Texte intégral
Q - Alors passons à l'Europe puisque c'est dans moins d'un mois que la France va assumer la présidence de l'Union. Six mois pour faire aboutir la réforme institutionnelle qui sera nécessairement préalable à l'élargissement, ce sera suffisant ?
R - Vous savez, c'est vrai que le contexte de tout cela, c'est que nous allons passer d'une Europe de quinze Etats membres, qui sont très homogènes, qui étaient liés finalement par la solidarité atlantique, par la guerre froide, à une Europe à trente plus hétérogène qui ira, je ne sais pas, jusqu'à la Slovénie, jusqu'à la Roumanie, jusqu'à la Bulgarie, jusqu'aux Pays baltes.
Q - Jusqu'à la Turquie ...
R - La Turquie est un pays candidat à l'Union européenne sans être en négociation, donc nous verrons plus tard. Peut-être un jour, dans dix ans, dans quinze ans, dans vingt ans, son adhésion est-elle possible. Le débat reste ouvert. Pour l'instant, les négociations ne concernent pas la Turquie. Bref, nous serons trente à peu près. Sans doute un jour, y compris avec les pays de l'ex-Yougoslavie. Et il est évident qu'à trente, l'Union européenne ne peut pas fonctionner comme à quinze. Le défi de la diversité, le défi de l'hétérogénéité impliquent qu'on revisite nos institutions qui, d'ailleurs, ne marchent plus très bien, on l'a vu avec la crise de la Commission, parfois avec le Parlement européen et même avec le Conseil des ministres. Et donc, il faut faire cet effort de réforme institutionnelle. Et la première chose que j'ai envie de dire, c'est qu'à Nice, puisque c'est à Nice que se terminera la fin de la présidence, il ne faut pas qu'il y ait un traité au rabais ou un mauvais traité. Moi, je préférerai honnêtement qu'on ne conclut pas plutôt qu'on conclut de manière insuffisante ou bâclée, sans résoudre les vraies questions. Et pour le reste, comme je crois que nous avons tous cette conscience là, que nous savons tous que cette réforme est indispensable, que nous voulons tous l'élargissement mais que nous voulons tous en même temps qu'il soit réussi, oui, je suis relativement optimiste. Je pense que la présidence française avec de l'exigence, de l'ambition, avec de la fermeté aussi, ce sera sans doute nécessaire, pourra faire aboutir cette réforme institutionnelle, dont on ne peut pas dire d'ailleurs qu'elle ne dure que six mois puisque les travaux ont commencé depuis un certain temps.
Q - Pierre Moscovici, en faisant des propositions assez audacieuses, Joschka Fischer, le ministre allemand des Affaires étrangères, vous a-t-il aidé ou a-t-il compliqué le jeu ?
R - Il nous a aidés, d'abord parce qu'il a posé ce diagnostic-là c'est-à-dire : à trente, comment vivrons-nous ensemble ? Quel avenir aurons-nous ensemble ? Jusqu'où va-t-on et comment cela fonctionnera-t-il ? Avec notamment l'idée qu'il faudra sans doute trouver au cur de cette grande Europe, des modalités de fonctionnement peut-être un peu plus groupées avec quelques-uns, mais en même temps, ne confondons pas les débats. Il y a le débat de l'Europe du long terme, c'est celui de Joschka Fisher. Il ne faudrait pas que l'on juge les résultats d'une Conférence intergouvernementale de la réforme des institutions à l'aune de ce grand projet-là. Dans les six mois qui viennent, ce n'est pas cela que nous allons faire, nous n'allons pas envisager l'Europe fédérale, bâtir une Constitution. Nous allons d'abord réformer les institutions bref, faisons d'abord oeuvre de mécanicien avant de faire oeuvre de constructeur, et dans ce sens-là, je souhaite qu'on ne mélange pas effectivement les débats mais la prise de conscience est utile, ne serait-ce pour ceux qui nous écoutent.
