Interviews et point de presse de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, à RTL le 12 avril 2003 et à la chaîne de télévision "Al Arabeia" le 13 à Beyrouth, sur l'avenir de l'Irak après la chute de Saddam Hussein et l'urgence d'un règlement du conflit israélo-palestinien.

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Circonstance : Tournée de M. de Villepin au Moyen-Orient du 11 au 13 avril 2003-au Caire (Egypte) le 11 et 12-à Damas (Syrie) le 12-à Beyrouth (Liban) le 12 et 13-à Riyad (Arabie saoudite) le 13

Média : Al Arabeia - Emission L'Invité de RTL - Presse étrangère - RTL - Télévision

Texte intégral

(Interview à RTL à Beyrouth, le 12 avril 2003) :
Q - Est-ce que vous n'avez pas eu un peu peur de froisser l'Amérique ?
R - Pas du tout. D'autant moins que chacun se rend bien compte que ce moment là est décisif pour le Moyen-Orient. Il y a cette crise si douloureuse pour l'Irak. Il y a ce sentiment d'injustice, cette inquiétude profonde que ressent l'ensemble du Moyen-Orient. Bien sûr, il y a une opportunité, il y a l'effondrement du régime de Saddam Hussein, mais au-delà il y a un avenir à décider et pour ce faire, il faut une volonté qui s'exprime et qui implique toute cette région, qui implique l'ensemble de la communauté internationale. Dans ce contexte, aller parler avec chacun des Etats, parler avec les Egyptiens, parler avec les Syriens voisins de l'Irak sur une inquiétude particulière aujourd'hui, c'est essentiel. Si nous voulons que cette communauté régionale avance avec nous, respecte les règles du jeu que nous considérons comme essentielles, partage les principes qui sont les nôtres, il faut nourrir ce dialogue. J'ai trouvé des interlocuteurs syriens très attentifs, très soucieux d'essayer d'accompagner un mouvement, d'accompagner une ouverture, à partir des principes communs qui sont ceux de la communauté internationale. C'est tout le sens justement de ce dialogue si important aujourd'hui à nouer avec chaque Etat de cette région.
Q - Même dans ce contexte délicat par rapport aux menaces américaines, par rapport à la Syrie ?
R - Surtout dans ce contexte délicat ! Qu'est ce que j'ai dit aux Syriens ? L'importance de la retenue, l'importance de la modération, l'importance d'oeuvrer ensemble pour avancer, pour contribuer à la stabilité de la région. Il y a là évidemment des arguments auxquels non seulement ils sont sensibles, mais qu'ils partagent. Chacun souhaite que le Moyen-Orient puisse retrouver la paix. La question c'est : par quel moyen ? Nous nous rendons compte qu'il y a un formidable défi à relever pour l'Irak. Un défi humain, quand on voit la douleur qui s'exprime, un défi social, un défi économique, un défi politique. Nous avons besoin de cette légitimité que peut donner la région mobilisée, toute cette région, à un processus politique en Irak. C'est une donnée à laquelle évidemment nous voulons contribuer avec tous nos partenaires américains, toute la communauté internationale. Nous n'oublions pas la région. On ne peut pas rebâtir l'Irak, on ne peut pas construire la paix en Irak sans s'appuyer sur les efforts de la région.
Q - Je vous vois très actif sur le terrain, je ne peux pas m'empêcher de penser à Nicolas Sarkozy qui est lui également très actif sur le terrain et fait partie du même gouvernement. C'est une même école ?
