Texte intégral
J.-J. Bourdin -.Vous avez sous les yeux votre note : 10/20 dans L'Express. C'est une note passable, pour un ministre à l'Education nationale !
- "C'est noté comme à l'agrég', c'est-à-dire que le meilleur a 13/20 ! Donc, on va se rassurer un peu !"
C'est vrai, vous passez jute, mais vous passez ! C'est vrai que vous vous êtes ennuyé comme un rat mort à l'école ?
- "On ne va pas revenir là-dessus. Je l'ai dit, je ne le renie pas. Je vais tout vous dire : j'étais au lycée de Mantes-la-Jolie et, à l'époque, ce lycée - qui a énormément changé, je l'ai visité en juin dernier et c'est maintenant un très beau lycée - était un lycée quand même caserne, un peu infernal. Et je crois qu'il devait y avoir 100 % d'ennui dans ce lycée, il faut être franc. Cela a beaucoup changé. Il y a des choses qui se sont améliorées depuis, et il y en a d'autres qui vont plus mal, comme par exemple la lecture, qui ne s'est pas arrangée. Mais l'ennui à l'école est quelque chose quand même d'un taux moins élevé que de mon temps."
L'Education nationale va-t-elle un jour noter les profs ?
- "D'abord, on les note déjà, d'une certaine façon, puisqu'il y a des inspections. Après tout, la façon d'inspection est aussi de noter..."
Faut-il les rendre public ?
- "Cela ne me choquerait pas. En tout cas, à l'université, quand j'étais prof à Sciences-po, à Lyon, les élèves nous avaient notés une fois, avec l'accord du directeur qui avait organisé la chose. Cela ne me paraît pas entièrement absurde. En tout cas, ce n'est pas inintéressant d'observer les résultats des choses. Mais en même temps, il ne s'agit pas non plus d'instaurer la guerre entre les élèves et les profs, je ne crois pas que ce soit d'actualité."
Premier sujet fort de l'actualité, la violence à l'école. A La Garennes-Colombes, un prof agressé par coups de couteau, les profs ne reprennent toujours pas les cours. Que dites-vous à ces enseignants ?
- "D'abord, je leur dit que je les entends, que je les écoute, je suis à leurs côtés, on essaie de faire quelque chose. Le problème n'est évidemment pas facile à régler. Il faut quand même rappeler qu'il y a eu 81.000 incidents graves l'année dernière dans les établissements ; ce que l'on appelle des "incidents graves", ce sont des incidents qui sont à la limite de la qualification pénale, c'est-à-dire souvent des violences physiques, comme c'est le cas dans l'exemple que vous évoquez, qui est terrible. Donc, ce que je leur dis, c'est que nous sommes en train de mettre en place les moyens de restaurer l'autorité. Mais je ne connais pas malheureusement d'autorité sans sanction. Or, le problème auquel nous nous heurtons - il faut dire les choses comme elles sont -, c'est que les sanctions traditionnelles, les heures de colle que l'on a connues quand on était petits, le proviseur qui vous dit que vous êtes renvoyé trois jours, quand on était petits, c'était terrorisant, quand on était renvoyés trois jours, c'était une catastrophe dans les familles. Aujourd'hui, si vous dites cela à un élève comme celui qui a probablement agressé cette collègue, le gamin vous répond "merci monsieur, vous pourriez pas m'en donner quinze, parce que ça m'arrangerait !". Donc, la situation est là : c'est que les sanctions traditionnelles ne sont plus pertinentes. Alors, ce que nous proposons, c'est de retirer les élèves difficiles des classes. C'est pour cela que nous proposons, avec X. Darcos, les classes-relais et les ateliers-relais. Donc, retirer les élèves difficiles des classes, pour les envoyer ailleurs et les mettre dans un environnement pédagogique plus musclé et adapté à leur situation. Mais le vrai problème est là : c'est que toutes les sanctions traditionnelles sont devenues désuètes et inopérantes. Il faut vraiment qu'on invente quelque chose de nouveau, aux côtes des profs, avec eux. J'aimerais bien aussi - et je les rencontre sur le terrain pour cela - savoir ce qu'ils ont comme conseils à nous donner, ce qu'ils demandent eux."
