Déclaration de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, sur la menace américaine d'entrer en guerre contre l'Irak malgré les réticences de la France, de l'Allemagne, de la Chine, de la Russie, Paris le 29 janvier 2003.

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Circonstance : Manifestation de "SOS enfants d'Irak" à Paris le 2 février 2003

Texte intégral


Mesdames et messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de vous remercier d'avoir bravé les intempéries de ce jour - et Dieu sait si elles sont rigoureuses - pour venir témoigner de votre soutien à l'Association SOS-Enfants d'Irak, présidée par Jany Le Pen, et qui depuis 7 ans remue inlassablement ciel et terre pour attirer l'attention de l'opinion sur le drame irakien.
Je salue bien sûr nos élus européens, régionaux et municipaux, mais aussi tous ceux, qui, sans grades, veulent aujourd'hui dire leur colère, leur indignation et manifester leur attachement aux grands principes universels de la morale et du droit, afin de contribuer à sauver un petit peuple de 20 millions d'habitants, aujourd'hui menacé des foudres militaires de la première puissance mondiale.
Notre action de ce jour, bien sûr, n'est tournée contre aucun peuple : les peuples sont rarement immoraux et il n'y a le plus souvent d'immoralité que chez ceux qui les dirigent.
L'amitié qui unit les nations elles-mêmes, la solidarité historique des Etats-Unis et de la France ne sont évidemment pas en cause, et elle est d'ailleurs représentée, ici même, par deux monuments.
- L'un symbolise l'appui politique, militaire et financier de la France de Louis XVI à l'Amérique de Washington.
- L'autre est le monument qui commémore les enfants de l'Amérique morts durant la campagne de France.
Nous sommes donc bien là au coeur de l'alliance de nos peuples.
Certes, il n'y eut pas que du désintéressement dans nos relations, mais toujours un même sentiment de l'existence d'un intérêt supérieur commun aux deux pays, un même espoir de liberté et de justice.
C'était vrai en 1777, en 1917 et en 1944.
Mais hélas, ce n'est plus vrai aujourd'hui, et nous ne pouvons que combattre une guerre qui n'est plus celle de la liberté et du droit, mais, il faut bien le dire, une guerre de l'arrogance et de la prédation.
L'invasion annoncée de l'Irak crée une situation qui, à de nombreux titres, menace la paix et la sécurité du monde.
I- Vous avez certainement remarqué que le marketing de Washington vis-à-vis de l'Irak, tant politique que médiatique, se déchaîne avec des qualificatifs aussi vengeurs que moralisateurs : empire du mal, régime complice d'Al Qaida, pays totalitaire trichant avec les contrôles de l'ONU en cachant des armes de destruction massive, etc...
Certes l'époque se veut moralisatrice, mais en cela elle n'innove pas : les galions d'or blanc qui au XVIème siècle, vidaient l'empire inca de son métal précieux s'appuyaient déjà sur une conversion forcée à la religion du conquérant espagnol.
De la même façon qu'hier la civilisation inca a été brisée avant de disparaître, l'Irak, dont l'histoire remonte à plus de 8000 ans, et qui a été le berceau de la civilisation, est aujourd'hui menacé.
Il faut savoir en effet que ce pays aujourd'hui au centre des affaires du monde, est celui des Sumériens qui créèrent l'écriture, celui des Amorhéens qui fondèrent Babylone il y a 4000 ans, celui des Assyriens dont l'Empire atteint la Méditerranée, celui enfin des Chaldéens, avec Nabuchodonosor qui fit de Babylone la plus belle ville du monde.
Toute cette histoire donne à ce pays son épaisseur nationale, fruit d'une véritable civilisation.
Mais aujourd'hui, dans notre monde de simplisme, d'images et de mensonges, tout cela est passé à la trappe.
On nous dit que Saddam Hussein est un dictateur, mais ce n'est pas Saddam qui est ici un fauteur de guerre. Le fauteur de guerre, c'est Georges W. Bush.
Ce ne sont pas les porte-avions irakiens qui manoeuvrent devant les côtes de Nouvelle-Angleterre, les marines irakiens ne sont pas en train de se positionner au Mexique, au Canada ou à Cuba. C'est l'armada anglo-américaine qui, au Moyen-Orient, ressuscite la politique coloniale de la canonnière.
Peu importe la vérité des faits. Il est entendu que Saddam opprime un peuple qui n'en peut mais, auquel il faut apporter le salut d'une libération militaire immédiate et les Lumières de la démocratie à l'occidentale.