Q - Vous qui êtes ministre des Affaires européennes, vous ne regrettez pas que ce qu'a dit Joschka Fischer n'ait pas fait l'objet d'une proposition conjointe, d'une réflexion conjointe entre la France et l'Allemagne ?
R - Non, nous y réfléchissons ensemble, et un peu aussi chacun à sa manière. Vous savez, Joschka Fischer est un homme de grand talent, c'est un homme politique qui a une vision et en même temps, il a reformulé des idées qui étaient déjà là ; Jacques Delors, par exemple, s'était exprimé il y a cinq ans. Et puis, nous, nous étions dans une position un peu différente. Vous savez, quand vous présidez une Union européenne, on n'a besoin pas seulement d'être l'avant-garde, d'être celui qui se projette en avant mais aussi celui qui trouve des compromis donc, il était difficile pour la France, à la fois de se singulariser par une sorte d'échappée tout en voulant contrôler le peloton.
Q - Parce que Fischer, pose un problème de fond et à ce problème de fond, même si c'est dans du long terme, est-ce que vous pouvez répondre, oui ou non à l'Europe fédérale ?
R - Pour répondre à cela, je peux dire premièrement, que je partage le diagnostic : il faut absolument réformer l'Europe et bâtir un cur de l'Europe, au sein de l'Europe à trente. Deuxièmement, commençons d'abord par réussir la Conférence intergouvernementale. Troisièmement, dans ce contexte-là, il faut arriver à bâtir des modalités de coopération plus souples qui permettraient à quelques-uns d'avancer ensemble, quand tout le monde ne le peut pas. Je prends un exemple, l'euro : nous le faisons à 11, nous ne le faisons pas à quinze ; la défense européenne, nous allons la commencer avec les Britanniques.
Q - Donc, vous êtes moins réticent qu'Hubert Védrine, dans son interview au Nouvel Observateur d'aujourd'hui, sur les noyaux durs dont parle Fischer...
R - Je ne suis pas pour un noyau dur figé durablement. Je suis plutôt pour une géométrie variable, où sur un projet politique, on est capable d'avancer pour quelques-uns : la culture allons-y, peut-être pas tous, l'éducation allons-y, l'environnement, les droits sociaux, bref, il y a toute une série de sujets sur lesquels on doit pouvoir bâtir, peut-être pas un cur, mais des curs, même si cela fait un peu un monstre mais j'y reviens quand même. Dans cette affaire-là, n'opposons pas les Allemands qui auraient une "vision" et les Français qui seraient restrictifs ; d'ailleurs, nous aurons un Sommet franco-allemand, vendredi à Mayence, et j'espère bien, j'ai confiance d'ailleurs, que les Français et les Allemands sauront ensemble aborder cette Conférence intergouvernementale et que sur la réforme des institutions, nous aurons des positions communes et on sait bien que le moteur franco-allemand n'est peut-être pas suffisant pour que tout le monde suive, mais lorsqu'il n'est pas là, alors l'Europe ne va pas bien. Et nous donnerons un signe fort à l'Europe.
Q - Pierre Moscovici, vous avez évoqué le problème de l'euro. On a l'impression que l'euro ne marche pas si bien que cela, en tout cas, il est faible par rapport au dollar. Est-ce qu'il faut un pilote politique de l'euro ?
R - Sans doute, c'est une thèse que nous défendons depuis longtemps. Il y a un pôle monétaire dans l'Union européenne, c'est la Banque centrale européenne. Indépendante, elle l'est et veut le rester, et en même temps, je crois que chacun sent bien qu'elle a besoin d'un interlocuteur politique. Dominique Strauss-Kahn l'a dit pendant longtemps, et c'est dans ce sens-là que nous avons bâti l'euro-11, la réunion du Conseil des ministres de l'euro. Laurent Fabius le dit aussi et pendant la Présidence française, nous allons réfléchir. Je cherche une bonne formule, et je vais reprendre celle du Figaro hier, d'un gouvernement européen de l'euro, un gouvernement économique.