Je voudrais que l'on parle de l'absentéisme scolaire. Là aussi, un rapport a été rendu avant-hier, avec 29 propositions. Parmi ces propositions, il y a l'abrogation de la suspension ou la suppression des allocations familiales versées aux parents. Etes-vous pour ou contre cette abrogation ?
- "Cela ne me paraît pas, a priori, la bonne voie, mais je n'ai pas encore lu le rapport moi-même. C'est toujours la même chose : la presse commente les rapports et ils sortent généralement avant que les ministres les aient sur leur bureau. Donc, je vais prendre le temps de le regarder de près. Pour l'instant, si je vous dis cela, c'est pour vous dire que ce n'est qu'un rapport ; ne confondons pas les rapports et les décisions du ministre, ce n'est quand même pas la même chose. Donc, je vais regarder cela de près, attentivement."
Mais est-il important d'abroger cette suspension ou cette suppression des allocations familiales ?
- "Je ne pense pas que ce type de punitions infligées aux parents soit la bonne solution. Je crois que le premier travail à faire, c'est de comprendre - et c'est ce que j'avais dit d'ailleurs au moment de cette commission - pourquoi les élèves sont absents. C'est quand même le problème de fond. Alors après, qu'on mette des sanctions, encore une fois, ce n'est pas moi qui vais être contre. Mais qu'on les mette en dernier recours et qu'on comprenne d'abord pourquoi il y a environ 100.000 enfants qui sont absentéistes chroniques. Et l'une des propositions que je fais depuis maintenant un certain temps, et que je mets en place pour des dizaines de milliers d'enfants, actuellement, dans les collèges, c'est-à-dire de leur permettre de découvrir les métiers dans les lycées professionnels. C'est aussi une réponse concrète à la question de l'absentéisme, mais également d'ailleurs à la question de la violence. Parce qu'il faut bien voir que des collégiens qui sont en rejet de l'école depuis un an, deux ans, trois ans, quatre ans parfois, soit ils deviennent "absentéistes" - je ne sais pas si le mot existe, il faudra vérifier ! -, soit ils deviennent violents. Donc, il faut évidemment leur proposer une vraie diversité de parcours. Il faut leur proposer des parcours dans lesquels ils réussissent quelque chose ; il faut donc leur ouvrir le lycée professionnel plus tôt, je crois que c'est vraiment une des solutions concrètes, sur le terrain, d'autant que ces lycées professionnels sont à la fois très bien équipés et souvent très passionnants pour les enfants."
C. Barbier : Est-ce que vous seriez partisan de mélanger les populations de toutes les écoles, en envoyant des bus, pour emmener les enfants d'une cité vers une autre ville, des centres-villes vers une cité ? Parce que c'est aussi la monotonie de leur environnement qui crée l'absentéisme et la violence.
- "C'est vrai que quand on regarde de près les chiffres de la violence dans les établissements - là vous touchez quelque chose de juste -, c'est que, très souvent, cela touche un petit nombre d'établissements, c'est-à-dire que les établissements "sensibles", comme on dit, c'est 10 % des établissements, peut-être même un peu moins, où se concentrent toutes difficultés. Donc, la mixité sociale, en principe, c'est la fonction de la carte scolaire. La carte scolaire est faite pour qu'il y ait un mélange dans les établissements..."
C. Barbier : Mais cela ne marche plus !
- "Le problème est que les journalistes, les profs, un certain nombre d'hommes politiques pratiquent le sport national, qui consiste à contourner la carte scolaire. Nous le faisons tous."