II - C'est là qu'un premier malaise se diffuse insidieusement : pourquoi importer de force la démocratie en Irak, alors que les Etats-Unis et la Grande Bretagne se gardent bien de parler d'intervention militaire pour l'initier en Arabie Saoudite et dans les Emirats, sans parler de la Chine, du Vietnam ou de la Corée communiste.
Mais au fait, où en est donc la chasse au Ben Laden et la lutte contre Al Qaida, naguère encore priorité absolue des Etats-Unis ?
Comment envisager sérieusement une occupation militaire qui débouchera sur une démocratisation du pays ?
Comment même envisager l'instauration d'un régime fantoche comme ce fut le cas en Egypte avec le roi Farouk, en Libye avec le roi Idris, en Iran avec le Shah et même en Irak jusqu'en 1958 avec un Fayçal qui finira assassiné ?
Les leçons de l'Histoire récente semblent déjà oubliées ; les systèmes coloniaux artificiels créés entre 1920 et 1960, sans base populaire, se sont pourtant effondrés l'un après l'autre sous les coups d'un Nasser, d'un Kadhafi, d'un Khomeyni, et les meilleurs alliés des Américains dans la région - l'Arabie Saoudite, les Emirats, le Yémen, la Jordanie, et l'Egypte - récusent totalement la démocratie à l'occidentale.
Les peuples de ces pays, s'ils pouvaient s'exprimer, exigeraient le départ immédiat des forces armées américaines, complices à leurs yeux de l'occupation israélienne de la Palestine.
Le double langage de la Maison Blanche acceptant les manquements répétés aux résolutions de l'ONU de la part de Tel-Aviv, tout en manifestant une intransigeance absolue vis-à-vis de l'Irak, alors même que ce pays n'a commis aucun crime prouvé, ce double langage disais-je, est évidemment intolérable à l'opinion arabe.
Quand au message répété semaine après semaine par le président américain, selon lequel Bagdad représente un danger pour l'Amérique en détenant des armes de destruction massive, cet argumentaire n'est pas crédible, car les responsables politiques issus de tous horizons savent que Saddam Hussein ne possède aucun matériel stratégique.
Scott Ritter, ancien inspecteur de l'ONU, l'a d'ailleurs écrit et la centaine de visites effectuée par l'ONU depuis un mois a confirmé ses dires.
Dans les différentes mises en scène médiatiques relatives à ces inspections, le ridicule le dispute simplement à l'abject.
III - En réalité, l'opinion publique mondiale sent bien qu'il y autre chose.
La Maison blanche et le Pentagone ne pensent aujourd'hui qu'à l'or noir, puisque par un étonnant hasard géographique les 2/3 des réserves pétrolières se situent dans le Golfe persique et que l'Irak se trouve au centre géographique de cet Eldorado qui hante le président Bush, malgré la consigne donnée aux médias : " y penser toujours et n'en parler jamais ".
Les grands stratèges du Pentagone - messieurs Rumsfeld et Wolfowitz - ainsi d'ailleurs que les compagnies pétrolières assurent au président Bush que l'occupation de l'Irak ne présente que des avantages.
Elle permettrait d'abord de garantir un prix du baril tournant autour de 25 à 30 $ le baril (0.25 le litre) pour les dix ans à venir,
Elle constituerait un élément dissuasif vis-à-vis de l'Arabie Saoudite comme de l'Iran et obligerait aussi les pays arabes à accepter l'annexion de fait de la Palestine.
Une évidence s'impose en effet: le pétrole constitue l'élément vital de la civilisation occidentale, puisque rien ne peut fonctionner sans lui.
Sur le papier, il ne représente que 1 à 2% du PIB, alors qu'il irrigue en fait près de 100% de ce même PIB.
En effet, nous devons avoir conscience que les différents éléments du PIB ne présentent pas tous la même valeur : personne ne s'apercevrait de la disparition de 1% de service, alors que la disparition du 1% pétrolier signifie la mort d'une économie moderne.
Rappelons aussi que cet or noir payé au producteur ¼ d'euro le litre n'est pas consommé de la même façon des deux cotés de l'Atlantique.
Aux Etats-Unis ce prix bas irrigue l'économie, alors qu'en France il remplit les caisses de l'Etat par le biais d'une TIPP qui triple le coût d'origine.
Que deviendrait le budget français sans les 400 à 450 milliards de Francs que rapportent les différentes taxes sur l'essence ? L'Etat serait en faillite.
Cet impératif budgétaire explique pour une grande part le silence gêné de nos responsables politiques sur la guerre annoncée : ils voudraient bien éviter le conflit dont ils perçoivent confusément le danger avec ses risques d'engrenage, mais restent sensibles au discret message américain laissant entendre que l'occupation de l'Irak garantit la sécurité pétrolière à bas coût.
