Texte intégral
S. Paoli -. Depuis ce matin, nous sommes, à France Inter, très frappés par la hauteur de vue de nos interlocuteurs [ndlr. Précédents interviewés : F. Hollande (PS) et L. Michel, ministre belge des Affaires étrangères] sur les questions qui engagent, pas simplement le risque d'une guerre en Irak, mais peut-être quelque chose qui ressemblerait à un nouvel état du monde. Iriez-vous jusque là ?
- "Je viens d'entendre la conclusion de D. Bromberger, je partage son analyse. Ce qui est en cause, au-delà de la crise irakienne, c'est la façon d'envisager ce qu'il est convenu d'appeler une forme de gouvernance mondiale. Est-ce que le monde de demain sera un monde où chacun fera à sa tête, où les grandes puissances décideront solitairement de leurs intérêts ou est-ce qu'on va continuer à organiser ce monde ? On a fait des progrès considérables depuis un demi siècle : l'ONU elle-même, l'Organisation mondiale du commerce dans le domaine des relations commerciales ; J. Chirac propose une organisation mondiale de l'Environnement, on voit émerger aussi une justice pénale internationale. Bref, la tendance est dans cette direction. Poser des règles, humaniser la mondialisation, c'est cela qui est en cause au-delà de ce qui se passe aujourd'hui et qui, en soi, est évidemment d'une extrême gravité."
Est-ce que vous estimez que face à l'hyperpuissance américaine - certains ont même parlé de l'unilatéralisme américain - quelque chose s'est déjà produit, qui changera ensuite l'état du monde ? C'est-à-dire que face à la puissance américaine, des points de vue alternatifs se sont exprimés.
- "Certes, mais il faut beaucoup d'optimisme pour considérer que c'est un progrès significatif. Tout dépend de la façon dont les choses vont se passer. Mais si les Etats-Unis persévèrent dans leurs intentions, s'ils vont à la guerre malgré l'attitude d'une grande partie de la communauté internationale, et en l'absence de décision des Nations unies, ce sera à l'évidence un recul."
Là, on est presque dans le fait accompli, puisqu'il y a quelques heures à peine, le président américain disait qu'avec ou sans l'aval de l'ONU, il engagera une opération militaire en Irak.
- "Je le crains, même s'il faut encore déployer tous nos efforts, aujourd'hui et dans les jours qui viennent, pour faire prévaloir ce qui n'est pas simplement le point de vue de la France, qui est le point de vue du secrétaire général des Nations unies et d'un grand nombre de pays, à savoir qu'il y a encore un espace pour des inspections renforcées et organisées. Je crois que malheureusement, la détermination américaine, aujourd'hui, semble très forte et on est très proche du moment de vérité."
Mais imaginez-vous que tout sera fait pour préserver l'essentiel ? Quand je dis l'essentiel, c'est l'essentiel des institutions, parce que malheureusement, la guerre en Irak fera des morts, quoi qu'on en dise. Préserver l'essentiel, c'est-à-dire pas de deuxième résolution américaine, ce qui éviterait peut-être un recours au veto, c'est-à-dire, vraiment, des choses qui pourraient laisser des traces durables ?
- "Ce que je souhaite, pour ma part, c'est que la majorité actuelle du Conseil de sécurité reste ce qu'elle est, et que par conséquent, elle ne vote pas une résolution qui déclencherait la guerre. Les Américains ont dit qu'ils s'en passeraient. A ce moment-là, se pose la question des conséquences d'une telle attitude. J'ai essayé de les évoquer la semaine dernière à l'Assemblée nationale. Ce sont des conséquences graves pour les Nations unies, pour la relation transatlantique, pour la construction européenne et pour la région elle-même. Une fois encore, nous essayons d'appeler les Américains à bien réfléchir à ces conséquences."
Au-delà de son aspect dissuasion, peut-on aller jusqu'au veto ?
- "Je ne veux pas entrer dans ce débat. Je sais que c'est une question qui est récurrente. En l'état actuel des choses, sauf si les choses évoluent dans les toutes prochaines heures, il n'y a pas la majorité des neuf voix nécessaires au Conseil de sécurité pour voter une résolution déclenchant la guerre. Donc, il appartiendra à la diplomatie française, dans les jours qui viennent, de se décider sur ce sujet. Ce n'est pas aux responsables politiques de manier cette menace à tort et à travers."