C. Barbier : On ne peut pas le reprocher aux parents.
- "On ne peut pas le reprocher aux parents mais, en tout cas, ce qui est clair, c'est que la plupart des élites, au sens sociologique du terme, je veux dire ceux qui sont considérés comme telles par les catégories de la sociologie, pratiquent ce sport national qui est le contournement de la carte scolaire. Je reçois des milliers de lettres de journalistes, de parents de l'élite, même d'hommes politiques, qui demandent qu'on contourne la carte scolaire."
Et vous répondez "non" ?
- "Je réponds "non". Et si elle a été beaucoup contournée dans les dernières années, cela explique ce que vous décrivez, c'est-à-dire l'apparition de lycées ou de collèges où toutes les difficultés sont concentrées."
Faut-il créer une nouvelle infraction dans le code pénal, des amendes pour les parents d'enfants fréquemment absents ?
- "On va y réfléchir. Je suis favorable à l'idée qu'il y ait une punition - d'ailleurs, elle existe déjà -, qu'il y ait un châtiment, une amende. Evidemment, il faut le faire, cela existe déjà. Mais je suis surtout favorable à ce que l'on utilise ce type de recours au dernier moment, c'est-à-dire qu'on essaie avant la médiation et surtout, qu'on essaie de comprendre pourquoi des enfants ont quitté l'école et qu'on essaie de leur proposer chaussure à leur pied. Voilà pourquoi je pense que les parcours en alternance sont aussi une réponse au sujet. Je vous dis cela, mais ce ne sont pas des phrases. Je connais personnellement des enfants qui ont quitté le collège depuis des mois, dont les parents sont fous d'angoisse, et qu'on a réussi à récupérer dans les établissements scolaires, en leur faisant découvrir un métier dans un lycée professionnel. Ce n'est pas du pipeau ce que je vous raconte, c'est la vérité. Donc, je pense que c'est la vraie solution. Mais maintenant, il est clair que si les parents sont responsables - et ils doivent l'être -, qu'ils n'ont pas pris la décision d'envoyer leur enfant à l'école, qu'ils s'en moquent, qu'on les punisse dans ce cas-là, je suis évidemment tout à fait pour. Mais ce n'est pas la solution première."
Il existe déjà des sanctions pour manquement à l'obligation scolaire, mais le délit n'est pas encore inscrit dans le code pénal, c'est toute la question... L'Education nationale est aussi parfois responsable de l'absentéisme. Avec les profs qui sont absents et des trous dans l'emploi du temps, cela peut aussi arriver ?
- "Ils sont beaucoup, beaucoup moins absents que mon collègue C. Allègre ne l'avait dit. On ne va pas reprendre la polémique sur les chiffres mais il s'était quand même trompé de moitié. Donc, je ne crois pas que ce soit le problème numéro 1. Les profs ne sont pas plus absents que les autres catégories de la population."
C. Barbier : Ils sont peut-être un peu plus découragés parfois ?
- "Franchement, honnêtement, j'entends souvent en effet de grands patrons ou de grands journalistes qui demandent ce que font ces profs, etc. J'aimerais bien les voir passer 48 heures dans un collège un peu difficile. Il en ressortirait en tutu, c'est ça le problème ! Donc, il faut bien voir qu'il faut être à côté des profs au lieu de les insulter et de les critiquer, et comprendre que leur métier est vraiment devenu très difficile. On a 5 % des jeunes agrégés, comme l'ami C. Barbier, qui démissionnent dans la première année. Quand on sait ce que c'est que de passer l'agrég', à quel point c'est difficile, cela veut dire que ces jeunes profs qui démissionnent dans la première année, c'est franchement qu'ils ne sont pas heureux de ce qui leur arrive. Donc, il faut réfléchir aussi à cela. Voilà pourquoi je pense que le problème de la violence dans les établissements ou de l'incivilité, c'est quand même le problème numéro 1 pour l'instant. Et que si on ne le règle pas, c'est que dans toutes les disciplines où il y aura une alternative dans le privé, notamment dans les disciplines scientifiques ou les langues, on aura un déficit terrible d'enseignants et de vocation. C'est donc un vrai problème pour les dix ans qui viennent."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 janvier 2003)
- "C'est noté comme à l'agrég', c'est-à-dire que le meilleur a 13/20 ! Donc, on va se rassurer un peu !"
