Article de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, dans "Enjeux Les Echos" de juin 2000, et interview dans "Le Figaro" du 19 juin, sur l'accord sur l'assurance chômage et le renouvellement de la convention de l'Unédic.

Prononcé le 1er juin 2000

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Texte intégral

Le Figaro Economie. La réforme de l'assurance chômage paraît bien incertaine après la volte-face de la CGC et le " oui si " de la CFTC. L'extrême fragilité du dialogue social vous paraît-elle susceptible de permettre d'aller de l'avant ?
Nicole Notat. La négociation sur l'assurance chômage donne à l'évidence une image très éclatée du paysage social. Cela ne joue pas en faveur d'une bonne compréhension de ses résultats. Cela confirme aussi les clivages qui étaient perceptibles depuis des années sur ce que doivent être les différentes missions de l'Unedic et que nous n'avons malheureusement pas pu réduire. La question posée est de savoir si l'assurance chômage doit être strictement orientée vers l'indemnisation sèche, ou si au contraire elle doit associer des droits d'accompagnement favorisant le retour à l'emploi. Il y a incontestablement là des conceptions différentes qui sont réelles et à la limite respectables. Mais ce qui est regrettable, c'est que l'association des deux missions soit jugée comme une régression sociale.
C'est pourtant bien le cas. On vous accuse même de vous prêter à une dérive libérale ?
Mais pourquoi cet accord est-il suspect de libéralisme ? Je me pose la question. Si les mots ont un sens, le libéralisme est une philosophie, en tous cas dans les pays qui s'en recommandent, qui laisse l'individu seul face aux aléas de la vie. Bref, le libéralisme laisse l'individu sans filet de sécurité, l'Etat se chargeant des plus pauvres et des exclus.
J'affirme que cet accord est un contre-feu à la logique libérale en ce sens qu'il garantit des droits collectifs, que l'on se propose de mettre en application en faisant du " sur-mesure ". Si ce choix est compris comme une régression sociale, on en pleine confusion intellectuelle.
Quand on décide de supprimer la dégressivité des allocations et que l'on propose aux chômeurs de longue durée des contrats d'insertion dans les entreprises, quand on indemnise mieux les jeunes qui trop souvent n'ont que des contrats précaires, quand on reconduit l'Arpe à une nouvelle génération, quand enfin on y associe des services personnalisés et gratuits aux chômeurs pour augmenter leurs chances de retrouver un emploi, on est dans le registre du progrès social. Pas de la régression !
Mais comment expliquez-vous l'incompréhension ?
Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage. Ce sont des contrevérités pures et simples.
Certains syndicats, soutenus par Martine Aubry et la majorité PS-PC, considèrent que l'accord instaure un système à double vitesse ?
C'est une accusation gratuite. Il faut partir des faits et de la réalité. Non seulement l'accord n'accentue pas les écarts entre les chômeurs, mais il réduit les inégalités de traitement. A l'entrée du dispositif, quand on propose un plan d'aide au retour à l'emploi (Pare), c'est pour pouvoir, le plus tôt possible, apporter à ceux qui en ont le plus besoin les aides nécessaires et leur permettre d'obtenir les meilleurs emplois possibles et le plus vite possible. C'est bien une action de prévention du chômage de longue durée. Quand, à l'autre bout du dispositif, on crée des conditions particulières qui permettront aux chômeurs de longue durée d'entrer dans l'entreprise, c'est bien une action d'insertion dans l'emploi.
Cette possibilité, là aussi, est ouverte à tous les chômeurs de longue durée, qu'ils soient indemnisés par l'Unedic, ou par le régime de solidarité de l'Etat. Pour ces derniers, cela suppose que l'Etat s'inscrive dans ce dispositif. Mais c'est bien l'inverse d'un système à double vitesse.
Beaucoup de craintes auraient été levées si le Pare avait été facultatif.
Si le fait de garantir aux chômeurs à la fois une indemnisation et des prestations de services est bon, c'est bon pour tous. Si c'est mauvais, c'est mauvais pour tous et il ne faut pas le faire. Nous pensons qu'offrir les deux en même temps est un progrès pour les chômeurs, pas un recul. C'est en laissant le Pare facultatif que l'on irait vers un système à double vitesse : d'un côté, les chômeurs bien formés et bien informés profiteraient de tous leurs droits, et de l'autre, ceux pour qui l'entrée en formation ne va pas de soi, ou ceux qui sont déjà en voie d'exclusion, continueraient à désespérer de leurs chances. Mais le contenu du Pare est adapté aux besoins de chacun. Il n'y a pas de modèle standard appliqué à tous.
Les chômeurs ne risquent-ils pas d'être contraints d'accepter n'importe quels emplois sous peine de voir leurs allocations diminuées voire supprimées ?
Dans le régime actuel, les propositions de stage, d'emplois aidés ou d'emplois classiques émanent de l'ANPE. Il ne s'agit pas de les modifier, mais de s'assurer que ces propositions seront faites le plus rapidement possible et dans des proportions suffisantes. Et c'est là que les entreprises doivent jouer le jeu en faisant connaître à l'ANPE les offres disponibles, de telle façon qu'il i y ait une meilleure adéquation entre l'offre et la demande.
Vous êtes donc bien en train de faire une OPA sur l'ANPE ?
