Interview de M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, à France 2 le 14 octobre 2002, sur le danger terroriste après l'attentat qui, semble-t-il, a visé des touristes occidentaux à Bali, sur les risques de guerre en Irak, sur les perspectives du sommet de la francophonie de Beyrouth et sur la position de la France dans le conflit en Côte d'Ivoire.

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Texte intégral

F. Laborde.- Revenons tout d'abord sur ce terrible attentat qui s'est passé à Bali : avez-vous des nouvelles des ressortissants français qui ont été blessés ou peut-être tués sur place ?
- "Pour l'instant, pas de nouvelles différentes de celles qui ont été annoncées ; nous attendons des vérifications. Vous avez vu à quel point la tâche est difficile, compte tenu de la force de l'explosion. Bien entendu, comme cela a déjà été fait, je le refais : le Gouvernement condamne - et je pense l'ensemble des Français aussi - cet acte abominable."
Le Quai d'Orsay donne des consignes ce matin ? De rentrer ou d'éviter de se rendre dans la région ?
- "La consigne est effectivement de ne pas se rendre en Indonésie, compte tenu de la situation et des risques que cela comporte. Cela a été annoncé et il est recommandé aux Français qui s'y trouvent de rentrer."
Certains, notamment du côté des Etats-Unis et du Président Bush, parlent de nouvelles offensives généralisées du terrorisme. On fait le lien avec ce qui s'est passé depuis les attentats du 11 septembre et encore tout récemment avec le pétrolier français Limburg, objet d'un attentat, avec ces soldats américains tués au Koweit et aujourd'hui, ces ressortissants occidentaux qui étaient particulièrement visés à Bali. Est-ce qu'il y a, de votre point de vue, une offensive généralisée du terrorisme ?
- "Il parait clair que le terrorisme, qui n'est pas un mode d'intervention tout à fait nouveau, a pris une ampleur considérable et il est aujourd'hui une nouvelle forme de guerre en réalité. Une forme particulièrement odieuse d'ailleurs, puisqu'elle s'en prend à des populations civiles par traîtrise. Donc, probablement, en effet, les principaux attentats auxquels vous faites allusion, ont, pour la plupart d'entre eux, été télécommandés, téléguidés par des réseaux qui existent. Il faut ajouter à cela que cet exemple et ces méthodes sont imités sur la surface de la planète dans d'autres endroits. Donc, ce n'est pas forcément la totalité de l'explication. Mais il y a sans doute une organisation ou plusieurs, ramifiées, qui emploient ces méthodes systématiquement."
Si je comprends bien, cela pourrait être Al Qaïda et/ou des affiliés d'Al Qaïda ?
- "C'est probable. Les différents pays commencent à renforcer leurs moyens, à se concerter pour mettre en place des formules de prévention et lutte contre ces formes de terrorisme. On en saura un peu plus, mais c'est un travail très important qui consiste aussi à utiliser le renseignement davantage que cela a été fait dans le passé."
La France fait éventuellement partie des pays qui sont visés par ce type d'attentat ?
- "La France a été visée par le passé - souvenons-nous des attentats qui se sont déroulés sur notre sol - et peut l'être à nouveau. C'est la raison pour laquelle il est important d'être vigilant. Je vous rappelle que le plan Vigipirate renforcé est toujours en application et il mérite de l'être plus que jamais."
Dans ce contexte, la guerre avec l'Irak, que les Américains veulent mener, parait encore plus probable ?
- "Le problème n'est pas tout à fait le même dans le cas particulier, même si je sais bien que du côté américain, le lien est fait très fortement. Mais l'affaire irakienne a des caractéristiques particulières. Le problème terroriste international, je crois, déborde largement le cas irakien. D'ailleurs, il porte sur des continents qui ne sont pas seulement liés à l'affaire du Proche-Orient."
Vous pensez que sur l'Irak, les Américains ont des arrière-pensées autant économiques que militaires ?
- "C'est un dossier compliqué qui n'est pas d'aujourd'hui, comme vous le savez. Il est en effet probable que c'est un ensemble de données qui amène les Américains à cette position."
Le pétrole irakien fait beaucoup d'envieux ?
- "Bien sûr."
C'est dans ce contexte un peu difficile que va s'ouvrir à Beyrouth, cette semaine, le sommet de la Francophonie. Beyrouth est, comme chacun sait, au Liban et au Proche-Orient. Cela sera un peu difficile de tenir ce sommet, où trente chefs d'Etat sont attendus. Cela veut dire qu'il y a un grand effort de sécurité ?
- "Il y aura, bien entendu, des mesures de sécurité. Je crois que c'est assez symbolique, précisément, en ce moment, que ce sommet, qui va réunir les chefs d'Etat des pays de la francophonie, qui sont plus d'une cinquantaine, se tienne à Beyrouth pour la première fois, c'est-à-dire en terre arabe. Je vous rappelle que ce sommet devait de tenir l'an dernier et que l'attentat du World Trade Center a amené à le décaler d'un an. Le thème de ce sommet, qui est le dialogue des cultures et la diversité culturelle, tombe bien, parce que vous parliez du terrorisme à l'instant, qui nécessite à la fois le renforcement des moyens de lutte contre le terrorisme mais qui nécessite aussi un effort particulier de dialogue et de solidarité entre les peuples et les cultures."
Le président de la République, J. Chirac, doit y aller jeudi et rester à Beyrouth jusqu'à dimanche. Quel message va-t-il délivrer ? Est-ce que la France a un message particulier vis-à-vis du monde arabe, en termes de dialogue ?
- "C'est un message qui n'est pas seulement celui de la France - qui est celui de la France aussi bien sûr -, qui est que dans le monde que nous vivons, où il y a une économie dominante et une culture qui a tendance a être dominante et marchande, il est très important que les identités culturelles, les langues et les cultures de tous les pays - pas seulement la francophonie, mais là, la francophonie parle pour tout le monde -, que ces langues et ses cultures puissent être respectées, que l'identité des civilisations puissent être respectées. C'est la seule condition d'un monde plus pacifique demain."
En Côte d'Ivoire, le président L. Gbagbo a limogé son ministre de la Défense et pris en main les rênes de l'armée ; où en est-on dans cette affaire et jusqu'à quel point la France est-elle intervenue ?
- "La France a plaidé dès le départ - et continue de le faire - pour que des solutions politiques soient trouvées à cette crise ivoirienne, très préoccupante évidemment. Pour l'instant, c'est sans doute ce qui se passe avec des chances, nous l'espérons, de succès. Une médiation est en cours à l'initiative des pays de la région, notamment sous la conduite du Président de la CEDEAO, le Président du Sénégal en ce moment, et nous espérons que cette crise trouvera une issue pacifique."
Mais pour l'instant, l'armée française reste sur place ?
- "L'armée française reste sur place. Elle est chargée d'assurer la sécurité des ressortissants français et étrangers plus généralement, qui sont nombreux en Côte d'Ivoire. Elle a aussi, par sa seule présence, un rôle de stabilisation pour éviter que le pays soit mis à feu et à sang."
La France ne se mêle pas de savoir qui a raison et qui à tort ?
- "La France soutient la médiation africaine sans réserve."
Elle ne soutient pas le Président plutôt que les rebelles ?
- "Elle souhaite que des formules de conciliation, de concertation et de réconciliation soient trouvées ; elle les appuie."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 octobre 2002)