Tribune de Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie, dans "Le Figaro" le 4 mars 2003, intitulée : " quel avenir énergétique pour la France ? ", sur les questions de respect de l'environnement, d'indépendance en approvisionnement et de développement économique.

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Quel avenir énergétique pour la France ?
Quelle sera demain la politique énergétique de la France ? Cette question simple et capitale réclame une réflexion approfondie. Pour la première fois, le gouvernement a décidé d'y associer les Français, et d'ouvrir largement le débat dans tout le pays.
Car, au-delà de son aspect technique, la politique énergétique est un sujet de société qui concerne la vie quotidienne de chacun d'entre nous. Comment, demain, nous chaufferons-nous, comment voyagerons-nous ? Dans quels véhicules ? Comment les marchandises seront-elles transportées, combien payerons-nous notre courant électrique, notre gaz, notre fioul ? Pourrons-nous respirer un air pur ? Le climat continuera-t-il de se "détraquer" ? La France sera-t-elle à l'abri des crises pétrolières ? Sera-t-elle plus ou moins dépendante de l'extérieur pour s'approvisionner ? La maîtrise des consommations énergétiques doit-elle être une contrainte ou au contraire un axe de développement d'une société avancée ? Toutes ces questions sont liées et relèvent de la politique énergétique. Elles doivent enfin franchir le cercle trop restreint des experts ou des militants.
Nous voulons donc un débat ouvert, pluraliste et démocratique : que l'information circule, que tous les arguments soient entendus, que les opinions s'expriment, que les questions soient posées sans tabou. C'est pourquoi nous avons lancé un site Internet interactif (energie@gouv.fr), des rencontres ouvertes à tous, une campagne d'information pédagogique et un espace d'information et d'échanges d'idées dédié aux jeunes. Chacun est appelé à y participer : particuliers, associations de défense de l'environnement, associations de consommateurs, experts, acteurs économiques, élus. Notre objectif est que nos concitoyens s'approprient les questions énergétiques, qu'elles deviennent presque un sujet de conversation familier.
Pour nous projeter dans l'avenir, nous devons d'abord acquérir une vision lucide de la situation présente : la France produit la moitié de l'énergie qu'elle consomme. Belle performance pour un pays peu favorisé par son sous-sol : nous n'avons pas de pétrole, nos gisements gaziers s'épuisent et nous n'extrayons plus de charbon. Cette moitié d'indépendance énergétique, nous la devons à nos centrales nucléaires et hydrauliques. Mais l'autre moitié, celle que nous consommons sans la produire, qui nous sert essentiellement à nous chauffer, nous déplacer et transporter nos marchandises, nous devons l'importer. Sous forme de pétrole, essentiellement, et de gaz naturel, deux sources d'énergie fort coûteuses, qui sont tributaires d'un équilibre géopolitique incertain, et qui vont s'épuiser dans quelques dizaines d'années. En outre, l'utilisation de ces combustibles fossiles dégage dans l'atmosphère des gaz qui compromettent l'équilibre climatique de la planète et menacent son avenir.
Comment affronter les défis de l'avenir ? Répondre à cette question suppose qu'on évalue clairement les conséquences des différents choix possibles. Pour cela, j'appelle l'attention de chacun sur trois enjeux majeurs, sur lesquels je crois qu'il existe aujourd'hui un consensus : le respect de l'environnement, l'indépendance nationale, le développement économique.
Le respect de l'environnement. Préserver les équilibres de la nature est un impératif vital pour notre civilisation. Le président de la République a porté ce discours haut et fort dans les instances internationales et toutes nos réflexions doivent s'inscrire dans la stratégie nationale de développement durable qu'il nous demande de conduire.
Les choix faits par la France lui permettent déjà de présenter un niveau d'émission de gaz carbonique parmi les plus bas de l'OCDE, puisqu'elle est seulement le 23e émetteur par habitant. Les engagements pris par notre pays dans le cadre du protocole de Kyoto sont néanmoins très ambitieux et supposent de trouver des solutions pour enrayer la croissance de la consommation d'énergie liée aux usages quotidiens, comme les transports ou le chauffage.