Et la suite ? Pour les Européens, dans quel état sortirons-nous de ce qui vient de se passer ces dernières semaines ?
- "Je voudrais aussi qu'on parle de la relation transatlantique, j'espère qu'on pourra en dire un mot. Sur la question européenne, regardons les choses en face : il y a une crise, il y a une vraie division entre les pays de l'Europe, et je crois qu'il serait vain de la nier. Est-ce que pour autant, il faut jeter le bébé avec l'eau du bain et considérer que cette fracture est irréductible ? Evidemment non. Je crois que le président de la République française a eu raison malgré tout, de poser un certain nombre de questions, y compris à l'intention des pays candidats. Quel type de construction européenne voulons-nous ? Est-ce que nous voulons nous satisfaire d'un marché unique, avec peut-être une monnaie unique et une solidarité économique, ou est-ce que nous voulons aller au-delà ? Pour ma part, le rêve européen que j'ai toujours formé et porté, c'est de faire de l'Europe une entité politique, un acteur du jeu politique international qui soit un pôle d'équilibre et de paix dans le monde. Et c'est cela la question fondamentale qu'il va falloir trancher en 2004, au moment de ces grands rendez-vous européens. Faire une Constitution sans se mettre d'accord sur une vision politique de l'avenir de l'Europe, ce serait un exercice tout à fait artificiel."
Je vous ai posé la question de l'Europe avant la question transatlantique, parce qu'il me semble que la question de l'union ou pas de l'Europe, dans un prochain rapport avec les Etats-Unis est importante. Alors quelle Europe ? Une Europe, comme certains l'évoquaient ce matin - c'était d'ailleurs le cas de L. Michel et aussi de F. Hollande -, une Europe à géométrie variable, qui permettrait de remettre les choses en place progressivement ?
- "Cette question mérite d'être posée, parce que j'ai toujours été partisan de l'élargissement. Je considère que c'est une obligation politique et morale de notre part, et que c'est au total l'intérêt de l'Union européenne. Mais encore faut-il poser les bonnes questions. Si les pays qui nous rejoignent ne partagent pas pour l'essentiel notre vision du rôle de l'Union dans le monde, alors cela pose problème et je crois qu'il faut clarifier cette question. Il y a eu des débats au cours des années passées. Il y a toute une tendance de pensées aux Etats-Unis qui considère que l'Europe est une sorte de protectorat américain, et qu'elle n'émergera jamais à une conscience politique propre. Je ne partage pas ce point de vue. Vous vous souvenez de la fameuse formule du général De Gaulle : "nous voulons une Europe européenne". Ce n'est pas une Europe qui s'oppose aux Etats-Unis, mais c'est une Europe qui a le courage d'avoir sa propre vision du monde et de le dire le cas échéant, quand cette vision ne recoupe pas totalement celle de nos alliés."
Maintenant, la question des relations transatlantiques. Peut-être que les Américains vont engager seuls, ou pratiquement seuls, avec la Grande Bretagne, une guerre en Irak. On peut, à la limite, faire la guerre seul ; peut-on faire la paix tout seul ?
- "Juste un mot encore sur l'Europe. Je disais qu'on peut être plus ou moins optimiste ou pessimiste. Je voudrais quand même souligner qu'il existe, qu'il émerge, que s'exprime une opinion publique européenne, qui est assez consensuelle sur ce sujet, et c'est important. Vis-à-vis des Etats-Unis, j'ai observé les dernières déclarations du Président Bush, qui ne jette pas de l'huile sur le feu, et qui remarque que c'est une divergence sur les moyens, peut-être pas sur les objectifs - nous sommes d'accord effectivement sur l'objectif du désarmement de l'Irak. Je veux dire par là qu'il faut éviter de dramatiser, d'en rajouter dans cette crise. Il y a une divergence, une divergence profonde sur un problème grave mais ce n'est pas pour autant qu'on va rentrer dans une sorte d'affrontement transatlantique. Pour moi, les Américains sont des amis et des alliés. Chacun connaît le poids de l'histoire entre nous, le partage d'un certain nombre de valeurs communes. Et donc, il va falloir dépasser cette crise pour essayer de rebâtir une relation de confiance avec eux."
