Interview de M. Jacques Barrot, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 16 octobre 2002, sur le débat budgétaire, la croissance, la baisse des impôts et le projet de loi sur la décentralisation.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Dans le débat sur le budget 2003, à l'Assemblée, l'immense armée de députés UMP que vous présidez s'est montrée, jusqu'ici, disciplinée et très sage. Gentille ! Est-ce que vous lui avez fait une piqûre de silence pour qu'elle se taise ?
- "Non, elle est constructive, positive ! Et c'est bien ainsi, dans ces temps difficiles. Elle est positive quand elle dit au Gouvernement : "nous comprenons bien que ce pilotage budgétaire est un pilotage par temps incertain". On n'allume pas les pleins phares, mais on allume les phares antibrouillard et on avisera. Et puis, tout au cours de la discussion, nous aurons lieu à un débat sur les amendements."
Si les socialistes, sincèrement, avaient présenté un budget comme celui que vous présentez avec une croissance optimiste de 2,5 %, est-ce que vous ne les auriez pas traités de menteurs et d'illusionnistes ?
- "Non, en tout cas pour ce qui me concerne, j'ai toujours été très soucieux de vérité. Les deux mots d'ordre aujourd'hui sont "courage" pour les investisseurs qui ne doivent pas se laisser arrêter par les difficultés momentanées et "confiance" des consommateurs. Il y a dans le budget, me semble-t-il, de quoi nourrir le courage des investisseurs, dans la mesure où nous réduisons les cotisations sociales sur le travail et dans la mesure où nous continuons à baisser, notamment sur la taxe professionnelle, la part salariale. Et il y a de quoi encourager la confiance des consommateurs. N'oubliez pas qu'en trois ans, on va augmenter très significativement les bas salaires."
Comment M. Mer peut-il, hier encore, promettre - alors qu'il dit que la situation est incertaine et difficile - des baisses d'impôts prévues ? Est-ce que les baisses d'impôts dépendent pour vous, oui ou non, de l'état de la croissance économique ? Cela veut dire : on baisse si la croissance est à 3 % et plus, sinon on retarde et puis tant pis ?
- "Elles dépendent sans doute de la croissance, mais elles dépendent aussi de notre courage à engager des réformes structurelles. Vous avez bien que la France a des frais généraux qui sont trop élevés. Il faut les réduire. Il faut gager les futures baisses d'impôts par ces économies que nous allons faire sur le fonctionnement de l'Etat. Et lorsque F. Mer dit qu'il y aura baisse d'impôts il veut dire, en même temps, qu'il y aura un effort sans précédent pour dynamiser, pour moderniser l'Etat."
Il nous donne des frissons, quand il dit que le Gouvernement saura rectifier le tir selon la conjoncture. On a l'impression que les maîtres du budget sont Bush, Ben Laden et S. Hussein. Le budget de chaque pays européen d'ailleurs !
- "Ce n'est pas la peine de raconter des histoires : nous sommes tributaires des grands accidents internationaux qui peuvent survenir ou qui, heureusement, ne surviendront pas. Que faut-il faire dans ce cas-là ? Il faut contrôler très régulièrement les dépenses. Ce qu'on peut reprocher au gouvernement précédent, c'est qu'il a fait sans doute des budgets qui étaient basés sur des hypothèses, elles aussi, trop optimistes, mais surtout c'est de ne pas avoir contrôlé ensuite, quand le climat économique se gâtait, pour voir qu'il fallait à ce moment-là freiner la dépense. Ce que l'on sait, c'est que ce pilotage au jour le jour va être fait bien."
Vous dites "au jour le jour", mais la France doit-elle se préparer à un plan de rigueur ?
- "Je ne le crois pas pour le moment qu'il faille parler de rigueur. Pour le moment, tout le monde s'inquiète d'une situation ! Si vous en rajoutez encore, vous créez dans ce pays un climat d'attentisme. Notre qualité, c'est d'être volontaristes et de dire que le pire n'est pas sûr."
Comment peut-on nous dire, comme F. Mer, que l'équilibre au plus tard sera en 2007, c'est-à-dire pas en 2004, pas en 2005. On n'est pas en train de sacrifier les engagements européens de la France ?