R - C'est un même appétit ! Nous faisons partie tous d'un gouvernement de mission. C'est la feuille de route que nous a donnée Jean-Pierre Raffarin, c'est l'objectif que nous a fixé le président de la République, et nous sommes tous désireux d'apporter notre contribution. D'abord, parce que nous croyons qu'il y a une attente des Français : plus de sécurité, faire en sorte que la France soit entendue et écoutée dans le monde, que la France participe à la recherche de la paix. C'est une mission extrêmement exaltante et puis il y a cette inquiétude qui s'exprime partout sur la planète. Et je pense que les ministres de ce gouvernement ont peut-être plus confiance parce que nous voyons bien que c'est une époque unique, exceptionnelle, une époque difficile, une époque parfois dangereuse qui implique qu'on se mobilise complètement. Vous parlez de Nicolas Sarkozy : il fait un travail courageux, il fait un travail difficile. Il le fait jour après jour en essayant d'avancer, de regarder devant et de servir les Français. J'ai la même ambition pour la politique étrangère. Je le fais au quotidien avec le Premier ministre. Je le fais au quotidien sous la direction du président de la République. Et aujourd'hui être en Syrie, être au Liban, être en Egypte, être demain en Arabie saoudite, c'est porter la parole de la France et j'ai une immense fierté, parce que je sais que les Français, sont ceux-là mêmes qui donnent aujourd'hui cette force, qui nous donnent cette ambition. Les Français veulent regarder vers le monde, les Français veulent que la France compte dans le monde. Pourquoi ? Parce que la France se bat avec des principes, la France se bat avec des convictions, la France sert une certaine morale internationale et c'est cet ordre mondial qu'il nous faut bâtir. Nous ne le faisons contre personne. Nous le faisons pour le droit, nous le faisons pour la morale, avec la volonté d'essayer de bâtir une société plus juste, un ordre plus pacifique. C'est là une grande ambition pour la France et pour ceux qui veulent la servir.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 avril 2003)
(Point de presse à Beyrouth, le 13 avril 2003) :
Permettez-moi tout d'abord de vous dire combien je suis heureux d'être aujourd'hui à Beyrouth, d'avoir pu rencontrer le président de la République libanaise, d'avoir pu évoquer les questions qui nous préoccupent avec le président Lahoud, d'avoir pu le faire aussi avec le président du Conseil des ministres, M. Hariri, ainsi qu'avec le président de la Chambre des Députés, M. Nabih Berry.
Après un dîner qui nous a permis d'évoquer toutes ces préoccupations avec mon collègue et ami, M. Hammoud, nous avons pu encore ce matin poursuivre ces conversations. Aujourd'hui, chacun le voit bien, le Moyen-Orient est confronté à des questions décisives. Aucune crise ne peut être isolée et notre préoccupation, notre inquiétude se trouve bien sûr en direction de l'Irak, en direction du peuple de l'Irak, mais aussi en direction du conflit israélo-palestinien, avec la même volonté, le même désir d'apporter une contribution à la paix. Il est apparu important à la France de venir, en ce moment difficile, pour se concerter avec ses amis de la région. Je l'ai fait hier en Egypte et à Damas, aujourd'hui à Beyrouth, tout à l'heure à Riyad et je reviendrai dans les prochains jours pour me concerter avec les autres pays de la région, parce que dans cette période il est essentiel que la concertation et le dialogue l'emportent si nous voulons pouvoir oeuvrer tous ensemble au règlement des questions difficiles.
Bien sûr, la visite au Liban a pour moi et pour la France une signification particulière. On l'a dit et redit, le Liban est une porte d'entrée, un pont entre l'Occident et l'Orient. Pour la France, ce n'est pas seulement une porte de l'histoire, ce n'est pas seulement une porte de la géographie, c'est - vous le savez - une porte du coeur. Les hautes voix libanaises qui nous inspirent et qui vivent en nous et qui vivent en bien des Français sont un élément important de notre culture. Je pense à Khalil Gebran, je pense évidemment à des hautes figures comme Nadia Tueni, je pense à Georges Shéhadé. Je veux que vous sachiez à quel point cette présence libanaise est importante pour la culture française et pour le peuple français.
Avec mes interlocuteurs, j'ai évoqué les deux conflits majeurs qui sont évidemment au coeur des problèmes de la région. Bien sûr l'Irak, pour réaffirmer que plusieurs principes doivent guider notre action : d'abord le rôle central des Nations unies, à la fois dans le domaine humanitaire, mais aussi dans la reconstruction économique et politique du pays. L'unité, l'intégrité territoriale de l'Irak sont aussi des principes essentiels, ainsi que la protection des ressources naturelles de ce pays dont les Irakiens doivent rester maîtres. Voilà les grands principes auxquels nous devons rester fidèles. Nous avons deux préoccupations immédiates : répondre à l'urgence humanitaire, cela implique que nous avancions sur les questions de sécurité. Dans ce domaine, vous connaissez la responsabilité particulière qui est celle des forces présentes sur le terrain ; c'est le droit international ; c'est le droit humanitaire. Il est donc important que celui-ci soit respecté. Il est indispensable également - et c'est la deuxième préoccupation - de parvenir très rapidement à la levée des sanctions dans le respect des résolutions du Conseil de sécurité. La situation en Irak avec la chute du régime de Saddam Hussein a profondément changé. Il faut bien sûr en prendre acte. Les inspecteurs doivent pouvoir constater au plus tôt le désarmement de l'Irak.
