Texte intégral
Je suis ici avec M. Jean-Michel Severino, directeur général de l'Agence française de Développement. C'est l'AFD qui, sous sa direction, avec toute son équipe, a organisé cette réunion, qui regroupait l'ensemble des agences spécialisées dans le développement des pays membres du G8, les représentants de toutes les organisations internationales qui s'occupent, d'une manière ou d'une autre, du développement en particulier sur le plan financier mais aussi les grandes agences dépendant des Nations unies et un certain nombre d'autres organisations.
Je voudrais brièvement vous dire comment se situe cette réunion dans le déroulement d'un calendrier qui a commencé avant et va se prolonger après, en matière de développement de l'Afrique. Cette réunion portait en effet sur le nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique, le NEPAD. Vous savez que la France, à l'initiative du président de la République, M. Chirac, a marqué avec une force particulière sa volonté d'inciter l'ensemble de la communauté internationale à développer de manière puissante et urgente ses efforts en faveur du développement de l'Afrique. Le président de la République a d'ailleurs également fait en sorte que France puisse, en la matière, montrer l'exemple et de son côté, elle aussi, accorder une place croissante dans ses moyens, dans ses efforts, à cet objectif.
Quelques étapes majeures dans cette démarche :
Il y a eu les déclarations du président Chirac à Monterrey au début de l'année 2002, il y a eu la réunion du G8 qui s'est tenue au Canada à Kananaskis et qui a déjà marqué fortement la volonté des pays industrialisés membres du G8 d'accorder une priorité au développement de l'Afrique. Il y a eu diverses réunions à la suite de cette rencontre du Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de Kananaskis. Cette année, nous avons une échéance tout à fait majeure qui est la réunion du Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement du G8 qui se tient à Evian les 1er et 2 juin prochains.
Pour préparer cette échéance, une série de contacts, de réunions sont prévus ; la première réunion était celle qui hier et aujourd'hui réunissait les grandes agences nationales et les institutions internationales concernées par le développement.
Le 24 avril, il y aura une réunion en France - puisque c'est la France qui préside le G8 en 2003 - une réunion des ministres chargés de la Coopération et du Développement ; les appellations varient selon les pays mais la réalité est la même pour les huit pays membres du G8. C'est une réunion à laquelle j'ai déjà convié, depuis plusieurs semaines, mes homologues des gouvernements membres du G8.
Enfin, il y a les travaux du sommet lui-même qui auront donc lieu à Evian.
Parallèlement à ces réunions, et de manière continue, les représentants personnels des chefs d'Etat et de gouvernement du G8 travaillent, se réunissent, accompagnent les différentes réunions et préparent également les travaux du G8.
C'est donc une mobilisation très forte, à tous les niveaux, en faveur du développement de l'Afrique et autour du projet du NEPAD.
Nous sommes très attachés à ce projet qui est un projet africain, qui est une méthode ; ce n'est pas un catalogue dans lequel il y aurait un certain nombre de programmes, de projets individualisés, c'est pour l'instant une approche qu'il faut traduire dans les réalités, dans les faits. Il y a de tous côtés, de la part des pays industrialisés qui souhaitent apporter une aide déterminante au développement de l'Afrique comme de la part des Africains eux-mêmes, une volonté de passer le plus vite possible à l'action.
C'est en tout cas la conclusion que nous avons tirée des discussions qui ont eu lieu sur ce sujet ici à Paris, il y a moins de deux semaines, lors du Sommet Afrique-France où tous les pays du continent africain étaient réunis avec le président de la République française et où, bien entendu, ce thème a été évoqué.
Je ne vais pas en dire beaucoup plus pour cette présentation générale.
Je me tourne vers Jean-Michel Sévérino qui a été l'artisan de cette réunion et que je voudrais féliciter pour la qualité de l'organisation et la réussite du fait du contenu des débats qui ont eu lieu. Il a probablement quelques indications à ajouter à ce que je viens de dire et ensuite, nous serons l'un et l'autre à votre disposition pour répondre à vos questions.
