Texte intégral
Q - Bonjour Renaud Muselier. Vous êtes secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, et donc particulièrement dans vos dossiers vous avez également l'aide humanitaire, et dans une heure, une heure et demie à peu près il y a un avion qui va décoller d'Orly et qui va transporter 28 tonnes et demie d'aide humanitaire pour la population irakienne. Alors précisément, à qui est-ce qu'elle est destinée, et est-ce que les conditions de sécurité vont permettre son acheminement sans problèmes ?
R - Ces 30 tonnes, c'est 15 tonnes pour l'eau, à peu près, 5 tonnes de médicaments et le reste en matériel. Il faut savoir que sur les hôpitaux de Bagdad - il y a 33 hôpitaux - il y en a 15 qui sont hors service, qu'il faut complètement reconstruire. La totalité du pays en fait a été pillée. Jean-Pierre Raffarin a débloqué une somme de 10 millions d'euros, mise à la disposition des différentes organisations internationales, dont les ONG...
Q - ... Organisations non gouvernementales humanitaires...
R - ... des ONG françaises qui sont restées là-bas, qui continuent à travailler là-bas et qui estiment avoir des besoins. On a validé ces besoins avec eux, et donc on a affrété un avion de 30 tonnes de matériel, qu'on fait atterrir en Jordanie, et qui vont être transportées ensuite à Bagdad.
Q - Par la route donc, en camion, dans des conditions de sécurité qui vous paraissent suffisantes ?
R - C'est la grosse difficulté là-bas sur place. C'est que la sécurisation ne permet pas aujourd'hui soit le retour des grandes organisations humanitaires internationales, ou les ONG, ou les organisations humanitaires pilotées par l'ONU. Donc là il y a un vrai problème de sécurisation pour le retour sur place de ceux qui veulent travailler ou qui souhaitent travailler de façon plus indépendante. Tout cela est un peu compliqué. La sécurité n'existe pas, essentiellement à cause des pilleurs. Les médecins ne veulent plus aller dans les hôpitaux parce que, quand ils sont dans les hôpitaux, on pille leur domicile et, dans les hôpitaux, il n'y a pratiquement plus rien maintenant, parce que tout a été pillé : hôpitaux, administrations, etc. Et cela va être un des gros problèmes aussi pour la reconstruction de ce pays...
Q - Le gouvernement italien annonce qu'il va déployer 3.000 personnes : des policiers, des infirmières, des médecins, des ingénieurs. Est-ce que les Français comptent envoyer aussi des gens qui vont aider concrètement sur le terrain ?
R - On revient sur la position initiale : est-ce qu'on le fait dans le cadre des Nations unies, ou est-ce qu'on le fait sous l'autorité de la force de coalition qui est sur place ? Aujourd'hui, nous sommes tous dans le système des Nations unies. On procède dossier par dossier. En ce qui concerne l'humanitaire, le système européen, par l'intermédiaire d'ECHO a débloqué 79 millions d'euros et nous cotisons à hauteur de 17,5 %. Enfin près de 20 % pour être utile immédiatement. Il faut se rendre compte sur ce pays en tout cas que, j'étais hier à Chypre...
Q - ... où sont basées quelques organisations de l'ONU...
R - où sont tous les humanitaires, tous les responsables de l'ONU qui ont quitté Bagdad, l'Irak à la veille du conflit. Il faut savoir que l'action de l'aide humanitaire mondiale, en ce qui concerne la nourriture, le PAM (Programme alimentaire mondial) cela va être concentré sur l'Irak. C'est dire à quel point le danger, la catastrophe est importante et potentielle et surtout il faut anticiper le problème du mois d'août, parce qu'aujourd'hui ils consomment leurs réserves, et la mécanique alimentaire n'est pas encore mise en place, et donc c'est quand même un travail colossal pour nourrir et faire boire les habitants de ce pays.
Q - Justement il y a une interview du porte-parole du Programme alimentaire mondial dans Libération de ce matin, qui reconnaît évidemment que ce sera l'opération la plus importante presque de l'histoire dans l'aide humanitaire et qui reconnaît néanmoins que le premier donateur du PAM ce sont les Etats-Unis à cette heure-ci, notamment dans ce programme et qu'à ce jour, dit le porte-parole, ni les pays arabes, ni la France, n'ont donné quoi que ce soit.
R - Quelques chiffres quand même puisqu'on s'engage sur des débats. Il faut reconstruire donc on ne va pas faire de polémiques. Néanmoins, la guerre coûte à peu près, entre 70 et 80 milliards de dollars dans les estimations qui sont faites ; les dégâts sur place sont considérables, on vient de le souligner. L'ensemble de l'humanitaire demande deux milliards de dollars par an.
