 1441 qui fixe l'objectif de la communauté internationale, c'est bien le désarmement de l'Iraq. Le souhait de voir se développer la démocratie, de voir s'étendre la paix au Proche-Orient, c'est un souhait que nous partageons tous mais nous devons rester fidèles aux objectifs de la communauté internationale. Pour le reste, nous pouvons multiplier les efforts, l'ensemble des Etats, la communauté internationale, mais ne mélangeons pas les choses.
Dans la résolution 1441, il y a un objectif très précis qui est affirmé et c'est bien celui-là qu'il faut chercher à appliquer. L'usage de la force, nous l'avons dit, ne peut être qu'un dernier recours et la tentation d'user de la force pour remodeler le Proche-Orient nous paraît comporter de très grands risques, compte tenu de l'instabilité, de la fragilité, de la vulnérabilité de cette région marquée par de très nombreuses fractures.

Q - Bagdad annonce qu'elle veut détruire les missiles Al-Samoud 2. Mais, ce que Saddam Hussein dit et ce qu'il fait, ce n'est pas toujours la même chose, on le sait. Quelle position adoptera la France s'il n'a pas commencé à détruire ses missiles dans la journée de samedi ?
R - La vie internationale est compliquée, vous l'avez remarqué, et il faut éviter de faire des scénarios hypothétiques. Il y a une réalité, c'est la demande des inspecteurs. Ils ont demandé la destruction des missiles Al-Samoud et ils ont dit que celle-ci devait commencer le 1er mars. Nous en restons là, nous soutenons la demande des inspecteurs, nous prenons acte de l'acceptation par l'Iraq d'engager cette destruction et nous leur demandons de commencer dès le 1er mars.

Q - Le ministre russe des Affaires étrangères a brandi, ce matin, la possibilité d'utiliser le veto au Conseil de sécurité dans la perspective d'un vote de la deuxième résolution présentée par les Américains. Est-ce une extrémité à laquelle la France pourrait aboutir, le cas échéant ?
R - Vous me permettrez de rester fidèle à la position française qui est de ne pas commenter ce droit de veto. Nous souhaitons garder une liberté pleine et entière sur cette prérogative des membres permanents du Conseil de sécurité, nous partageons pleinement la position de nos amis russes, nous l'avons exprimé dans la Déclaration de Paris avec le président Poutine, nos amis allemands et avec le soutien par ailleurs de la Chine. La position de la France est donc claire, nous soutenons le travail des inspecteurs et nous avons toujours dit qu'à chaque étape, nous prendrions toujours nos responsabilités.

Q - Où en est votre dialogue avec le Mexique au sein du Conseil de sécurité, le voyez-vous entrer dans votre logique de paix ?
R - Nous avons une concertation très étroite avec nos amis mexicains. Le président de la République s'est entretenu à plusieurs reprises et maintient un dialogue régulier avec le président Fox qui, vous le savez, était encore récemment à Paris. De la même façon, avec mon collègue et ami le ministre des Affaires étrangères, nous nous parlons régulièrement. Je ne veux pas préjuger des choses, je respecte trop profondément la liberté de l'ensemble des pays du Conseil de sécurité pour m'exprimer à leur place, mais je crois que nous partageons le souhait d'aboutir à une solution pacifique, par le biais du désarmement. C'est l'objectif qui est celui de la plupart des membres du Conseil de sécurité, mais une fois de plus, je ne veux parler à la place d'aucun pays.

Q - Auriez-vous un commentaire s'agissant des propositions canadiennes soumises aux membres du Conseil de sécurité ? Pensez-vous que ces propositions sont de nature à réunifier le Conseil de sécurité ? Votre homologue américain a demandé au sommet arabe d'envoyer un message très ferme à Saddam Hussein en lui demandant de partir. Auriez-vous un commentaire et quel est le message de la France pour le sommet arabe ?
R - Concernant les propositions que vous évoquez, je voudrais d'abord rappeler que la résolution 1441 ne prévoit aucune date-butoir. C'est pour cela que nous avons souhaité, avec le dernier mémorandum, préciser des échéanciers, programme par programme. Et nous rappelons que le Conseil de sécurité se réunit à intervalles réguliers pour examiner les rapports des inspecteurs, ce qui crée une pression très forte sur Bagdad. Nous l'avons vu lors du dernier rapport de la séance du 14 février. Néanmoins, nous refusons de nous situer dans une logique d'ultimatum qui, évidemment, ouvrirait la porte, de façon automatique, à la guerre, ce que nous refusons. Nous l'avons toujours dit, la résolution 1441 ne prévoit aucune clause automatique de recours à la force. Nous souhaitons donc donner toutes les chances au travail des inspecteurs. Si nous étions dans l'impasse, sur la base des conclusions des inspecteurs, le Conseil de sécurité devrait bien sûr se réunir pour analyser l'ensemble des options et nous l'avons toujours dit, y compris le recours à la force.
Concernant le prochain Sommet arabe et les messages à adresser à Saddam Hussein, nous avons toujours été très clairs, ce sont toujours des messages d'extrême fermeté de la communauté internationale et c'est pour cela que nous attachons tant d'importance à l'unité de la communauté internationale. Nous avons beaucoup uvré avec nos partenaires pour que la résolution 1441 puisse être adoptée à l'unanimité. Nous pensons que le message le plus fort que la communauté internationale puisse adresser à Saddam Hussein, c'est bien celui de son unanimité.

Q - Est ce vrai qu'il y a des négociations secrètes entre l'Elysée et l'administration Bush concernant la résolution de la crise iraquienne ?
R - Nous travaillons en totale coopération et transparence avec l'ensemble de nos partenaires, qui plus est, avec nos partenaires allemands, russes avec lesquels nous avons signé une déclaration tripartite à Paris. C'est dire à quel point le travail de la France est un travail que se fait en liaison avec chacun, et au grand jour. Rassurez-vous, il n'y a pas d'agenda caché.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mars 2003)