Quant à l'avenir de l'Irak, nous souhaitons travailler dans un esprit ouvert, constructif. Dès que possible, il faut qu'un gouvernement reconnu par la communauté internationale, rassemblant l'ensemble des parties et des forces irakiennes, puisse se mettre en place. Nous avons deux objectifs majeurs : d'une part, la souveraineté et le bien-être du peuple irakien ; d'autre part, la stabilité de la région. La stabilité de la région, la paix de la région, elle n'est pas divisible, pas plus que le sentiment d'injustice qu'éprouvent souvent les peuples arabes. Ceci implique que nous soyons particulièrement actifs sur cet autre dossier au coeur de nos préoccupations, qui est le conflit israélo-arabe.
J'ai proposé hier au Caire cinq étapes pour avancer dans la voie d'un règlement sur la base des résolutions du Conseil de sécurité, sur la base du principe qui a été posé à Madrid, celui de la terre contre la paix.
Première étape : une mise en oeuvre sans délai de la feuille de route du Quartet. Deuxième étape : une trêve et un référendum des peuples palestinien et israélien en faveur de la paix. Troisième étape : une contribution internationale pour rétablir les services publics palestiniens. Quatrième étape : une conférence internationale qui se situe, vous le savez, dans le cadre de la feuille de route. Enfin, une pleine prise en compte de l'échéance de juin 2005 pour la reconnaissance de l'Etat palestinien. Il va de soi qu'un règlement juste devra apporter une solution satisfaisante à la question des réfugiés palestiniens. Nous n'oublions pas le volet israélo-syrien et le volet israélo-libanais. Le Liban est un acteur important pour tout règlement du conflit. Il ne peut y avoir de paix durable que si cette paix est globale. Sur le plan bilatéral, j'ai réaffirmé la volonté de la France de se tenir aux côtés du Liban pour l'aider à poursuivre dans la voie de son redressement. Beaucoup d'efforts, beaucoup de progrès ont été faits. La Conférence de Paris-2, couplée avec les efforts de réformes et le programme qui a été engagé par le gouvernement libanais, a permis une nette amélioration de la situation économique libanaise. Nous soutenons bien sûr la poursuite de ces efforts qui permettront au Liban de retrouver tout son rôle économique.
Q - Monsieur Le Ministre, comment considérez-vous les menaces israéliennes contre le Liban, surtout la violation de l'espace aérien libanais et les menaces américaines contre la Syrie pour différentes causes, dont le soutien de la Syrie au Hezbollah au Liban-Sud ?
R - Bien évidemment, vous me donnez l'occasion de réaffirmer la pleine souveraineté libanaise. Cette souveraineté doit être respectée par tout le monde et bien sûr par Israël. Sur les menaces que vous évoquez, je crois qu'il faut, avec lucidité, regarder la situation de la région. Nous faisons face à une situation de crise. Nous faisons face à des défis complexes. Je crois que dans ces périodes là, il est important que la concertation, que le dialogue, puissent l'emporter. L'esprit qui est le mien aujourd'hui, c'est celui du dialogue. Ma conviction est que cette concertation et ce dialogue sont nécessaires entre les pays de cette région, comme avec l'ensemble des grands acteurs internationaux particulièrement. Evitons les procès d'intention, évitons les polémiques. Les difficultés sont suffisamment grandes à régler et nous mobilisent tous. Elles doivent nous permettre ensemble de trouver les voies d'une solution. Nous savons tous que sans l'appui de tous les peuples de la région, il n'y aura pas de reconstruction possible de l'Irak. Sans l'appui de toutes les forces irakiennes, il n'y aura pas de perspective de redressement et de reconstruction de l'Irak. Sans l'appui de toute la communauté internationale, nous ne trouverons pas le chemin pour appuyer et encourager les efforts que peut engager aujourd'hui le peuple irakien. Aujourd'hui, il y a un espoir après la chute du régime de Saddam Hussein. Cet espoir du peuple irakien, il faut en faire la véritable victoire. Pour que le peuple irakien puisse connaître la victoire, il faut être capable de construire la paix. Je crois que c'est un objectif suffisamment ambitieux, suffisamment noble pour que nous le poursuivions avec constance, sans chercher à poursuivre d'autres sujets, sans chercher à engager d'autres chevaux de bataille. Il y a là des sujets suffisamment difficiles pour qu'ils nous concentrent et nous mobilisent tout entier.