Q - Ce qui est très peu par rapport à la totalité de la somme.
R - Il faut savoir que deux milliards de dollars, c'est un mois de conflit là-bas. Donc on voit le déséquilibre de ces sommes.
Q - Mais ça veut dire quoi ? Vous dites : c'est normal que ce soient les Américains qui s'en occupent quoi, en gros.
R - A partir du moment où on reconstruit, il faut être tous ensemble. L'Europe vient de débloquer 79 millions d'euros, le gouvernement français 10 millions d'euros. On n'est pas encore au montant nécessaire mais, pour autant, il y a une démarche qui est considérable.
Q - Alors les relations justement entre l'Amérique et la France. Jacques Chirac a téléphoné à George Bush. La conversation a été, pour les uns, les Américains : "professionnelle", pour les Français : "cordiale". En tout cas, le nouveau mot qu'on entend, c'est "pragmatisme". Maintenant on est devenu pragmatique dans nos relations avec les Etats-Unis. Franchement, c'est une manière de dire qu'on veut se "rabibocher" et qu'on veut tracer un trait sur un passé difficile ?
R - C'est sûr que nous avons eu des positions divergentes avant la guerre.
Q - Certes.
R - Pour autant, on a toujours dit que les Américains sont nos amis et nos alliés. Aujourd'hui, maintenant la guerre est là. On arrive au bout. Maintenant, comment fait-on pour reconstruire ? Je crois qu'il faut prendre les dossiers au cas par cas. Moi, vous savez, je suis médecin, cela ne me gêne pas d'être pragmatique. Prenons les dossiers les uns derrière les autres. Un hôpital est cassé, comment le refait-on ? Il y a des gens qui meurent de faim, comment les nourrit-on ? Il y a des administrations qui ne fonctionnent pas, comment les met-on en place ? Il faut donc remettre en place un pays, il faut prendre les choses au cas par cas, dossier par dossier. Il y a un problème d'équilibre régional, il faut bien se rendre compte que le nord ne correspond pas au sud, il y a les Kurdes, il y a les Chiites. Et donc l'équilibre de ce pays dans une espèce de fédération va être très difficile à monter en termes de souveraineté, des Irakiens pour les Irakiens, et d'intégrité territoriale. Et donc ça c'est un exercice qui nécessitera l'oeuvre de tous.
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(Source://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 avril 2003)
R - Ces 30 tonnes, c'est 15 tonnes pour l'eau, à peu près, 5 tonnes de médicaments et le reste en matériel. Il faut savoir que sur les hôpitaux de Bagdad - il y a 33 hôpitaux - il y en a 15 qui sont hors service, qu'il faut complètement reconstruire. La totalité du pays en fait a été pillée. Jean-Pierre Raffarin a débloqué une somme de 10 millions d'euros, mise à la disposition des différentes organisations internationales, dont les ONG...
Q - ... Organisations non gouvernementales humanitaires...
R - ... des ONG françaises qui sont restées là-bas, qui continuent à travailler là-bas et qui estiment avoir des besoins. On a validé ces besoins avec eux, et donc on a affrété un avion de 30 tonnes de matériel, qu'on fait atterrir en Jordanie, et qui vont être transportées ensuite à Bagdad.
Q - Par la route donc, en camion, dans des conditions de sécurité qui vous paraissent suffisantes ?
R - C'est la grosse difficulté là-bas sur place. C'est que la sécurisation ne permet pas aujourd'hui soit le retour des grandes organisations humanitaires internationales, ou les ONG, ou les organisations humanitaires pilotées par l'ONU. Donc là il y a un vrai problème de sécurisation pour le retour sur place de ceux qui veulent travailler ou qui souhaitent travailler de façon plus indépendante. Tout cela est un peu compliqué. La sécurité n'existe pas, essentiellement à cause des pilleurs. Les médecins ne veulent plus aller dans les hôpitaux parce que, quand ils sont dans les hôpitaux, on pille leur domicile et, dans les hôpitaux, il n'y a pratiquement plus rien maintenant, parce que tout a été pillé : hôpitaux, administrations, etc. Et cela va être un des gros problèmes aussi pour la reconstruction de ce pays...
Q - Le gouvernement italien annonce qu'il va déployer 3.000 personnes : des policiers, des infirmières, des médecins, des ingénieurs. Est-ce que les Français comptent envoyer aussi des gens qui vont aider concrètement sur le terrain ?
