Texte intégral
Pour le collège unique mais contre "le collège uniforme" : depuis qu'il a lancé cette charge il y a deux semaines, le ministre délégué à l'Enseignement professionnel s'est attiré les foudres d'une majorité de syndicats enseignants, des parents d'élèves de la F.C.P.E. et des experts du monde de l'éducation comme le sociologue François DUBET. Qu'importe : Jean-Luc MÉLENCHON, qui se défend de vouloir réintroduire une orientation précoce vers les filières professionnelles dès le collège, a bien l'intention de poursuivre ce débat et de parvenir, si possible, à " une communauté de diagnostic ". Le constat qu'il dresse aux " Échos " est simple : d'un côté les sections professionnelles et technologiques se vident, de l'autre les entreprises connaissent des pénuries de main-d'uvre " asphyxiantes ". C'est inadmissible, estime-t-il. Ministre "chanceux", Jean-Luc MÉLENCHON veut profiter à plein de "la nouvelle donne" économique qui permet un "rapport de forces" favorable aux jeunes. Celui qui se présente comme "l'ajusteur régleur du système" d'enseignement professionnel veut aussi procéder à quelques réglages pour assurer la "lisibilité" et la "fluidité" de ces filières, notamment en garantissant la possibilité de poursuites d'études systématiques.
Dans quel état avez-vous trouvé le ministère à votre arrivée ?
Les lycées professionnels étaient en état d'insurrection, avec une large majorité d'enseignants en grève, pour des raisons diverses qui, pour finir, convergeaient sur la question du statut du professeur. Mais je dirais que cette affaire de statut n'a été que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Le sentiment d'exaspération et d'angoisse, dans cet ordre d'enseignement, était très grand. Ce sont ces plaies morales que j'essaie aujourd'hui de traiter.
En vous interrogeant à haute voix sur le collège unique, vous avez rouvert un débat très miné. Jusqu'où êtes-vous prêt à aller ?
Je ne peux tout de même pas passer à côté d'un énorme paradoxe. Car que constate-t-on ? D'un côté, une société française qui redémarre avec des entreprises qui connaissent des pénuries de main-d'uvre qualifiée asphyxiantes et, de l'autre, un enseignement professionnel qui se vide avec 43.000 élèves de moins en trois ans -dont 20.000 pour les deux prochaines rentrées. A l'intérieur même du système éducatif, près de 20 % des élèves redoublent en seconde. Des milliers de jeunes manifestent une forme d'intelligence qui n'est pas reconnue par le système éducatif. Un système fou, injuste, cruel à bien des égards pour les jeunes.
Tel est le constat. Et dans le même temps, la tension est telle sur le marché du travail que nous connaissons une évaporation des jeunes au cours des périodes de formation en entreprise. Ils sont embauchés et ne reviennent plus au lycée pour terminer leurs études.
Est-on certain qu'une orientation précoce est compatible avec la nécessité d'élever le niveau de qualification professionnelle ?
Je ne propose pas une orientation précoce. Simplement, il me paraît juste qu'à 15 ans, c'est-à-dire un an avant la fin de l'obligation scolaire, chaque jeune puisse comparer et connaître tous les parcours qui s'offrent à lui et jusqu'où les voies sont praticables. Or le système est illisible et cette illisibilité est d'autant plus discriminante que l'on s'adresse à des milieux sociaux où la culture de projet n'est pas très forte.
L'enseignement technologique et professionnel doit également gagner en fluidité. C'est une question fondamentale. Car quel parent choisira pour ses enfants une voie en impasse qui ne lui permet pas de progresser ? Enfin, il faut redonner à ces formations des dénominations qui affichent leur utilité sociale, en les débarrassant de certaines appellations obscures, afin que l'on puisse identifier les diplômes d'une même famille et les métiers qui leur sont associés depuis le secondaire jusqu'au supérieur. Dans le même temps, j'ai conscience qu'il faut faire un effort sur les disciplines générales dans les lycées professionnels. En effet, les entreprises nous demandent une main-d'uvre souvent polyglotte, capable de formuler des propositions, voire des stratégies à un certain niveau de métier.
En bousculant certains tabous, vous vous êtes mis à dos presque toute la famille socialiste
La réalité, c'est que les partis politiques ont beaucoup de mal à s'adapter à cette nouvelle donne économique. La droite la récuse car ce serait admettre qu'un gouvernement de gauche a réussi. Les socialistes en sont souvent aussi restés à une pensée de compassion sociale. Cessons de véhiculer des sornettes sur " la fin du travail " ou de demander au gouvernement d'énièmes mesures de réparation sociale ! Je suis peut-être exagérément optimiste mais je crois que nous avons là une réelle opportunité pour les filières technologiques et professionnelles. Alors, c'est vrai, on m'oppose toutes les vaches sacrées. Tant pis. Rien ne m'empêchera de poser les problèmes tels qu'ils sont. C'est finalement plutôt sain et rafraîchissant par rapport à la période précédente.