J'ai omis de dire tout à l'heure que l'un des points qui a été développé et discuté longuement, c'était d'ailleurs le sous-titre de cette réunion - la réunion s'appelait "rencontre pour le soutien et l'initiative NEPAD" et le sous-titre était : "pour une politique continentale des infrastructures" -, l'un des points discuté porte sur les infrastructures, les projets ou les programmes d'équipements, d'investissements lourds etc C'est un sujet sensible car chacun a en mémoire les expériences d'il y a 15 ou 20 ans où un certain nombre de ces grands projets se sont soldés par des échecs ; on avait à l'époque parlé, souvenez-vous, des "éléphants blancs" consistant à réaliser, indépendamment du contexte dans lequel ces équipements étaient réalisés, un certain nombre d'investissements d'infrastructures lourds, extrêmement coûteux et dont les résultats n'ont pas du tout été à la hauteur des espoirs que l'on pouvait placer en eux.
Après cette période et ces expériences manquées, finalement, ces infrastructures sont entrées dans une sorte de période d'hibernation, c'est un sujet devenu un peu tabou et la priorité des acteurs du développement et de la coopération s'est davantage portée sur les moyens pour lutter contre la pauvreté à travers l'éducation, la santé publique, les problèmes de bonne gouvernance, le renforcement des institutions, toutes sortes de sujets qui sont effectivement tout à fait importants. Mais il y a eu une désaffection complète ou presque concernant les infrastructures. Nous sommes aujourd'hui dans une période où les esprits ont évolué à la lumière des expériences et où l'on se rend compte qu'il faut trouver un juste équilibre entre la période du "tout investissement lourd" qui n'était accompagnée de rien et qui en général n'a pas donné les bons résultats et la période où l'on ne s'occuperait plus du tout d'infrastructures. Il suffit d'aller sur place pour voir que le développement des productions agricoles dans telle ou telle région ne peut pas faire complètement l'impasse sur la nécessité de disposer d'un minimum d'installations de voirie, de routes, même simples, pour tout simplement acheminer les productions agricoles ou les différentes denrées qui sont nécessaires. Pour exporter les productions, il y a besoin d'acheminer vers les ports ou les aéroports un certain nombre de choses.
Aujourd'hui, l'idée était de faire le bilan des points de vues des uns et des autres, ils n'étaient pas, au départ, identiques, et de déterminer comment il serait possible d'avoir une vue cohérente et équilibrée des infrastructures nécessaires demandées par les Africains. Je crois personnellement qu'elles sont demandées à juste titre, mais qu'elles ne devraient pas être dissociées de tout ce qui se trouve autour, du contexte social, éducatif, juridique et institutionnel.
C'est donc une réunion intéressante car elle marque la volonté des différents acteurs du développement d'aborder cette question avec un il neuf et un souci de chercher des solutions concrètes et pragmatiques sans rester enfermé dans les vieux clichés et les réactions peut-être un peu dogmatiques qui ont pu affecter ce sujet.
Je tenais à insister sur ce point qui a marqué cette réunion.
Q - (A propos de la "bonne gouvernance")
R - Lorsque je parle de bonne gouvernance, et de contexte juridique, c'est sur les droits fondamentaux de la personne, c'est l'existence d'un système juridique : des lois, un règlement, une justice pour les faire appliquer dans le respect des principes démocratiques. C'est le fonctionnement démocratique des pays en question, c'est tout cela que j'ai voulu embrasser dans cette expression raccourcie.
Q - Je vois qu'a participé à la réunion, en tant qu'interlocuteur, le secrétariat du NEPAD, il semblait qu'il y avait encore une querelle entre Africains sur le fait de savoir s'il devait y avoir une nouvelle structure justement, "typiquement NEPAD" ou si c'est l'Union africaine qui gère ces choses-là, je crois qu'ils ne sont pas tous d'accord entre eux.
