Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à Europe 1 le 1er janvier 2000, sur la démission de M. Boris Eltsine, président de la Russie.

Prononcé le 1er janvier 2000

Intervenant(s) : 

Circonstance : Démission de M. Boris Eltsine, président de la Russie, le 31 décembre 1999

Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Nous revenons maintenant sur l'actualité à l'étranger et la démission surprise hier en Russie de Boris Eltsine. Il a donc confié les rênes du Kremlin à son dauphin Vladimir Poutine. La France par la voix de Jacques Chirac et de Lionel Jospin a salué le rôle historique de Boris Eltsine, qui a conduit la Russie sur la voie de la démocratie. Je vous propose d'entendre la réaction du ministre français des Affaires Etrangères.
R - C'est un changement de génération, ça c'est clair. Je ne crois pas qu'il puisse y avoir un changement stratégique de la politique russe, et même d'avant parce que le véritable changement remonte à Gorbatchev, il ne faut pas l'oublier. Il faut lui rendre hommage également. Depuis lors l'URSS, puis la Russie est engagée dans une politique à long terme visant à se construire, à se reconstruire comme un grand pays moderne, et à travers une coopération étroite avec les pays occidentaux, qui peut passer par des crises, qui peut passer par des désaccords sur tel ou tel point, mais c'est quand même bien le cadre stratégique. Je ne crois pas que M. Poutine change de cap. D'ailleurs ses toutes premières déclarations indiquent l'inverse et je ne crois pas que ce soit son intérêt ni celui de la Russie. Il sera à mon avis sans doute intransigeant sur la défense des intérêts russes. C'est quand même un peuple, et un pays qui ont été extrêmement humiliés par ce qui s'est passé depuis une dizaine d'années. Maintenant une défense intransigeante des intérêts russes mais dans un esprit général de coopération, M. Poutine est à partir de maintenant président par intérim, ce qui ne lui donne pas tout à fait les mêmes pouvoirs selon la Constitution russe qu'un président de plein exercice. Il y aura des élections fin mars. Donc nous connaîtrons à ce moment là le nom du vrai prochain président de la Russie. Dans la période qui nous sépare de fin mars, nous avons tout à fait l'intention de continuer à coopérer avec la Russie sur beaucoup de plan, discuter, négocier avec eux. Sur la Tchétchénie, nous continuerons à dire que, à notre sens, ils doivent rechercher une solution politique, surtout maintenant. Nous pensons qu'ils en ont les moyens, la capacité et donc ce dialogue, qui est un dialogue amical, mais qui est franc quand il le faut, va se poursuivre. Cette présidence Eltsine restera certainement comme celle qui aura jeté les bases et les racines d'une démocratie qui reste à perfectionner. Cela ne pourra lui être retiré. Enfin nous aurons un partenaire sans doute fort, avec des positions claires et nettes et ce n'est pas une mauvaise chose pour redéfinir de façon stratégique, c'est-à-dire dans la longue durée le type de relation que nous voulons bâtir avec une Russie moderne, la plus démocratique possible, et qui soit un grand voisin avec lequel nous puissions coopérer sur tous les plans sans préoccupation.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 janvier 2000)