Concrètement, quelles mesures allez-vous prendre pour répondre à la demande des entreprises ?
Nous devons prendre les choses dans l'ordre : avoir une communauté de diagnostic, c'est indispensable. La preuve a été faite que Claude ALLÈGRE avait un diagnostic mais qu'il n'a pas su le faire partager. La méthode est donc très importante. Mais je ne vais pas attendre non plus que les problèmes pourrissent ou nous éclatent à la figure pour agir. Les principes que je viens de poser appellent quelques mesures simples, pour lesquelles il n'est pas besoin de loi : assurer systématiquement des débouchés à tous les BEP, créer des passerelles entre lycées professionnels et enseignement supérieur. Mon ambition, c'est d'être l'ajusteur régleur du système éducatif professionnel.
Des premières licences professionnelles ouvriront-elles à la rentrée ?
Les licences professionnelles représentent un point d'appui formidable pour la fluidité et la lisibilité du système que j'évoquais précédemment. L'habilitation des licences professionnelles sera présentée cette semaine au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) et 170 d'entre elles devraient ouvrir à la rentrée universitaire. Dans ce domaine, j'ai surtout voulu faire respecter un principe : la valeur nationale des diplômes, autrement dit que le souci d'adaptation aux besoins de l'économie ne conduise pas à une hyperspécialisation.
Vous avez souhaité que les élèves des lycées professionnels perçoivent " une rétribution ". Où en êtes-vous de vos discussions avec le monde patronal à ce sujet ?
Cette affaire a pour moi une valeur pédagogique : c'est ma manière de poser la question du statut social du jeune en formation. J'ai commencé à en discuter avec des branches professionnelles. La Fédération française du bâtiment, par exemple, s'est montrée très ouverte, à la fois sur l'idée d'une rétribution des périodes de stages et sur celle d'un financement des jeunes dans le cadre de leur projet de fin de formation. On pourrait par exemple imaginer une sorte de contrat de pré-embauche au niveau du baccalauréat professionnel qui permettrait aux entreprises de financer les études des jeunes sont elles souhaiteraient s'attacher ultérieurement les services en les rétribuant pendant leur fin de scolarité. Bien évidemment, le système serait facultatif.
Vous ne semblez guère favorable à l'apprentissage. Pourquoi ?
C'est une voie comme une autre. Mais je récuse l'idée que l'apprentissage serait la voie royale. Car que voit-on ? Des taux d'échec importants avec des départs massifs en cours de formation. Il me semble que l'apprentissage a surtout permis de régler de façon hypocrite la question d'un statut social du jeune en formation. J'en veux d'ailleurs pour preuve qu'il se développe aujourd'hui surtout dans le post-bac.
Propos recueillis par Michèle LECLUSE et Brigitte PERUCCA.
(source http://www.education.gouv.fr, le 1 septembre 2000)
Dans quel état avez-vous trouvé le ministère à votre arrivée ?
Les lycées professionnels étaient en état d'insurrection, avec une large majorité d'enseignants en grève, pour des raisons diverses qui, pour finir, convergeaient sur la question du statut du professeur. Mais je dirais que cette affaire de statut n'a été que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Le sentiment d'exaspération et d'angoisse, dans cet ordre d'enseignement, était très grand. Ce sont ces plaies morales que j'essaie aujourd'hui de traiter.
En vous interrogeant à haute voix sur le collège unique, vous avez rouvert un débat très miné. Jusqu'où êtes-vous prêt à aller ?
Je ne peux tout de même pas passer à côté d'un énorme paradoxe. Car que constate-t-on ? D'un côté, une société française qui redémarre avec des entreprises qui connaissent des pénuries de main-d'uvre qualifiée asphyxiantes et, de l'autre, un enseignement professionnel qui se vide avec 43.000 élèves de moins en trois ans -dont 20.000 pour les deux prochaines rentrées. A l'intérieur même du système éducatif, près de 20 % des élèves redoublent en seconde. Des milliers de jeunes manifestent une forme d'intelligence qui n'est pas reconnue par le système éducatif. Un système fou, injuste, cruel à bien des égards pour les jeunes.
Tel est le constat. Et dans le même temps, la tension est telle sur le marché du travail que nous connaissons une évaporation des jeunes au cours des périodes de formation en entreprise. Ils sont embauchés et ne reviennent plus au lycée pour terminer leurs études.
Est-on certain qu'une orientation précoce est compatible avec la nécessité d'élever le niveau de qualification professionnelle ?
