Interview de M. Ernest Antoine Seillière, président du MEDEF à Europe 1 le 20 novembre 2002, sur la situation sociale, les conflits du travail et le budget et le programme de stabilité.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. Face au scandale de cette flotte mondiale pourrie pour près de la moitié, est-ce que vous êtes favorable à des sanctions financières et pénales contre les patrons-armateurs négriers ?
- "Nous avons surtout le sentiment que cette affaire est une affaire d'Etat, au sens national et international du terme. Nous sommes très contre l'intervention de l'Etat dans le détail de la vie des entreprises, les 35 heures, etc. Mais quand il s'agit de définir le genre de rafiots qu'on doit interdire sur la mer, il ne faut pas s'en remettre au droit maritime du XIXème siècle, il faut que les Etats prennent leurs responsabilités. Et bien entendu, nous sommes scandalisés par le fait que de vieux bateaux puissent circuler et menacer l'écologie. Vous savez, le tourisme est une très grande industrie..."
...Et il y a l'économie de la mer. Vous savez qu'on ignore même l'identité d'un certain nombre de patrons-armateurs. Est-ce qu'il ne faut pas exiger le nom des propriétaires, des actionnaires et de tous leurs complices ? Est-ce que vous le demandez, là, aujourd'hui ?
- "Mais bien entendu. Nous sommes pour la transparence la plus totale dans ces domaines. Il est inacceptable - c'est presque du piratage - que des bateaux dont on ne connaît pas l'origine puisse circuler. Je ne dis pas que c'est le cas de celui-ci : je n'en sais rien. Mais enfin, sachez-le, le Medef demande, dans ce domaine, l'application d'une réglementation nationale et internationale sévère, et il est bien entendu, à fond, contre ces scandales."
C'est une occasion pour l'Europe de prouver son existence. Parce qu'il ne suffit pas, il me semble, de clamer régulièrement et périodiquement son indignation, d'autant plus que ce ne sera pas le dernier naufrage de ces vieilles carcasses.
- "Les tempêtes existent, les erreurs humaines aussi et, en réalité, quand il y a 150 bateaux qui sombrent - et, hélas, il y a aussi des avions qui tombent - on ne peut pas éviter les drames ; mais la réglementation doit être sévère. Et on cloue au sol les avions qui ne sont pas conformes à la réglementation ; il faut interdire la circulation des bateaux qui sont dans les mêmes circonstances, cela va de soi."
La route. Routiers et employeurs vont négocier cet après-midi. Dans le cas d'un échec, la grève commence après-demain. Est-ce que vous demandez au patronat de la route d'accorder ce qu'il faut pour que les routes ne soient pas bloquées ?
- "Le Medef rassemble 85 fédérations : on ne peut pas se mêler de tous les conflits professionnels - la banque, l'assurance, que sais-je."
Mais vous n'êtes pas sans contact avec eux.
- "C'est une affaire entre les salariés d'un secteur, les transports, et leurs employeurs. Bien entendu, s'il y a des différends, on peut faire grève. C'est totalement légal. On n'y invite pas, mais c'est possible. En revanche, dire qu'on va bloquer la France, ça, c'est complètement illégal. Et donc, c'est inacceptable pour les syndicats. Nous ne comprenons pas comment les syndicats peuvent appeler à la négociation - et nous venons d'ouvrir avec eux tout un programme de négociations - et en même temps cautionner les comportements illégaux."
Vous voulez dire les grandes centrales syndicales ?
- "Les grandes centrales syndicales peuvent-elles, non seulement soutenir mais même tolérer que des gens viennent interdire la circulation ? Et le Gouvernement, qui en matière d'ordre public se montre extrêmement rigoureux, ne peut pas laisser faire ça. Nous sommes dans une démocratie ; dans une démocratie sociale, et bien entendu, ces comportements - peut-être y en a-t-il eu dans le passé - sont maintenant inacceptables. Et je vous rappelle que nous sommes tombés au 30ème rang de la compétitivité mondiale. C'est une honte ; c'est inacceptable ! La France ne peut pas être vue par le monde entier comme un pays dans lequel on ne peut plus investir. Et si les routiers et les syndicats cautionnent le blocage de la France, alors, je ne donne pas cher, moi, de l'emploi et de la croissance dans notre pays dans les années qui viennent."
Mais que demandez-vous au gouvernement Raffarin-Sarkozy ? Vous avez l'air de vouloir leur demander d'intervenir ?