C'est vrai, vous passez jute, mais vous passez ! C'est vrai que vous vous êtes ennuyé comme un rat mort à l'école ?
- "On ne va pas revenir là-dessus. Je l'ai dit, je ne le renie pas. Je vais tout vous dire : j'étais au lycée de Mantes-la-Jolie et, à l'époque, ce lycée - qui a énormément changé, je l'ai visité en juin dernier et c'est maintenant un très beau lycée - était un lycée quand même caserne, un peu infernal. Et je crois qu'il devait y avoir 100 % d'ennui dans ce lycée, il faut être franc. Cela a beaucoup changé. Il y a des choses qui se sont améliorées depuis, et il y en a d'autres qui vont plus mal, comme par exemple la lecture, qui ne s'est pas arrangée. Mais l'ennui à l'école est quelque chose quand même d'un taux moins élevé que de mon temps."
L'Education nationale va-t-elle un jour noter les profs ?
- "D'abord, on les note déjà, d'une certaine façon, puisqu'il y a des inspections. Après tout, la façon d'inspection est aussi de noter..."
Faut-il les rendre public ?
- "Cela ne me choquerait pas. En tout cas, à l'université, quand j'étais prof à Sciences-po, à Lyon, les élèves nous avaient notés une fois, avec l'accord du directeur qui avait organisé la chose. Cela ne me paraît pas entièrement absurde. En tout cas, ce n'est pas inintéressant d'observer les résultats des choses. Mais en même temps, il ne s'agit pas non plus d'instaurer la guerre entre les élèves et les profs, je ne crois pas que ce soit d'actualité."
Premier sujet fort de l'actualité, la violence à l'école. A La Garennes-Colombes, un prof agressé par coups de couteau, les profs ne reprennent toujours pas les cours. Que dites-vous à ces enseignants ?
- "D'abord, je leur dit que je les entends, que je les écoute, je suis à leurs côtés, on essaie de faire quelque chose. Le problème n'est évidemment pas facile à régler. Il faut quand même rappeler qu'il y a eu 81.000 incidents graves l'année dernière dans les établissements ; ce que l'on appelle des "incidents graves", ce sont des incidents qui sont à la limite de la qualification pénale, c'est-à-dire souvent des violences physiques, comme c'est le cas dans l'exemple que vous évoquez, qui est terrible. Donc, ce que je leur dis, c'est que nous sommes en train de mettre en place les moyens de restaurer l'autorité. Mais je ne connais pas malheureusement d'autorité sans sanction. Or, le problème auquel nous nous heurtons - il faut dire les choses comme elles sont -, c'est que les sanctions traditionnelles, les heures de colle que l'on a connues quand on était petits, le proviseur qui vous dit que vous êtes renvoyé trois jours, quand on était petits, c'était terrorisant, quand on était renvoyés trois jours, c'était une catastrophe dans les familles. Aujourd'hui, si vous dites cela à un élève comme celui qui a probablement agressé cette collègue, le gamin vous répond "merci monsieur, vous pourriez pas m'en donner quinze, parce que ça m'arrangerait !". Donc, la situation est là : c'est que les sanctions traditionnelles ne sont plus pertinentes. Alors, ce que nous proposons, c'est de retirer les élèves difficiles des classes. C'est pour cela que nous proposons, avec X. Darcos, les classes-relais et les ateliers-relais. Donc, retirer les élèves difficiles des classes, pour les envoyer ailleurs et les mettre dans un environnement pédagogique plus musclé et adapté à leur situation. Mais le vrai problème est là : c'est que toutes les sanctions traditionnelles sont devenues désuètes et inopérantes. Il faut vraiment qu'on invente quelque chose de nouveau, aux côtes des profs, avec eux. J'aimerais bien aussi - et je les rencontre sur le terrain pour cela - savoir ce qu'ils ont comme conseils à nous donner, ce qu'ils demandent eux."
