Conférence de presse conjointe de MM. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, et Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur la situation au Kosovo et sur l'état de l'économie mondiale, Londres le 9 mai 1998.

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Circonstance : Réunion du G8 Finances et Affaires étrangères à Londres (Grande-Bretagne) les 8 et 9 mai 1998

Texte intégral

M. Védrine -
Je vais commencer par les points-clés qui ont été traités par les ministres des Affaires étrangères. Nous avons spécialement travaillé sur le Kossovo. Les pays du Groupe de contact ont mis en application les décisions qui avaient été prises à Rome, avec un petit délai qui entre automatiquement en vigueur puisque ce que le Groupe de contact a demandé ne s'est pas produit.
Nous avons beaucoup parlé du processus de paix au Proche-Orient. Mme Albright a informé ses partenaires de l'état de la situation.
Nous avons eu un échange intéressant sur la partie africaine du communiqué et je suis intervenu sur le chapitre non-prolifération à propos de la nécessité urgente de mettre au point un instrument de contrôle en matière biologique. C'est un trou béant dans le dispositif de lutte contre la prolifération ; il y a une convention de 1972, il n'y a aucun dispositif de contrôle parce que c'est extraordinairement compliqué sur le plan technique et scientifique, mais c'est une nécessité absolue.
Une longue discussion a également eu lieu ce matin sur l'Iraq avec Mme Albright, M. Primakov, la présidence britannique et moi-même, et sur les autres sujets qui sont dans le communiqué. J'ai eu des entretiens bilatéraux spécifiques avec le ministre russe, américain, les ministres canadien et britannique.
M. Strauss-Kahn -
Hier, ce matin et au déjeuner, nous avons d'abord abordé l'état de l'économie mondiale. Là-dessus, rien de très neuf. Un coup de chapeau général au lancement de l'Union économique et monétaire. Nous avons souligné le caractère assez fort de la croissance en Europe, particulièrement en France, en Allemagne et en Italie. Puis, notre collègue japonais nous a donné un certain nombre de nouvelles précisions sur la situation de l'économie japonaise. Maintenant, il faut attendre les résultats. Je lui ai demandé quand il attendait les premiers résultats qui montreraient que son plan a réussi et il a dit que le mois de juillet devrait être significatif. Nous pourrons apprécier au G7 de septembre ces résultats.
Le deuxième grand sujet est celui du renforcement du Système monétaire international, sujet traité hier soir au dîner avec MM. Camdessus et Wolfensohn. Je crois que l'idée d'une ouverture ordonnée des marchés des capitaux a maintenant du contenu (...).
Enfin dernier sujet, c'est celui de l'aide au développement, de la dette. Vous savez que depuis 1991 la France a abandonné 10 milliards de dollars de dette en direction des pays en voie de développement, principalement africains. La France continue à soutenir l'idée qu'au "Trade not Aid" traditionnel des Américains, il faut plutôt opposer "Aid for Trade", c'est-à-dire qu'on a besoin d'aide publique pour permettre à ces pays d'entrer dans un monde concurrentiel. (...)
Le déjeuner a principalement porté sur l'Asie, particulièrement sur l'Indonésie, avec une idée communément admise que les choses vont plutôt nettement mieux en Corée et en Thaïlande, plutôt un peu mieux qu'il y a quelques semaines en Indonésie et que, néanmoins, le problème n'est pas uniquement économique et qu'il faut avancer sur les autres aspects de la question indonésienne.
Q - Quelle pression efficace peut-on exercer sur Milosevic ?
R - M. Védrine - Il faut bien rappeler le cadre. L'élément moteur dans l'affaire du Kossovo, c'est le Groupe de contact. Naturellement, chaque fois qu'à l'occasion d'une réunion internationale on peut s'assurer que la politique du Groupe de contact est comprise et soutenue, cette occasion est saisie pour qu'il y ait une cohérence et pour que les autorités de Belgrade comprennent bien qu'il n'y a pas 36 politiques à l'extérieur et qu'elles ne cherchent pas à jouer sur les différences. Donc, depuis la première réunion du Groupe de contact le 10 mars, à partir du moment où la crise au Kossovo est devenue aiguë, il y a eu la Conférence européenne à Londres, il y a eu plusieurs Conseils Affaires générales, il y a eu toutes sortes de réunions, et à chaque fois on a saisi l'occasion que ces différentes instances apportent leur appui. A Londres, une fois de plus, et sous la forme du G8, les ministres des Affaires étrangères ont apporté leur soutien et leur renfort à la politique suivie depuis le début. Cela nous a permis d'avoir confirmation que l'analyse reste la même. C'est très important : aucun pays ne soutient la revendication d'indépendance qui serait tragiquement déstabilisante pour une région qui n'a déjà que trop souffert, et aucun pays pense que le statu quo est tolérable. Donc, tout le monde reste sur la ligne d'obtenir l'autonomie maximum possible par la négociation. Ce n'est pas à nous de prédéterminer à l'avance ce que sera la forme de cette autonomie. Pour cela, c'est à la fois une politique de mise en garde et de pression, et dans les pressions, il y a une graduation, il y a un resserrement dans les sanctions puisque malheureusement s'il y a quelques signes, quelques pas d'ouverture - mais qui ne sont jamais nets et jamais malheureusement encore confirmés - nous n'obtenons pas ce que nous voulons pour le moment, c'est-à-dire l'ouverture d'un véritable dialogue. Ce qui manque pour ce dialogue du côté de Belgrade, c'est l'acceptation d'une présence internationale. Sans celle-ci, M. Rugova, qui est le leader des Albanais du Kossovo, ne pourra pas, ou ne voudra pas, s'engager dans le processus. Il faut maintenant un signal très clair de part et d'autre pour qu'ils s'engagent dans la négociation sans préalable supplémentaire. Les membres du Groupe de contact sont également très préoccupés par l'escalade des tensions et ils n'hésitent pas également à pointer le doigt sur l'escalade du terrorisme puisque l'on a affaire à un processus préoccupant des deux côtés.