- "Je ne suis pas juge de ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Quelqu'un qui, normalement, commet une erreur de code de la route, on lui retire son permis. Donc, les gens qui bloquent les routes, il faut leur dire qu'on leur retirera leur permis. C'est un minimum. Mais la manière dont, minutieusement, on semble accepter que dans notre pays, on bloque la France - la liberté de travailler, la liberté de circuler, les problèmes d'ordre public [que cela soulève], les gens qui doivent aller à l'hôpital, que sais-je - tout ceci est totalement inacceptable d'une démocratie qui fonctionne."
Mais vous êtes en train d'en appeler à l'opinion ?
- "J'en appelle à l'opinion, au nom des entrepreneurs, si ceux-ci veulent faire leur travail, c'est-à-dire produire, faire de l'emploi, faire de la croissance, assurer l'existence normale d'un pays."
Il y a la négociation cet après-midi. Au passage, on négocie sous la menace ?
- "La négociation, on lui donne encore, bien entendu, toutes ses chances. Je crois que tout le monde s'efforce de faire en sorte qu'on en arrive à un accord. C'est l'affaire de la profession, ce n'est pas l'affaire du Medef, c'est l'affaire des syndicats. A eux de prendre leur responsabilité. Et ça, la responsabilité de conclure une négociation, ça existe aussi."
Ce mercredi va être probablement une journée historique, de vérité, du Budget. Voté hier par les députés sur la base des calculs de l'été, le budget 2003 est faux. Il faut donc le revoir, le corriger, parce qu'il y a des résultats médiocres des entreprises.
- "Je crois que là, nous pouvons être assez sévères. Nous avons dit, nous, au Gouvernement, que le budget qu'il présentait était un budget irréaliste, parce qu'il était fondé sur un espoir de croissance très importante qui, selon nous, ne sera pas là et que, deuxièmement, il péchait par la facilité. C'est-à-dire qu'il mettait en place un déficit ; il ne réduisait pas la dépense publique. Je sais bien que c'est la première fois que le Gouvernement fait un budget à la suite de cinq années d'une gestion au cours de laquelle la facilité a été totale. Et je sais que la situation laissée par le gouvernement Jospin est une situation extrêmement difficile, avec beaucoup de dépenses sociales non financées. Donc, il n'est pas facile de faire face à tout cela."
Mais, à un moment, il faut s'arrêter de dire que c'est l'héritage.
- "Là, on peut le dire encore ! Le premier budget, je crois qu'il faut être honnête, a tout de même, en effet, à nettoyer une situation très difficile."
Mais ce qui est pas mal, c'est de voir que F. Mer et A. Lambert vont mettre les chiffres sur la table. C'est intéressant ! En 2002, la croissance aura été de 1%. En 2003, vous prévoyez combien ?
- "Nous la voyons entre 1,5 et 2. Et encore ! Nous disons : "si les choses se passent bien". On peut avoir des situations plus difficiles. L'Allemagne est actuellement, comme vous le savez, pratiquement en récession."
C'est-à-dire pas les 2,5 officiels. La reprise, elle est plutôt pour quand, quand vous discutez avec les chefs d'entreprise ?
- "Personne n'en sait rien. Nous avons l'impression que, normalement, il devrait y avoir une croissance modérée en 2003. Croissance modérée, cela veut dire ce que j'ai dit, entre 1,5 et 2. Ce n'est pas la catastrophe, mais ce n'est pas non plus la facilité. Donc, la dépense publique doit être réduite. Vous savez qu'on a réduit seulement de 1 000 le nombre des fonctionnaires. On en a créé 400 000 dans les dix dernières années. Il faudrait donc 400 ans à ce rythme pour arriver à corriger les excès de ces dernières années."
Réduire la dépense publique en dehors des fonctionnaires, c'est quoi pour E.-A. Seillière ?
- "C'est en grande partie, évidemment, le réaménagement de l'Etat, auquel d'ailleurs on songe actuellement avec la décentralisation. Si la décentralisation doit conduire à moins de dépenses publiques et à plus de facilité pour la gestion du pays, nous sommes à fond pour. Si, au contraire, comme quelquefois on le soupçonne, cela conduit à des choses plus compliquées et plus coûteuses, bien entendu, les entrepreneurs vont être extrêmement virulents pour rappeler à l'ordre ceux qui lancent cette affaire."
Si F. Mer et A. Lambert proposent bientôt un programme d'équilibre et de stabilité - ou qui portera un autre nom -, est-ce que la Medef le comprend ? Est-ce que le Medef le soutient ?
