Texte intégral
R. Elkrief - "Non", "niet, "nein", c'est ce qu'ont dit hier les trois ministres de ces trois pays. Ils ont dit non à une résolution qui serait favorable à la guerre. C'est la position juste ?
-" Oui, je crois que oui. Je crois qu'en particulier, en ce qui concerne la France, la position qui a été prise jusqu'ici par le président de la République, est une position juste."
Est-ce que vous pensez qu'il faut totalement et continuer à aller jusqu'au veto, au prix d'une crise franco-américaine, comme cela se dessine, puisque ce matin les journaux américains sont très durs, très sévères, très inquiets, sur l'état des relations.
- "Si c'était nécessaire, oui. Je ne suis pas sûr que, pratiquement, la France ait à sortir son veto. Pourquoi ? Parce que, vous savez comment concrètement ça se passe : avant qu'on passe au vote, il y a une espèce de tour de table, et donc on pressent quelles sont les positions des uns et des autres. J'imagine que si la résolution américaine ne recueillait pas la majorité nécessaire, qui est de neuf voix, ce qui est archi probable, je ne vois pas pourquoi les Américains mettraient aux voix cette résolution pour se faire battre. Mais il demeure que, si néanmoins les choses se faisaient ainsi, je pense qu'on doit avoir recours au veto. Pourquoi ? Parce qu'il serait absolument incohérent d'avoir pris les positions que l'on prend, en disant "plutôt la pression que la guerre", et alors que c'est la question qui est posée, dire, "écoutez, cela ne nous concerne plus, on ne sait pas quoi faire...", ou on nous demande la permission de sortir pendant le vote... Non, ce serait incohérent. Mais à cette occasion, il faut revenir sur le fond, parce que - ça me frappe -, on ne discute plus du fond. Nous sommes contre la guerre et pour le désarmement par la pression.
"Nous", c'est le Parti socialiste ?
- "Oui, exactement. Parce qu'il y a trois très gros problèmes dans cette zone..."
Est-ce que c'est par pacifisme pur et dur ?
- "Non, pas du tout."
Est-ce que c'est par alignement sur une position d'extrême gauche radicale?
- "Non, c'est par conviction. Par analyse et par conviction."
Ou est-ce que c'est par alignement à la position de J. Chirac ?
- "C'est par analyse et par conviction. Je ne suis pas un pacifiste, c'est-à-dire quelqu'un qui, quelles que soient les circonstances, refuserait qu'il y ait des conflits armés. Je vous rappelle qu'en 1991, lorsque l'Irak avait envahi un pays souverain, qui est le Koweït, nous avions pris position, notamment moi-même, pour qu'il y ait une intervention armée. Donc, je ne suis pas pacifiste, mais pacifique, oui, et souhaitant obtenir le désarmement par la pression grâce aux inspections. Parce qu'il y a trois grands problèmes qui sont posés : il y a la question du régime de Saddam, c'est évident. Il y a la question, que je crois très très importante aussi, du conflit israélo-palestinien et puis il y a la question du terrorisme. Tout cela est posé. Et une intervention militaire américaine dans ces circonstances, ne permet certainement pas de régler les deux autres problèmes, les deux derniers, [elle peut] peut-être même de les aggraver, et probablement pas non plus vraiment le premier. Et puis, il y a un autre aspect..."
Lorsque vous entendez par exemple B. Kouchner, qui est la seule voix discordante à gauche, qui dit, "je déteste la guerre, mais je déteste encore plus Saddam. C'est quand même un bourreau, il y a 200.000 disparus en Irak". Cela ne vous émeut pas ?
- "Mais bien sûr que si. B. Kouchner a tout à fait raison de dénoncer le régime de Saddam, qui est un régime horrible. Il ne s'agit pas de protéger une dictature."
Mais est-ce que la France le dénonce suffisamment ?
- "Mais la question est de savoir comment on arrive à désarmer. Nous considérons qu'aujourd'hui, la pression par les inspecteurs est la bonne voie. Alors qu'une guerre, en l'occurrence une guerre américaine, ne va absolument pas régler les problèmes de fond. J'ajoute - et de ça, nous avons eu l'occasion d'en discuter avec B. Kouchner -, qu'au-delà de l'Irak, il y a un problème général qui se pose : c'est que ce qu'on a aujourd'hui en Irak, on va l'avoir dans le futur avec d'autres pays. Et la question est de savoir si on va pouvoir obtenir un désarmement dans ces autres pays, par la pression et l'inspection, ou bien si à chaque fois il faudra dire : c'est aux Américains d'intervenir. Ce qui aurait une conséquence : au fond, on arriverait à désarmer les pays qui n'ont pas de capacités militaires extraordinaires, mais les pays qui sont vraiment dangereux, on ne pourrait pas bouger parce qu'on ne pourrait pas avoir recours aux inspections. Voyez la question de la Corée du Nord. La Corée du Nord a des armements nucléaires, et on n'en parle pas."