Q - Il y a quelques semaines, exactement le 20 mars, le ministre Salamé avait développé la théorie Wolfowitz dans nos colonnes, en évoquant le mur de Berlin et l'effet domino que cela entraînerait sur les pays de la région. Il y a trois jours, M. Rumsfeld avait officialisé cette théorie Wolfowitz du mur de Berlin. Est-ce que la France accorde un crédit à cette théorie-là ? Est-ce qu'elle cautionne ce genre d'analyse ? Est-ce qu'elle partage le point de vue des Etats-Unis sur l'éventuelle démocratisation de la région après celle de l'Irak ? Est-ce que, à la lumière des accusations répétées et quotidiennes des Etats-Unis contre la Syrie, Paris qui a toujours souhaité, voire appelé à la souveraineté totale du Liban, soutiendrait une demande de Washington appelant la Syrie à évacuer et "détutéliser" le Liban ?
R - En ce qui concerne l'avenir de la région, l'importance d'être fidèles aux idéaux de liberté, la recherche de la démocratie : bien sûr nous partageons cet objectif. Encore faut-il s'entendre sur la meilleure façon d'atteindre cet objectif. On ne dicte pas la démocratie, on ne l'impose pas de l'extérieur. Elle a besoin d'être accompagnée, portée par l'ambition des peuples. Elle a besoin d'être fidèle à la tradition, à la culture et se faire donc dans le respect de chacun des peuples de la région. Il y a là une grande ambition. Nous devons faire en sorte que dans le respect de chacun et avec le souci de poursuivre l'objectif de paix, de stabilité, de justice, nous soyons tous mobilisés pour le faire. Nous voyons très clairement aujourd'hui que cet objectif de paix, de stabilité, de justice va demander de grands efforts pour chacun d'entre nous. De grands efforts en Irak, de grands efforts dans le conflit israélo-arabe. Voilà des défis extrêmement difficiles. Il n'y a pas de solution magique. Il n'y a pas d'épidémie contagieuse possible de démocratie. La démocratie, cela demande ténacité, constance, effort. Cela demande une prise en compte solide de la réalité, de la réalité des peuples, de la réalité des situations. Cela demande surtout l'unité de la communauté internationale. Il faut que, tous ensemble, nous soyons capables d'unir nos efforts, dans la confiance et non pas dans la division. Je crois que c'est une feuille de route pour la communauté internationale à laquelle il nous faut donner vie si nous voulons poursuivre et atteindre cet objectif. Vous parlez de la situation du Liban, vous connaissez bien la position de la France, notre volonté de voir la pleine application des Accords de Taëf, notre volonté de prendre en compte bien sûr les réalités quotidiennes, les difficultés de la vie quotidienne. Nous voulons croire que les processus qui sont engagés assureront et garantiront cette évolution vers la parfaite souveraineté dont nous parlons.
Q - Monsieur de Villepin, est-ce que la France possède des informations concernant la cause de cette chute soudaine et rapide du régime de Saddam Hussein et la disparition de tous les responsables irakiens du jour au lendemain et est-ce que vous possédez de nouvelles informations sur l'endroit où se trouve Saddam actuellement ?
R - Sur la chute du régime de Saddam Hussein, comme toute la communauté internationale, nous ne pouvons que nous réjouir de la chute d'une dictature. Sur les causes de cet effondrement, nous laisserons à la fois aux journalistes et aux historiens le soin d'avancer des explications. Ce qui est important dans l'immédiat, c'est de faire face à la situation nouvelle créée en Irak, d'apporter une réponse aux inquiétudes du peuple irakien, de faire en sorte que cet espoir puisse trouver une confirmation. Je le dis une fois de plus, l'important c'est d'obtenir une victoire pour tout le peuple irakien et pour cela il faut répondre aux urgences, répondre aux problèmes humanitaires, répondre aux problèmes de sécurité, avancer dans la voie d'une reconstruction de l'Irak, faire en sorte que véritablement le chemin qui soit tracé réponde à l'ensemble des préoccupations et des besoins du peuple irakien. Il y a là une tâche immense. La France l'a dit et je le redis aujourd'hui : seules les Nations Unies peuvent apporter la capacité, la légitimité pour mener à bien une si lourde tâche.
Q - Est-ce que vous avez essayé de convaincre les responsables libanais d'accepter la feuille de route maintenant parce qu'ils ont des réserves là-dessus ?