Quel sera l'interlocuteur du G8 ?
Vous rappeliez à juste titre que le NEPAD s'appuie sur des projets régionaux ; aujourd'hui quelles sont les régions sur lesquelles on peut franchement travailler, lorsque l'on voit ce qui se passe en Afrique de l'Ouest ou en Afrique australe avec le Zimbabwe ?
R - Sur le premier point, je pense que l'on a dépassé les problèmes structurels et d'organisation qui ont pu se poser éventuellement concernant le NEPAD ; le secrétariat du NEPAD est l'instance reconnue par tous comme étant le lien, l'interlocuteur. Ce qui n'exclut pas du tout que la coordination soit assurée par lui avec l'Union africaine. Pour cette opération, il y a besoin d'une équipe spécialisée. Je ne pense pas que cela ait posé de problèmes au secrétariat du NEPAD.
Concernant le second point, vous parliez du cadre régional. Nous avons discuté du meilleur cadre pour cette nouvelle démarche qui est celle du NEPAD. Les Africains eux-mêmes ont insisté sur l'importance qu'il y aurait à renforcer les structures, les institutions régionales, comme l'on dit dans le jargon particulier en matière de Nations unies ; la région c'est l'Afrique et le niveau sous-régional, ce sont, à l'intérieur de l'Afrique, les différentes institutions qui existent géographiquement. En même temps, il ne faut pas non plus être trop dogmatique et enfermé dans des règles trop rigides ; il a été indiqué, au cours de cette réunion, que le cadre national pouvait souvent être un cadre pertinent et que par conséquent, non seulement il ne faut pas l'exclure, mais il est certainement adapté à un certain nombre d'opérations. Même, comme le disait il y a quelques instants Jean-Michel Sévérino, il y a des projets ou des programmes qui peuvent trouver un cadre plus adapté au niveau local concernant telle ou telle partie d'un pays qui peut d'ailleurs être à cheval sur plusieurs pays.
Voilà pour le bon cadre dans lequel le NEPAD et les opérations qui emprunteront ce canal et qui suivront cette démarche pourront se réaliser.
Evidemment, sur le continent africain, il y a des zones qui, pour des raisons diverses, situation de guerre civile, de crises, etc..., ne sont hélas pas en état ni de proposer des projets, ni de les accueillir parce que les conditions ne sont pas remplies. Il peut également y avoir des cas où les critères de bonne gouvernance, vous faites allusion au Zimbabwe mais il y a d'autres situations qui peuvent exister, ne sont pas réunis. Or, le NEPAD et c'est une proposition africaine, donc ce n'est pas quelque chose qui vient d'ailleurs, le NEPAD insiste sur la nécessité que les conditions de ce que l'on appelle la bonne gouvernance soient remplies. Il faut bien entendu définir précisément ce qu'elles sont et surtout qui les contrôle. C'est tout le problème de la définition de ce que l'on appelle "l'évaluation par les pairs", qui peut d'ailleurs être diverse selon les types de projets, les domaines d'intervention dans lesquels les projets se réalisent.
Il est clair que lorsque ces conditions ne sont pas réunies, il ne peut pas y avoir de programmes ou de projets NEPAD dans ces zones-là.
Q - Vous avez coprésidé une réunion préparatoire du G8 sur la famine en Afrique. Qu'en est-il ?
R - Il en est résulté la conclusion que les pays du G8 partageaient le même sentiment devant l'urgence des situations devant lesquelles nous nous trouvons dans certaines parties du continent africain, l'Afrique australe, la corne de l'Afrique notamment. Aussi, il y a eu un accord sur un certain nombre de points :
Le premier point est que l'aide alimentaire d'urgence doit être distincte du problème de la sécurité alimentaire à long terme. Autrement dit, pour faire face à des situations de crise et d'urgence extrême liées à des famines qui menacent ou qui même se sont éventuellement déjà déclenchées, il ne faut pas tergiverser et il faut trouver immédiatement le moyen d'apporter sur place les aliments nécessaires à la population. Mais l'aide d'urgence n'est pas la seule solution, ce n'est même pas la solution principale, il faut effectivement une mobilisation pour trouver des solutions durables qui permettent aux pays en question, progressivement, d'assurer leur sécurité alimentaire, c'est-à-dire la production par leurs propres moyens de l'alimentation et de la nourriture nécessaires à leur population. Il faut donc bien distinguer les choses.