Sur quelle base ? Justement, en posant la question de l'après-guerre et de la reconstruction de la paix derrière ?
- "Je crois que c'est une banalité que de le dire. On peut se passer de l'ONU pour faire la guerre, peut-on s'en passer pour faire la paix ? Ce qui m'inquiète le plus dans la position américaine, c'est cette espèce de rêve, qui me paraît un peu illusoire, de remodeler complètement le Proche et le Moyen-Orient, à partir d'une intervention militaire en Irak. Je crois que ce sera beaucoup plus compliqué que cela, y compris pour régler le conflit israélo-palestinien. Et à ce moment-là, j'en suis convaincu, l'Europe, les grandes nations européennes, la France et d'autres, et les Nations unies devront reprendre leur place. Je pense que beaucoup de décideurs américains en sont conscients."
A vous écouter, notamment ces derniers jours, on a l'impression que vous avez la conviction que les choses maintenant vont aller vite ?
- "Croyez-vous que je sois le seul ?!"
Non, mais vous l'avez dit de façon plus marquée que d'autres.
- "Peut-être. J'écoute les déclarations du Président Bush. Je vois surtout se masser les troupes américaines tout autour de l'Irak, et je vois mal comment, aujourd'hui, l'administration américaine pourrait faire machine arrière, même si elle a essuyé, ici ou là, des échecs, je pense en particulier à la Turquie. J'évoquais tout à l'heure les conséquences sur la région. On parle trop peu, me semble-t-il, de cet aspect des choses : faire exploser l'intégrité territoriale de l'Irak et créer une sorte de Kurdistan qui serait à cheval sur la Turquie, l'Irak, la Syrie ou l'Iran, a-t-on bien mesuré le caractère explosif d'un tel dossier ? Voilà aussi ce qui est en jeu pour la paix de la région. Je crois que la diplomatie française doit continuer sur sa ligne, doit essayer de saisir les ultimes chances. On va voir ce que dit M. Blix à 16 heures, cet après-midi, au Conseil de sécurité. Certes, il apparaît très difficile, aujourd'hui, d'arrêter la machine. Si j'ai cité Jean Giraudoux "La guerre de Troyes n'aura pas lieu", c'est aussi en rappelant que, hélas, elle a eu lieu."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement , le 10 mars 2003)
- "Je viens d'entendre la conclusion de D. Bromberger, je partage son analyse. Ce qui est en cause, au-delà de la crise irakienne, c'est la façon d'envisager ce qu'il est convenu d'appeler une forme de gouvernance mondiale. Est-ce que le monde de demain sera un monde où chacun fera à sa tête, où les grandes puissances décideront solitairement de leurs intérêts ou est-ce qu'on va continuer à organiser ce monde ? On a fait des progrès considérables depuis un demi siècle : l'ONU elle-même, l'Organisation mondiale du commerce dans le domaine des relations commerciales ; J. Chirac propose une organisation mondiale de l'Environnement, on voit émerger aussi une justice pénale internationale. Bref, la tendance est dans cette direction. Poser des règles, humaniser la mondialisation, c'est cela qui est en cause au-delà de ce qui se passe aujourd'hui et qui, en soi, est évidemment d'une extrême gravité."
Est-ce que vous estimez que face à l'hyperpuissance américaine - certains ont même parlé de l'unilatéralisme américain - quelque chose s'est déjà produit, qui changera ensuite l'état du monde ? C'est-à-dire que face à la puissance américaine, des points de vue alternatifs se sont exprimés.
- "Certes, mais il faut beaucoup d'optimisme pour considérer que c'est un progrès significatif. Tout dépend de la façon dont les choses vont se passer. Mais si les Etats-Unis persévèrent dans leurs intentions, s'ils vont à la guerre malgré l'attitude d'une grande partie de la communauté internationale, et en l'absence de décision des Nations unies, ce sera à l'évidence un recul."
Là, on est presque dans le fait accompli, puisqu'il y a quelques heures à peine, le président américain disait qu'avec ou sans l'aval de l'ONU, il engagera une opération militaire en Irak.