Je voudrais que l'on parle de l'absentéisme scolaire. Là aussi, un rapport a été rendu avant-hier, avec 29 propositions. Parmi ces propositions, il y a l'abrogation de la suspension ou la suppression des allocations familiales versées aux parents. Etes-vous pour ou contre cette abrogation ?
- "Cela ne me paraît pas, a priori, la bonne voie, mais je n'ai pas encore lu le rapport moi-même. C'est toujours la même chose : la presse commente les rapports et ils sortent généralement avant que les ministres les aient sur leur bureau. Donc, je vais prendre le temps de le regarder de près. Pour l'instant, si je vous dis cela, c'est pour vous dire que ce n'est qu'un rapport ; ne confondons pas les rapports et les décisions du ministre, ce n'est quand même pas la même chose. Donc, je vais regarder cela de près, attentivement."
Mais est-il important d'abroger cette suspension ou cette suppression des allocations familiales ?
- "Je ne pense pas que ce type de punitions infligées aux parents soit la bonne solution. Je crois que le premier travail à faire, c'est de comprendre - et c'est ce que j'avais dit d'ailleurs au moment de cette commission - pourquoi les élèves sont absents. C'est quand même le problème de fond. Alors après, qu'on mette des sanctions, encore une fois, ce n'est pas moi qui vais être contre. Mais qu'on les mette en dernier recours et qu'on comprenne d'abord pourquoi il y a environ 100.000 enfants qui sont absentéistes chroniques. Et l'une des propositions que je fais depuis maintenant un certain temps, et que je mets en place pour des dizaines de milliers d'enfants, actuellement, dans les collèges, c'est-à-dire de leur permettre de découvrir les métiers dans les lycées professionnels. C'est aussi une réponse concrète à la question de l'absentéisme, mais également d'ailleurs à la question de la violence. Parce qu'il faut bien voir que des collégiens qui sont en rejet de l'école depuis un an, deux ans, trois ans, quatre ans parfois, soit ils deviennent "absentéistes" - je ne sais pas si le mot existe, il faudra vérifier ! -, soit ils deviennent violents. Donc, il faut évidemment leur proposer une vraie diversité de parcours. Il faut leur proposer des parcours dans lesquels ils réussissent quelque chose ; il faut donc leur ouvrir le lycée professionnel plus tôt, je crois que c'est vraiment une des solutions concrètes, sur le terrain, d'autant que ces lycées professionnels sont à la fois très bien équipés et souvent très passionnants pour les enfants."
C. Barbier : Est-ce que vous seriez partisan de mélanger les populations de toutes les écoles, en envoyant des bus, pour emmener les enfants d'une cité vers une autre ville, des centres-villes vers une cité ? Parce que c'est aussi la monotonie de leur environnement qui crée l'absentéisme et la violence.
- "C'est vrai que quand on regarde de près les chiffres de la violence dans les établissements - là vous touchez quelque chose de juste -, c'est que, très souvent, cela touche un petit nombre d'établissements, c'est-à-dire que les établissements "sensibles", comme on dit, c'est 10 % des établissements, peut-être même un peu moins, où se concentrent toutes difficultés. Donc, la mixité sociale, en principe, c'est la fonction de la carte scolaire. La carte scolaire est faite pour qu'il y ait un mélange dans les établissements..."
C. Barbier : Mais cela ne marche plus !
- "Le problème est que les journalistes, les profs, un certain nombre d'hommes politiques pratiquent le sport national, qui consiste à contourner la carte scolaire. Nous le faisons tous."
C. Barbier : On ne peut pas le reprocher aux parents.
- "On ne peut pas le reprocher aux parents mais, en tout cas, ce qui est clair, c'est que la plupart des élites, au sens sociologique du terme, je veux dire ceux qui sont considérés comme telles par les catégories de la sociologie, pratiquent ce sport national qui est le contournement de la carte scolaire. Je reçois des milliers de lettres de journalistes, de parents de l'élite, même d'hommes politiques, qui demandent qu'on contourne la carte scolaire."