Deuxièmement, il faut veiller à ce que l'aide alimentaire soit adaptée aux habitudes alimentaires des populations concernées. Je n'insisterai pas, mais on a connu, dans le passé, un certain nombre d'erreurs commises en la matière qui ont provoqué des problèmes et même des drames dans certains pays.
Troisièmement, il faut veiller à ce que l'aide alimentaire apportée ne détruise pas, par son caractère mal évalué au départ, les structures et les productions agricoles existantes. Même dans les pays où ont lieu des famines, il y a souvent, quand même, des agriculteurs ou des éleveurs et il faut éviter qu'un afflux inconsidéré et massif de productions animales ou autres vers le pays ne fasse s'effondrer les cours et que ces agriculteurs ne puissent même plus vendre ni produire leur propre production. Il faut doser spécialement par rapport à la situation qui existe.
Un autre point d'accord : il faut que l'aide alimentaire soit gratuite, sous la forme de dons. On sait que dans le temps, il y a eu des formules où cette aide était accordée sous forme de prêts. Or, ces prêts consentis à des pays qui sont dans des situations souvent d'extrêmes difficultés financières ne font qu'aggraver l'endettement.
Voilà un certain nombre de points sur lesquels un accord s'est fait entre les représentants des pays du G8 ; le Secrétaire général des Nations unies a participé à une bonne partie de cette réunion, il était là à l'ouverture, il a fait une intervention forte et très remarquée pour insister sur l'urgente nécessité pour les pays industrialisés d'une mobilisation très forte en faveur du développement. Et là, nous retrouvons l'un des sujets dont nous avons parlé aujourd'hui, il y en a d'autres dans l'agenda des mois qui viennent.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 mars 2003)
Je voudrais brièvement vous dire comment se situe cette réunion dans le déroulement d'un calendrier qui a commencé avant et va se prolonger après, en matière de développement de l'Afrique. Cette réunion portait en effet sur le nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique, le NEPAD. Vous savez que la France, à l'initiative du président de la République, M. Chirac, a marqué avec une force particulière sa volonté d'inciter l'ensemble de la communauté internationale à développer de manière puissante et urgente ses efforts en faveur du développement de l'Afrique. Le président de la République a d'ailleurs également fait en sorte que France puisse, en la matière, montrer l'exemple et de son côté, elle aussi, accorder une place croissante dans ses moyens, dans ses efforts, à cet objectif.
Quelques étapes majeures dans cette démarche :
Il y a eu les déclarations du président Chirac à Monterrey au début de l'année 2002, il y a eu la réunion du G8 qui s'est tenue au Canada à Kananaskis et qui a déjà marqué fortement la volonté des pays industrialisés membres du G8 d'accorder une priorité au développement de l'Afrique. Il y a eu diverses réunions à la suite de cette rencontre du Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de Kananaskis. Cette année, nous avons une échéance tout à fait majeure qui est la réunion du Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement du G8 qui se tient à Evian les 1er et 2 juin prochains.
Pour préparer cette échéance, une série de contacts, de réunions sont prévus ; la première réunion était celle qui hier et aujourd'hui réunissait les grandes agences nationales et les institutions internationales concernées par le développement.
Le 24 avril, il y aura une réunion en France - puisque c'est la France qui préside le G8 en 2003 - une réunion des ministres chargés de la Coopération et du Développement ; les appellations varient selon les pays mais la réalité est la même pour les huit pays membres du G8. C'est une réunion à laquelle j'ai déjà convié, depuis plusieurs semaines, mes homologues des gouvernements membres du G8.