Le raisonnement américain est bien sûr de dire que si la guerre est gagnée en Irak, elle sera un exemple et une menace pour la Corée du nord, qui en tirera les leçons. C'est le raisonnement américain.
- "Mais je ne le crois absolument pas, parce que les Américains ne proposent pas de mener une guerre nucléaire en Corée du Nord ! Absolument pas, au contraire ! Si on renonce aux inspections, alors même que les inspections commencent à donner des résultats, cela veut dire qu'on n'aura aucun choix : ou bien on doit faire la guerre, et par rapport aux pays nucléaires on ne la fera pas, ou bien on ne fera rien du tout."
Sur les questions économiques, souvent vous avez été, non pas proche, mais en tout cas assez à l'écoute des positions par exemple de T. Blair, le Britannique. Sur la question de la guerre, vous êtes différent. Je dirais que vous apparaissez peut-être moins dans le discours de la responsabilité, et surfant plus sur l'opinion.
- "Pas du tout. Mais c'est être responsable que de souhaiter le désarmement par la pression internationale. Ce n'est pas être irresponsable. Je pense que dans les circonstances présentes, c'est le gouvernement américain qui, par rapport à la crise, adopte un comportement qui est finalement très dangereux. Je ne me situe pas pour ou contre T. Blair. C'est tout à fait autre chose. Sur le plan économique, j'ai mes propres positions. J'ai des liens d'amitié avec Blair mais je pense - j'ai eu l'occasion de le dire à son conseiller qui était à Paris, hier, pour d'autres problèmes d'ailleurs -, que Blair, dans cette affaire-là, fait fausse route. Il le fait avec conviction mais c'est une fausse route."
L'Europe sortira quand même assez divisée de cette crise irakienne, assez marquée.
- "Oui, ça c'est sûr ! Au fond, cette crise a servi de révélateur aux divisions européennes, elles les a peut-être augmentées mais elle a servi de révélateur. Vous avez, d'un côté, la plupart des pays qui veulent une Europe puissance, et qui croient à un certain nombre de principes, une pression internationale, etc. Vous avez la Grande-Bretagne qui, elle, a un tropisme d'alignement sur les Etats-Unis - ce n'est pas nouveau. Et puis vous avez des pays anciennement "de l'Est". Et là, je pense que J. Chirac n'a pas parlé, n'a pas agi comme il le fallait. Il y a eu une espèce d'attitude méprisante..."
Il a été trop brutal ?
- "...Arrogante, unilatérale qui n'a aucun fondement. D'abord, nous allons construire la future Europe avec ces pays, ensuite il faut bien comprendre quelle est l'histoire de ces pays."
Donc il faut continuer à élargir, quoi qu'il en soit, il faut accepter l'élargissement quoi qu'il en soit ? Il ne faut pas revenir là-dessus même s'il y a des divisions ?
- "Mais bien sûr. cela ne veut pas dire que ça ne pose pas de problèmes. Mais il faut bien sûr accepter l'élargissement ! Ces pays ont pendant quarante ans été sous la botte de l'Union soviétique. Pour eux, la défense, la protection, c'étaient les Etats-Unis. Il faut comprendre qu'ils aient un tropisme américain sur ce sujet-là même si on ne le partage pas. Donc, qu'on leur dise : attention, la règle en matière européenne c'est de concerter, etc. Mais qu'on leur dise : vous êtes des nouveaux venus, taisez-vous, et moi, au nom de la France, je vous dis que vous n'avez rien à dire, c'est une attitude qui est mauvaise, et qui aura des conséquences, parce qu'il y aura un après conflit irakien, à la fois en ce qui concerne les Nations unies, en ce qui concerne les relations avec les Etats-Unis, et en ce qui concerne l'Europe."
L'économie va mal, l'économie française va mal. C'est la crise internationale seulement ? Que faudrait-il faire ?
- "Non, c'est un ensemble. Il y a évidemment une aggravation liée à la crise internationale, mais il y a pour ce qui concerne la France des responsabilités qui sont quand même celles du Gouvernement et du président de la République. Et il y a un contraste qui me parait extraordinaire, et qu'il faut souligner, entre d'un côté une politique qui, sur le plan extérieur, a des aspects de grandeur - et qui, en tout cas, est bonne sur la question du conflit irakien - et une politique intérieure, économique, sociale, et même proprement politique qui a beaucoup d'aspects de petitesse.