Nous sommes confrontés à de nouveaux défis : le niveau des mers, les inondations et, plus globalement, les évolutions préoccupantes du climat ; tout confirme l'impérieuse nécessité de réduire de moitié, au niveau mondial, les émissions de gaz à effet de serre avant 2050. Pour les pays développés, cela implique en moyenne de diviser par 4 leurs émissions (comme l'a indiqué le 3e rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat).
Ces exigences doivent guider nos choix : nous devons donc réfléchir dès maintenant aux moyens d'atteindre un tel objectif, sans pour autant mettre en péril notre développement économique. Certains pays comme les Etats-Unis, la Chine, ou plus près de nous, la Finlande ont, dans ce but, opté pour une relance du nucléaire (qui n'émet pas de gaz à effet de serre). Mais dans le même temps, certains autres, comme la Belgique et l'Allemagne, entreprennent de l'abandonner. La France doit élaborer sa propre solution. Les choix d'aujourd'hui auront des conséquences pour ses enfants sur plusieurs générations.
Vis-à-vis de ses partenaires européens, la France s'est engagée à porter la part des énergies renouvelables de 15 % aujourd'hui, à 21 % de sa production totale d'électricité, d'ici à 2010. Notre pays doit explorer l'ensemble des voies pour y parvenir : hydraulique, biocarburants et biomasse, énergie éolienne, énergie solaire, mais aussi développement des moteurs à hydrogène ; les possibilités sont multiples. Encore faut-il en évaluer le juste coût et les capacités réelles. J'ai en tout cas la conviction que la première des énergies renouvelables, c'est l'intelligence des hommes.
L'indépendance de la France. La politique énergétique et l'indépendance nationale sont intimement liées. L'actualité nous le démontre avec une acuité particulière. A l'heure où le marché du pétrole fait l'objet de vives tensions internationales, le risque géostratégique prend toute sa dimension, notamment en ce qui concerne notre sécurité d'approvisionnement. Quelles sont les énergies susceptibles de se substituer au pétrole, mais aussi au gaz, en fonction des différents usages : transports, chauffage, climatisation... ? Comment éviter au mieux les chocs économiques en cas de crise pétrolière ou gazière ? Dans quelle mesure la stratégie de diversification de nos approvisionnements est-elle suffisante ? Comment les économies d'énergie peuvent-elles apporter une réponse efficace et de grande ampleur ? Quelles marges de manoeuvre permettent-elles de dégager ?
Une chose est sûre : la France doit comme toujours inventer les moyens de son autonomie. Sur cette voie, l'innovation technologique ouvre des horizons prometteurs.
La prospérité économique. Bénéficier d'électricité en quantité et au meilleur prix est un facteur décisif pour le confort des Français mais aussi pour "l'attractivité" de notre territoire, c'est-à-dire l'implantation des entreprises dans notre pays. Nous devons donc définir les moyens d'atteindre ces objectifs. Il faut pour cela répondre à des questions très concrètes : comment le nucléaire, le gaz ou le fioul, les énergies renouvelables, peuvent-ils contribuer à améliorer le coût de l'énergie ? Quelles seraient les conséquences d'un abandon du nucléaire sur la compétitivité de notre économie ? Comment augmenter sensiblement la part des énergies renouvelables ? Quelles économies d'énergie sommes-nous prêts à faire et avec quelle rentabilité ? Comment le développement de nouvelles filières technologiques dans le secteur de l'énergie peut-il être créateur d'emplois ? Loin de toute passion, et sans exclure aucune possibilité, ces questions doivent être explorées de façon objective.
J'invite tous les citoyens à s'investir dans le dialogue démocratique. La conjugaison de trois impératifs acceptés par tous - avenir de notre planète, indépendance, prospérité - nous permettra alors, ensemble, d'élaborer la politique énergétique de demain. Nous sommes tous concernés, sachons faire preuve d'audace et souvenons-nous de cette phrase de Saint-Exupéry : "Nous n'héritons pas la Terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants."
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 mars 2003)