R - Je laisserai à nos amis libanais le soin de répondre à cette question. Tout ce que je peux dire, c'est l'urgence qu'il y a d'avancer dans la recherche d'un règlement. Le temps qui passe, le sentiment d'injustice qui se développe dans le monde arabe, tout cela est évidemment une source de préoccupation pour toute la communauté internationale. Il faut que chacun soit bien conscient que les préoccupations aujourd'hui de l'ensemble des peuples de la région sont des préoccupations que nous partageons, nous Européens et nous Français. La proximité qui existe entre l'Europe, la France et cette région font que la recherche de solution, c'est un intérêt commun. Et nous devons donc travailler et avancer ensemble dans cette voie et la concertation que j'ai pu avoir aujourd'hui avec les autorités libanaises a été particulièrement utile et fructueuse.
Q - Quelle est la position de la France sur les accusations lancées par les Etats-Unis contre la Syrie ?
R - Nous avons eu de nombreuses occasions de répondre à cette question. Nous considérons qu'aujourd'hui, nous sommes confrontés à un très grand nombre de problèmes dans cette région, celui de régler la situation en Iraq, de reconstruire l'Iraq et de servir les objectifs de la population irakienne, l'objectif aussi d'oeuvrer en faveur de la paix au Proche-Orient et de trouver des solutions à la crise entre Israël et les pays arabes. Ce sont là des défis très importants. Pour trouver une voie, une voie commune, qui donnera de la crédibilité aux solutions que nous chercherons, nous devons prendre des mesures en concertation, nous avons besoin d'un dialogue entre tous les pays de la région et la communauté internationale, avec l'Europe, avec les Etats-Unis. L'heure n'est pas à la polémique, le moment est venu de travailler ensemble et je crois que les entretiens que j'ai eus hier au Caire et à Damas, aujourd'hui au Liban, et ceux que j'aurai dans quelques heures à Riyad, sont tout à fait utiles. Cela vous permet de mieux comprendre les problèmes, l'anxiété des peuples de la région. Il faut en tenir compte. Je crois que l'heure est à la concertation, au dialogue, et nous devons veiller à investir toute notre énergie pour essayer de trouver des solutions, parce que des problèmes, nous en avons bien assez.
Q - Après la guerre en Irak, est-ce vous prévoyez une autre guerre dans la région ?
R - Nous l'avons dit à plusieurs reprises et le président Chirac l'a rappelé très fortement quand il s'est exprimé disant que le Moyen-Orient n'avait pas besoin d'une nouvelle guerre. Et bien cette guerre, elle a eu lieu. Il faut maintenant que nous fassions en sorte que la région puisse retrouver un horizon, retrouver une perspective. Une nouvelle fois, je le redis : que le peuple irakien puisse véritablement obtenir la victoire qu'il mérite ; cette victoire qu'il faut pouvoir l'aider à trouver, c'est la paix, c'est la stabilité, c'est l'unité, c'est la souveraineté de son pays. Nous voyons bien que le défi pour l'Irak est immense, nous le voyons parce que la justice, la paix ne sont pas divisibles. Il faut que ce qui est fait ici soit aussi fait là. Il faut donc travailler aussi sur la recherche d'un règlement pour le conflit israélo-palestinien. Tout ceci doit nous mobiliser. C'est une tâche immense, alors on peut toujours imaginer que l'emploi de la force pourra avoir quelque bénéfice. Nous ne le croyons pas. Nous croyons qu'il y a aujourd'hui une volonté commune partagée par tous les pays de la région d'avancer, de travailler ensemble. A nous aussi d'apporter notre contribution. A nous, la France, aux pays européens, à l'ensemble de la communauté internationale, aux Etats-Unis, de prendre la mesure et le besoin de cette concertation, de ce dialogue indispensable parce qu'on ne pourra pas reconstruire, on ne pourra pas obtenir la paix dans cette région sans associer pleinement tous les pays, sans associer pleinement toute la communauté internationale. C'est pour cela que nous pensons que le processus de légitimité en Irak est si important. Bâtir une légitimité nationale, créer les voies d'une autorité irakienne légitime, cela implique évidemment d'associer l'ensemble des parties, de soutenir cette légitimité, de la conforter par l'ensemble des pays de la région pour bâtir une légitimité régionale qui accompagne ce processus. Pour faire vivre cette légitimité nationale irakienne, nous avons besoin bien sûr que la légitimité internationale la consacre. Cette légitimité internationale ne peut être obtenue qu'avec le soutien de toute la communauté internationale. Les Nations unies sont le cadre naturel et nécessaire pour pouvoir offrir cette légitimité.