On va avoir un plan de rigueur à votre avis ?
- "Il est en train."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 mars 2003)
-" Oui, je crois que oui. Je crois qu'en particulier, en ce qui concerne la France, la position qui a été prise jusqu'ici par le président de la République, est une position juste."
Est-ce que vous pensez qu'il faut totalement et continuer à aller jusqu'au veto, au prix d'une crise franco-américaine, comme cela se dessine, puisque ce matin les journaux américains sont très durs, très sévères, très inquiets, sur l'état des relations.
- "Si c'était nécessaire, oui. Je ne suis pas sûr que, pratiquement, la France ait à sortir son veto. Pourquoi ? Parce que, vous savez comment concrètement ça se passe : avant qu'on passe au vote, il y a une espèce de tour de table, et donc on pressent quelles sont les positions des uns et des autres. J'imagine que si la résolution américaine ne recueillait pas la majorité nécessaire, qui est de neuf voix, ce qui est archi probable, je ne vois pas pourquoi les Américains mettraient aux voix cette résolution pour se faire battre. Mais il demeure que, si néanmoins les choses se faisaient ainsi, je pense qu'on doit avoir recours au veto. Pourquoi ? Parce qu'il serait absolument incohérent d'avoir pris les positions que l'on prend, en disant "plutôt la pression que la guerre", et alors que c'est la question qui est posée, dire, "écoutez, cela ne nous concerne plus, on ne sait pas quoi faire...", ou on nous demande la permission de sortir pendant le vote... Non, ce serait incohérent. Mais à cette occasion, il faut revenir sur le fond, parce que - ça me frappe -, on ne discute plus du fond. Nous sommes contre la guerre et pour le désarmement par la pression.
"Nous", c'est le Parti socialiste ?
- "Oui, exactement. Parce qu'il y a trois très gros problèmes dans cette zone..."
Est-ce que c'est par pacifisme pur et dur ?
- "Non, pas du tout."
Est-ce que c'est par alignement sur une position d'extrême gauche radicale?
- "Non, c'est par conviction. Par analyse et par conviction."
Ou est-ce que c'est par alignement à la position de J. Chirac ?
- "C'est par analyse et par conviction. Je ne suis pas un pacifiste, c'est-à-dire quelqu'un qui, quelles que soient les circonstances, refuserait qu'il y ait des conflits armés. Je vous rappelle qu'en 1991, lorsque l'Irak avait envahi un pays souverain, qui est le Koweït, nous avions pris position, notamment moi-même, pour qu'il y ait une intervention armée. Donc, je ne suis pas pacifiste, mais pacifique, oui, et souhaitant obtenir le désarmement par la pression grâce aux inspections. Parce qu'il y a trois grands problèmes qui sont posés : il y a la question du régime de Saddam, c'est évident. Il y a la question, que je crois très très importante aussi, du conflit israélo-palestinien et puis il y a la question du terrorisme. Tout cela est posé. Et une intervention militaire américaine dans ces circonstances, ne permet certainement pas de régler les deux autres problèmes, les deux derniers, [elle peut] peut-être même de les aggraver, et probablement pas non plus vraiment le premier. Et puis, il y a un autre aspect..."
Lorsque vous entendez par exemple B. Kouchner, qui est la seule voix discordante à gauche, qui dit, "je déteste la guerre, mais je déteste encore plus Saddam. C'est quand même un bourreau, il y a 200.000 disparus en Irak". Cela ne vous émeut pas ?
- "Mais bien sûr que si. B. Kouchner a tout à fait raison de dénoncer le régime de Saddam, qui est un régime horrible. Il ne s'agit pas de protéger une dictature."
Mais est-ce que la France le dénonce suffisamment ?
- "Mais la question est de savoir comment on arrive à désarmer. Nous considérons qu'aujourd'hui, la pression par les inspecteurs est la bonne voie. Alors qu'une guerre, en l'occurrence une guerre américaine, ne va absolument pas régler les problèmes de fond. J'ajoute - et de ça, nous avons eu l'occasion d'en discuter avec B. Kouchner -, qu'au-delà de l'Irak, il y a un problème général qui se pose : c'est que ce qu'on a aujourd'hui en Irak, on va l'avoir dans le futur avec d'autres pays. Et la question est de savoir si on va pouvoir obtenir un désarmement dans ces autres pays, par la pression et l'inspection, ou bien si à chaque fois il faudra dire : c'est aux Américains d'intervenir. Ce qui aurait une conséquence : au fond, on arriverait à désarmer les pays qui n'ont pas de capacités militaires extraordinaires, mais les pays qui sont vraiment dangereux, on ne pourrait pas bouger parce qu'on ne pourrait pas avoir recours aux inspections. Voyez la question de la Corée du Nord. La Corée du Nord a des armements nucléaires, et on n'en parle pas."