R - On revient sur la position initiale : est-ce qu'on le fait dans le cadre des Nations unies, ou est-ce qu'on le fait sous l'autorité de la force de coalition qui est sur place ? Aujourd'hui, nous sommes tous dans le système des Nations unies. On procède dossier par dossier. En ce qui concerne l'humanitaire, le système européen, par l'intermédiaire d'ECHO a débloqué 79 millions d'euros et nous cotisons à hauteur de 17,5 %. Enfin près de 20 % pour être utile immédiatement. Il faut se rendre compte sur ce pays en tout cas que, j'étais hier à Chypre...
Q - ... où sont basées quelques organisations de l'ONU...
R - où sont tous les humanitaires, tous les responsables de l'ONU qui ont quitté Bagdad, l'Irak à la veille du conflit. Il faut savoir que l'action de l'aide humanitaire mondiale, en ce qui concerne la nourriture, le PAM (Programme alimentaire mondial) cela va être concentré sur l'Irak. C'est dire à quel point le danger, la catastrophe est importante et potentielle et surtout il faut anticiper le problème du mois d'août, parce qu'aujourd'hui ils consomment leurs réserves, et la mécanique alimentaire n'est pas encore mise en place, et donc c'est quand même un travail colossal pour nourrir et faire boire les habitants de ce pays.
Q - Justement il y a une interview du porte-parole du Programme alimentaire mondial dans Libération de ce matin, qui reconnaît évidemment que ce sera l'opération la plus importante presque de l'histoire dans l'aide humanitaire et qui reconnaît néanmoins que le premier donateur du PAM ce sont les Etats-Unis à cette heure-ci, notamment dans ce programme et qu'à ce jour, dit le porte-parole, ni les pays arabes, ni la France, n'ont donné quoi que ce soit.
R - Quelques chiffres quand même puisqu'on s'engage sur des débats. Il faut reconstruire donc on ne va pas faire de polémiques. Néanmoins, la guerre coûte à peu près, entre 70 et 80 milliards de dollars dans les estimations qui sont faites ; les dégâts sur place sont considérables, on vient de le souligner. L'ensemble de l'humanitaire demande deux milliards de dollars par an.
Q - Ce qui est très peu par rapport à la totalité de la somme.
R - Il faut savoir que deux milliards de dollars, c'est un mois de conflit là-bas. Donc on voit le déséquilibre de ces sommes.
Q - Mais ça veut dire quoi ? Vous dites : c'est normal que ce soient les Américains qui s'en occupent quoi, en gros.
R - A partir du moment où on reconstruit, il faut être tous ensemble. L'Europe vient de débloquer 79 millions d'euros, le gouvernement français 10 millions d'euros. On n'est pas encore au montant nécessaire mais, pour autant, il y a une démarche qui est considérable.
Q - Alors les relations justement entre l'Amérique et la France. Jacques Chirac a téléphoné à George Bush. La conversation a été, pour les uns, les Américains : "professionnelle", pour les Français : "cordiale". En tout cas, le nouveau mot qu'on entend, c'est "pragmatisme". Maintenant on est devenu pragmatique dans nos relations avec les Etats-Unis. Franchement, c'est une manière de dire qu'on veut se "rabibocher" et qu'on veut tracer un trait sur un passé difficile ?
R - C'est sûr que nous avons eu des positions divergentes avant la guerre.
Q - Certes.
R - Pour autant, on a toujours dit que les Américains sont nos amis et nos alliés. Aujourd'hui, maintenant la guerre est là. On arrive au bout. Maintenant, comment fait-on pour reconstruire ? Je crois qu'il faut prendre les dossiers au cas par cas. Moi, vous savez, je suis médecin, cela ne me gêne pas d'être pragmatique. Prenons les dossiers les uns derrière les autres. Un hôpital est cassé, comment le refait-on ? Il y a des gens qui meurent de faim, comment les nourrit-on ? Il y a des administrations qui ne fonctionnent pas, comment les met-on en place ? Il faut donc remettre en place un pays, il faut prendre les choses au cas par cas, dossier par dossier. Il y a un problème d'équilibre régional, il faut bien se rendre compte que le nord ne correspond pas au sud, il y a les Kurdes, il y a les Chiites. Et donc l'équilibre de ce pays dans une espèce de fédération va être très difficile à monter en termes de souveraineté, des Irakiens pour les Irakiens, et d'intégrité territoriale. Et donc ça c'est un exercice qui nécessitera l'oeuvre de tous.
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(Source://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 avril 2003)