Enfin, il y a les travaux du sommet lui-même qui auront donc lieu à Evian.
Parallèlement à ces réunions, et de manière continue, les représentants personnels des chefs d'Etat et de gouvernement du G8 travaillent, se réunissent, accompagnent les différentes réunions et préparent également les travaux du G8.
C'est donc une mobilisation très forte, à tous les niveaux, en faveur du développement de l'Afrique et autour du projet du NEPAD.
Nous sommes très attachés à ce projet qui est un projet africain, qui est une méthode ; ce n'est pas un catalogue dans lequel il y aurait un certain nombre de programmes, de projets individualisés, c'est pour l'instant une approche qu'il faut traduire dans les réalités, dans les faits. Il y a de tous côtés, de la part des pays industrialisés qui souhaitent apporter une aide déterminante au développement de l'Afrique comme de la part des Africains eux-mêmes, une volonté de passer le plus vite possible à l'action.
C'est en tout cas la conclusion que nous avons tirée des discussions qui ont eu lieu sur ce sujet ici à Paris, il y a moins de deux semaines, lors du Sommet Afrique-France où tous les pays du continent africain étaient réunis avec le président de la République française et où, bien entendu, ce thème a été évoqué.
Je ne vais pas en dire beaucoup plus pour cette présentation générale.
Je me tourne vers Jean-Michel Sévérino qui a été l'artisan de cette réunion et que je voudrais féliciter pour la qualité de l'organisation et la réussite du fait du contenu des débats qui ont eu lieu. Il a probablement quelques indications à ajouter à ce que je viens de dire et ensuite, nous serons l'un et l'autre à votre disposition pour répondre à vos questions.
J'ai omis de dire tout à l'heure que l'un des points qui a été développé et discuté longuement, c'était d'ailleurs le sous-titre de cette réunion - la réunion s'appelait "rencontre pour le soutien et l'initiative NEPAD" et le sous-titre était : "pour une politique continentale des infrastructures" -, l'un des points discuté porte sur les infrastructures, les projets ou les programmes d'équipements, d'investissements lourds etc C'est un sujet sensible car chacun a en mémoire les expériences d'il y a 15 ou 20 ans où un certain nombre de ces grands projets se sont soldés par des échecs ; on avait à l'époque parlé, souvenez-vous, des "éléphants blancs" consistant à réaliser, indépendamment du contexte dans lequel ces équipements étaient réalisés, un certain nombre d'investissements d'infrastructures lourds, extrêmement coûteux et dont les résultats n'ont pas du tout été à la hauteur des espoirs que l'on pouvait placer en eux.
Après cette période et ces expériences manquées, finalement, ces infrastructures sont entrées dans une sorte de période d'hibernation, c'est un sujet devenu un peu tabou et la priorité des acteurs du développement et de la coopération s'est davantage portée sur les moyens pour lutter contre la pauvreté à travers l'éducation, la santé publique, les problèmes de bonne gouvernance, le renforcement des institutions, toutes sortes de sujets qui sont effectivement tout à fait importants. Mais il y a eu une désaffection complète ou presque concernant les infrastructures. Nous sommes aujourd'hui dans une période où les esprits ont évolué à la lumière des expériences et où l'on se rend compte qu'il faut trouver un juste équilibre entre la période du "tout investissement lourd" qui n'était accompagnée de rien et qui en général n'a pas donné les bons résultats et la période où l'on ne s'occuperait plus du tout d'infrastructures. Il suffit d'aller sur place pour voir que le développement des productions agricoles dans telle ou telle région ne peut pas faire complètement l'impasse sur la nécessité de disposer d'un minimum d'installations de voirie, de routes, même simples, pour tout simplement acheminer les productions agricoles ou les différentes denrées qui sont nécessaires. Pour exporter les productions, il y a besoin d'acheminer vers les ports ou les aéroports un certain nombre de choses.