Q - M. Milosevic doit répondre dans quinze jours, trois semaines ?
R - M. Védrine - Milosevic devrait répondre demain matin. Il n'y a jamais eu de délai en réalité. Ce n'est pas parce qu'on se fixe des rendez-vous réguliers pour montrer que la mobilisation demeure et que les autorités yougoslaves ne peuvent pas spéculer sur une sorte de lassitude. C'est pour cela qu'on a fixé des rendez-vous. Ce n'est surtout pas pour reporter la réponse.
Q - Et s'il ne répond pas ?
R - M. Védrine - Nous serons obligés d'aller plus loin dans la politique qui est suivie depuis le début. Il peut y avoir des mesures de différente nature. Nous ne pourrons pas relâcher notre vigilance parce que nous ne pouvons pas laisser cette question se détériorer. Les autorités de Belgrade devraient renoncer à l'idée qu'à la longue et en passant par des détours tactiques comme le référendum, elles vont finir par pouvoir gérer le statu quo comme elles l'entendent. C'est un mauvais calcul. Nous voulons absolument arriver à maintenir cette solution politique qui est seule de nature à empêcher une dégradation.
Q - N'est-on pas en train de gérer le statu quo ?
R - M. Védrine - Nous sommes contre le statu quo. La pression s'exerce depuis des semaines, sinon il n'y aurait pas eu déjà un certain nombre de mouvements. On n'a pas obtenu l'enclenchement de la négociation mais on ne peut pas dire que rien ne s'est passé. Il y a eu un certain nombre de gestes : la constitution d'une délégation pour négocier mais ce n'est pas tout à fait la bonne ; l'implication du vice-Premier ministre de Yougoslavie, cela implique la Yougoslavie mais pas assez ; ensuite une demi-acceptation du retour de M. Gonzalez mais pas complètement. Comme vous le voyez, nous sommes dans une situation intermédiaire : nous ne sommes pas en train de gérer le statu quo mais nous essayons de faire en sorte que le statu quo soit remplacé par une situation politique acceptable.
La pression est continue. Ce que nous attendons des autorités de Belgrade comme de M. Rugova auquel nous demandons également de rentrer dans la négociation sans préalable, nous l'attendons pour tout de suite depuis le 10 mars. Nous n'avons pas atteint notre but pour le moment mais il n'y a aucun signe de démobilisation de notre côté.
(...)
Q - A-t-on parlé de la levée des sanctions sur l'Iraq ?
R - M. Védrine - Nous en avons parlé et je vous renvoie au communiqué. L'approche américaine ou russe n'est pas spontanément la même. On a trouvé, je crois, un bon texte qui rappelle qu'il faut que les conditions adéquates soient remplies, celles fixées par les résolutions pertinentes pour envisager la levée des sanctions. A ce stade, comme personne ne pense que toutes les conditions sont déjà remplies, il n'y a pas de débat. On a trouvé un accord, y compris avec les Russes, sur le paragraphe 42 du communiqué sur l'Iraq.
Q - Est-ce que vous avez parlé avec Mme Albright de Total en Iran ?
R - M. Védrine - Non.
Q - De quoi va-t-on parler à Birmingham ?
R - M. Védrine - En ce qui concerne la politique étrangère proprement dite, il se peut que les chefs d'Etat et de gouvernement soient amenés à revenir sur les sujets les plus chauds du moment. Il y a une marge de souplesse du côté de la présidence mais ce ne serait pas étonnant qu'ils disent un mot du Proche-Orient, surtout qu'on saura à ce moment-là si le rendez-vous de Washington a pu être tenu, ou si quelque chose a été substitué dans l'hypothèse où il n'est pas tenu. D'autre part, le Kossovo vraisemblablement.
R - M. Strauss-Kahn - Il y a un sujet dont je pense qu'ils parleront, c'est l'Indonésie, et je souhaite pour ma part que les chefs d'Etat et de gouvernement prennent une résolution ferme en direction de l'Indonésie.
(...)
Q - M. Duisenberg sera-t-il présent dans les instances du G7/G8 ?
R - M. Strauss-Kahn - Tout le monde est d'accord sur le fait que le gouverneur de la Banque centrale européenne participe aux réunions. La question qui se pose, c'est que le gouverneur de la BCE est compétent sur un certain nombre de sujets et les gouverneurs des banques nationales sur d'autres sujets. Je pense que la bonne solution, c'est que lorsque l'on parle des premiers sujets, ce soit le gouverneur de la BCE qui soit là et qui représente les banquiers centraux français, allemand et italien, demain peut-être anglais, et lorsque l'on parle de questions qui relèvent non pas de la BCE mais des banques nationales, notamment le système de paiement, alors que ce soient les banquiers centraux nationaux qui rentrent et M. Duisenberg qui leur laisse la place.
Q - Quid de la présidence de la BERD ? En avez-vous parlé ?
R - M. Strauss-Kahn - Oui.
Q - Et alors ?
R - M. Strauss-Kahn - C'est tout. La France a un candidat. C'est une vieille pratique ... ./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 septembre 2001)