Merci beaucoup.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 avril 2003)
(Interview à la chaîne de télévision Al Arabeia, à Beyrouth, le 13 avril 2003) :
Q - Je dois vous remercier pour ce petit entretien exclusif pour Al Arabeia. Nous sommes derrière ce qu'on peut appeler le jour d'après : rôle vital pour l'ONU selon MM. Bush et Blair, rôle central selon le Sommet de Saint-Pétersbourg. Alors quelle est la différence ? Et est-ce que vous pouvez imposer une initiative politique ? Vous n'avez pas pu éviter la guerre, est-ce que vous pouvez imposer ce rôle des Nations unies ?
R - Nous l'avons souvent dit. Un pays peut espérer gagner seul une guerre. On ne gagne jamais seul la paix. Tout simplement parce que, dans la paix, il y a plusieurs défis qui comptent. Le premier c'est celui de la légitimité. Pour bâtir une légitimité nationale en Irak, il faut toutes les parties et il faut l'appui de la communauté internationale pour fonder cette légitimité. L'appui de la communauté internationale, il ne peut être obtenu que par la communauté internationale rassemblée. Il n'y a pas d'autre organe de légitimité que les Nations unies. On n'imagine pas que l'autorité irakienne puisse être reconnue par les uns et pas par les autres. Il faut donc que son processus de légitimité soit véritablement porté par tous. D'autre part, au-delà de la question de la légitimité, il y a la question importante de l'efficacité. Nous souhaitons tous être efficaces. Nous souhaitons tous que la reconstruction économique, sociale, administrative de l'Irak puisse être entreprise. Est-ce que chacun a bien en tête la réalité des besoins de la reconstruction de l'Irak ? Est-ce qu'un pays seul, quelques pays, peuvent imaginer répondre aux besoins de l'Irak ? Est-ce qu'il n'est pas nécessaire d'unir les efforts de toute la communauté internationale et d'y associer l'ensemble des organisations internationales, le Fonds monétaire, la Banque mondiale ? Il faut que la légitimité internationale se soit prononcée. Il faut que les Nations unies soient au coeur de ce dispositif. C'est pour cela que nous parlons du rôle central. Nous nous sommes félicités que les Américains et les Anglais aient parlé de rôle vital, alors on nous demande : quelle est la différence ? Je réponds : la différence c'est l'épaisseur qu'il peut y avoir dans la réalité, dans la légitimité et dans l'efficacité. Il ne faut pas que nous sous-estimions le besoin d'efficacité. Il ne faut pas sous-estimer le besoin de légitimité. Nous pensons que cette légitimité doit être forte. Nous pensons que l'efficacité doit être grande et nous pensons qu'il faut regarder les yeux ouverts la situation de l'Irak pour mesurer les difficultés, maintenir l'unité de l'Irak, faire travailler ensemble toutes les parties irakiennes, l'ensemble des populations de l'Irak. C'est un grand défi. Toute la communauté internationale ne sera pas de trop. Il y a aujourd'hui la chute du régime de Saddam Hussein. Il y a un espoir. Et du côté du peuple irakien, un espoir. Il faut obtenir une grande victoire pour le peuple irakien. Cette grande victoire, elle ne pourra pas être obtenue sans le concours de tous. Et quand vous êtes dans une situation nouvelle comme celle que connaît aujourd'hui l'Irak, il faut rassembler, il faut s'unir, il faut faire taire les divisions d'hier, il faut regarder vers l'avenir, il faut faire preuve de pragmatisme, d'ouverture. Il faut mettre au-delà de toute chose le besoin de paix et de stabilité de la région.
Q - Cet espoir, ce sont les Américains et les Anglais qui l'ont, ce n'est pas la communauté internationale, ce ne sont pas les Etats-Unis ?
R - Les Américains et les Anglais ont décidé de s'engager dans une guerre. Cette guerre nous ne pensions pas qu'elle était nécessaire. Nous pensions qu'il était possible d'avancer dans la voie du désarmement pacifique de l'Irak, sans avoir recours à la guerre. Nous savons tous ce qui accompagne la guerre et nous l'avons dit. Les injustices, les drames humains, et puis ce vertige, cette situation dans laquelle se trouve aujourd'hui l'Irak. Il faut sortir de cette situation. Pour sortir de cette situation il faut construire, il faut bâtir. Aujourd'hui, tout est à faire en Irak. Tout est à faire ! Et le pire serait de décevoir les Irakiens. C'est pour cela que je dis qu'il n'y a pas d'autres solutions pour la communauté internationale que de suivre, si l'on veut éviter cette déception, cette frustration, et il en va de même pour le sentiment d'injustice : la justice et la paix ne se divisent pas. Ce qui est vrai pour l'Irak doit être vrai pour l'ensemble de la région et les peuples de la région le ressentent profondément. C'est pour cela qu'il faudrait être mobilisés aussi pour le règlement de la paix au Proche-Orient.