- "Le Medef, en réalité, n'est pas - et on l'a dit souvent - un professionnel de l'opposition. Il veut au contraire le partenariat. Il veut pouvoir, entre ceux qui gouvernent et ceux qui produisent, établir des relations normales. C'est d'ailleurs en train de se mettre en place, je le souligne. Après un débat qu'on a jugé un peu décevant, le Gouvernement, semble-t-il, actuellement se met dans la réforme et le dialogue."
J'y reviendrai. Mais sur le plan de stabilité ou d'équilibre - on l'appellera comme on voudra -, parce qu'il faudra serrer la vis, à un moment, vous le soutenez ?
- "Bien entendu. S'il faut serrer la vis, cela veut dire réduire la dépense publique. Nous sommes, bien entendu, tout à fait pour."
Est-ce que vous, le Medef, vous seriez prêt à échanger un gel ou un report de baisse d'impôts et de charges contre plus de liberté, plus de flexibilité ?
- "On ne nous a pas proposé ce marché, mais bien entendu, le partenariat, c'est ce genre de discussion. Si le Gouvernement estime que pour avoir plus de croissance et d'emploi, et donc plus de réussite de notre pays, il faut réaménager un certain nombre de choses - et bien entendu la réforme fiscale est au coeur de ces affaires -, nous sommes bien entendu prêts à tout cela. Nous sommes, ne l'oubliez pas, partisans de la réforme, partisans du dialogue. Le Gouvernement a refusé la réforme dans des domaines absolument essentiels, comme par exemple le Smic, où on le lui proposait. Il faut qu'il se prête à la réforme dans le domaine des retraites, dans le domaine de la Sécurité sociale, par les voies et les moyens de la négociation sociale qui se déroulent de manière archaïque."
Hier adversaire, aujourd'hui partenaire. Je rappelle que c'est ici que vous aviez annoncé un harcèlement du gouvernement Jospin. Harceler Jospin, chouchouter Raffarin ?
- "Nous n'avons pas harcelé le gouvernement Jospin, nous avons harcelé les politiques qui se présentaient, de tous partis. Nous ne sommes pas partisans. Nous sommes pour un Gouvernement qui gouverne - et l'affaire des routiers devrait lui donner l'occasion de le montrer -, un Gouvernement qui est partenaire, s'il dialogue avec les partenaires sociaux et surtout qui décide la réforme."
Mais aujourd'hui, vous devenez plus conciliant, plus patient ?
- "Nous gardons la ligne. Je vais me représenter pour trois ans pour essayer de garder la ligne et inviter le Gouvernement, avec vigueur, à entamer le chemin de la réussite, c'est-à-dire de la réforme de notre pays."
Un nouveau mandat de trois ans le 14 janvier. Pour aller jusqu'au bout ?
- "Normalement, quand on prend une responsabilité, c'est pour la tenir."
Vous venez d'écrire aux syndicats pour négocier sur les plans sociaux, les licenciements, la formation, l'emploi. F. Chérèque vous a dit que c'était une bonne nouvelle pour la CFDT. Quand commencez-vous ?
- "C'est la refondation sociale An II. C'est vrai que nous avons tout un programme de travail. Nous commençons dans les semaines qui viennent. Nous sommes déjà en contacts bilatéraux. Nous ouvrirons les négociations sur l'Unedic très bientôt. Les prud'hommes rendent, semble-t-il les choses un peu plus lentes que nous le souhaiterions. Mais on va le faire et, bien entendu, il faut que les syndicats se montrent dignes de ce dialogue, c'est-à-dire qu'ils n'acceptent pas le comportement illégal de leurs affiliés."
Vous en faites un préalable ?
- "Pas un préalable mais certainement, il y aura un à-coup dans la négociation sociale prévue si les syndicats couvrent les comportements illégaux. Pour nous, c'est inacceptable."
C'est intéressant. Vous dites que si les grands syndicats, CGT, CFDT, etc, ne se prononcent pas d'ici à vendredi pour empêcher la grève, il pourrait y avoir des conséquences sur la négociation que vous avez proposée ?
- "Bien entendu. On ne peut pas, à la fois préconiser le dialogue social avec vigueur et en même temps préconiser l'illégalité dans la vie sociale. Pour nous, c'est quelque chose qui n'est pas compatible et nous le disons tout à fait clairement."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 novembre 2002)