Aujourd'hui, l'idée était de faire le bilan des points de vues des uns et des autres, ils n'étaient pas, au départ, identiques, et de déterminer comment il serait possible d'avoir une vue cohérente et équilibrée des infrastructures nécessaires demandées par les Africains. Je crois personnellement qu'elles sont demandées à juste titre, mais qu'elles ne devraient pas être dissociées de tout ce qui se trouve autour, du contexte social, éducatif, juridique et institutionnel.
C'est donc une réunion intéressante car elle marque la volonté des différents acteurs du développement d'aborder cette question avec un il neuf et un souci de chercher des solutions concrètes et pragmatiques sans rester enfermé dans les vieux clichés et les réactions peut-être un peu dogmatiques qui ont pu affecter ce sujet.
Je tenais à insister sur ce point qui a marqué cette réunion.
Q - (A propos de la "bonne gouvernance")
R - Lorsque je parle de bonne gouvernance, et de contexte juridique, c'est sur les droits fondamentaux de la personne, c'est l'existence d'un système juridique : des lois, un règlement, une justice pour les faire appliquer dans le respect des principes démocratiques. C'est le fonctionnement démocratique des pays en question, c'est tout cela que j'ai voulu embrasser dans cette expression raccourcie.
Q - Je vois qu'a participé à la réunion, en tant qu'interlocuteur, le secrétariat du NEPAD, il semblait qu'il y avait encore une querelle entre Africains sur le fait de savoir s'il devait y avoir une nouvelle structure justement, "typiquement NEPAD" ou si c'est l'Union africaine qui gère ces choses-là, je crois qu'ils ne sont pas tous d'accord entre eux.
Quel sera l'interlocuteur du G8 ?
Vous rappeliez à juste titre que le NEPAD s'appuie sur des projets régionaux ; aujourd'hui quelles sont les régions sur lesquelles on peut franchement travailler, lorsque l'on voit ce qui se passe en Afrique de l'Ouest ou en Afrique australe avec le Zimbabwe ?
R - Sur le premier point, je pense que l'on a dépassé les problèmes structurels et d'organisation qui ont pu se poser éventuellement concernant le NEPAD ; le secrétariat du NEPAD est l'instance reconnue par tous comme étant le lien, l'interlocuteur. Ce qui n'exclut pas du tout que la coordination soit assurée par lui avec l'Union africaine. Pour cette opération, il y a besoin d'une équipe spécialisée. Je ne pense pas que cela ait posé de problèmes au secrétariat du NEPAD.
Concernant le second point, vous parliez du cadre régional. Nous avons discuté du meilleur cadre pour cette nouvelle démarche qui est celle du NEPAD. Les Africains eux-mêmes ont insisté sur l'importance qu'il y aurait à renforcer les structures, les institutions régionales, comme l'on dit dans le jargon particulier en matière de Nations unies ; la région c'est l'Afrique et le niveau sous-régional, ce sont, à l'intérieur de l'Afrique, les différentes institutions qui existent géographiquement. En même temps, il ne faut pas non plus être trop dogmatique et enfermé dans des règles trop rigides ; il a été indiqué, au cours de cette réunion, que le cadre national pouvait souvent être un cadre pertinent et que par conséquent, non seulement il ne faut pas l'exclure, mais il est certainement adapté à un certain nombre d'opérations. Même, comme le disait il y a quelques instants Jean-Michel Sévérino, il y a des projets ou des programmes qui peuvent trouver un cadre plus adapté au niveau local concernant telle ou telle partie d'un pays qui peut d'ailleurs être à cheval sur plusieurs pays.
Voilà pour le bon cadre dans lequel le NEPAD et les opérations qui emprunteront ce canal et qui suivront cette démarche pourront se réaliser.