En effet, les réserves pétrolières nord-américaines seront épuisées dans dix ans et les USA consomment ¼ des 3,5 milliards de tonnes consommées par la planète .
De surcroît, pour irriguer la croissance américaine, le baril ne doit pas dépasser les 30 dollars.
Mesdames et messieurs, ces différents non-dit font parti d'un consensus tant national qu'international.
La guerre annoncée doit officiellement rester une croisade du bien contre le mal en apportant aux Irakiens les bienfaits d'une " libération ".
IV- Comme l'argument reste peu convaincant, Washington exige que l'on trouve quelque chose et si l'on ne trouve rien, il faudra soit une provocation, soit un prétexte pour déclencher l'une intervention programmée depuis longtemps.
N'oublions pas qu'en décembre 1990, la CIA a fait interviewer la fille de l'ambassadeur du Koweït à Washington en lui faisant dénoncer des atrocités irakiennes commises dans une clinique d'accouchement : les crimes n'avaient jamais eu lieu, mais l'interview a permis d'obtenir une majorité au Congrès autorisant une entrée en guerre.
Mesdames et messieurs, on peut admirer le dynamisme américain et reconnaître sa suprématie, tout en dénonçant une politique de la canonnière dont les effets en peuvent être que catastrophiques à terme pour l'Irak, pour les Etats-Unis, pour l'Europe et pour la sécurité du monde.
Pour l'Irak, cette guerre sera d'autant plus dramatique qu'elle va frapper un peuple affaibli par la guerre Iran-Irak, la guerre de 1991 et le scandaleux blocus qui dure depuis 11 ans.
La guerre Iran-Irak encouragée par l'Occident a coûté des centaines de milliers de morts et le coût humain, matériel et économique de la guerre de 1991 a lui aussi été énorme : 100.000 morts, 5 millions de personnes déplacées, 200 milliards de dollars de dommages matériels.
Le blocus a fait bien pire : il a empêché la rétablissement économique du pays, et surtout, il est la cause d'une catastrophique alimentaire et sanitaire de premier ordre.
Avant 1991 en effet, l'Irak possédait les infrastructures les plus modernes et l'un des niveaux de vie les plus élevés du Moyen-Orient.
Depuis 10 ans, les infrastructures pétrolières sont à l'état de friches industrielles, la production agricole est paralysée par l'effondrement du secteur de la datte et par les épidémies du cheptel.
Depuis 10 ans, la moitié seulement de la population du pays a accès à l'eau potable, la production électrique est insuffisante, contraignant l'administration à interrompre fréquemment les approvisionnements domestiques.
En conséquence, il est normal que le revenu par tête ait diminué de moitié, que les cas de malnutrition ait triplé, que 70% des irakiennes souffrent d'anémie, qu'un enfant sur 5 pèse moins de 2,5 kilos à la naissance, alors qu'en 1989, il n'y en avait qu'un sur 25.
Cette guerre qui vient, mesdames et messieurs, elle va frapper en effet un peuple déjà meurtri dan sa chair par la mort de plus d'un million et demi d'enfants, en raison de la pénurie alimentaire et de l'absence de médicaments.
En effet, le régime des sanctions imposées à l'Irak depuis le 6 août 1990 est le plus sévère de l'histoire des Nations-Unies.
Soumis à une véritable colonisation économique par le biais de la résolution " pétrole contre nourriture " du Conseil de Sécurité de l'ONU, l'Irak n'en a pas moins scrupuleusement honoré ses engagements pétroliers.
En revanche, en raison de l'attitude inhumaine des représentants britanniques et américains au comité des sanctions de l'ONU, seule la moitié des médicaments et des équipements médicaux prévus par le programme ont été livrés à ce pays.
C'est la raison pour laquelle certains des responsables de l'ONU en Irak, en charge de l'exécution du Programme " Pétrole contre nourriture ", ont démissionné avec fracas il y a quelques années.
Permettez-moi de citer l'un d'entre eux, monsieur Denis Halliday :
" J'ai reçu l'ordre d'appliquer une politique qui satisfait à la définition du génocide : une politique délibérée, qui a déjà tué bien au-delà d'un million d'individus, enfants et adultes ".
Dans ce contexte dramatique de génocide, permettez-moi, mesdames et messieurs, de saluer l'aide apportée à ce pays depuis 1995 par l'association SOS-Enfants d'Irak, laquelle a partiellement financé la réhabilitation d'une salle d'opération d'un hôpital pour enfant, et livré plus de 15 tonnes de médicaments, 3 ambulances et 3 ordinateurs complets.
