Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur le bilan de la politique sociale menée par le gouvernement de Georges Pompidou, Paris le 22 mars 2003.

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Circonstance : Colloque "Georges Pompidou" au Sénat le 22 mars 2003

Texte intégral

Il est très émouvant pour moi d'évoquer l'action sociale de Georges POMPIDOU puisque c'est précisément pour exercer des attributions ministérielles dans le secteur social, que Pierre Messmer m'avait appelé au gouvernement sous la Présidence de Georges POMPIDOU. L'ancien syndicaliste devenu député gaulliste voyait ainsi, sous la conduite de deux hommes d'exception se rejoindre deux pans de sa vie dans une mission exaltante.
Il est instructif de faire revivre cette période avec le recul de plusieurs décennies car ce regard distancié permet de distinguer ce qui tient à l'homme et ce qui tient à l'époque. L'ampleur de l'action sociale est en effet immense : les grandes lois hospitalières ont fixé durablement l'organisation de la Santé dans notre pays.
Les ordonnances de 1967 ont bâti des pans entiers de l'édifice social : Fonds pour l'emploi, assurance chômage, Agence nationale pour l'emploi. La participation, avec des réserves, a commencé à cesser d'être un idéal pour devenir un dispositif pratique.
Cette action sociale -faut-il le rappeler- est d'autant plus remarquable que l'exigence en était peut-être moindre qu'aujourd'hui. La crise n'était pas là. Le chômage dépassait à peine ce que les économistes appellent le chômage frictionnel ou structurel. La croissance était encore vive. Nul choc pétrolier ne laissait craindre des destructions d'emploi massives. Ces remarques ne donnent que plus de mérites à une action qui ne s'inscrivait pas sous le poids, la pression de l'urgence, sous la dictature de l'opinion ou la crainte des sondages, mais dans le cadre d'un effort déterminé pour donner à notre pays les institutions sociales justes et équilibrées que l'exigence humaniste de Georges Pompidou appelait de ses voeux.
Pourtant, cette action sociale n'était pas sans lien avec les évolutions de la société. Si le chômage n'était pas encore la préoccupation première, la société était néanmoins traversée de mouvements tout aussi profonds. En un sens, le social était traité en lui-même, comme une préoccupation du corps social et non comme une maladie de l'économique.
Le conflit emblématique de l'usine LIP interroge d'évidence plus la société dans ses fondements, les rapports entre les groupes sociaux et l'avenir de la société de consommation que la situation de l'emploi. La finesse de Georges Pompidou, son intuition, lui donnait sans doute plus qu'à d'autres, comme à un médecin des âmes, une aptitude à sentir les drames causés par les mutations de la société. Ce n'était pas les drames de l'exclusion mais ceux d'un bouleversement rapide des structures.
La Quatrième République n'avait que le temps de reconstruire. La V° accomplissait en peu d'années un effort gigantesque pour faire passer en peu d'années un pays encore largement agricole et rural, en grande nation moderne et industrielle.
Ce fut la mutation profonde de notre agriculture, entrée brutalement dans le marché commun et prenant le chemin de la productivité. On doit cependant à Georges Pompidou les premières politiques visionnaires pour joindre aux efforts de productivité des efforts pour développer les appellations, les labels et les chartes de qualité afin de préserver le génie d'une production respectueuse et des traditions et des hommes.
Ce fut l'explosion démographique de l'Université avec l'obligation d'accueillir à la hâte dans des bâtiments nouveaux des cohortes entières d'étudiants et bien sûr la profonde crise morale de mai 1968, par essence crise sociale plutôt qu'économique, malgré le jargon marxiste de certaines explications.
Ce fut les accords de Grenelle, chef d'uvre de solution politique à une crise sociale, fruit d'un dialogue respectueux et habile avec les centrales syndicales alors plus puissantes qu'aujourd'hui, appuyées par un parti communiste encore largement révolutionnaire.
Dans ces tâches, Georges Pompidou ne fut pas seul. Il sut profiter, dans les conflits les plus complexes, qu'il s'agisse de l'éducation ou du dialogue social, de l'habileté d'Edgar Faure, qui fut mon ministre de tutelle, de la compétence de Robert Boulin ou de la sagesse de Georges Gorse.
Mais le rythme de l'action, tenait à l'homme lui-même. Il est probable que l'image de sa détermination, de celle de Pierre Messmer, l'ombre encore du Général de Gaulle, la conscience des exigences de l'industrialisation, faisaient planer encore sur les affaires politiques comme un parfum d'épopée et de gravité qui donnaient au dialogue social un tour particulier où le respect mutuel retenait des excès que l'on a rencontré depuis.
Je suis certain que votre table ronde rendra le meilleur hommage, le plus personnel, à Georges Pompidou, en identifiant, dans les succès considérables de son action sociale, tout ce qui tenait précisément à sa personnalité même.
(source http://www.senat.fr, le 30 avril 2003)