Le raisonnement américain est bien sûr de dire que si la guerre est gagnée en Irak, elle sera un exemple et une menace pour la Corée du nord, qui en tirera les leçons. C'est le raisonnement américain.
- "Mais je ne le crois absolument pas, parce que les Américains ne proposent pas de mener une guerre nucléaire en Corée du Nord ! Absolument pas, au contraire ! Si on renonce aux inspections, alors même que les inspections commencent à donner des résultats, cela veut dire qu'on n'aura aucun choix : ou bien on doit faire la guerre, et par rapport aux pays nucléaires on ne la fera pas, ou bien on ne fera rien du tout."
Sur les questions économiques, souvent vous avez été, non pas proche, mais en tout cas assez à l'écoute des positions par exemple de T. Blair, le Britannique. Sur la question de la guerre, vous êtes différent. Je dirais que vous apparaissez peut-être moins dans le discours de la responsabilité, et surfant plus sur l'opinion.
- "Pas du tout. Mais c'est être responsable que de souhaiter le désarmement par la pression internationale. Ce n'est pas être irresponsable. Je pense que dans les circonstances présentes, c'est le gouvernement américain qui, par rapport à la crise, adopte un comportement qui est finalement très dangereux. Je ne me situe pas pour ou contre T. Blair. C'est tout à fait autre chose. Sur le plan économique, j'ai mes propres positions. J'ai des liens d'amitié avec Blair mais je pense - j'ai eu l'occasion de le dire à son conseiller qui était à Paris, hier, pour d'autres problèmes d'ailleurs -, que Blair, dans cette affaire-là, fait fausse route. Il le fait avec conviction mais c'est une fausse route."
L'Europe sortira quand même assez divisée de cette crise irakienne, assez marquée.
- "Oui, ça c'est sûr ! Au fond, cette crise a servi de révélateur aux divisions européennes, elles les a peut-être augmentées mais elle a servi de révélateur. Vous avez, d'un côté, la plupart des pays qui veulent une Europe puissance, et qui croient à un certain nombre de principes, une pression internationale, etc. Vous avez la Grande-Bretagne qui, elle, a un tropisme d'alignement sur les Etats-Unis - ce n'est pas nouveau. Et puis vous avez des pays anciennement "de l'Est". Et là, je pense que J. Chirac n'a pas parlé, n'a pas agi comme il le fallait. Il y a eu une espèce d'attitude méprisante..."
Il a été trop brutal ?
- "...Arrogante, unilatérale qui n'a aucun fondement. D'abord, nous allons construire la future Europe avec ces pays, ensuite il faut bien comprendre quelle est l'histoire de ces pays."
Donc il faut continuer à élargir, quoi qu'il en soit, il faut accepter l'élargissement quoi qu'il en soit ? Il ne faut pas revenir là-dessus même s'il y a des divisions ?
- "Mais bien sûr. cela ne veut pas dire que ça ne pose pas de problèmes. Mais il faut bien sûr accepter l'élargissement ! Ces pays ont pendant quarante ans été sous la botte de l'Union soviétique. Pour eux, la défense, la protection, c'étaient les Etats-Unis. Il faut comprendre qu'ils aient un tropisme américain sur ce sujet-là même si on ne le partage pas. Donc, qu'on leur dise : attention, la règle en matière européenne c'est de concerter, etc. Mais qu'on leur dise : vous êtes des nouveaux venus, taisez-vous, et moi, au nom de la France, je vous dis que vous n'avez rien à dire, c'est une attitude qui est mauvaise, et qui aura des conséquences, parce qu'il y aura un après conflit irakien, à la fois en ce qui concerne les Nations unies, en ce qui concerne les relations avec les Etats-Unis, et en ce qui concerne l'Europe."
L'économie va mal, l'économie française va mal. C'est la crise internationale seulement ? Que faudrait-il faire ?
- "Non, c'est un ensemble. Il y a évidemment une aggravation liée à la crise internationale, mais il y a pour ce qui concerne la France des responsabilités qui sont quand même celles du Gouvernement et du président de la République. Et il y a un contraste qui me parait extraordinaire, et qu'il faut souligner, entre d'un côté une politique qui, sur le plan extérieur, a des aspects de grandeur - et qui, en tout cas, est bonne sur la question du conflit irakien - et une politique intérieure, économique, sociale, et même proprement politique qui a beaucoup d'aspects de petitesse.
On va avoir un plan de rigueur à votre avis ?
- "Il est en train."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 mars 2003)