Ces actions bénéfiques ne sont hélas qu'une goutte d'eau dans l'océan des souffrances irakiennes.
Ces souffrances risquent de n'être que le prélude à bien d'autres malheurs, là-bas et partout dans le monde.
En effet, l'attaquant sait toujours trouver les prétextes à une déclaration de guerre, mais il prévoit rarement la façon dont elle se termine.
La tentation terroriste face à une guerre injuste dans ses causes, dans ses moyens et dans ses buts sera décuplée.
Le terrorisme n'est pas que l'arme des plus pauvres, il est aussi l'arme des plus désespérés.
Surtout que cette guerre sera présentée par quelques-uns et ressentie par beaucoup d'autres comme une guerre contre l'Islam.
Le sentiment des centaines de millions de musulmans exaspérés par le double langage de Washington n'est pas pris en compte : imagine-t-on pourtant l'effet d'une seule bombe frappant un hôpital ou une école de Bagdad ?
Imagine-t-on une seule seconde un gouvernement d'occupation débarquant des porte-avions américains et qui serait ensuite capable de s'imposer au peuple irakien ?
Certes le marketing politique et le matraquage médiatique peuvent masquer un certain temps la réalité des objectifs de l'assaillant : occuper le centre géopolitique du pétrole.
Mais combien de temps les prétextes de " terrorisme " ou " d'empire du mal " feront-ils illusion ?
En vérité, l'histoire ne semble rien avoir appris aux dirigeants occidentaux, qui depuis 70 ans se conduisent au Moyen Orient comme Cortes vis-à-vis des Incas : hier comme aujourd'hui on s'empare de l'or et on veut convertir les infidèles.
Si le terrorisme ne peut jamais être excusé, car il frappe des innocents, sachons admettre que la politique occidentale lui fournit chaque jour un nouveau terreau.
Divers scénarios sont évoqués sur la durée de la guerre, l'effondrement du régime de Saddam Hussein et la possibilité d'une transition de type afghan.
Même avec un scénario optimiste de guerre courte, quel régime peut-être installé en Irak ?
Encore une fois, une consultation du peuple ne pouvant aboutir qu'à une demande du départ des forces américaines du Golfe, seul un régime d'occupation militaire est envisageable avec son cortège de contraintes, de rejets et de guerre civile larvée, avec une possible contagion vers l'Arabie saoudite et l'Iran.
Soyons clair : occuper un pays de 25 millions d'habitants dans un univers hostile de 150 millions de musulmans constitue un pari perdu d'avance et l'embrasement de la région deviendra malheureusement inévitable.
Du côté des grandes puissances, la Chine semble encore rester sur la réserve, mais la Russie s'inquiète, durcit le ton, exige l'aval de l'ONU avant tout engagement, car le Président Poutine prend conscience qu'un incendie à sa porte risque fort de se propager vers les républiques musulmanes.
L'Europe a étalé ses divisions, enterrant les espoirs que les derniers naïfs plaçaient dans la politique étrangère et de sécurité commune.
Tandis que la France et l'Allemagne manifestaient pour une fois une certaine réticence face à l'unilatéralisme américain, 8 autres pays affichaient clairement leur alignement inconditionnel sur la politique de Washington, alors même que toutes les opinions publiques, européennes, anglaises, asiatiques, africaines et même américaines, désavoueraient une action militaire que Bush engagerait sans l'aval de l'ONU.
Même le Parlement européen s'y est opposé.
Malgré ces oppositions, Washington s'entête.
Tout cela n'augure rien de bon.
J'ose espérer que le peuple des Etats-Unis d'Amérique, grand peuple s'il en est, trouvera les moyens de contraindre son gouvernement à sortir d'une hystérie belliciste très largement issue de l'action des hauts fonctionnaires du Pentagone.
Je le souhaite, car il en va bien sûr de l'équilibre du monde, de la paix et de la sécurité internationale.
Mais par delà ces notions parfois un peu abstraites, il en va du salut du petit peuple irakien, auquel je veux adresser de Paris, capitale de la France, un message affectueux de paix et d'espoir.
Mesdames et messieurs, je forme des voeux pour que le Message de votre venue et de votre action touche le coeur des Puissants.
Je forme des voeux pour que ces quelques Colombes qui vont s'envoler toute à l'heure restent le symbole d'une paix, qui par delà les ambitions et les intérêts des hommes, est la condition d'un avenir meilleur.
Continuons à nous battre pour les enfants et le peuple d'Irak, pour le droit et pour la Justice, parce que, comme l'a dit Jany Le Pen, tant qu'il y a de la paix, il y a de l'espoir.
(Source http://www.front-national.com, le 4 février 2003)