Q - Le problème, c'est que les peuples ne ressentent pas que les Américains soient sensibles à leur injustice justement. On parle encore d'une autre guerre, on parle d'un élargissement de la campagne américaine vers d'autres pays de la région, à commencer par la Syrie. Vous étiez à Damas hier. Que doit faire justement la Syrie pour éviter d'être prise dans cet engrenage ?
R - Elle doit faire ce que doit faire toute la communauté internationale : faire preuve de responsabilité, avancer et oeuvrer dans la concertation avec l'ensemble des pays de la région et l'ensemble de la communauté internationale. Il faut bien évidemment, et nous l'avons évoqué avec les dirigeants syriens, dans cette période si décisive, si importante, la Syrie doit faire preuve de retenue, de modération. Il est important que chacun utilise toute son énergie pour avancer. Nous avons eu l'occasion de le dire aux Américains. Nous en avons parlé avec nos amis anglais. Il est essentiel, dans une période aussi difficile, de ne pas poursuivre trop de buts à la fois, de ne pas ajouter à la complexité de la situation. Aujourd'hui, il y a une tâche difficile en Irak. Aujourd'hui, il y a un sentiment d'injustice dans la région sur le conflit israélo-arabe. Concentrons-nous sur la réalité des sujets. Concentrons-nous sur les défis à surmonter. Il y a suffisamment de problèmes, cherchons des solutions.
Q - Qu'est-ce que demandent les Américains au juste aux Syriens ? Est-ce qu'ils ont des demandes assez précises, à part la modération, frapper par exemple ce qu'ils appellent, eux, les intégristes ?
R - La préoccupation de la communauté internationale, ce sont des préoccupations générales. Elles se sont exprimées sur la scène internationale depuis plusieurs années. Nous voyons bien qu'il y a des difficultés qu'ensemble nous devons surmonter. Qu'il s'agisse de questions de terrorisme, de prolifération, qu'il s'agisse des crises régionales. La Syrie occupe une place importante sur l'échiquier du Moyen-Orient, pays frontalier avec l'Irak, pays qui joue un rôle important dans le processus de paix qui doit s'engager entre Israël et les pays arabes. C'est un pays qui doit donc apporter toute sa contribution. C'est un pays qui a engagé une politique d'ouverture et de réforme et nous attendons évidemment de la Syrie qu'elle s'engage résolument et qu'elle continue de s'engager dans cette politique de mouvement. C'est dans ce cadre régional, dans le cadre du dialogue avec la communauté internationale, que nous trouverons ensemble le chemin. Je tiens à noter - il ne faut pas l'oublier - que la Syrie a voté, avec tous les membres du Conseil de sécurité, la résolution 1441. C'est un point important. La Syrie a voté la résolution adoptée à l'unanimité, la résolution 1472, répondant à l'urgence humanitaire en Irak. Je crois que, par la concertation et par le dialogue, en avançant ensemble résolument nous trouverons les voies de la solution. Rien ne sert de pointer des doigts accusateurs. Je crois que, dans la période actuelle, cela ne mène à rien.
Q - Monsieur le Ministre, vous étiez au Caire, et vous avez parlé d'un plan en 5 points. Quelle est la différence avec la feuille de route américaine ? Et est-ce que ce plan est une initiative française de processus de paix ? Vous avez parlé de conférence internationale...