- "Je le crains, même s'il faut encore déployer tous nos efforts, aujourd'hui et dans les jours qui viennent, pour faire prévaloir ce qui n'est pas simplement le point de vue de la France, qui est le point de vue du secrétaire général des Nations unies et d'un grand nombre de pays, à savoir qu'il y a encore un espace pour des inspections renforcées et organisées. Je crois que malheureusement, la détermination américaine, aujourd'hui, semble très forte et on est très proche du moment de vérité."
Mais imaginez-vous que tout sera fait pour préserver l'essentiel ? Quand je dis l'essentiel, c'est l'essentiel des institutions, parce que malheureusement, la guerre en Irak fera des morts, quoi qu'on en dise. Préserver l'essentiel, c'est-à-dire pas de deuxième résolution américaine, ce qui éviterait peut-être un recours au veto, c'est-à-dire, vraiment, des choses qui pourraient laisser des traces durables ?
- "Ce que je souhaite, pour ma part, c'est que la majorité actuelle du Conseil de sécurité reste ce qu'elle est, et que par conséquent, elle ne vote pas une résolution qui déclencherait la guerre. Les Américains ont dit qu'ils s'en passeraient. A ce moment-là, se pose la question des conséquences d'une telle attitude. J'ai essayé de les évoquer la semaine dernière à l'Assemblée nationale. Ce sont des conséquences graves pour les Nations unies, pour la relation transatlantique, pour la construction européenne et pour la région elle-même. Une fois encore, nous essayons d'appeler les Américains à bien réfléchir à ces conséquences."
Au-delà de son aspect dissuasion, peut-on aller jusqu'au veto ?
- "Je ne veux pas entrer dans ce débat. Je sais que c'est une question qui est récurrente. En l'état actuel des choses, sauf si les choses évoluent dans les toutes prochaines heures, il n'y a pas la majorité des neuf voix nécessaires au Conseil de sécurité pour voter une résolution déclenchant la guerre. Donc, il appartiendra à la diplomatie française, dans les jours qui viennent, de se décider sur ce sujet. Ce n'est pas aux responsables politiques de manier cette menace à tort et à travers."
Et la suite ? Pour les Européens, dans quel état sortirons-nous de ce qui vient de se passer ces dernières semaines ?
- "Je voudrais aussi qu'on parle de la relation transatlantique, j'espère qu'on pourra en dire un mot. Sur la question européenne, regardons les choses en face : il y a une crise, il y a une vraie division entre les pays de l'Europe, et je crois qu'il serait vain de la nier. Est-ce que pour autant, il faut jeter le bébé avec l'eau du bain et considérer que cette fracture est irréductible ? Evidemment non. Je crois que le président de la République française a eu raison malgré tout, de poser un certain nombre de questions, y compris à l'intention des pays candidats. Quel type de construction européenne voulons-nous ? Est-ce que nous voulons nous satisfaire d'un marché unique, avec peut-être une monnaie unique et une solidarité économique, ou est-ce que nous voulons aller au-delà ? Pour ma part, le rêve européen que j'ai toujours formé et porté, c'est de faire de l'Europe une entité politique, un acteur du jeu politique international qui soit un pôle d'équilibre et de paix dans le monde. Et c'est cela la question fondamentale qu'il va falloir trancher en 2004, au moment de ces grands rendez-vous européens. Faire une Constitution sans se mettre d'accord sur une vision politique de l'avenir de l'Europe, ce serait un exercice tout à fait artificiel."
Je vous ai posé la question de l'Europe avant la question transatlantique, parce qu'il me semble que la question de l'union ou pas de l'Europe, dans un prochain rapport avec les Etats-Unis est importante. Alors quelle Europe ? Une Europe, comme certains l'évoquaient ce matin - c'était d'ailleurs le cas de L. Michel et aussi de F. Hollande -, une Europe à géométrie variable, qui permettrait de remettre les choses en place progressivement ?