Et vous répondez "non" ?
- "Je réponds "non". Et si elle a été beaucoup contournée dans les dernières années, cela explique ce que vous décrivez, c'est-à-dire l'apparition de lycées ou de collèges où toutes les difficultés sont concentrées."
Faut-il créer une nouvelle infraction dans le code pénal, des amendes pour les parents d'enfants fréquemment absents ?
- "On va y réfléchir. Je suis favorable à l'idée qu'il y ait une punition - d'ailleurs, elle existe déjà -, qu'il y ait un châtiment, une amende. Evidemment, il faut le faire, cela existe déjà. Mais je suis surtout favorable à ce que l'on utilise ce type de recours au dernier moment, c'est-à-dire qu'on essaie avant la médiation et surtout, qu'on essaie de comprendre pourquoi des enfants ont quitté l'école et qu'on essaie de leur proposer chaussure à leur pied. Voilà pourquoi je pense que les parcours en alternance sont aussi une réponse au sujet. Je vous dis cela, mais ce ne sont pas des phrases. Je connais personnellement des enfants qui ont quitté le collège depuis des mois, dont les parents sont fous d'angoisse, et qu'on a réussi à récupérer dans les établissements scolaires, en leur faisant découvrir un métier dans un lycée professionnel. Ce n'est pas du pipeau ce que je vous raconte, c'est la vérité. Donc, je pense que c'est la vraie solution. Mais maintenant, il est clair que si les parents sont responsables - et ils doivent l'être -, qu'ils n'ont pas pris la décision d'envoyer leur enfant à l'école, qu'ils s'en moquent, qu'on les punisse dans ce cas-là, je suis évidemment tout à fait pour. Mais ce n'est pas la solution première."
Il existe déjà des sanctions pour manquement à l'obligation scolaire, mais le délit n'est pas encore inscrit dans le code pénal, c'est toute la question... L'Education nationale est aussi parfois responsable de l'absentéisme. Avec les profs qui sont absents et des trous dans l'emploi du temps, cela peut aussi arriver ?
- "Ils sont beaucoup, beaucoup moins absents que mon collègue C. Allègre ne l'avait dit. On ne va pas reprendre la polémique sur les chiffres mais il s'était quand même trompé de moitié. Donc, je ne crois pas que ce soit le problème numéro 1. Les profs ne sont pas plus absents que les autres catégories de la population."
C. Barbier : Ils sont peut-être un peu plus découragés parfois ?
- "Franchement, honnêtement, j'entends souvent en effet de grands patrons ou de grands journalistes qui demandent ce que font ces profs, etc. J'aimerais bien les voir passer 48 heures dans un collège un peu difficile. Il en ressortirait en tutu, c'est ça le problème ! Donc, il faut bien voir qu'il faut être à côté des profs au lieu de les insulter et de les critiquer, et comprendre que leur métier est vraiment devenu très difficile. On a 5 % des jeunes agrégés, comme l'ami C. Barbier, qui démissionnent dans la première année. Quand on sait ce que c'est que de passer l'agrég', à quel point c'est difficile, cela veut dire que ces jeunes profs qui démissionnent dans la première année, c'est franchement qu'ils ne sont pas heureux de ce qui leur arrive. Donc, il faut réfléchir aussi à cela. Voilà pourquoi je pense que le problème de la violence dans les établissements ou de l'incivilité, c'est quand même le problème numéro 1 pour l'instant. Et que si on ne le règle pas, c'est que dans toutes les disciplines où il y aura une alternative dans le privé, notamment dans les disciplines scientifiques ou les langues, on aura un déficit terrible d'enseignants et de vocation. C'est donc un vrai problème pour les dix ans qui viennent."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 janvier 2003)