- "Non, on assure nos amis européens que nous allons engager de réformes structurelles pour réduire, en effet, les frais généraux de la nation. Mais il faut aussi, de temps en temps, dire que la Banque centrale européenne est mal venue de faire preuve d'intransigeance. On ne peut pas réduire ses déficits par temps de vache maigre. Par contre, on aurait pu réduire les déficits par temps de vache grasse, ce que n'a pas fait le Gouvernement Jospin. Et ce qui est vrai, c'est que F. Mer espère qu'en redynamisant le pays, nous allons avoir des ressources supplémentaires et nous pourrons ainsi continuer cette marche vers la baisse du déficit."
Aujourd'hui, le Conseil des ministres examine le projet de loi sur la décentralisation et le Premier ministre va venir, ce matin, devant vous tous, députés UMP. Est-ce que cette réforme de J.-P. Raffarin va changer les institutions des régions sans les accompagner de moyens financiers ? Est-ce que l'Etat transfert des compétences avec les ressources aussi ?
- "Il y a trois soucis dans la démarche de J.-P. Raffarin : clarifier les responsabilités, que l'on ait pas 36 responsables qui s'occupent d'un même dossier, et puis évidemment, il faut accompagner cette réforme d'une meilleure péréquation des ressources."
Vous répondez là à la crainte de l'inégalité ou des inégalités qui peuvent naître de la décentralisation ?
- "Bien sûr et l'avantage de la démarche, cette fois-ci clairement conduite, est qu'on aura des règles de péréquation transparente. C'est un maquis complet dans les fonds de péréquation divers et variés et on se dit que la France pauvre risque bien de rester pauvre si on continue comme cela."
On va donc simplifier, mais est-ce que ce sera plus coûteux pour le contribuable ? C'est une crainte générale ?
- "Non seulement cela ne doit pas être plus coûteux, mais cela doit absolument conduire à des économies."
Vous avez noté que le Medef reproche au Gouvernement de ne pas suffisamment oser, et même, il vous donne une sorte d'ultimatum : un an pour faire la preuve de la méthode Raffarin.
- "D'abord, le Medef ferait bien de saluer ce qui vient de se passer : un assouplissement du recours aux heures supplémentaires qui est, à mon avis, extrêmement intéressant pour les entreprises. Ensuite, le Medef doit, lui aussi, engager des grands chantiers de réforme de l'Etat. J'en prends deux : il faut que nous améliorons nos moyens de négocier et de contracter, pour éviter toujours l'appel aux règlements et à la loi. Et sur la formation tout au cours de la vie, ce sont les partenaires sociaux et le Medef qui doivent donner l'exemple en engageant ces grands chantiers. Alors, sur la méthode, on lui répondra, mais à lui aussi de se mettre bien au travail."
Vous dites souvent qu'il faut aiguillonner et piquer le gouvernement Raffarin et le stimuler. Mais pour qu'il s'attaque à quelles vraies réformes en France ?
- "Les problèmes majeurs, c'est de permettre à un plus grand nombre de travailleurs de pouvoir se qualifier. La deuxième réforme, c'est de mettre de l'ordre dans un Etat un peu foisonnant, où les responsabilités se sont, au fil des années, dispersées entre plusieurs acteurs. Si vous modernisez bien l'Etat et si vous élevez le niveau de qualification des salariés, je suis confiant dans la France."
On voit votre enthousiasme dans le brouillard !
- "Non, je sais qu'il y a un "après-brouillard"."
Les réformateurs dans votre esprit ont l'air à droite et les conservateurs à gauche. C'est dur ?
- "Cela ressemble bien un peu à cela car, depuis cinq ans, nous avons été habitués à beaucoup de statu quo, à beaucoup d'immobilisme. Et je voudrais bien redire que le brouillard c'est le brouillard international. Nous devons gérer la France dans un monde qui est incertain. Mais cela n'empêche pas au Gouvernement actuel et à sa majorité, l'UMP, de travailler sur les chantiers qui vont permettre, au lendemain - je l'espère - d'une solution aux problèmes internationaux, de donner à la France à nouveau, son premier rôle en Europe. On est douzième pour la lutte contre le chômage. On a reculé. Grâce à tout le travail qu'engage J.-P. Raffarin, nous allons à nouveau rattraper notre retard."
Pourquoi touchez-vous du bois ?!
- "Je reste très confiant dans la France et surtout dans l'équipe qui aujourd'hui l'a en charge !"
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 octobre 2002)