Mais on rêve! A chaque fois que les partenaires sociaux ont mis le doigt dans des politiques actives, l'Unedic a passé des conventions avec l'ANPE. Chacun dans son rôle participe à la bonne mise en oeuvre des orientations arrêtées. Il s'agit d'accentuer le partenariat entre l'Unedic et l'ANPE pour réaliser ces politiques actives à grande échelle. Il n'y a ni changement de mission ni changement de nature, il y a un changement de dimension.
Si tout est aussi formidable, comment expliquer le tir groupé de critiques tant politiques que syndicales ?
Franchement, je ne m'explique pas du tout ce qui motive des critiques aussi décalées par rapport à ce qu'est l'accord. Ces lectures sont faites sur la base de préjugés qui tiennent aux arrière-pensées prêtées, à tort ou à raison, au Medef. De là à considérer qu'elles reflètent la réalité de ce que contient l'accord, c'est un pas à ne pas franchir ! Je ne doute pas que dans les jours qui viennent ces craintes seront levées, car elles sont sans fondement.
L'accord peut-il réellement s'appliquer s'il n'a qu'une ou deux signatures syndicales ?
La CFDT, vous le savez, a dit tout l'intérêt, pour la légitimité de la politique contractuelle, d'accords majoritaires. La situation actuelle montre le chemin qui reste à parcourir ! Le double objectif d'arriver à un accord, et que celui-ci soit majoritaire s'est révélé inaccessible.
Mais pour l'instant, un accord est valide dès lors qu'il recueille la signature du patronat et d'une organisation syndicale, quelle qu'elle soit. Et il ne peut y avoir convention d'assurance chômage que si l'accord est formalisé. Pour sauver la nature paritaire et contractuelle de l'Unedic, il est déterminant qu'un accord existe et permette de passer à une phase qui met l'Etat dans un jeu à trois. Il faut bien comprendre que la convention est le résultat d'une discussion entre l'Etat et les partenaires sociaux, sur la base d'un accord paritaire. A défaut, c'est un décret en Conseil d'Etat, sous la seule responsabilité de l'Etat, qui fixe les règles de fonctionnement de l'assurance chômage. Nous n'en sommes pas là. Il faut maintenant que la convention reprenne les bases de l'accord et en fasse la traduction juridique, réglementaire et financière. Cette discussion avec l'Etat doit aussi permettre de définir les responsabilités respectives des partenaires sociaux et de l'Etat.
Cette négociation avec l'Etat s'annonce rude...
Tout le monde sait qu'il faut passer de l'accord à la convention, et que celle-ci met en jeu une négociation entre l'Etat et les partenaires sociaux. Dans toute négociation, il y a confrontation. L'accord donne le point de vue des partenaires sociaux signataires et n'exclut pas les autres. Le gouvernement devra venir avec ses propres attentes et la négociation devra permettre la compatibilité entre les deux.
Mais quelles marges de négociation laisse l'accord puisqu'une clause prévoit qu'il s'autodétruit s'il n'est pas intégralement traduit dans la convention ?
Je n'ignore pas cette clause d'autodestruction. Cela avait déjà été le cas pour l'accord sur les CDD en 1990, lorsque Michel Rocard était à Matignon et Jean-Louis Giral au CNPF. J'aspire vraiment au moment où nous pourrons nous passer de telles clauses. Les partenaires sociaux n'aiment pas les injonctions des gouvernements. Je comprends très bien que le législateur n'aime pas davantage les injonctions des partenaires sociaux. Posons-nous la question de savoir pourquoi on en est arrivé là. Je ne peux pas m'empêcher de penser que cela traduit une dégradation des relations entre les uns et les autres, qu'il est urgent qu'un climat apaisé s'installe...
Vous pensez vraiment que la démocratie sociale peut fonctionner dans un tel climat de méfiance, entre partenaires sociaux d'une part, entre partenaires et Etat, de l'autre ?
Quand nous avons émis le souci de mettre des procédures explicites fixant les prérogatives des uns et des autres, comme le fait le protocole de Maastricht au niveau européen, nous avions cette préoccupation. Il y a besoin en France de mieux reconnaître, sans que cela soit vécu sur le registre de la rivalité ou de la compétition, le champ des responsabilités des uns et des autres, et la manière dont s'articulent le respect d'un accord contractuel et les prérogatives du législateur.
Comment expliquez-vous le revirement de la CGC ?
Honnêtement, je lis mal la position de la CGC qui a été très partie prenante dans la négociation et qui a participé à l'accord tel qu'il est. La baisse de la surcotisation des cadres émane exclusivement de la CGC. Cette surcotisation est liée à une indemnisation des cadres proportionnellement plus importante que celle des autres salariés. La supprimer, en gardant l'avantage qu'elle compensait, est de la solidarité à l'envers. Qu'aujourd'hui, la CGC se détache de l'accord relève de motivations qui m'échappent.
La CGT est extrêmement virulente à l'égard de l'accord et des syndicats signataires. Votre rapprochement avec la CGT appartient-il déjà au passé ?
Je ne crois pas que la CGT était opposée à ce que l'Unedic ait aussi une mission d'aide au retour à l'emploi. Mais elle place cette mission largement derrière l'amélioration de l'indemnisation. Cela marque une analyse différente des nôtres. Mais cela ne me conduit pas à considérer que ce désaccord ponctuel signifie des désaccords répétitifs sur les autres chantiers de la négociation.
Propos recueillis par Béatrice Taupin et Nicolas Daniels.
(Source ://www,cfdt,fr, le 19 juin 2000)
(Source http://www,cfdt,fr, le 19 juin 2000)