- "Cette question mérite d'être posée, parce que j'ai toujours été partisan de l'élargissement. Je considère que c'est une obligation politique et morale de notre part, et que c'est au total l'intérêt de l'Union européenne. Mais encore faut-il poser les bonnes questions. Si les pays qui nous rejoignent ne partagent pas pour l'essentiel notre vision du rôle de l'Union dans le monde, alors cela pose problème et je crois qu'il faut clarifier cette question. Il y a eu des débats au cours des années passées. Il y a toute une tendance de pensées aux Etats-Unis qui considère que l'Europe est une sorte de protectorat américain, et qu'elle n'émergera jamais à une conscience politique propre. Je ne partage pas ce point de vue. Vous vous souvenez de la fameuse formule du général De Gaulle : "nous voulons une Europe européenne". Ce n'est pas une Europe qui s'oppose aux Etats-Unis, mais c'est une Europe qui a le courage d'avoir sa propre vision du monde et de le dire le cas échéant, quand cette vision ne recoupe pas totalement celle de nos alliés."
Maintenant, la question des relations transatlantiques. Peut-être que les Américains vont engager seuls, ou pratiquement seuls, avec la Grande Bretagne, une guerre en Irak. On peut, à la limite, faire la guerre seul ; peut-on faire la paix tout seul ?
- "Juste un mot encore sur l'Europe. Je disais qu'on peut être plus ou moins optimiste ou pessimiste. Je voudrais quand même souligner qu'il existe, qu'il émerge, que s'exprime une opinion publique européenne, qui est assez consensuelle sur ce sujet, et c'est important. Vis-à-vis des Etats-Unis, j'ai observé les dernières déclarations du Président Bush, qui ne jette pas de l'huile sur le feu, et qui remarque que c'est une divergence sur les moyens, peut-être pas sur les objectifs - nous sommes d'accord effectivement sur l'objectif du désarmement de l'Irak. Je veux dire par là qu'il faut éviter de dramatiser, d'en rajouter dans cette crise. Il y a une divergence, une divergence profonde sur un problème grave mais ce n'est pas pour autant qu'on va rentrer dans une sorte d'affrontement transatlantique. Pour moi, les Américains sont des amis et des alliés. Chacun connaît le poids de l'histoire entre nous, le partage d'un certain nombre de valeurs communes. Et donc, il va falloir dépasser cette crise pour essayer de rebâtir une relation de confiance avec eux."
Sur quelle base ? Justement, en posant la question de l'après-guerre et de la reconstruction de la paix derrière ?
- "Je crois que c'est une banalité que de le dire. On peut se passer de l'ONU pour faire la guerre, peut-on s'en passer pour faire la paix ? Ce qui m'inquiète le plus dans la position américaine, c'est cette espèce de rêve, qui me paraît un peu illusoire, de remodeler complètement le Proche et le Moyen-Orient, à partir d'une intervention militaire en Irak. Je crois que ce sera beaucoup plus compliqué que cela, y compris pour régler le conflit israélo-palestinien. Et à ce moment-là, j'en suis convaincu, l'Europe, les grandes nations européennes, la France et d'autres, et les Nations unies devront reprendre leur place. Je pense que beaucoup de décideurs américains en sont conscients."
A vous écouter, notamment ces derniers jours, on a l'impression que vous avez la conviction que les choses maintenant vont aller vite ?
- "Croyez-vous que je sois le seul ?!"
Non, mais vous l'avez dit de façon plus marquée que d'autres.
- "Peut-être. J'écoute les déclarations du Président Bush. Je vois surtout se masser les troupes américaines tout autour de l'Irak, et je vois mal comment, aujourd'hui, l'administration américaine pourrait faire machine arrière, même si elle a essuyé, ici ou là, des échecs, je pense en particulier à la Turquie. J'évoquais tout à l'heure les conséquences sur la région. On parle trop peu, me semble-t-il, de cet aspect des choses : faire exploser l'intégrité territoriale de l'Irak et créer une sorte de Kurdistan qui serait à cheval sur la Turquie, l'Irak, la Syrie ou l'Iran, a-t-on bien mesuré le caractère explosif d'un tel dossier ? Voilà aussi ce qui est en jeu pour la paix de la région. Je crois que la diplomatie française doit continuer sur sa ligne, doit essayer de saisir les ultimes chances. On va voir ce que dit M. Blix à 16 heures, cet après-midi, au Conseil de sécurité. Certes, il apparaît très difficile, aujourd'hui, d'arrêter la machine. Si j'ai cité Jean Giraudoux "La guerre de Troyes n'aura pas lieu", c'est aussi en rappelant que, hélas, elle a eu lieu."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement , le 10 mars 2003)