Déclaration de M. Noël Mamère, député des Verts, sur la position des Verts sur la situation en Irak, à l'Assemblée nationale le 26 février 2003.

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Monsieur le président, chers collègues
Parce que nous considérons que cette guerre est illégitime, parce que nous croyons que les peuples et les nations ont le droit de définir leur politique, sans être soumis à l'hégémonie politique et militaire des grandes puissances, parce que nous refusons que cette guerre soit déclarée et menée en notre nom, permettez moi, au nom des Verts d'approuver ici la position de la France défendue jusqu'à ce jour par le Président de la République et le ministre des affaires étrangères contre une guerre décidée de façon unilatérale par une hyper puissance. Quand l'avenir du monde est en jeu, quand il s'agit de la paix ou de la guerre, il n'y a plus de place pour la politique politicienne. Et quand une posture politique est juste, il faut le dire clairement et simplement.
Cette guerre de l'administration Bush contre l'Irak vise d'abord à sauvegarder le mode de vie nord-américain, fondé sur la consommation et le gaspillage. Bien qu'ils ne représentent que 5 % de la population mondiale, les Etats-Unis consomment 25 % de l'énergie du globe. La consommation de pétrole, par habitant et par an, y est deux fois plus importante que dans l'Union européenne et le Japon réunis. Le choix de ce modèle de développement est non seulement une insulte aux pays du Sud mais aussi un mépris de l'Europe qui sur le plan de l'énergie commence à rompre avec le modèle du "tout pétrole ". A cet égard, le refus de l'administration Bush de signer le protocole de Kyoto montre la différence culturelle qui sépare l'hyperpuissance américaine du modèle européen.
L'invasion de l'Irak constituera le premier test de la nouvelle doctrine de " l'action préventive ", selon laquelle les Etats-Unis s'arrogent le droit d'envahir des pays et de renverser des gouvernements hostiles à leurs intérêts. Ce n'est pas seulement la perspective d'une guerre dévastatrice qui est en jeu mais l'organisation méthodique de la mondialisation impériale, sur la base de la primauté de l'ordre américain dans tous les domaines. Parce qu'elle se nourrit des conséquences des inégalités Nord-Sud, liées à la globalisation libérale, et de l'alibi de la lutte contre le terrorisme, cette guerre globale est sans limites temporelles ni terrestres.
Il va vous falloir choisir entre un leadership américain dans tous les domaines et un mode fondé sur une gouvernance multipolaire, entre l'unilatéralisme fondé sur la force et des institutions internationales démocratisées. C'est le message que nous devons porter sans faillir avec, entre autres, l'Allemagne, l'Afrique du Sud et le Brésil. C'est le message que l'Europe, toute l'Europe - y compris les pays qui rejoignent notre " maison commune " - doit apporter aux peuples. Si les Etats-Unis font tout pour diviser l'Europe en ce moment précis c'est qu'ils savent que, pour nous la question de la paix est déterminante. Parce que l'Europe s'est constituée pour en finir avec la guerre sur le vieux continent. Elle vit peut-être en ces jours tragiques son heure de vérité. Sans un sursaut moral contre cette guerre insensée qui révolte la raison, l'Europe se précipitera dans la vassalisation. Le devoir de tout européen convaincu est donc de tout faire pour empêcher cette guerre qui vise à réduire l'Europe à une zone de libre-échange, dominée par les Etats-Unis.
Enfin, cette guerre répond à un projet politique précis : recomposer le Moyen-orient en y installant un régime servant de modèle pour les pays arabo-musulmans. Le Président Bush et son équipe prétendent faire le bonheur des peuples malgré eux, ou sans eux. C'est la " Pax américana ". Si ce " grand dessein " peut se transformer aujourd'hui en une expédition guerrière aux conséquences incalculables c'est que l'Europe a été incapable de faire bloc pour proposer aux peuples et aux démocrates du Moyen-orient les voies, les propositions et le soutien nécessaires pour en finir avec la misère, le terrorisme et la dictature. La dictature irakienne, trop longtemps soutenue - y compris par notre pays - doit être combattue fermement mais pas par ce moyen qui entraînera une déstabilisation de tout le moyen-orient, qui permettra à autorisant l'armée turque d'entrer dans le Kurdistan irakien, qui poussera l'armée israélienne à une répression accrue des palestiniens et qui pourrait ouvrir la porte au projet de transfert de centaines de milliers de palestiniens en Jordanie.
Enfin, parce qu'elle impose une situation de double standard, - de deux poids deux mesures - cette guerre renforcera le terrorisme, provoquera l'humiliation et la frustration des peuples arabes et entraînera jusque dans notre pays des affrontements intercommunautaires
Pour en finir, permettez-moi de formuler deux remarques critiques : Comme le Président de notre Assemblée, nous aurions souhaité nous prononcer par un vote sur deux questions précises : l'envoi de soldats français ou de matériels militaires sur le front ou dans des opérations de soutien à la guerre américaine, quelque soit le résultat du vote du Conseil de sécurité et l'utilisation du droit de veto dans le cas où le tandem anglo-américain trouverait une majorité au Conseil de sécurité des Nations-Unies. Un vote de toutes les forces politiques du pays contre la guerre et contre la participation de la France sous quelque forme que ce soit, aurait renforcé le Président Chirac dans son action. Il aurait fortifié sa détermination sans que nous ayons besoin de reprendre les termes de Danton : de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, monsieur le président. Ce vote aurait été un message fort pour le monde quelques jours avant le vote sur la seconde résolution et il aurait balayé les rumeurs sans fondement selon lesquelles la France pourrait s'aligner, in fine sur la Maison blanche. Si ce vote n'a pu se faire c'est que nous avons ici une divergence de taille avec la conception de la Vème République qui n'est pas nouvelle. Nous estimons que le contrôle de la politique extérieure de la France doit être exercé par le parlement, qu'il n'est pas un domaine réservé du chef de l'Etat.
Le 14 et 15 février dernier, me sont parvenues deux bonnes nouvelles. Par la voix de la France, l'ONU a montré que face au diktat de Washington la communauté internationale aspirait à construire un Etat de droit international. De New-York à Londres, de Sydney à Rome, de Florence à Porto Alegre, les peuples ont montré qu'ils refusaient la guerre durable et globale. Il ne nous reste plus que quelques semaines, voire quelques jours pour empêcher cette guerre qui serait pour l'humanité une destruction spirituelle et morale. Nous devons empêcher ce désastre.
Je vous remercie
(Source http://www.les-verts.org, le 24 mars 2003)