R - Tout à fait, qui est inscrite d'ailleurs dans la feuille de route. C'est totalement complémentaire et cela vient en appui bien sûr de cette feuille de route. La feuille de route fixe un certain nombre d'étapes. Nous, notre souhait c'est de faire en sorte que cette feuille de route, non seulement soit publiée, mais soit mise en oeuvre rapidement. Mise en oeuvre, parce que nous voyons bien tous les jours qu'il y a urgence. Pour cela il faut être concrets, il faut donc essayer d'appuyer les étapes de la feuille de route par des mesures concrètes. Nous avons parlé d'une trêve, parce qu'il faut bien commencer à faire la paix. Nous avons parlé d'un référendum, parce qu'il faut marquer la volonté des peuples, tant du côté israélien que du côté palestinien. Nous avons parlé d'appui technique permettant d'accompagner le processus de réforme du côté palestinien. Il y a besoin d'un concours international pour accélérer encore ce processus de réforme. Nous parlons de conférence internationale, car si toutes les forces de la région, si toutes les forces internationales ne mettent pas leur énergie pour soutenir ce processus, ce processus n'avancera pas ou n'avancera pas suffisamment vite. Et disons simplement, la justice n'est pas divisible. L'espoir devrait être partagé par tous les peuples de la région. Il est temps qu'on prenne la mesure de l'ensemble des problèmes du Moyen-Orient et qu'on cherche à les régler dans un même élan. Il faut faire face aux urgences en Irak, il faut faire face aux urgences aussi dans ce conflit si dramatique entre Israël et les peuples de la région.
Q - Qu'est-ce que vous voulez faire en face des Etats-Unis, dans la région ?
R - Nous pouvons d'abord marquer la légitimité absolue des principes. On ne peut pas construire la paix, on ne peut pas construire un ordre mondial sans des principes forts. Or, vous l'avez constaté tout au long de ces derniers mois, l'immense majorité de la communauté internationale veut s'appuyer et se fonder sur des principes. Ne l'oubliez pas, il n'y avait qu'un peu plus de trois voix, trois voix et demi, peut-être quatre voix qui souhaitaient soutenir un éventuel envoi de la force au début de l'année. Aucune voix n'a basculé, aucune voix n'a changé. Le même rapport de force existait au Conseil de Sécurité. C'est dire que la communauté internationale est rassemblée. Les peuples du monde sont rassemblés autour de cet objectif. Il y a un principe incontournable en matière internationale, c'est la réalité. La réalité qui s'impose à nous tous. Et si nous voulons être efficaces il ne faut pas s'en éloigner trop. C'est aujourd'hui ce qui doit nous rassembler : les difficultés. Je l'ai dit un pays peut gagner seul une guerre, on ne peut pas gagner seul la paix. Nous voyons la complexité de l'Irak. Aujourd'hui, notre souhait c'est de travailler avec les Etats-Unis, de trouver par la concertation, par le dialogue, le moyen de contribuer ensemble à la stabilité de cette région. Les défis du monde, je l'ai dit tout à l'heure : le terrorisme, la prolifération, les crises régionales, n'ont pas disparu. Ce n'est pas parce qu'il y a un changement de régime à Bagdad que tous ces problèmes sont supprimés. Ces problèmes sont là. Et pour les traiter, regardez la prolifération, la prolifération dépasse le cadre de l'Irak La Corée du Nord ? Comment faire pour régler toutes ces questions ? Comment faire pour régler ces questions sans que la communauté internationale soit unie ? Un pays seul ne peut pas organiser tout cela et c'est pour cela que nous défendons l'idée d'un monde multipolaire. Le Sommet de Saint-Pétersbourg l'a rappelé. Il y a aujourd'hui une volonté forte pour organiser le monde à travers des relations de dialogue, de coopération, de respect, à travers de grands pôles de stabilité et je le dis parce que cette semaine qui va s'ouvrir est une semaine importante pour l'Europe. Lundi, les ministres de l'Union européenne se réuniront à Luxembourg, puis les chefs d'Etat et de gouvernement se réuniront à Athènes. Il est important que l'Europe puisse avoir une position commune, une position commune sur l'Irak, sur sa reconstruction, une position commune et une volonté commune sur le processus de paix israélo-palestinien. Je peux vous dire qu'entre la position de la France et la position de tous nos amis européens, aujourd'hui, il y a une grande communauté de vues. J'ai rencontré mon collègue et ami britannique, Jack Straw, il y a quelques jours ; j'ai rencontré ma collègue espagnole, mon collègue italien. Je crois que nous avons tous la même vision de la reconstruction. Et que l'Europe puisse s'exprimer, que l'Europe puisse se faire entendre, je crois que dans la concertation nous avancerons d'un même pas. Nous devons évidemment respecter le temps des choses. Aujourd'hui l'urgence en Irak, c'est la situation humanitaire et la sécurité. Pour la sécurisation, évidemment, les forces présentes sur le terrain ont une responsabilité particulière. Elles doivent l'exercer. C'est le sens du droit international, à travers la 4ème Convention de Genève. Pour ce qui est de la reconstruction, il faut la légitimité et l'efficacité, c'est dire que les Nations unies et l'Europe doivent jouer un rôle central.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 avril 2003)