Evidemment, sur le continent africain, il y a des zones qui, pour des raisons diverses, situation de guerre civile, de crises, etc..., ne sont hélas pas en état ni de proposer des projets, ni de les accueillir parce que les conditions ne sont pas remplies. Il peut également y avoir des cas où les critères de bonne gouvernance, vous faites allusion au Zimbabwe mais il y a d'autres situations qui peuvent exister, ne sont pas réunis. Or, le NEPAD et c'est une proposition africaine, donc ce n'est pas quelque chose qui vient d'ailleurs, le NEPAD insiste sur la nécessité que les conditions de ce que l'on appelle la bonne gouvernance soient remplies. Il faut bien entendu définir précisément ce qu'elles sont et surtout qui les contrôle. C'est tout le problème de la définition de ce que l'on appelle "l'évaluation par les pairs", qui peut d'ailleurs être diverse selon les types de projets, les domaines d'intervention dans lesquels les projets se réalisent.
Il est clair que lorsque ces conditions ne sont pas réunies, il ne peut pas y avoir de programmes ou de projets NEPAD dans ces zones-là.
Q - Vous avez coprésidé une réunion préparatoire du G8 sur la famine en Afrique. Qu'en est-il ?
R - Il en est résulté la conclusion que les pays du G8 partageaient le même sentiment devant l'urgence des situations devant lesquelles nous nous trouvons dans certaines parties du continent africain, l'Afrique australe, la corne de l'Afrique notamment. Aussi, il y a eu un accord sur un certain nombre de points :
Le premier point est que l'aide alimentaire d'urgence doit être distincte du problème de la sécurité alimentaire à long terme. Autrement dit, pour faire face à des situations de crise et d'urgence extrême liées à des famines qui menacent ou qui même se sont éventuellement déjà déclenchées, il ne faut pas tergiverser et il faut trouver immédiatement le moyen d'apporter sur place les aliments nécessaires à la population. Mais l'aide d'urgence n'est pas la seule solution, ce n'est même pas la solution principale, il faut effectivement une mobilisation pour trouver des solutions durables qui permettent aux pays en question, progressivement, d'assurer leur sécurité alimentaire, c'est-à-dire la production par leurs propres moyens de l'alimentation et de la nourriture nécessaires à leur population. Il faut donc bien distinguer les choses.
Deuxièmement, il faut veiller à ce que l'aide alimentaire soit adaptée aux habitudes alimentaires des populations concernées. Je n'insisterai pas, mais on a connu, dans le passé, un certain nombre d'erreurs commises en la matière qui ont provoqué des problèmes et même des drames dans certains pays.
Troisièmement, il faut veiller à ce que l'aide alimentaire apportée ne détruise pas, par son caractère mal évalué au départ, les structures et les productions agricoles existantes. Même dans les pays où ont lieu des famines, il y a souvent, quand même, des agriculteurs ou des éleveurs et il faut éviter qu'un afflux inconsidéré et massif de productions animales ou autres vers le pays ne fasse s'effondrer les cours et que ces agriculteurs ne puissent même plus vendre ni produire leur propre production. Il faut doser spécialement par rapport à la situation qui existe.
Un autre point d'accord : il faut que l'aide alimentaire soit gratuite, sous la forme de dons. On sait que dans le temps, il y a eu des formules où cette aide était accordée sous forme de prêts. Or, ces prêts consentis à des pays qui sont dans des situations souvent d'extrêmes difficultés financières ne font qu'aggraver l'endettement.
Voilà un certain nombre de points sur lesquels un accord s'est fait entre les représentants des pays du G8 ; le Secrétaire général des Nations unies a participé à une bonne partie de cette réunion, il était là à l'ouverture, il a fait une intervention forte et très remarquée pour insister sur l'urgente nécessité pour les pays industrialisés d'une mobilisation très forte en faveur du développement. Et là, nous retrouvons l'un des sujets dont nous avons parlé aujourd'hui, il y en a d'autres dans l'agenda des mois qui viennent.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 mars 2003)