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(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 juin 2000)
R - Vous savez, c'est vrai que le contexte de tout cela, c'est que nous allons passer d'une Europe de quinze Etats membres, qui sont très homogènes, qui étaient liés finalement par la solidarité atlantique, par la guerre froide, à une Europe à trente plus hétérogène qui ira, je ne sais pas, jusqu'à la Slovénie, jusqu'à la Roumanie, jusqu'à la Bulgarie, jusqu'aux Pays baltes.
Q - Jusqu'à la Turquie ...
R - La Turquie est un pays candidat à l'Union européenne sans être en négociation, donc nous verrons plus tard. Peut-être un jour, dans dix ans, dans quinze ans, dans vingt ans, son adhésion est-elle possible. Le débat reste ouvert. Pour l'instant, les négociations ne concernent pas la Turquie. Bref, nous serons trente à peu près. Sans doute un jour, y compris avec les pays de l'ex-Yougoslavie. Et il est évident qu'à trente, l'Union européenne ne peut pas fonctionner comme à quinze. Le défi de la diversité, le défi de l'hétérogénéité impliquent qu'on revisite nos institutions qui, d'ailleurs, ne marchent plus très bien, on l'a vu avec la crise de la Commission, parfois avec le Parlement européen et même avec le Conseil des ministres. Et donc, il faut faire cet effort de réforme institutionnelle. Et la première chose que j'ai envie de dire, c'est qu'à Nice, puisque c'est à Nice que se terminera la fin de la présidence, il ne faut pas qu'il y ait un traité au rabais ou un mauvais traité. Moi, je préférerai honnêtement qu'on ne conclut pas plutôt qu'on conclut de manière insuffisante ou bâclée, sans résoudre les vraies questions. Et pour le reste, comme je crois que nous avons tous cette conscience là, que nous savons tous que cette réforme est indispensable, que nous voulons tous l'élargissement mais que nous voulons tous en même temps qu'il soit réussi, oui, je suis relativement optimiste. Je pense que la présidence française avec de l'exigence, de l'ambition, avec de la fermeté aussi, ce sera sans doute nécessaire, pourra faire aboutir cette réforme institutionnelle, dont on ne peut pas dire d'ailleurs qu'elle ne dure que six mois puisque les travaux ont commencé depuis un certain temps.
Q - Pierre Moscovici, en faisant des propositions assez audacieuses, Joschka Fischer, le ministre allemand des Affaires étrangères, vous a-t-il aidé ou a-t-il compliqué le jeu ?
R - Il nous a aidés, d'abord parce qu'il a posé ce diagnostic-là c'est-à-dire : à trente, comment vivrons-nous ensemble ? Quel avenir aurons-nous ensemble ? Jusqu'où va-t-on et comment cela fonctionnera-t-il ? Avec notamment l'idée qu'il faudra sans doute trouver au cur de cette grande Europe, des modalités de fonctionnement peut-être un peu plus groupées avec quelques-uns, mais en même temps, ne confondons pas les débats. Il y a le débat de l'Europe du long terme, c'est celui de Joschka Fisher. Il ne faudrait pas que l'on juge les résultats d'une Conférence intergouvernementale de la réforme des institutions à l'aune de ce grand projet-là. Dans les six mois qui viennent, ce n'est pas cela que nous allons faire, nous n'allons pas envisager l'Europe fédérale, bâtir une Constitution. Nous allons d'abord réformer les institutions bref, faisons d'abord oeuvre de mécanicien avant de faire oeuvre de constructeur, et dans ce sens-là, je souhaite qu'on ne mélange pas effectivement les débats mais la prise de conscience est utile, ne serait-ce pour ceux qui nous écoutent.
Q - Vous qui êtes ministre des Affaires européennes, vous ne regrettez pas que ce qu'a dit Joschka Fischer n'ait pas fait l'objet d'une proposition conjointe, d'une réflexion conjointe entre la France et l'Allemagne ?