Je ne propose pas une orientation précoce. Simplement, il me paraît juste qu'à 15 ans, c'est-à-dire un an avant la fin de l'obligation scolaire, chaque jeune puisse comparer et connaître tous les parcours qui s'offrent à lui et jusqu'où les voies sont praticables. Or le système est illisible et cette illisibilité est d'autant plus discriminante que l'on s'adresse à des milieux sociaux où la culture de projet n'est pas très forte.
L'enseignement technologique et professionnel doit également gagner en fluidité. C'est une question fondamentale. Car quel parent choisira pour ses enfants une voie en impasse qui ne lui permet pas de progresser ? Enfin, il faut redonner à ces formations des dénominations qui affichent leur utilité sociale, en les débarrassant de certaines appellations obscures, afin que l'on puisse identifier les diplômes d'une même famille et les métiers qui leur sont associés depuis le secondaire jusqu'au supérieur. Dans le même temps, j'ai conscience qu'il faut faire un effort sur les disciplines générales dans les lycées professionnels. En effet, les entreprises nous demandent une main-d'uvre souvent polyglotte, capable de formuler des propositions, voire des stratégies à un certain niveau de métier.
En bousculant certains tabous, vous vous êtes mis à dos presque toute la famille socialiste
La réalité, c'est que les partis politiques ont beaucoup de mal à s'adapter à cette nouvelle donne économique. La droite la récuse car ce serait admettre qu'un gouvernement de gauche a réussi. Les socialistes en sont souvent aussi restés à une pensée de compassion sociale. Cessons de véhiculer des sornettes sur " la fin du travail " ou de demander au gouvernement d'énièmes mesures de réparation sociale ! Je suis peut-être exagérément optimiste mais je crois que nous avons là une réelle opportunité pour les filières technologiques et professionnelles. Alors, c'est vrai, on m'oppose toutes les vaches sacrées. Tant pis. Rien ne m'empêchera de poser les problèmes tels qu'ils sont. C'est finalement plutôt sain et rafraîchissant par rapport à la période précédente.
Concrètement, quelles mesures allez-vous prendre pour répondre à la demande des entreprises ?
Nous devons prendre les choses dans l'ordre : avoir une communauté de diagnostic, c'est indispensable. La preuve a été faite que Claude ALLÈGRE avait un diagnostic mais qu'il n'a pas su le faire partager. La méthode est donc très importante. Mais je ne vais pas attendre non plus que les problèmes pourrissent ou nous éclatent à la figure pour agir. Les principes que je viens de poser appellent quelques mesures simples, pour lesquelles il n'est pas besoin de loi : assurer systématiquement des débouchés à tous les BEP, créer des passerelles entre lycées professionnels et enseignement supérieur. Mon ambition, c'est d'être l'ajusteur régleur du système éducatif professionnel.
Des premières licences professionnelles ouvriront-elles à la rentrée ?
Les licences professionnelles représentent un point d'appui formidable pour la fluidité et la lisibilité du système que j'évoquais précédemment. L'habilitation des licences professionnelles sera présentée cette semaine au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) et 170 d'entre elles devraient ouvrir à la rentrée universitaire. Dans ce domaine, j'ai surtout voulu faire respecter un principe : la valeur nationale des diplômes, autrement dit que le souci d'adaptation aux besoins de l'économie ne conduise pas à une hyperspécialisation.
Vous avez souhaité que les élèves des lycées professionnels perçoivent " une rétribution ". Où en êtes-vous de vos discussions avec le monde patronal à ce sujet ?
Cette affaire a pour moi une valeur pédagogique : c'est ma manière de poser la question du statut social du jeune en formation. J'ai commencé à en discuter avec des branches professionnelles. La Fédération française du bâtiment, par exemple, s'est montrée très ouverte, à la fois sur l'idée d'une rétribution des périodes de stages et sur celle d'un financement des jeunes dans le cadre de leur projet de fin de formation. On pourrait par exemple imaginer une sorte de contrat de pré-embauche au niveau du baccalauréat professionnel qui permettrait aux entreprises de financer les études des jeunes sont elles souhaiteraient s'attacher ultérieurement les services en les rétribuant pendant leur fin de scolarité. Bien évidemment, le système serait facultatif.
Vous ne semblez guère favorable à l'apprentissage. Pourquoi ?
C'est une voie comme une autre. Mais je récuse l'idée que l'apprentissage serait la voie royale. Car que voit-on ? Des taux d'échec importants avec des départs massifs en cours de formation. Il me semble que l'apprentissage a surtout permis de régler de façon hypocrite la question d'un statut social du jeune en formation. J'en veux d'ailleurs pour preuve qu'il se développe aujourd'hui surtout dans le post-bac.
Propos recueillis par Michèle LECLUSE et Brigitte PERUCCA.
(source http://www.education.gouv.fr, le 1 septembre 2000)