R - Non, nous y réfléchissons ensemble, et un peu aussi chacun à sa manière. Vous savez, Joschka Fischer est un homme de grand talent, c'est un homme politique qui a une vision et en même temps, il a reformulé des idées qui étaient déjà là ; Jacques Delors, par exemple, s'était exprimé il y a cinq ans. Et puis, nous, nous étions dans une position un peu différente. Vous savez, quand vous présidez une Union européenne, on n'a besoin pas seulement d'être l'avant-garde, d'être celui qui se projette en avant mais aussi celui qui trouve des compromis donc, il était difficile pour la France, à la fois de se singulariser par une sorte d'échappée tout en voulant contrôler le peloton.
Q - Parce que Fischer, pose un problème de fond et à ce problème de fond, même si c'est dans du long terme, est-ce que vous pouvez répondre, oui ou non à l'Europe fédérale ?
R - Pour répondre à cela, je peux dire premièrement, que je partage le diagnostic : il faut absolument réformer l'Europe et bâtir un cur de l'Europe, au sein de l'Europe à trente. Deuxièmement, commençons d'abord par réussir la Conférence intergouvernementale. Troisièmement, dans ce contexte-là, il faut arriver à bâtir des modalités de coopération plus souples qui permettraient à quelques-uns d'avancer ensemble, quand tout le monde ne le peut pas. Je prends un exemple, l'euro : nous le faisons à 11, nous ne le faisons pas à quinze ; la défense européenne, nous allons la commencer avec les Britanniques.
Q - Donc, vous êtes moins réticent qu'Hubert Védrine, dans son interview au Nouvel Observateur d'aujourd'hui, sur les noyaux durs dont parle Fischer...
R - Je ne suis pas pour un noyau dur figé durablement. Je suis plutôt pour une géométrie variable, où sur un projet politique, on est capable d'avancer pour quelques-uns : la culture allons-y, peut-être pas tous, l'éducation allons-y, l'environnement, les droits sociaux, bref, il y a toute une série de sujets sur lesquels on doit pouvoir bâtir, peut-être pas un cur, mais des curs, même si cela fait un peu un monstre mais j'y reviens quand même. Dans cette affaire-là, n'opposons pas les Allemands qui auraient une "vision" et les Français qui seraient restrictifs ; d'ailleurs, nous aurons un Sommet franco-allemand, vendredi à Mayence, et j'espère bien, j'ai confiance d'ailleurs, que les Français et les Allemands sauront ensemble aborder cette Conférence intergouvernementale et que sur la réforme des institutions, nous aurons des positions communes et on sait bien que le moteur franco-allemand n'est peut-être pas suffisant pour que tout le monde suive, mais lorsqu'il n'est pas là, alors l'Europe ne va pas bien. Et nous donnerons un signe fort à l'Europe.
Q - Pierre Moscovici, vous avez évoqué le problème de l'euro. On a l'impression que l'euro ne marche pas si bien que cela, en tout cas, il est faible par rapport au dollar. Est-ce qu'il faut un pilote politique de l'euro ?
R - Sans doute, c'est une thèse que nous défendons depuis longtemps. Il y a un pôle monétaire dans l'Union européenne, c'est la Banque centrale européenne. Indépendante, elle l'est et veut le rester, et en même temps, je crois que chacun sent bien qu'elle a besoin d'un interlocuteur politique. Dominique Strauss-Kahn l'a dit pendant longtemps, et c'est dans ce sens-là que nous avons bâti l'euro-11, la réunion du Conseil des ministres de l'euro. Laurent Fabius le dit aussi et pendant la Présidence française, nous allons réfléchir. Je cherche une bonne formule, et je vais reprendre celle du Figaro hier, d'un gouvernement européen de l'euro, un gouvernement économique.
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(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 juin 2000)